L'article se propose d'illustrer l'enchâssement de la politique foncière mexicaine dans les logiques récurrentes d'autonomisation sociale et politique des acteurs ruraux. Même lorsqu'elle a eu pour cadre des espaces fortement structurés par les processus historiques d'appropriation de la ressource foncière, la réforme agraire a revêtu des formes qui renvoient à un processus de frontière interne (Kopytoff 1987). Elle a en effet contribué à construire des situations de "lacune institutionnelle" légitimant l'éviction des anciens occupants de ces espaces et leur colonisation par des acteurs qui y ont entrepris un processus original de construction institutionnelle, où les normes coutumières d'accès aux ressources foncières se sont combinées aux règles officielles de représentation et de gestion politique. Ce processus de frontière interne a donné lieu à la constitution de communautés fortement articulées au dispositif de l'Etat post-révolutionnaire. La densité des relations entre les nouvelles institutions politiques locales et ce dispositif a permis le déplacement graduel des normes d'inspiration communautaire par les règles officielles, mais aussi la reproduction et la pérennité de l'Etat post-révolutionnaire durant plus de soixante ans, bien après qu'il se soit dépouillé des attributs qui fondaient sa légitimité.