Les agricultures et les espaces ruraux du sud et du nord sont soumis à l'emprise du « global food system », marqué à la fois par le poids des industries et du négoce de l'alimentation ainsi que par une césure profonde entre les activités agricoles et la production des connaissances et des moyens techniques qu'elles mettent en œuvre. Pourtant, les effets sur les territoires ruraux ne sont pas de même nature. Au nord, l'emprise du global food system a nourri un processus de déprise agricole et rural qui a alimenté une profonde déstructuration des sociétés rurales. Au sud, elle a favorisé l'émergence d'un modèle dual marqué par la marginalisation des arrières pays, sans pour autant entraîner les processus de déprise observés au nord : l'emploi agricole reste largement dominant, l'agriculture continue à assurer une part substantielle des approvisionnements vivriers et a largement recours aux savoirs techniques et relationnels locaux qui assurent la résilience des systèmes productifs et des sociétés locales. Un tournant semble avoir été pris au nord dans le courant des années quatre-vingts : une « renaissance rurale » prend forme, largement portée par l'émergence de nouvelles attentes des urbains en quête d'authenticité, de qualité et, d'une façon large, de valeurs esthétiques et patrimoniales. Un tournant similaire est-il en passe d'être pris au sud, notamment au Maroc ? Que peut-on en attendre ? L'essor des classes moyennes, le développement des activités touristiques et l'attention que les politiques publiques semblent désormais porter à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ainsi qu'à la préservation des ressources environnementales suggèrent que le tournant a d'ores et déjà été pris. Rien en revanche ne peut être encore dit sur la place des savoirs techniques et relationnels locaux dans les transformations en cours ainsi que sur la résilience, économique et sociale, des systèmes productifs émergents. Sur quels choix techniques s'appuient-elles ? Peuvent-elles concourir à renforcer l'autonomie des sociétés rurales et leur implication dans la conduite des changements en cours ? Ne risquent-elles pas, au contraire, par les flux de capitaux, de revenus et d'information qu'elles appellent de nourrir un processus de déconstruction patrimoniale et, par là du délitement du lien qui rattache les acteurs aux ressources environnementales et cognitives locales ?