Impacts environnementaux de l’introduction de légumineuses dans les systèmes de production
Pierre Cellier, Anne Schneider, Pascal Thiébeau, Françoise Vertès
Les légumineuses ont une forte présence dans les écosystèmes naturels, quels que soient le climat et le sol. Elles occupent aussi depuis très longtemps une place importante dans les systèmes agricoles. Les légumineuses représentent d’abord une source de protéines pour la nutrition humaine et animale (chapitres 1, 4 et 5) mais aussi, du fait de leur capacité à fixer l’azote atmosphérique (chapitre 2), la source principale d’azote dans les systèmes agricoles jusqu’au xxe siècle (chapitre 3).
Dans les systèmes alimentaires, on a observé au cours du xxe siècle la substitution des légumineuses par les protéines animales lors de la première transition alimentaire côté consommation humaine (voir chapitres 1 et 5) et, côté élevages, par des sources de protéines plus concentrées et moins chères, le tourteau de soja principalement, car très complémentaires du maïs ensilé qui est devenu la base de l’alimentation hivernale des bovins lors de la révolution fourragère des années 1970 pour se généraliser ensuite dans nombre de systèmes intensifs laitiers (voir chapitres 1 et 7). Les préoccupations actuelles questionnent les impacts de ces changements de modèles de productions végétales et de modèles alimentaires sur l’environnement et la santé humaine. Certains scientifiques estiment que les actions humaines sont en train de faire dépasser certaines « limites planétaires » qui font basculer l’état de la planète dans un « état très différent [de l’actuel], probablement bien moins favorable au développement des sociétés humaines », notamment pour le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, le changement rapide d’utilisation des terres et la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, deux éléments essentiels à la fertilité des sols (Rockström et al., 2009 ; Steffen et al., 2015).
Dans les systèmes de productions végétales, depuis qu’existe la possibilité de produire des engrais industriels, l’attrait des légumineuses comme source d’azote a fortement régressé, ainsi que les surfaces en culture. Cependant, comme l’a montré récemment la synthèse de l’European Nitrogen Assessment (Sutton et al., 2011), économiser l’azote et mieux maîtriser son utilisation et son devenir dans l’environnement deviennent une nécessité, quelle que soit son origine. En effet, l’azote réactif est à l’origine d’une diversité d’impacts sur la qualité des eaux (teneur en nitrate des eaux de consommation, eutrophisation des milieux aquatiques et côtiers) et de l’air (émission de NO, précurseur d’ozone et d’ammoniac, précurseur de particules fines), sur les sols et les écosystèmes (acidification, eutrophisation, biodiversité) et le climat (émissions du protoxyde d’azote N2O, particules, ozone troposphérique, stockage de carbone). La fabrication des engrais a de plus un coût énergétique important en combustibles fossiles que n’a pas la fixation symbiotique[58]. Cet atout des légumineuses prend une importance particulière en période de renchérissement de l’énergie et de nécessité de réduire la consommation de combustibles fossiles (Pointereau, 2001). L’azote fixé par les légumineuses est incorporé à la matière organique et est donc moins mobile que l’azote des engrais minéraux et organiques, minimisant de facto les risques pour l’environnement. Cependant, lors de la destruction naturelle (sénescence) ou provoquée (destruction avec ou sans enfouissement des résidus de la culture), l’azote fixé par la culture est remobilisé. Selon la gestion du système de production , cet azote remobilisé peut être soit valorisé dans les cultures suivantes, soit perdu pour le système agricole en allant vers les compartiments de l’environnement (eaux, air, sols non explorés par les racines, etc.).
Au-delà de l’apport en azote, les légumineuses présentent d’autres atouts environnementaux qui ont été soulignés plus récemment. L’introduction de légumineuses dans les systèmes de culture et à l’échelle de paysages agricoles permettrait de favoriser et maintenir certaines formes de biodiversité végétale et animale. L’introduction de légumineuses dans des systèmes de culture permet aussi, dans certains cas, de réduire l’usage des produits phytosanitaires.
La problématique de l’azote étant la plus prégnante lorsqu’on s’intéresse aux questions environnementales concernant les légumineuses, ce chapitre commencera par resituer la place des légumineuses à différentes échelles spatiales dans les grands cycles biogéochimiques, avant de se focaliser plus spécifiquement sur les flux des différentes formes d’azote réactif. Ensuite, ces connaissances seront intégrées pour tenter d’expliciter jusqu’à quel point les légumineuses, et les systèmes qui les incluent, peuvent avoir des impacts sur l’environnement, par la conjonction de mécanismes et dynamiques spécifiques, notamment par le biais de l’azote et des interactions avec le cycle du carbone (et du phosphore, voire des autres composants élémentaires). Le rôle des légumineuses dans la biodiversité à l’échelle de la parcelle ou du paysage sera ensuite discuté. Enfin, ces différentes fonctions environnementales, positives ou négatives, des légumineuses seront repositionnées à des niveaux d’intégration tels que le système de culture ou le territoire.
Le monde vivant (la biosphère) interagit avec les compartiments de l’environnement (la géosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère) via des transports et transformations (phase minérale ou organique notamment) des différents éléments chimiques constitutifs comme l’azote, le carbone, l’eau, l’hydrogène, le phosphore, les métaux, etc. (Bolin et Cook, 1983).
Jusqu’à la fin du xixe siècle, la fixation symbiotique était la principale source primaire d’azote réactif , et la seule utilisable en agriculture. En effet, l’azote des effluents d’élevage ou le guano sont considérés comme des sources secondaires car elles proviennent d’un recyclage de l’azote ingéré par les animaux (Galloway, 1998 ; Thiébeau et al., 2003 ; Erisman et al., 2008). Le bilan d’azote à l’échelle mondiale s’équilibrait entre fixation symbiotique et dénitrification : environ 100 Mt pour chacun (Galloway et al., 2003) (figure 6.1).
Figure 6.1. Évolution de la production d’azote réactif et de la population mondiale depuis le milieu du XIXe siècle. D’après Galloway et al., 2003.
La colonne BNF correspond à la fixation symbiotique de l’azote par les écosystèmes naturels, la courbe en bleu clair correspondant à celle des systèmes agricoles La courbe rouge correspond à la production d’oxydes d’azote par l’utilisation de combustibles fossiles. La flèche bleue indique le début de la mise en œuvre du procédé Haber-Bosch.
Depuis le milieu du xxe siècle, la fixation industrielle de l’azote atmosphérique par le procédé Haber-Bosch (et les transformations ultérieures) a révolutionné le paysage de l’azote et multiplié par deux la formation d’azote réactif, principalement via la fabrication d’engrais pour l’agriculture (Erisman et al., 2008). En même temps, le développement des transports, la production d’énergie, le chauffage, etc. ont augmenté les émissions d’azote liées à la combustion. Cela a conduit à la circulation et à l’accumulation d’azote réactif dans tous les compartiments de l’environnement (eaux, air, sols, végétation) et à une diversité d’impacts sur l’homme et les écosystèmes (Galloway et al., 2003 ; Sutton et al., 2011). La contribution des légumineuses des écosystèmes naturels a légèrement baissé tandis que celle des légumineuses cultivées a doublé, passant de 12,5 % en 1850 à 29 % en 1990, d’après Galloway et al. (2004). Mais leur contribution totale au bilan d’azote à l’échelle mondiale a peu évolué en proportion.
Ainsi, dans le monde, la fixation symbiotique par les légumineuses cultivées (grains, luzerne, prairies semées) représente environ un quart de la production anthropique (hors production des surfaces naturelles) d’azote réactif, les engrais industriels en représentant 63 % et les processus de combustion (conduisant à la formation de NOx) 13 % (Galloway et al., 2004). À l’heure actuelle, pour l’Europe et la France, la fixation (incluant les légumineuses prairiales) représente respectivement 8 % et 16 % de l’azote réactif créé, contre 70 % et 69 % pour les engrais et 21 % et 15 % pour la combustion (Sutton et al., 2011, pour l’Europe ; Citepa, Unifa et Duc et al., 2010, pour la France). La fixation d’azote atmosphérique par voie symbiotique est donc significative, mais elle n’est pas, de loin, la principale source d’azote réactif. Les légumineuses contribuent donc pour partie à l’excédent d’azote réactif, sans être la cause fondamentale des déséquilibres et des excès. Notons que l’importation d’azote par le biais des aliments pour le bétail (en grande partie du soja) représente une entrée très significative dans le bilan d’azote européen (3,5 Tg/an à comparer à 11,2 Mt/an pour la production d’engrais industriels ; Leip et al., 2011) et français.
La place de l’élevage dans le cycle de l’azote est prédominante à l’échelle de la France et de l’Europe (voir encadré 6.1) puisque plus des ¾ de l’azote utilisé en agriculture vise à produire des aliments pour les animaux. De plus, la place de l’élevage est également importante dans la contribution des légumineuses à la cascade de l’azote et réciproquement, à différents points de vue. Tout d’abord, en France, 80 % de l’azote d’origine symbiotique est fixé par les légumineuses des prairies temporaires ou permanentes (Duc et al., 2010). Le cycle de l’azote des prairies est fortement influencé par la présence de légumineuses (Thomas, 1992). Ensuite, les émissions d’azote réactif vers les eaux et l’air sont fortement déterminées par la présence des animaux qui transforment l’azote organique stable des végétaux (herbe, grains, ensilage) en azote labile (urée, acides aminés…), directement restitué aux sols, surtout dans les systèmes pâturés.
À l’échelle du système de production animale, l’utilisation de légumineuses dans la sole cultivée ou dans les prairies est l’un des principaux moyens d’améliorer l’autonomie protéique des troupeaux, qui est un élément important de la durabilité des systèmes de production animale (voir Analyses de la durabilité des systèmes avec élevages de ruminants et Des dynamiques constrastées dans le secteur des fourrages
). Outre le fait de réduire la dépendance de l’élevage, cela a d’autres effets indirects : les cultures locales de légumineuses améliorent le bilan de gaz à effet de serre (GES) de l’exploitation (par rapport à l’importation de protéines et d’engrais azotés) et elles maintiennent le lien au sol, qui est un élément favorable pour limiter les fuites d’azote réactif sur la sole cultivée en favorisant une meilleure adéquation entre production et surfaces disponibles localement.
Le phosphore est un élément nutritif à enjeu dans la biosphère pour des raisons différentes de l’azote. Il existe des ressources en phosphore sur terre mais les réserves sont plus limitantes que pour l’azote (seule celles du Maroc ne semblent pas trop proches de l’épuisement). De plus, le phosphore sur terre est présent majoritairement sous forme inorganique (minéraux d’apatites issus de la roche mère). Les formes organiques du phosphore sont dominantes dans les sols plus âgés, et les ions phosphatés sont très peu présents dans la solution du sol (car immobilisés par des interactions très fortes avec d’autres composants du sol). Le phosphore devient limitant pour une part grandissante des surfaces cultivées dans le monde. Or, c’est un des macro-éléments essentiels de la nutrition minérale des plantes, chez lesquelles la teneur en phosphore avoisine moins de 1 % de la matière sèche (Bieleski, 1973), voire moins : les études françaises (Vadez et Devron, 2001) relèvent une teneur de 0,2 % P dans les parties aériennes et racinaires, et significativement plus élevé à 0,5 % dans les nodosités des légumineuses.
La figure 6.2 illustre les interactions entre le cycle du phosphore et les activités agricoles. La quantité de fertilisation phosphatée a quadruplé depuis 50 ans avec l’augmentation de la production céréalière (tandis que la fertilisation azotée a été multipliée par 9). Le phosphore est donc un enjeu car c’est potentiellement un facteur limitant pour la production agricole à moyen terme et une ressource à préserver au sein de la biosphère. En 2014, la Commission européenne a recensé les phosphates naturels, qui servent à produire les engrais phosphatés, comme une des 20 matières premières critiques. C’est la seule qui concerne directement les questions de sécurité alimentaire et pour laquelle nous ne connaissons pas de substitut pour les organismes vivants.
Figure 6.2. Cycle du phosphore modifié par les interventions humaines.
En quoi les caractéristiques des légumineuses ont des interfèrences avec le cycle du phosphore ? Parmi les éléments nutritifs, le phosphore joue un rôle particulier car, en plus de son rôle structural pour les cellules, il est associé à la fourniture d’énergie et de métabolites aux nodosités (ATP) et est donc nécessaire pour la fixation symbiotique d’azote atmosphérique par les légumineuses (chapitre 2). Les légumineuses répondent généralement positivement (augmentation de la croissance et du rendement) à une fertilisation phosphorique qui augmente aussi la photosynthèse, la translocation d’assimilats dans la plante, et la croissance générale de la plante et de ses parties racinaires, toutes fonctions qui influencent favorablement la fixation symbiotique de N2.
Les carences en phosphore relèvent soit d’une teneur faible en phosphore total de sols pauvres en matière organique ou très lessivés, soit d’une indisponibilité pour les plantes (complexification avec des cations ou adsorption sur complexe argilo humique). Le phosphore peut être un facteur limitant mais on a montré l’existence de mécanismes plus ou moins spécifiques aux légumineuses qui leur permettent de rendre le phosphore présent dans le sol plus disponible pour elles-mêmes mais aussi pour les autres cultures du système (partenaires associés ou cultures suivantes), avec plusieurs types de stratégies (voir Caractéristiques chimiques du sol ) : augmentation de la surface d’échanges, ou acidification locale, ou augmentation de l’efficacité métabolique d’utilisation du phosphore. La plupart des légumineuses établissent aussi au niveau de leurs racines une symbiose mycorhizienne à arbuscules[59] qui est la voie dominante d’acquisition du phosphore (Smith et al., 2003), qui stimule l’activité fixatrice d’azote.
À l’échelle des systèmes de culture, les besoins en phosphore des légumineuses peuvent nécessiter une fertilisation phosphatée (chapitre 3). Globalement, il est difficile de différencier les volumes totaux des successions culturales de grandes cultures des systèmes céréaliers, qu’il y ait ou non des légumineuses. Dans le cas des associations légumineuses–non-légumineuses, la fertilisation phosphatée et potassique (PK) des productions végétales favorise en général les légumineuses tandis que la fertilisation azotée favorise les autres espèces (voir Décisions tactiques : leviers et conséquences pour la gestion et le cycle des nutriments ).
Encadré 6.1. La cascade de l’azote.
La fixation symbiotique de l’azote atmosphérique a été à l’origine de la place importante des légumineuses dans les systèmes agricoles jusqu’au xxe siècle, car ces espèces, présentes dans les cultures ou les prairies, étaient alors la principale source d’azote, nutriment essentiel des productions végétales et animales. Le rôle des légumineuses a perdu de son importance à partir du milieu du xxe siècle en raison de la possibilité de produire des engrais azotés industriels à grande échelle. Aujourd’hui, l’intérêt pour les légumineuses est renouvelé dans une perspective agroécologique, c’est-à-dire dès que l’on cherche à mieux mobiliser les processus biologiques pour produire des denrées agricoles dans des conditions plus respectueuses de l’environnement.
L’azote fixé par fixation symbiotique est directement incorporé, après une phase ammoniacale, dans la matière organique de la plante fixatrice. Il constitue alors une source d’azote stable et peu volatil, donc peu susceptible de se disperser dans l’environnement et d’y créer des impacts négatifs, contrairement aux apports d’engrais appliqués sur les cultures. L’azote ainsi fixé profite non seulement à la légumineuse en place mais également aux plantes associées et aux cultures suivantes. On sait que les reliquats après une culture de légumineuses contiennent souvent plusieurs dizaines de kg N/ha en plus, par rapport à une culture de céréales. Cet apport additionnel pourra bénéficier, au moins en partie, à la culture suivante et permettre de réduire alors les apports d’engrais azotés qui lui sont nécessaires.
Cependant, lors de la dégradation des parties racinaires et aériennes de la plante de légumineuse, consécutive aux processus naturels de sénescence ou à des pratiques agricoles classiques (déchaumage post-récolte, enfouissement des résidus, retournement d’une prairie), la minéralisation de la matière organique et d’autres processus tels que la nitrification ou la dénitrification libèrent de l’azote sous des formes plus labiles (ammonium, nitrate, acides aminés…). La vitesse de décomposition est fortement dépendante de l’état du couvert végétal (en particulier matière végétale fraiche versus sèche) mais aussi des conditions de sols et des conditions météorologiques. Il n’est donc pas possible de contrôler toutes les facettes de ces processus et il est plus ou moins facile de faire coïncider la libération d’azote minéral avec les besoins de la culture suivante, qu’elle soit annuelle ou pérenne. Il est donc important de bien choisir notamment les successions culturales et les dates de destruction des couverts (chapitre 3). Plusieurs expérimentations ont d’ailleurs montré que cette libération peut représenter des quantités d’azote importantes et pouvait s’étaler sur plusieurs années. On est donc confronté ici à un réel risque de fuites vers les compartiments de l’environnement sous formes de nitrate (sols non explorés par les racines, eaux), d’ammoniac ou de protoxyde d’azote (air). Fort heureusement cette libération d’azote est, sauf cas exceptionnel, beaucoup plus progressive que les apports d’engrais industriels, ce qui favorise une bonne valorisation de l’azote minéral produit et minimise les risques de fuite.
Bien valoriser cet azote fixé par la légumineuse et remobilisé dans l’agrosystème (cultures suivantes et matière organique des sols) tout en limitant les risques pour l’environnement demande donc de bien adapter les pratiques agricoles, en particulier de bien choisir les cultures suivant la légumineuse ou le retournement d’une prairie et d’adapter ses plans de fertilisation. Utiliser plus largement les légumineuses dans les systèmes de grande culture demandera donc un renouvellement des pratiques à l’échelle du système de culture.
Figure 6.3. Schéma simplifié de la cascade de l’azote et du phosphore, mettant en évidence la fabrication d’azote et de phosphore, les principales formes d’azote et de phosphore réactifs utilisées ou produites dans l’environnement et les impacts environnementaux. Les flèches bleues représentent les flux intentionnels, et les autres flèches les flux non intentionnels. Les encadrés représentent les préoccupations environnementales liées à N (en bleu) ou à P (en vert).
Les mécanismes spécifiques aux légumineuses, notamment ceux liés à l’azote, ont été décrits, analysés et quantifiés à l’échelle de la plante en chapitre 2 et à l’échelle du système de production en chapitre 3. Ici après quelques rappels généraux, le propos se focalise sur les modifications induites par la présence des légumineuses dans les systèmes agricoles pour les flux azotés au sein des différents compartiments de l’environnement (air, sols, eau, faune et flore, etc.) en lien aussi avec la santé de l’homme.
Considérant qu’une culture de légumineuses peut fixer des quantités d’azote équivalentes à celles apportées à une culture fertilisée, les pertes vers l’environnement pourraient être semblables. Mais les processus en cause sont différents, ce qui module le cycle de l’azote au sein des différents compartiments (figure 6.4). Par rapport à la voie chimique (procédé Haber-Bosch) de fixation de l’azote atmosphérique (N2), l’azote réactif produit par la fixation symbiotique des légumineuses est incorporé à de la matière organique, donc moins labile, sauf d’éventuelles mais faibles émissions d’ammoniac par les stomates (Mattsson et al., 2009 ; Massad et al., 2010). Du fait de l’incorporation de l’azote dans la matière organique, il y a un couplage fort avec le cycle du carbone. En conséquence, la production (fixation symbiotique et production d’exsudats) et la libération (décomposition des résidus en surface ou dans le sol) d’azote réactif sont plus lentes et continues, ce qui diminue a priori les risques des pertes vers l’environnement. L’azote fixé par la légumineuse peut profiter non seulement à la légumineuse elle-même, mais aussi aux plantes voisines et aux cultures suivantes (chapitre 3).
Figure 6.4. Cycle de l’azote au sein d’une culture avec un focus sur la dynamique de l’azote dans une culture de légumineuses (fixation symbiotique et matière organique) et sur les fuites d’azote réactif vers l’environnement : atmosphère (NH3, N2O, NO, N2) et eaux (NO3-, DON).
La fixation symbiotique est régulée par la disponibilité en azote dans le sol : la quantité d’azote fixée varie au cours du cycle de la plante selon la concentration en nitrate du sol sur les 30 premiers centimètres (voir Limitation de la fixation symbiotique par une teneur élevée en azote minéral dans le sol ). Ce phénomène limite ainsi les risques d’excès.
Pendant la phase de culture, en dehors des prairies pâturées, les pertes d’azote vers l’environnement sont en général faibles. Alors que le processus de fixation symbiotique avait été considéré comme une source possible de N2O, des travaux récents ont conclu à l’absence de telles émissions (Rochette et Janzen, 2005 ; Jeuffroy et al., 2013). Les pertes d’azote réactif depuis les cultures de légumineuses sont générées essentiellement par la dégradation de la matière organique des résidus : à court terme, par volatilisation d’ammoniac après enfouissement d’engrais verts ou retournement superficiel de prairie/luzerne, et à moyen terme sous toutes les formes d’azote réactif, lors du déchaumage, du labour et de la dégradation des racines et parties aériennes enfouies. La richesse a priori plus grande mais plus ou moins élevée des résidus en azote en fonction du mode de production, en particulier du stade de récolte (chapitre 3), pourrait favoriser ces émissions vers l’air et les eaux. Cependant, la variabilité est principalement liée à l’espèce et la variété de légumineuse considérée, et à sa gestion au sein du système de culture. Elle dépend de l’importance des résidus laissés au sol (les pailles de pois sont peu importantes donc l’azote laissé est similaire ou inférieur à celui laissé par les résidus des céréales ou du colza) et de leur rapport C/N, ou selon que la légumineuse est récoltée (culture de rente), enfouie (engrais vert) et/ou cultivées en association.
Les émissions d’ammoniac en agriculture proviennent principalement des engrais minéraux et des déjections animales. Les facteurs d’émission[60] après application au champ varient entre 1-3 % (ammonitrate) et 10-20 % (urée) pour les engrais minéraux et de 1 à 80 % pour les effluents d’élevage (EEA-Emep, 2013). Toutefois, une fraction parfois non négligeable provient de la plante, soit par ses stomates pendant sa phase d’activité, soit lors de sa décomposition (résidus post-récoltes, enfouissement…) (Ruijter et al., 2010).
Concernant les légumineuses, les émissions d’ammoniac depuis la plante (feuillage) présentent une gamme de variation importante : 0-15 kg/ha/an selon Sutton et al. (1995), confirmée par Hermann et al. (2001) comparant des cultures graminées-trèfle fertilisées ou non. Mais ces émissions foliaires restent en général faibles. De plus, la même plante peut agir à d’autres périodes comme un puits pour l’ammoniac (NH3) en l’absorbant par ses stomates. Les données sont assez éparses sur ce type de cultures et on mesure des émissions (Dabney et Bouldin, 1985 ; Sutton et al., 1995), des dépôts ou les deux sur la même culture (Lemon et van Houtte, 1980 ; Harper et al., 1989), amenant à ne pas considérer ces cultures comme une source significative (EEA-Emep, 2009 ; unfertilized crops).
Whitehead et Lockyer (1989), Bremer et Van Kessel (1992), Larsson et al. (1998) ou Ruijter et al. (2010) ont montré que les émissions résultant de la décomposition des résidus de culture (parties aériennes) dépendaient de leur rapport C/N et de leur teneur en azote : émissions négligeables pour des teneurs inférieures à 2 %, cas général des pailles de légumineuses à graines récoltées à maturité (C/N ~ 20), et montant à 10 % de N contenu dans les résidus des parties aériennes pour des teneurs proches de 4 %, cas général des résidus de légumineuses fourragères ou légumières récoltées avant maturité (C/N ~ 10). Typiquement, les légumineuses ont ici un comportement similaire aux cultures ou graminées prairiales fortement fertilisées. La volatilisation devient négligeable dès que les résidus sont incorporés au sol (Janzen et McGinn, 1991). En revanche, elle oscille de 5 à 16 % de l’azote total qu’ils contiennent lorsque les résidus sont laissés à la surface du sol. Glazener et Palm (1995) ont fait le même type d’observation en conditions tropicales, avec différentes légumineuses dont les émissions ont été comprises entre 3 et 12 % de l’azote de la plante. Janzen et Mc Ginn (1991) ont observé des pertes pouvant s’élever à 14 % de l’azote de la plante sur des résidus de lentilles laissés à la surface du sol. Ils en concluent, tout comme Larsson et al. (1998), qu’au-delà de l’impact environnemental, cela diminue significativement la valeur fertilisante de la culture comme engrais vert. Néanmoins, toutes cultures confondues, la contribution des résidus de culture aux émissions d’ammoniac reste mineure à l’échelle d’un pays, dans le contexte d’une agriculture intensive en Europe : 2,5 % pour les Pays-Bas (Ruijter et al., 2010).
Les émissions d’ammoniac sont souvent plus fortes sur prairies pâturées, l’animal transformant l’azote stable de la matière organique des plantes en azote labile dans les déjections sous formes d’urine et fèces. La part due aux légumineuses n’est cependant pas facile à identifier et passe en pratique par sa possible influence sur les quantités d’azote excrétées (donc lien avec la richesse azotée de la ration et la conduite de l’alimentation du troupeau). De manière générale, ces émissions sont limitées par la capacité du couvert végétal à absorber et métaboliser une partie de l’ammoniac émis à la surface (Denmead et al., 1976 ; Farquhar et al., 1980 ; Asman et al., 1998 ; Nemitz et al., 2000).
La présence de nitrate dans le sol résulte de l’équilibre entre différents processus de formation (apport d’engrais nitriques, nitrification des engrais ammoniacaux, minéralisation de la matière organique puis nitrification) et de consommation (absorption par la plante, dénitrification, organisation par la biomasse microbienne) ou de transfert de nitrate (lixiviation, apport par ruissellement de surface ou remontée de nappe) (figure 6.3). Les légumineuses interviennent à ces différentes étapes avec parfois une place assez spécifique : absorption de nitrate pendant la phase de croissance, source de résidus riches en azote et donc d’azote minéral à plus ou moins long terme, source d’azote à libération plus lente et continue que les engrais industriels.
L’état des connaissances sur les flux azotés après culture et sur la teneur en azote du sol en période de risque de lixiviation (période de drainage) a été détaillé en chapitre 3. Sont récapitulées ici les connaissances sur les différentes phases de développement des couverts végétaux et pour différents modes d’utilisation des légumineuses.
Comme pour l’ammoniac, il convient ici de distinguer la phase de croissance et la phase post-récolte. En période de croissance, les légumineuses ne sont généralement pas des sources importantes de nitrate et peuvent même prélever des quantités importantes de nitrate dans le sol : en présence de concentrations importantes, les légumineuses sont capables d’utiliser l’azote nitrique du sol et de diminuer drastiquement la fixation symbiotique (Vertès et al., 1995 ; Voisin et al., 2002 ; Thiébeau et al., 2004). De ce fait, elles ne présentent généralement pas de risques de lixiviation, en particulier pour les légumineuses fourragères pérennes et les prairies hors pâturage, qui ont une saison de croissance longue, voire continue, ce qui évite des pertes de nitrate importantes. Seul le nitrate situé au-delà de la profondeur d’enracinement peut être lixivié pendant cette phase, en cas de drainage. La luzerne en particulier, par son système racinaire profond, est à même de récupérer du nitrate dans les couches profondes du sol ; la teneur en nitrate dans l’eau de drainage est généralement très faible sous cette culture (Bolton et al., 1970 ; Muller et al., 1993 ; Thiébeau et al., 2003, 2004). Pour les légumineuses annuelles (pois, fèves, soja, lupin…), les pertes de nitrate pendant la croissance sont également faibles. Selon Varvel et Peterson (1992), le soja permet de prévenir le lessivage du nitrate pendant sa phase de croissance parce qu’il l’utilise comme source d’azote lorsque sa teneur dans le sol est élevée. C’est le cas pour toutes les légumineuses à graines, comme expliqué en chapitre 2. Cependant, comme ces cultures sont présentes moins longtemps au champ (5 à 8 mois), les risques de lixiviation sont plus grands au printemps (pour les types semés au printemps) et en automne (sauf pour les cas de récolte tardive comme le soja) que pour les légumineuses pérennes. Ces risques peuvent être prévenus par la mise en place d’un couvert végétal piège à nitrate avant et après leur insertion dans l’assolement (voir Effets sur l’azote minéral dans le sol après culture de légumineuse à court et moyen termes ).
Pour les prairies, les pertes de nitrate par lixiviation sont en général moindres sous prairies avec légumineuses comparées aux prairies fertilisées sans légumineuse (d’environ 10 % à même chargement animal), et sous prairies, fauchées comparées à pâturées. Les études de lixiviation de nitrate sous légumineuses ont pour l’essentiel été consacrées aux prairies d’association à base de graminées et de trèfle blanc, et à la luzerne en culture pure. Plusieurs facteurs suggèrent que les systèmes basés sur l’utilisation de légumineuses prairiales sont plus efficients dans la conversion de l’azote :
parce que les légumineuses fixent l’azote atmosphérique en phase avec leur aptitude à le valoriser ;
qu’elles réduisent leur fixation en présence d’azote minéral facilement disponible dans le sol (Vertès et al., 1997 ; Vinther, 1998) ;
qu’on évite les apports ponctuels et importants de N minéral ;
que les durées de pâturage sont moindres sur les systèmes de prairies sans fertilisation et avec trèfle blanc.
Les risques de pertes d’azote par lixiviation sont donc plus faibles sous prairies avec légumineuses que sous prairies fertilisées (Hutchings et Kristensen, 1995 ; Ledgard, 2001 ; Ledgard et al., 2009). Une illustration en est donnée au chapitre 3 (figure 3.28 ; Vertès et al., 2010a).
L’une des causes essentielles tient à la plus faible productivité des prairies d’associations comparées aux prairies de graminées fortement fertilisées, ne permettant donc pas des chargements aussi élevés. À chargement équivalent, les quantités d’azote lixiviées sous prairies d’associations seraient équivalentes (Tyson et al., 1997) ou seulement légèrement réduites (de 5 à 10 %) (Vertès et al., 1997 ; Eriksen et al., 2010) comparées aux graminées fertilisées. En revanche, les quantités d’azote lixivié pourraient augmenter pour les prairies d’associations lorsque les proportions de trèfle deviennent très élevées. Ainsi, Loiseau et al. (2001) ont rapporté des niveaux de lixiviation sous lysimètre de 26 à 140 kg N/ha sous trèfle blanc pur contre moins de 20 kg/ha pour des associations ray-grass et trèfle blanc fauchées. Il semble que le trèfle puisse contribuer à limiter les pertes par lixiviation à condition qu’il ne représente pas plus de 30 à 50 % de la biomasse des parcelles.
Les données sont beaucoup moins nombreuses pour les autres légumineuses mais il apparaît que les pertes par lixiviation sont plus faibles sous les prairies contenant de la luzerne (Grignani et al., 1996 ; Russelle et al., 2001) bien que la productivité soit semblable à celle observée avec le trèfle blanc. Les luzernières ont fait l’objet de quelques travaux (Thiébeau et al., 2004) mesurant des pertes très modérées associées à des productions de biomasse exportée importantes. Par ailleurs, la technique d’implantation d’une luzernière sous couvert de pois protéagineux a démontré que l’on supprimait le risque encouru après une culture de pois pur, puisque la luzerne en place absorbe l’azote libéré dans le sol par le pois en fin de cycle végétatif (Thiébeau et Larbre, 2002). Une synthèse récente (Vertès et al., 2010b) recense les principaux résultats en termes de lixiviation de nitrate sous légumineuses pures ou associées.
En interculture, malgré un intérêt non négligeable comme engrais vert, les légumineuses sont moins efficaces que les crucifères, la phacélie ou les graminées pour réduire le stock d’azote minéral dans le sol avant l’entrée en période de drainage. Leur efficacité en tant que piège à nitrate dépend en particulier de la rapidité et de la qualité de leur implantation, et de la quantité de biomasse produite, le tout sous influence des conditions pédoclimatiques. Du fait de la fixation symbiotique, les légumineuses restituent en général plus d’azote lors de leur destruction, ce qui représente un risque (et pas seulement une opportunité) qu’il faudra prendre en compte pour la conduite de la culture suivante (Justes et al., 2012). Cependant, comme expliqué en détail en chapitre 3 (voir Couvert intermédiaire à base de légumineuses ), il est possible d’implanter des couverts intermédiaires à base de légumineuses tout en gardant des objectifs liés à la réduction de la lixiviation du nitrate, soit en privilégiant l’implantation de légumineuses pures dans des situations à risque de transfert faible à moyen, soit en ayant recours à des mélanges légumineuses–non-légumineuses.
C’est suite à l’enfouissement des résidus (azote des résidus souterrains et enfouissement des résidus aériens s’ils ne sont pas exportés) que les légumineuses, annuelles ou pérennes, peuvent le plus contribuer à la lixiviation de nitrate lors de l’automne suivant dans le cas où il n’y a pas de culture piège à nitrate mise en place. L’intensité de ce phénomène dépend avant tout de la culture de légumineuse (espèce et mode d’exploitation), du type de sol et du climat.
Concernant les cultures annuelles, il y a de vrais risques de lixiviation (Francis et al., 1994), même en climat sec. L’introduction de couverts intermédiaires pièges à nitrate s’avère souvent très efficace pour réduire de moitié la teneur en azote des eaux drainantes (Arep, 2009), contre - 13 % pour la réduction du tiers de la fertilisation azotée des cultures. Sans un couvert d’interculture qui suit, Carrouée et al. (2006a) mentionnent des pertes plus fortes après une culture de pois qu’après une céréale à paille (supplément de seulement 0 à 20 kg/ha en moyenne) et l’expliquent principalement par un enracinement peu profond du pois. La différence est encore plus marquée avec une betterave dont la croissance et les prélèvements se poursuivent jusqu’à l’automne. En revanche, les risques de pertes après colza et pomme de terre sont du même niveau qu’après pois protéagineux en moyenne. Les risques de fuites de nitrate peuvent être gérés par l’implantation d’une culture intermédiaire couvrant le sol avant le protéagineux et d’une culture valorisant bien l’azote après le protéagineux (Beillouin et al., 2014).
Globalement, pour les cultures de légumineuses à graines annuelles récoltées au cours de l’été, il peut y avoir un risque à l’automne qui suit : la couverture du sol avec des cultures piégeant bien l’azote pendant l’automne (Cipan ou colza) est donc nécessaire pour prévenir la lixiviation dans les situations à risque de transfert fort (lame drainante importante, légumineuse à faible enracinement) (voir flux expliqués en chapitre 3 : Effets d’une culture de légumineuse sur l’azote des autres cultures du système ). Par la suite, il est nécessaire d’adapter la fertilisation des cultures qui suivent une culture de légumineuses ou un couvert de légumineuses pour ne pas accentuer les risques au cours du printemps et de l’automne de l’année qui suit la présence de la légumineuse.
Si on le prend correctement en compte à l’échelle de la rotation, l’effet des légumineuses annuelles serait plutôt positif (Watson et al., 2006 ; Carrouée et al., 2006 ; Vertès et al., 2010 ; Thiébeau et al., 2010a) : la culture suivante présente une meilleure efficience d’utilisation de l’azote disponible, et plus de rendements avec des apports de fertilisants réduits après une légumineuse qu’après une graminée. Quelques données disponibles indiquent une réduction du risque à l’automne de l’année suivante du même ordre de grandeur que l’augmentation l’année de la culture de la légumineuse, ce qui aboutit à un bilan neutre sur deux ans (voir Effets sur l’azote minéral dans le sol après culture de légumineuses à court et moyen termes ).
Après enfouissement d’une légumineuse pérenne, les risques peuvent être importants, car plusieurs dizaines à centaines de kg d’azote vont être minéralisées après le labour d’une luzerne ou d’une prairie (Adams et Pattinson, 1985). Le risque de lixiviation est d’autant plus fort que l’enfouissement est précoce par rapport à la culture suivante (Stopes et Phillips, 1994). Cela dépend aussi du climat et du sol. Il est donc essentiel de bien raisonner la valorisation de l’azote post-enfouissement : utilisation de cultures valorisant bien cet azote, enfouissement bien en phase avec l’implantation de la culture suivante, prise en compte à moyen terme de la libération d’azote… En Champagne, Justes et al. (2001) ont montré qu’une luzerne libérait près de 60 % du stock d’azote contenu dans sa biomasse lors de sa destruction jusqu’au terme des 18 mois suivants. À partir d’essais conduits sur cases lysimétriques avec marquage isotopique (15N) réalisé sur la dernière repousse de la luzerne, Muller et al. (1993) ont montré que la libération d’azote se réalisait de manière significative durant les quatre années qui suivent la destruction de la luzernière, et que l’eau de drainage contenait toujours des traces de cet azote marqué 10 ans après la destruction de la luzerne. Il est donc nécessaire de tenir compte de ces libérations d’azote pour ajuster les conduites azotées des cultures suivantes, ce qui n’est toutefois pas évident, compte tenu de la forte variabilité due au sol et au climat.
À retenir. Légumineuses et gestion de l’azote pour préserver l’environnement.
La fixation symbiotique de l’azote atmosphérique a été à l’origine de la place importante des légumineuses dans les systèmes agricoles, où ces espèces cultivées ou présentes dans les prairies étaient la principale source d’azote, facteur essentiel des productions végétales et animales. Aujourd’hui, cet intérêt est renouvelé dans une perspective agroécologique, où l’on cherche à mieux mobiliser les processus biologiques pour produire des denrées agricoles à diverses destinations dans des conditions respectueuses de l’environnement.
L’azote fixé par fixation symbiotique est directement incorporé, après une phase ammoniacale, dans la matière organique de la plante fixatrice. Il constitue alors une source d’azote stable et peu volatil, donc peu susceptible de se disperser dans l’environnement et d’y créer des impacts négatifs. L’azote ainsi fixé profite non seulement à la légumineuse en place mais également aux plantes associées et aux cultures suivantes. On sait que les reliquats après une culture de légumineuses contiennent souvent plusieurs dizaines de kg N/ha en plus, par rapport à une culture de céréales. Cet apport additionnel pourra bénéficier, au moins en partie, à la culture suivante et, s’il est pris en compte dans le plan de fertilisation, il peut constituer un gain économique significatif.
Mais, lors de la dégradation des parties racinaires et aériennes de la plante, consécutive aux processus naturels de sénescence ou à des pratiques agricoles classiques (déchaumage post-récolte, enfouissement des résidus pour implantation de la culture suivante, retournement d’une prairie), la minéralisation de la matière organique et d’autres processus tels que la nitrification ou la dénitrification libèrent de l’azote sous des formes plus labiles (ammonium, nitrate, acides aminés…). La vitesse de décomposition est fortement dépendante de l’état du couvert végétal (en particulier matière végétale fraiche vs sèche) mais aussi des conditions de sols et météorologiques. Ces processus sont donc plus difficiles à piloter, notamment pour faire coïncider la libération d’azote minéral avec les besoins de la culture suivante, qu’elle soit annuelle ou pérenne. Plusieurs expérimentations ont d’ailleurs montré que cette libération représentait des quantités d’azote importantes et pouvait s’étaler sur plusieurs années. On est donc confronté ici à un réel risque de fuites vers l’environnement sous formes de nitrate, ammoniac ou protoxyde d’azote. Fort heureusement, cette libération d’azote est, sauf cas exceptionnel, beaucoup plus progressive que les apports d’engrais industriels, ce qui favorise une bonne valorisation de l’azote minéral produit et minimise les risques de fuite.
Bien valoriser cet azote fixé par la légumineuse tout en limitant les risques pour l’environnement demande donc de bien adapter ses pratiques, en particulier bien choisir les cultures suivant la légumineuse, ou le retournement d’une prairie, et adapter ses plans de fertilisation. Utiliser plus largement les légumineuses dans les systèmes de grandes cultures demandera donc un renouvellement des pratiques à l’échelle de la rotation.
L’azote organique dissous (AOD, ou DON en anglais) se formant à partir de la décomposition de la matière organique, les principales sources depuis les sols agricoles sont les résidus de culture, les apports de matières organiques exogènes (effluents, pâturage) et la matière organique du sol. L’AOD peut représenter une part importante des pertes totales d’azote vers les eaux, en particulier depuis les sols organiques ou les systèmes à faibles apports d’engrais industriels (Christou et al., 2005 ; Ghani et al., 2007 ; van Kessel et al., 2009), ce qui est le cas des cultures de légumineuses simples ou en association. Ces pertes d’AOD vers les eaux de surface et profondes présentent des risques d’eutrophisation et d’acidification des écosystèmes, ainsi que pour la santé humaine. La fixation symbiotique par les légumineuses étant une source importante d’azote organique et les résidus de cultures de légumineuses annuelles ou de prairies pouvant être riches en azote, elles peuvent présenter un risque (Boyer et al., 2002). Peu de choses sont toutefois connues sur l’effet des types de culture ou des rotations (Chantigny, 2003), mais Oelmann et al. (2007) ont trouvé que la présence de légumineuses augmentait les pertes d’azote sous forme d’AOD, alors que le nombre d’espèces avait peu d’influence.
La source majeure de N2O dans les sols est la transformation de l’azote minéral par la nitrification et la dénitrification. La nitrification est une réaction d’oxydation qui permet la transformation de l’azote ammoniacal en nitrate. Au cours de cette transformation aérobie, une partie de l’azote est libérée sous forme de N2O, par un mécanisme qui n’est pas encore complètement identifié. La dénitrification est une réaction de réduction qui permet la transformation du nitrate en azote gazeux en milieu appauvri en oxygène ; N2O est un produit intermédiaire qui peut être à la fois libéré au cours de cette transformation, mais aussi repris par la microflore dénitrifiante et transformé en azote gazeux inerte (N2). L’azote minéral produit par minéralisation des résidus de légumineuses après récolte ou après retournement va subir ces transformations microbiennes et donc pouvoir être source de N2O comme tout autre produit organique.
Le processus de fixation symbiotique s’accompagne lui-même d’un processus de dénitrification qui a longtemps été suspecté de produire des quantités significatives de N2O (O’Hara et Daniel, 1985 ; Garcia-Plazaola et al., 1993). En conséquence, la méthodologie GIEC de 1997 affectait aux cultures de légumineuses un facteur d’émission très significatif. Ceci était toutefois basé sur un nombre très limité de données. Rochette et Janzen (2005) ont établi plus récemment que ces émissions étaient surestimées et pouvaient, en réalité, être négligées par rapport aux émissions liées aux entrées d’azote dans le sol par l’exsudation racinaire et la décomposition des résidus. La proposition de Rochette et Janzen (2005) retenue par le GIEC (2007) est donc de ne considérer que les émissions de N2O depuis le sol et les résidus, ce qui a fortement fait baisser la contribution des légumineuses aux émissions de N2O dans les inventaires d’émission.
La restitution au sol de l’azote fixé par les exsudats racinaires durant la phase de culture et par l’incorporation des résidus de légumineuses libère des quantités importantes d’azote minéral qui sont susceptibles de produire du N2O (et du NO) par nitrification et dénitrification (Aoyama et Nozawa, 1993 ; Larsson et al., 1998 ; Baggs et al., 2000 ; Huang et al., 2004 ; Rochette et al., 2004 ; Yang et Cai, 2005 ; Parkin et Kaspar, 2006). Les résidus peuvent être plus ou moins riches en azote : une teneur en N de 3-5 %, donc équivalentes à des cultures très fertilisées, un rapport C/N plus ou moins faible, selon que les produits de récolte sont plus ou moins efficients à exporter l’azote. Les quantités produites de résidus aériens peuvent être plus grandes que pour les autres cultures (Aulakh et al., 1991 ; Millar et al., 2004) notamment pour les légumineuses qui ne vont pas à maturité physiologique du grain (pois potager, engrais verts), mais elles sont souvent moindres : cas du pois protéagineux et du soja par rapport aux autres grandes cultures, et cas des prairies (Vertès et al., 2007). Ainsi, les mesures faites sur diverses cultures de légumineuses annuelles ou pluriannuelles montrent des valeurs du même ordre, ou inférieures, à celles de cultures non fertilisées pendant la phase végétative. Par exemple, sur des cultures de pois, Lemke et al. (2007) et Jeuffroy et al. (2013) ont mesuré des émissions inférieures à 0,7 kg N-N2O/ha/an. De plus, Jeuffroy et al. (2013) n’ont pas observé d’émissions de N2O plus fortes après incorporation des résidus, comparé à d’autres cultures (colza, blé), ni lors du cycle de la culture suivante (figure 6.5). Dans leur synthèse sur les émissions de N2O par les légumineuses, Rochette et Janzen (2005) montrent que les émissions depuis les légumineuses à graines (lentille, pois-chiche…) sont également assez faibles, sauf pour le soja où des émissions de plusieurs kg N-N2O/ha/an ont été mesurées dans certaines situations (Jacinthe et Dick, 1997 ; Mc Kenzie et al., 1998).
Figure 6.5. Émissions moyennes de N2O pour différentes cultures (blé, colza d’hiver, pois), fertilisées ou non (0N) et différentes périodes d’observation (avant la 1e fertilisation azotée, pendant la période de fertilisation et plus de 14 jours après la dernière fertilisation). Les barres d’histogramme ayant la même lettre ne sont pas significativement différentes. Les barres d’erreur représentent l’écart-type.
Sur prairie comprenant plus (35 ± 4 %) ou moins (19 ± 4 %) de trèfle blanc, Klumpp et al. (2011) rapportent des émissions correspondant à 0,6 % de l’azote apporté au bout de 6 mois de suivi, ce qui est dans la partie basse de la proportion relevée dans la littérature, comprise entre 0,4 et 5,2 % (Clayton et al., 1997 ; Rudaz et al., 1999 ; Abdalla et al., 2009). Des émissions plus élevées sur légumineuses prairiales et luzerne ont aussi été observées (0,5 à 4,5 kg N-N2O/ha/an ; Duxbury et al., 1980 ; Mc Kenzie et al., 1998 ; Rochette et al., 2004). Par rapport à des prairies de graminées, Corré et Kasper (2003) ont mesuré des émissions de N2O plus faibles sur les prairies d’associations (0,2 vs 1,3 % N). Les références étant peu nombreuses, il conviendrait toutefois de consolider ces résultats.
Un tout autre aspect concerne les légumineuses du point de vue de ces émissions de N2O. Le gène nosZ codant pour la synthèse de l’enzyme impliquée dans la réduction de N2O en N2 a été observé chez certains des Rhizobiacées symbiotes de légumineuses (Sameshima-Saito et al., 2006 ; Hénault et Revellin, 2011), ce qui pourrait donc limiter la proportion de N2O dans l’azote dénitrifié. Cette propriété pourrait être utilisée pour favoriser la réduction de N2O en N2 lors de la dénitrification dans des sols possédant peu cette aptitude, en vue de limiter les émissions de N2O (Hénault et Revellin, 2011). Cette hypothèse reste toutefois à valider par des expérimentations au champ.
Du monoxyde d’azote (ou oxyde nitrique, NO) peut être émis depuis les sols, à partir des processus de nitrification et de dénitrification (Garrido et al., 2002) consécutifs à la dégradation des résidus de légumineuses riches en azote. Si les sols ont un pH supérieur à 5, ces émissions résultent plutôt de la nitrification (Remde et Conrad, 1991 ; Skiba et al., 1997). Un déterminant majeur de la nitrification, processus aérobie, est la concentration en azote minéral. Pour des cultures non fertilisées telles que les légumineuses, celle-ci peut être augmentée après un travail du sol ou l’incorporation des résidus de culture (Aneja et al., 1997). Suite à ce type d’opérations, Skiba et al. (1997, 2002) et Civerolo et Dickerson (1998) ont observé une augmentation des émissions d’un facteur 4 pendant une à trois semaines. La teneur en eau du sol et sa température sont également des paramètres importants (Aneja et al., 1996 ; Skiba et al., 1997). On dispose toutefois de très peu de valeurs d’émission de NO sur les légumineuses. En première approximation, on estime que, comme pour les cultures fertilisées, 0,7 % des apports d’azote, ici la production d’azote minéral par la décomposition des résidus, sont perdus sous forme de NO. Compte tenu des incertitudes fortes et des émissions attendues relativement faibles, les émissions de NO par les légumineuses ne sont pas considérées comme un problème environnemental significatif.
Encadré 6.2. Services ou dys-services écosystémiques.
Les performances environnementales d’une culture ou d’un système de culture peuvent se décliner sous deux aspects : bénéfices ou dommages pour l’environnement.
Les excès ou déséquilibres de différents flux (azote, phosphore, xénobiotiques) sont à l’origine de la formation de certains polluants et impacts négatifs sur l’environnement. Les pratiques agricoles peuvent être des sources de ces perturbations qui, selon la sensibilité du milieu, les conditions de transfert vers les organismes ou milieux cibles et leur sensibilité, se transformeront ou pas en impacts, qui auront une valeur positive ou négative.
Par ailleurs, certaines pratiques, cultures ou systèmes peuvent apportent des bénéfices environnementaux ou aménités, tels que le stockage de carbone dans les sols, ou l’absorption et la dégradation de polluants par les plantes ou le sol. Ces bénéfices sont les bienfaits que les hommes obtiennent des écosystèmes. On peut utiliser la notion de « services écosystémiques » selon la grille référencée par l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire réalisée en 2005 par les Nations Unies (Millenium Ecosystem Assessment, 2005) : services d’approvisionnement, de régulation (air, eau, climat, érosion, biodiversité, parasites), culturels, de soutien (voir figure 6.6).
Les services les plus pertinents liés à l’utilisation des légumineuses sont : « support de culture alimentaire », « maintien de la pollinisation », « maintien de la qualité des sols », « amélioration de la qualité des eaux », « biodiversité » et « régulation du climat ».
Figure 6.6. Grille des « services écosystémiques » : version référencée par l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment), réalisé en 2005 par les Nations Unies (A), version revue par le CICES 2012 (B).
Selon leur importance et les possibilités d’atténuation par les pratiques, les flux des éléments (azotés ou autres), mais également les spécificités écologiques des composantes du système agricole vont engendrer des impacts positifs ou négatifs sur un ou plusieurs compartiments de l’environnement (air, eau, sols, stocks des ressources non renouvelables de la biosphère, biodiversité, etc.) selon les conditions rencontrées.
Les impacts environnementaux (positifs ou négatifs) concernent toute une gamme d’échelles (spatiales et temporelles) : lorsqu’on parle de changement climatique, on s’intéresse à l’échelle globale, alors que lorsqu’on s’intéresse à des problématiques telles que l’eutrophisation ou la biodiversité ce sont des échelles régionales (10-1 000 km), voire locales (0,1-10 km) ou micro-locales (agrégat, profil de sol), qui deviennent pertinentes. En outre, pour ces derniers types d’impacts, l’organisation de l’espace (fragmentation, relations de proximité, continuités) peut aussi être déterminante, ainsi que le rôle des acteurs agricoles, de l’environnement ou de l’aménagement du territoire. L’évaluation des impacts environnementaux peut demander de considérer cette variété d’échelles et donc de replacer les cultures de légumineuses dans leur contexte spatial ou de les inscrire dans une échelle temporelle.
Nous analyserons d’abord les impacts des légumineuses sur les grandes problématiques environnementales — changement climatique, pollution, eutrophisation, biodiversité — sans réelle connotation spatiale ou temporelle, puis ces impacts seront resitués dans l’espace et le temps au sein de systèmes de culture et de territoires.
L’analyse de l’impact des légumineuses sur le changement climatique fait ressortir, au sein des multiples effets concernés, une convergence d’effets positifs. Outre des émissions moindres de N2O, le stockage de carbone dans les sols est favorisé dans les prairies permanentes, y compris riches en légumineuses, sans coût énergétique grâce à la photosynthèse et la fixation symbiotique. Elles réduisent également les émissions indirectes (amont[61]) de CO2 et de N2O, du fait d’un moindre recours aux engrais de synthèse, et aval[62] du fait de moindres émissions de nitrate, d’ammoniac et NO. Ces effets intègrent différents éléments selon les niveaux d’organisation considérés : la culture ou la prairie (émissions de GES, stockage C), le système de production (substitution aux engrais industriels, systèmes avec prairies d’association ou non), le territoire régional ou l’échelle globale (influence sur les importations d’aliments et la production d’engrais).
L’introduction de légumineuses permet d’éviter une partie de la production d’engrais azotés industriels et de réduire les émissions de CO2 (et N2O) associées à cette production et au transport des engrais. Elle permet de réduire la consommation d’énergie non renouvelable, puisqu’il faut 55 MJ (soit environ 1,5 l équivalent fuel) pour produire, transporter et épandre 1 kg d’engrais azoté industriel sur les cultures ou prairies. Il faut ainsi 1,2 MJ pour produire 1 UFL (= 7,1 MJ) avec du ray-grass fertilisé à 150 kg N/ha mais seulement 0,4 MJ avec une association (il en faut 0,9 pour de l’ensilage de maïs après blé) (Besnard et al., 2006). Ainsi, Ledgard et al. (2009) ont montré que la consommation de fuel pour produire 1 kg de lait, déjà très faible dans les systèmes néo-zélandais, était réduite de 1,25 MJ à 0,5 MJ lors de l’utilisation de prairies d’association comparée à des ray-grass anglais fertilisés à raison de 150 kg N/ha/an. Cette économie d’énergie confère un avantage décisif aux systèmes valorisant des légumineuses lorsque le coût de l’énergie fossile et celui des engrais sont élevés.
Les systèmes basés sur les légumineuses utilisent moins d’autres intrants (produits phytosanitaires, carburants…) et des pratiques moins consommatrices d’énergie (Thiébeau et al., 2010a ; Carrouée et al., 2006b, 2012). L’agriculteur peut agir sur le niveau d’émission de GES en limitant les apports d’engrais azotés au strict nécessaire (absence sur légumineuses et réduction sur les autres cultures qui bénéficient de leurs effets positifs), en mettant en œuvre des techniques culturales limitant la lixiviation d’azote (couverts intermédiaires), et en limitant le nombre d’interventions consommatrices d’énergie fossile (remplacement d’un labour par un travail du sol simplifié).
En termes de performance énergétique, l’introduction de légumineuses dans un assolement de grande culture permet d’obtenir une consommation énergétique et une efficience énergétique meilleures que lors d’un assolement comportant exclusivement des cultures de céréales et d’oléagineux. À l’échelle de l’exploitation, une proportion significative (20 %) de légumineuses permettrait de réduire de 4 % l’impact de l’assolement sur le changement climatique, et de 5 % le bilan énergétique (Thiébeau et al., 2010a).
Les légumineuses ont des émissions de N2O directes et indirectes « aval » moindres que les cultures fertilisées : on a vu précédemment que les émissions directes de N2O par les légumineuses ne concernaient que celles qui résultent de la décomposition des résidus et qu’elles étaient moins élevées que pour les cultures fertilisées. Les émissions indirectes « aval » liées aux légumineuses sont également plus faibles puisque ces cultures présentent des émissions moindres de NH3, NO et nitrate.
Le stockage de carbone (composante majeure de la matière organique) contribue à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (réservoir de carbone) et à la qualité des sols agricoles (productivité et résilience). La restitution du carbone au sol est le facteur d’influence majeur des pratiques agricoles sur le stockage de carbone, en interaction également avec la restitution azotée (Évolution de la matière organique du sol et Effets N (et C) des prairies avec légumineuses sur les cultures suivantes
). Par ailleurs, le changement d’affectation des sols est un facteur prépondérant sur le stockage de carbone dans les sols, la réduction des surfaces en prairies permanentes contribuant par exemple à sa réduction, dans le cadre des systèmes de culture français passés et actuels.
L’état actuel des connaissances ne permet pas d’avoir une évaluation précise de l’évolution du stockage de carbone dans les sols et leurs facteurs de variation, ce qui rend difficile l’analyse, au sein des productions agricoles, du facteur spécifique « légumineuses » qui peut être non significatif.
Cependant, la composante « légumineuse » est corrélée à d’autres composantes des systèmes qui peuvent être favorables : azote organique, présence pouvant être pluriannuelle, lien au pâturage, etc. Globalement, de manière tendancielle, les systèmes intégrant des légumineuses favoriseraient le stockage de carbone dans les sols, notamment en système à bas niveau d’intrant azoté (Drinkwater et al., 1998 ; Robertson et al., 2000 ; Fornara et Tilman, 2008 ; Jensen et al., 2012), car plusieurs études mettent en évidence un potentiel d’accumulation de matière organique dans le sol plus fort en présence de légumineuses, notamment pérennes, et en donnent diverses explications :
le bilan d’azote d’un écosystème est un élément clé pour le stockage de C dans les sols (de Vries et al., 2006 ; De Bruijn et Butterbach-Bahl, 2010) et les données collectées dans une variété d’écosystèmes montrent le rôle central des légumineuses pour assurer cet apport d’azote (Jensen et al., 2012) ; elles seraient plus efficaces que des apports d’azote minéral. En effet, puisque le profil en composants élémentaires (C, N, S, P…) des résidus des légumineuses est proche de celui de la matière organique du sol, leur présence stimule plus la formation de matière organique des sols que celle des résidus ayant un C/N plus élevé. Cette tendance dépend du niveau d’intensification des intrants du système et doit être confirmée par de plus amples études ;
la productivité primaire est favorisée par la biodiversité, et particulièrement la présence de légumineuses pérennes. Des prairies permanentes avec une grande diversité d’espèce stockeraient de 2 à 6 fois plus d’azote et de carbone que des couverts monospécifiques (Fornara et Tilman, 2008) grâce à une biomasse racinaire plus forte liée à la pérennité du couvert, et grâce à la bonne complémentarité entre groupes fonctionnels (capacité des légumineuses à fixer l’azote et de celle des autres plantes à valoriser l’azote minéral du sol) ;
par leurs apports d’azote en particulier, les légumineuses favorisent la pérennité de systèmes à fort potentiel de stockage de carbone tels que les prairies permanentes (Arrouays et al., 2002) ;
la matière organique présente dans le sol sous des rotations incluant des légumineuses présenterait des formes plus résistantes (teneur en formes carbonées aromatiques) à la dégradation biologique (Gregorich et al., 2001), favorisant le stockage profond et de longue durée du carbone dans le sol. Cette hypothèse reste toutefois à démontrer sur une large gamme de pédoclimats et de types de systèmes de culture.
À retenir. Légumineuses et bilan de gaz à effet de serre.
La présence de légumineuses dans les systèmes de production végétale engendre des changements dans les flux azotés qui convergent plutôt vers des effets favorables si la part d’azote fixé est importante (permettant d’éviter des émissions de polluants et de gaz à effet de serre dont le N2O) et si les risques de lixiviation de nitrate après minéralisation de leurs résidus sont minimisés par une gestion adéquate du système.
Les effets, variables selon les espèces et les modes d’insertion, sont multiples :
production d’azote réactif par fixation symbiotique et donc évitement (pour la culture de légumineuse) ou réduction (pour la succession culturale) de la consommation de combustibles fossiles pour la production d’engrais azotés pour le système de culture ;
émissions fortement réduites de N2O pendant le cycle de la légumineuse, en culture pure ou en association (cultures associées, prairies), et ceci d’autant plus fortement dans les cas où le produit de récolte exporte la majorité de l’azote mobilisé (cas des graines de légumineuses annuelles). Ce point est moins net pour les émissions potentielles lors du retournement de certains résidus riches en azote (retournement de luzernières ou de prairies) ;
émissions indirectes de N2O moindres, par rapport à une culture ou une prairie fertilisée, en raison de plus faibles émissions d’ammoniac (également source d’acidification et de formation de particules fines) et d’oxydes d’azote. Ce point est moins net pour les émissions indirectes de protoxyde d’azote consécutives à la lixiviation de nitrate ;
amélioration possible du stockage de carbone dans les sols, d’une part en raison des fournitures d’azote liées à la légumineuse, en particulier dans des systèmes peu intensifs, d’autre part du fait de certaines caractéristiques biochimiques des légumineuses ; cet effet reste toutefois controversé et, de fait, variable selon les espèces et modes d’exploitation, les légumineuses pluriannuelles favorisant une biomasse plus importante et un stockage de carbone plus important ;
diminution des opérations culturales et des consommations énergétiques associées dans les rotations incluant des légumineuses grâce à l’absence ou la réduction de la fertilisation azotée des cultures et à des possibilités accrues de travail réduit du sol et, parfois, une diminution des opérations de protection des cultures.
Les légumineuses ont donc globalement un effet positif sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre du système de culture. L’élément majeur est l’énergie économisée grâce à la fixation symbiotique de l’azote. Le poste « engrais » est en effet généralement de loin le poste de consommation énergétique le plus important d’une exploitation agricole. Vient ensuite la diminution très sensible des émissions de N2O liée au fait que les légumineuses ne nécessitent pas ou peu d’apports d’engrais industriels ou organiques, et que la fixation symbiotique ne produit que peu de N2O.
Les effets liés à la culture de légumineuse se mesurent donc surtout à l’échelle du système de culture. De plus, ils se répercutent également d’une part à l’échelle du système de production animale et d’autre part du produit agroalimentaire, car les matières premières agricoles sont prépondérantes dans les impacts des élevages et significatives dans les impacts de l’agroalimentaire.
Les émissions de NH3, NO, NO3- depuis les systèmes agricoles, après transfert vers les autres milieux (eaux, air, écosystèmes incluant les sols), induisent un ensemble d’impacts sur l’environnement et la santé (Galloway et al., 2003 ; Sutton et al., 2011). Un même composé peut conduire à plusieurs impacts. Par exemple, NH3 contribue à l’acidification des sols et des eaux, à une perte de biodiversité dans les écosystèmes et à la formation de particules fines, néfastes à la santé, dans l’atmosphère. Le nitrate contribue à une dégradation des eaux de consommation et à l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques et côtiers à des seuils bien inférieurs à la limite de potabilité des eaux de consommation (50 mg NO3-/l) dans les cas — fréquents — où le phosphore n’est pas limitant. L’eutrophisation a des effets marqués sur la biodiversité.
Les légumineuses ont diverses spécificités par rapport aux cultures fertilisées. Elles émettent aussi des composés acidifiants et polluants (NH3, NO) mais en quantités limitées, inférieures aux cultures fertilisées puisque ces émissions concernent essentiellement les résidus en décomposition. De plus, au niveau du système de production, l’introduction de légumineuses permet de diminuer les achats d’intrants et d’aliments pour le bétail. On peut donc supposer des impacts moindres que dans les systèmes basés sur l’utilisation d’engrais de synthèse. En ce sens, Vertès et al. (2010) ont comparé par analyse de cycle de vie deux exploitations de grandes cultures avec des surfaces en légumineuses faibles (lég-) ou élevées (lég+) (0 vs 20 %) et trois exploitations laitières maïs-herbe (27 % d’herbe dans la SAU) ou herbagères (52 % d’herbe dans la SAU) avec 10 ou 30 % de légumineuses dans les prairies pour ces dernières (Vertès et al., 2010) (tableau 6.1).
Tableau 6.1. Impacts potentiels d’eutrophisation (kg équivalent PO4) par ha de SAU (surface directe et indirecte) pour trois fermes d’élevage laitier, avec contribution par poste et par tonne de lait produit.
Type | Ferme | Intrants utilisés | Excrétion animaux | Résidus de récolte | Autres | ||||||
Machines | Agents énergétiques | Engrais | Aliments et fourrages achetés | Pesticides+plastiques | Bâtiment+stockage | Épandage | Pâture | ||||
kg équivalent PO4 par ha de SAU (surface directe et indirecte) | |||||||||||
Maïs herbe | 30,8 | 0,05 | 0,69 | 0,95 | 6,19 | 0,01 | 3,34 | 1,33 | 2,58 | 0,00 | 15,68 |
Herbe lég. - | 32,9 | 0,04 | 0,86 | 1,14 | 1,14 | 0,00 | 2,79 | 1,10 | 3,12 | 0,00 | 22,73 |
Herbe lég. + | 25,4 | 0,04 | 0,90 | 0,48 | 0,01 | 0,00 | 2,91 | 1,15 | 3,25 | 0,00 | 16,68 |
kg équivalent PO4 par tonne de lait produit | |||||||||||
Maïs herbe | 4,0 | 0,01 | 0,09 | 0,12 | 0,81 | 0,00 | 0,44 | 0,17 | 0,34 | 0,00 | 2,05 |
Herbe lég. - | 6,1 | 0,01 | 0,16 | 0,21 | 0,21 | 0,00 | 0,52 | 0,21 | 0,58 | 0,00 | 4,24 |
Herbe lég. + | 4,5 | 0,01 | 0,16 | 0,09 | 0,00 | 0,00 | 0,52 | 0,21 | 0,58 | 0,00 | 2,98 |
En exploitation de grande culture, les résultats indiquent une légère diminution (7 %) de l’impact d’eutrophisation par ha pour les rotations incluant des légumineuses. Pour les fermes d’élevage, on observe une réduction de l’impact d’eutrophisation par hectare lorsque la proportion de légumineuse est élevée. Rapporté au lait produit, l’impact eutrophisation est équivalent pour les systèmes maïs–herbe et les systèmes herbe–lég+, et moindre que celui de la ferme herbagère à faible présence de légumineuses. La réduction de l’impact eutrophisation pour le système herbe–lég+ est liée aux émissions moindres de nitrate au champ et à la réduction des achats d’aliments (Vertès et al., 2010), poste qui contribue aussi, associé aux moindres achats d’engrais, à la réduction de l’utilisation d’énergie non renouvelable (Thiébeau et al., 2010a).
Concernant plus spécifiquement l’acidification, Haynes (1983) a montré que les légumineuses contribuent à l’acidification du sol, d’une part par le biais du processus de fixation symbiotique qui a pour conséquence une exsudation de protons depuis les racines vers le sol, d’autre part par le lessivage de nitrate. Ces effets sont toutefois limités par rapport aux conséquences des dépôts de composés acidifiants (NH3, NOx, SO2), voire même à l’effet acidifiant de la fertilisation azotée, et, pour le premier, limité aux couches superficielles du sol.
Concernant le cycle du phosphore, on a vu que les légumineuses favorisaient la mobilisation du phosphore dans les sols du fait de l’acidification de la rhizosphère liée à la fixation symbiotique et/ou de leur fonctionnement mycorhizien (Hinsinger et al., 2011 ; Hassan et al., 2012 ; Rehmut et al., 2012). Cela pourrait favoriser la lixiviation de phosphore, mais cet effet est sans doute modéré.
En France, l’agriculture, par son emprise de longue date sur le territoire et les transformations des milieux naturels qu’elle opère, entretient des liens étroits avec la biodiversité. Historiquement, l’introduction de zones de cultures a contribué à façonner les paysages, créant de nouvelles conditions écologiques génératrices à leur tour de biodiversité. Or, la biodiversité a des effets directs sur la productivité des agroécosystèmes à l’échelle de la parcelle ou du paysage, mais aussi des effets indirects notamment par le biais de la protection des cultures.
Toutefois, l’agriculture peut à l’inverse mettre en danger cette diversité par l’intensification des pratiques. L’agriculture française moderne exploite peu les services écologiques naturels, auxquels elle a substitué des intrants chimiques (pesticides, fertilisants). En outre, la réduction du nombre de cultures, la simplification des méthodes culturales et l’homogénéisation des paysages (disparition des haies par exemple) ont des effets négatifs sur la biodiversité des espaces agricoles (Le Roux et al., 2008). Par ailleurs, la présence de cultures fertilisées conduit à une perte de biodiversité en bordure de parcelles et dans les milieux aquatiques du fait de transferts de fertilisants azotés vers les zones riveraines.
Les légumineuses, par leurs caractéristiques propres et leur insertion dans les systèmes de culture, peuvent avoir une action sur la biodiversité en milieu agricole. Celle-ci doit se raisonner à différents niveaux (Le Roux et al., 2008 ; Thiébeau et al., 2010b) :
au niveau de la parcelle, la microflore du sol (diversité et abondance) et la composition floristique (prairies permanentes) sont favorisées par les légumineuses. Une part importante des effets de la biodiversité sur la productivité est due à la présence de légumineuses, que ceux-ci soient dus à la fixation symbiotique ou à la baisse possible de la pression phytosanitaire à l’échelle du cycle de culture ou de la rotation ;
au niveau du paysage agricole, l’introduction de cultures de légumineuses annuelles ou pérennes augmente la diversité d’espèces végétales dans un environnement « céréalier » souvent assez uniforme (substitution à des cultures pauvres en biodiversité). De manière générale, elles favorisent les pollinisateurs en zones de grandes cultures et offrent des refuges pour les auxiliaires des cultures et la macrofaune (oiseaux, mammifères).
Les origines et l’importance de ces effets sont différentes selon les organismes considérés.
Pour la microflore du sol, les systèmes de culture avec légumineuses induisent une convergence d’effets positifs pour la biodiversité microbienne en raison principalement des spécificités de l’environnement racinaire des légumineuses (Eisenhauer et al., 2009) : exsudats riches en azote, mobilisation du phosphore. De plus, l’utilisation moindre de produits phytosanitaires pour les légumineuses pérennes de même que la réduction de la fertilisation minérale (Jangid et al., 2008) limitent les impacts de ces intrants sur la microflore.
Pour la mésofaune du sol (vers de terre, insectes…), des recherches anciennes et récentes se sont intéressées au rôle des légumineuses sur les populations et activités de la faune du sol. Gastine et al. (2003) ont mis en évidence l’effet négatif des légumineuses sur la quantité de biomasse racinaire, mais positif sur la diversité des vers de terre et l’abondance des vers de terre épigés. Ces auteurs suggèrent que les légumineuses et les vers de terre forment une sorte de relation mutualiste affectant les fonctions essentielles de l’écosystème dans les prairies tempérées, notamment via la production d’exsudats racinaires et la décomposition d’organes riches en azote, améliorant la productivité végétale. Pour les prairies permanentes, dont la durabilité est due en bonne partie à la présence de légumineuses, il est bien établi qu’une de leurs caractéristiques est la richesse de leur mésofaune.
Les abeilles domestiques et sauvages ainsi que les autres pollinisateurs sont nécessaires pour la production agricole car elles permettent d’assurer la reproduction de 70 à 80 % des plantes à fleurs, ce que sont quasiment tous les fruits, légumes, oléagineux et protéagineux, épices, café et cacao. Le déclin des populations d’abeilles dans le monde depuis la fin du xxe siècle est préoccupant. Les causes pouvant l’expliquer sont diverses (Breeze et al., 2012), mais l’intensification agricole (fragmentation des habitats, raréfaction et pollution des ressources) est considérée comme le principal facteur (Steffan-Dewenter, 2003 ; Le Féon et al., 2010).
Toutes les légumineuses cultivées sont classées comme cultures attractives pour les abeilles et autres insectes pollinisateurs, contrairement aux céréales (sauf le maïs pour le pollen) et les cultures industrielles. Par ailleurs, la fécondation par les insectes est nécessaire pour les espèces de légumineuses non autogames (comme la féverole) et peut également augmenter la productivité de la culture avec une maturation rapide et homogène des gousses. Les légumineuses produisent toutes du pollen (sauf la luzerne) et du nectar (sauf le lupin) récoltés par les abeilles, et parfois du nectar extra-floral (exemple de la féverole). Il existe d’ailleurs une certaine variabilité génétique pour la sécrétion nectarifère (quantité et composition), par exemple chez le pois (Loenning, 1985) et la féverole (Pierre et al., 1996). Certaines légumineuses sont beaucoup plus attractives que d’autres, comme la féverole et la luzerne (tableau 6.2). En zone de grandes cultures, les légumineuses, qui ont des floraisons longues, représentent une offre de nourriture à des moments où les autres plantes sont à maturité (céréales) ou en phase végétative (plantes sarclées), notamment en mai-juin entre les deux grands pics de production liés à la floraison du colza, en avril, puis du tournesol et du maïs en juillet. Les légumineuses fourragères comme la luzerne, fauchées plusieurs fois dans l’année, ont plusieurs périodes de floraison, à des périodes sensibles pour les abeilles, en mai-juin et en fin d’été (annexe A7 ). La luzerne offre des ressources appréciées d’un large cortège d’espèces d’abeilles (Rollin et al., 2013 ; Decourtye et al., 2014). Pour les pollinisateurs, les légumineuses fournissent une source de nectar de bonne qualité (Decourtye et al., 2007), contrairement aux pollens du tournesol et du maïs, les deux principales sources parmi les grandes cultures (Requier et al., 2015). Cela peut concerner des cultures pures ou la présence de légumineuses dans des cultures intermédiaires ou en association. Par une adaptation des pratiques (comme le semis sous couvert), la floraison peut être positionnée à des périodes creuses de floraison des autres espèces mellifères. L’insertion de légumineuses dans les systèmes de grande culture en France peut donc avoir un effet bénéfique sensible pour l’alimentation et la santé des abeilles (domestiques et sauvages) et autres pollinisateurs, tant par la diversification des cultures qu’elles proposent, que par leurs qualités intrinsèques (valeurs mellifères et périodes de floraison).
Tableau 6.2. Espèces de légumineuses présentant des intérêts pour les insectes pollinisateurs. D’après Decourtye et al., 2007.
Nom commun | Pérennitéa | Printemps | Été-Automne | Potentiel mellifère (kg/ha) | ||
Période de semis | Période de Floraison | Période de semis | Période de Floraison | |||
Lotier corniculé | P (2+) | Mars/Mai | Juin/Août | Août/Sept. | Avril/Juin | 25-50 |
Luzerne | P (3+) | Mars/Avril | Juin/Sept. | Juill./Août | Juin/Juill. | 200-500 |
Luzerne lupuline | P (2+) | Mars/Avril | Juin/Août | Août/Sept. | Mai/Juill. | 50-100 |
Mélilot blanc | B | Août/Sept. | Mai/Sept. | 100-200 | ||
Sainfoin | P (2) | Mars/Avril | Juin/Sept. | 100-200 | ||
Trèfle blanc | P (3+) | Mars/Avril | Juin/Sept. | Août/Sept. | Mai/Sept. | 50-100 |
Trèfle hybride | P (2+) | Mars/Avril | Juin/Sept. | Août/Sept. | Mai/Août | 200-500 |
Trèfle incarnat | A | Avril | Juin/Juill. | Août/Sept. | Mai/Juin | 50-100 |
Trèfle violet | P (2+) | Mars/Avril | Juill./Sept. | Août/Sept. | Mai/Juill. | 200-500 |
Vesce commune | A | Mars/Avril | Juin/Juill. | Août/Sept. | Mai/Juin | 50-100 |
a Pérennité : A, annuelle ; B, bisannuelle ; P, pérenne ; (X+), X ans et plus.
Les légumineuses présentent l’atout supplémentaire de constituer des zones refuges (en plus des haies et des bandes enherbées) hébergeant les auxiliaires des cultures qui vont repeupler les parcelles adjacentes après les travaux agricoles (Thiébeau et al., 2003 ; Decourtye et al., 2007). La luzerne, par son caractère pérenne, contribue à héberger davantage de papillons qu’une culture annuelle. La différence se révèle particulièrement intéressante pour les luzernes aménagées[63] qui représentent un bassin de nourriture pour des espèces comme Vanessa cardui L. et Pieris rapae L., mais aussi comme site de reproduction pour Polyommatus icarus L. Ces aménagerments accroissent donc l’intérêt de la luzerne pour la biodiversité dans les paysages de grandes cultures (Thiébeau et al., 2010b ; annexe A7).
Certaines associations légumineuses–non-légumineuses donnent l’occasion de souligner quelques exemples de lutte biologique possible, même si l’ensemble des processus de régulation en jeu dans les différentes espèces et différents modes d’insertion des légumineuses est encore à explorer. Dans le cas du colza associé à un couvert de féverole, on a observé une mortalité plus importante des pucerons du colza que dans le cas d’un colza seul (Jamont et al., 2013a et b), qui s’explique par la présence d’un auxiliaire prédateur des pucerons qui se nourrit de nectar extra-floral situé à la base des stipules de la féverole. Alors que les agriculteurs connaissent des problèmes d’efficacité des insecticides sur colza, on observe des réductions significatives des dommages engendrés par deux insectes d’automne, le charançon du bourgeon terminal (Ceutorhynchus picitarsis) et l’altise, avec des colzas associés à des couverts avec légumineuses (dont la féverole) (Cadoux et al., 2014). Les hypothèses d’explication font appel à un effet direct de perturbation des insectes par les couverts associés (dilution ou barrière du colza, perturbation visuelle ou olfactive, etc.) (voir Minéralisation des couverts intermédiaires à base de légumineuses ).
Des observations (Arvalis, août 2011) ont montré l’intérêt des cultures intermédiaires pour la faune sauvage, à la fois comme abri et comme source d’alimentation (culture, mais aussi les populations d’insectes et autres espèces qu’elles abritent). Dans ce cadre, les légumineuses sont une source de protéines notable. Ce serait plus spécifiquement les mélanges d’espèces, en particulier celles incluant des légumineuses (vesce, pois) qui présenteraient le meilleur compromis entre intérêt agronomique et intérêt pour la faune. Ces aspects positifs sont renforcés dans le cas des couverts pérennes. Des initiatives en faveur d’une biodiversité végétale comprenant des légumineuses pérennes ont été engagées pour maintenir et développer cette biodiversité animale. La luzerne, en tendance, contribue à héberger davantage d’oiseaux qu’une céréale classique et les luzernes aménagées offrent un bassin de nourriture pour la faune de ces campagnes de grandes cultures. Des nids ont été trouvés sur le sol des luzernes aménagées, augmentant les chances de ces couvées d’arriver à terme (Thiébeau et al., 2010b ; annexe A7).
Des études menées sur la zone atelier « Plaine & Val de Sèvres » ont montré l’importance de la présence de couverts pérennes, en particulier des luzernières, pour le développement et le maintien de populations d’espèces remarquables telles que l’outarde canepetière (Bretagnolle et al., 2011). Au-delà de la culture pérenne comme refuge et site de nidification, son rôle passe aussi par des liens trophiques, la luzerne pouvant favoriser plus ou moins, selon son mode de gestion, les populations de criquets (Badenhausser et Bretagnolle, 2005).
En plus de ces différents effets sur la faune, la présence de légumineuses favorise la biodiversité à l’échelle des écosystèmes en constituant un support important de la fertilité des écosystèmes extensifs tels que des prairies permanentes pas ou peu fertilisées, souvent riches en biodiversité, permettant ainsi leur maintien. La base e-Flora-Sys (Plantureux et al., 2010) a ainsi montré que dans des systèmes pastoraux, les légumineuses étaient présentes dans plus de 80 % des cas, avec une soixantaine d’espèces recensées. Des légumineuses comme les lotiers, vesces, gesses sont assez fréquentes dans des prairies peu intensives, mais régressent très rapidement lorsque le niveau de fertilité du milieu s’accroît (Diquélou et al., 2003) (voir Légumineuses fourragères dans les prairies ).
Les effets décrits ci-dessus sont liés plus ou moins étroitement aux légumineuses mais leur expression et leur intensité dépendent aussi beaucoup de la gestion agricole : niveau d’intensification, gestion spatiale, choix d’espèces (par exemple cultures intermédiaires), adéquation aux cycles et aux comportements de la faune ou flore considérée, etc.
De manière générale, les couverts pérennes limitent l’érosion des sols, à la fois du fait de la présence de la plante qui limite l’écoulement de surface de l’eau et favorise son infiltration, et de l’augmentation de la teneur en matière organique des sols qui renforce leur stabilité. L’introduction d’une culture pérenne en système de grandes cultures limite le retour annuel de la charrue sur la parcelle qui supporte cette culture, donc l’exposition du sol aux agents climatiques (Thiébeau et al., 2003). Cet effet concerne particulièrement les légumineuses pérennes comme la luzerne, mais aussi le rôle des légumineuses comme soutien de systèmes pérennes tel que les prairies permanentes.
Les couverts végétaux, en interculture ou en couverts associés en partie au cycle de croissance de la culture de rente, que ce soit avec ou sans légumineuse, ont également ce rôle de protection du sol. Les légumineuses à cycle plus court, de type culture de printemps, sont de plus en plus accompagnées de couverts en interculture précédente, avec une obligation réglementaire en zones vulnérables (et également extension des bonnes pratiques). Pour l’interculture suivant la légumineuse, on peut souligner l’augmentation du recours (considérations financières et/ou environnementales) aux couverts d’interculture (par repousses ou implantations) ou la pratique, encore très peu fréquente, de cultures semées tôt comme le colza placé après le pois, ou alors de l’implantation d’une culture « dérobée » qui couvre ainsi le sol (trois cultures en deux ans). Ces évolutions de pratiques peuvent contribuer à donner un rôle significatif à la présence des couverts (souvent avec légumineuses) pour prévenir l’érosion des sols.
Le chapitre 3 a souligné les effets positifs des légumineuses (annuelles ou pérennes) sur l’utilisation de produits phytosanitaires. Les cultures de légumineuses pérennes ont un IFT faible et elles peuvent être des refuges à auxiliaires des cultures. Elles créent en outre des conditions défavorables pour des espèces adventices problématiques dans les grandes cultures annuelles. Intégrées dans des rotations, elles peuvent limiter la sélection d’adventices spécifiques et permettre de réduire les usages d’herbicides de façon très significative (voir Autres arrière-effets des prairies
).
Concernant les légumineuses à graines, l’effet est moindre mais existe néanmoins. L’IFT de la légumineuse à graine peut être aussi élevé que celui d’autres cultures annuelles, mais son insertion dans une rotation allonge le cycle de retour d’une culture sur la même parcelle et a donc un effet positif sur les maladies. L’intégration des légumineuses annuelles dans des rotations de cultures peut donc être utilisée comme une composante de la gestion intégrée de plusieurs bioagresseurs, permettant de réduire le besoin d’utilisation des produits fongicides, insecticides et herbicides (voir Études a posteriori sur des exploitations agricoles existantes toutes légumineuses confondues ).
À retenir. Effets des légumineuses sur la biodiversité.
Les légumineuses, par leurs caractéristiques propres et par leur insertion dans les systèmes de culture, contribuent à la biodiversité en milieu agricole à différentes échelles. Leur famille botanique apporte de la diversité dans les agrosystèmes dominés par les graminées et les crucifères, favorisant une faune et flore sauvage également plus diversifiée, à l’échelle micro, méso ou macro.
À l’échelle de la culture, de la prairie ou de la rotation culturale, l’environnement racinaire des légumineuses augmente la biodiversité souterraine (diversité microbienne, effets positifs sur certaines populations de vers de terre, etc.). Ces effets sont favorisés par une moindre application d’engrais minéraux et, pour certaines espèces, de produits phytosanitaires (moindre pression sanitaire liée à la rupture de cycle des bioagresseurs des cultures dominantes). Elles ont également des effets indirects en favorisant, par le biais de la fixation symbiotique d’azote, la durabilité de systèmes tels que les prairies permanentes qui sont connues pour leur richesse en termes de biodiversité. De plus, en agissant comme source de nectar pour les insectes pollinisateurs ou de protéines pour la macrofaune, les légumineuses annuelles et surtout pérennes favorisent la biodiversité à l’échelle du paysage. Les légumineuses peuvent également servir de refuge pour différentes populations d’insectes auxiliaires ou de bioagresseurs. Cette fonction de refuge, où se cumulent les effets liés au caractère pérenne et/ou à la richesse en protéines de certaines légumineuses, concerne également différentes espèces de petits ou grands mammifères ou d’oiseaux.
Tous ces effets liés aux légumineuses contribuent à la biodiversité à l’échelle du paysage, en interaction avec les autres composantes du territoire.
Nous avons vu précédemment que les légumineuses en cultures annuelles, pérennes ou en interculture avaient des effets significatifs, en général positifs, sur les flux d’éléments et la biodiversité à l’échelle de la parcelle. Cependant, leurs effets ne se cantonnent pas à des effets locaux. Ils doivent également être resitués dans un ensemble agronomique et environnemental plus large, au niveau des systèmes de culture et des territoires agricoles. Ces éléments sont largement discutés d’un point de vue agronomique dans le chapitre 3 et sont intégrés dans l’analyse multi-enjeux des exploitations agricoles dans le chapitre 7. En conséquence, nous n’en faisons ici qu’une brève synthèse, soulignant les aspects relatifs à l’environnement
Les légumineuses (annuelles ou pérennes, pures ou en mélanges) sont insérées dans un système de culture dans lequel elles ont généralement une place particulière. L’insertion d’une telle culture dépasse le simple ajout ou la substitution d’une culture dans la rotation. Elle touche bien souvent à la conduite de l’ensemble du système, en particulier en termes de fertilisation et de protection des cultures.
On a vu que la présence de légumineuses dans les systèmes de production végétale engendrait des changements dans les flux azotés qui convergeaient plutôt vers des effets favorables si la part d’azote fixé était importante (moins d’émissions de polluants et de gaz à effet de serre, dont le N2O) et si les risques de lixiviation après minéralisation de leurs résidus étaient minimisés par un pilotage du système en conséquence. Ainsi, pour bénéficier au mieux de l’azote de la fixation symbiotique et limiter les pertes de nitrate via la lixiviation en automne et en hiver, il convient de raisonner la gestion des flux d’azote à l’échelle du système de culture en réduisant la dose d’azote apporté sur la succession culturale selon l’azote fixé et remobilisé et en assurant cette remobilisation par les cultures suivantes.
En phase de culture, une moindre lixiviation de nitrate sous légumineuses permet d’améliorer le bilan au niveau de la rotation (figure 6.7). L’effet de l’introduction d’une luzerne dans un assolement de grande culture a été conduit sur cases lysimétriques à Châlons-en-Champagne. À l’échelle d’une rotation de 10 ans, l’introduction d’une culture de luzerne maintenue durant 2 années de production montre une réduction de 30 % de la teneur en nitrate de l’eau drainée par rapport à une rotation ne la comprenant pas.
Figure 6.7. Impact de l’introduction d’une culture de luzerne (B) dans un assolement blé-betterave (A) sur la concentration en nitrate de l’eau drainée sous les différentes cultures durant 11 ans.
On a vu précédemment que la phase la plus critique était la période qui suivait la légumineuse, qu’il y ait ou non incorporation au sol des résidus de culture. Pour valoriser l’azote fixé par les légumineuses, la conception des systèmes de culture doit intégrer à la fois les plantes principales et les intercultures, notamment après retournement de prairies, de luzernes et d’intercultures comportant des légumineuses. Ce raisonnement ne doit pas se limiter à l’année suivant le retournement, car ces résidus peuvent libérer de l’azote durant plusieurs années (Muller et al., 1993 ; Justes et al., 2001 ; chapitre 3).
Des essais annuels et des essais de longue durée ont montré l’efficacité de l’implantation de couverts intermédiaires dans le cas des cultures annuelles avec intercultures à risque. C’est le cas par exemple de l’interculture courte entre pois et blé ou de l’interculture longue entre blé et betterave. Pour ces cas, en sol de craie de Champagne, une expérimentation de 13 ans sur une rotation betterave-pois-blé (Arep, 2009 ; annexe A6) a quantifié à 50 % la réduction de la teneur en azote des eaux drainantes (de 106 à 51 mg NO3/l en moyenne) par l’introduction de Cipan, alors que la forte réduction des apports d’engrais minéraux sur les cultures (- 35 %) a un impact très faible (réduction des pertes et diminution de la concentration en nitrates de - 13 %).
Globalement, les principales recommandations sont le choix de la culture suivant la légumineuse (précocité d’implantation et grande capacité d’absorption d’azote à l’automne, comme le colza derrière un pois par exemple), l’implantation d’une culture intermédiaire piège à nitrate avant et/ou après culture de protéagineux (notamment avant le blé pour réduire la lixiviation de nitrate qui peut être importante car le blé n’a pas la capacité d’absorber tout l’azote minéral disponible), la gestion optimisée de la fertilisation en engrais minéraux et organiques sur les cultures précédant (pour limiter le stock azoté du sol en fin de culture) et suivant les légumineuses (en tenant compte des « effets précédents »), choix du mode de conduite (associations, gestion des résidus), etc. Plusieurs résultats issus de dispositifs expérimentaux appuient ces recommandations (Drinkwater et al., 1998 ; Morvan et al., 2000 ; Carrouée et al., 2006 ; Justes et al., 2001, 2009 et 2012).
La pollution potentielle par les substances actives est très difficile à appréhender selon les cultures, étant donné les fortes différences de toxicité entre substances actives et la grande diversité des itinéraires techniques pratiqués sur une culture donnée. Cependant, l’IFT permet de quantifier la pression exercée par la protection phytosanitaire. L’IFT des cultures de légumineuses peut être parfois supérieur (certaines légumineuses annuelles) ou généralement inférieur (légumineuses fourragères) à celui des autres grandes cultures. Si l’on considère l’effet de la légumineuse à l’échelle de la succession culturale, on constate alors que la pression de phytosanitaires est presque systématiquement réduite dans les systèmes avec légumineuses (chapitre 3, pour les cultures annuelles, Effets des légumineuses sur les systèmes de culture en lien avec les facteurs biotiques et abiotiques , pour les prairies, Autres arrière-effets des prairies
; et chapitre 7, Analyses de la durabilité des systèmes de culture
). En raison de la nature différente des pathogènes des céréales/oléagineux et des légumineuses, celles-ci introduisent des ruptures dans le cycle des pathogènes. De plus, les légumineuses annuelles, mais surtout pluriannuelles, s’insèrent généralement dans des rotations longues qui limitent de facto le développement des pathogènes.
Il est nécessaire de regarder simultanément des indicateurs reflétant plusieurs types d’impacts potentiels sur l’environnement afin d’éviter les transferts de pollution qui se produisent lorsque l’amélioration d’un critère augmente un autre type de pollution environnementale.
Les approches basées sur la méthodologie « analyse de cycle de vie » (ACV, voir encadré 6.3) permettent de prendre en compte différents impacts environnementaux et, sur chacun, le rôle de l’ensemble des étapes successives de la production d’un produit donné. Les paragraphes suivants présentent quelques exemples d’analyse multicritères à l’échelle de systèmes de production.
Encadré 6.3. Évaluation des impacts environnementaux via les ACV.
Les impacts environnementaux sont souvent décrits selon une série d’indicateurs. Ceux de l’analyse de cycle de vie (ACV) sont normés selon ISO et permettent d’analyser les impacts selon un ensemble cohérent et relativement complet suivant différents groupes d’impacts. Cette méthodologie permet de prendre en compte tous les éléments mobilisés en amont d’un système ou d’une activité, rendant un service donné. Si on considère une matière première qui sort d’une exploitation agricole (système délimité jusqu’à la sortie de la ferme), on intègre dans son ACV les impacts générés par l’ensemble des intrants (le tracteur comme l’engrais potassique) et les opérations (le labour comme le stockage de la récolte) qui ont été mobilisées lors de la production de cette matière première agricole. Si l’on veut utiliser l’ACV pour faire des comparaisons, il est indispensable de considérer des systèmes ou des produits à même service rendu. La grille des impacts de l’ACV est la suivante :
1. Épuisement des ressources
1.1. Consommation d’énergies non renouvelables
1.2. Consommation en eau
1.3. Érosion (ponctuelle ou diffuse)
1.4. Utilisation des sols
1.5. Qualité des sols (structure du sol, microbiologie, fertilité, érosion)
2. Potentiel de réchauffement global : émissions gaz à effet de serre (et destruction couche d’ozone stratosphérique) : N2O, CO2, CH4
3. Polluants
3.1. Formation d’ozone troposphérique
3.2. Acidification (NH3)
3.3. Eutrophisation (c.-à-d. excès de nitrates + phosphates, source de pollution des eaux)
3.4. Toxicités (aquatique, terrestre et humaine)
3.5. Dispersion de phytosanitaires dans le sol, l’air et l’eau (pollutions ponctuelles et diffuses)
4. Autres indicateurs
4.1. Biodiversité (service : maintien de la biodiversité)
4.2. Qualité et Fertilité des sols (service : maintien de la qualité des sols)
4.3. Occupation des sols (et couverture des sols)
Dans des systèmes céréaliers à base de colza et céréales à paille de différentes régions françaises, il a été montré qu’il était possible d’insérer du pois protéagineux en améliorant significativement les effets sur une série de critères d’impacts environnementaux, sans dégrader les autres (Carrouée et al., 2012 ; Nemecek et al., 2015). L’analyse a été menée en s’appuyant sur la méthodologie des ACV qui a été appliquée sur 56 systèmes de culture, conventionnels et intégrés, pour la Bourgogne, la Moselle et la Beauce dunoise irriguée, avec cinq rotations reprises dans chaque région. Le tableau 6.3 résume les principaux résultats de cette analyse, sous forme d’écarts des impacts des rotations avec pois par rapport aux rotations de références respectives. Comparée à un blé ou un colza (recevant 190 et 160 kg d’engrais azotés respectivement), une culture de pois permet de réduire de près de 50 % de l’énergie fossile consommée, 70 % des GES et 85 % des gaz acidifiants, dans des systèmes céréaliers non irrigués. Sur la succession culturale, les rotations avec du pois montrent des impacts plus faibles que les témoins « Colza-Blé-Orge » et « rotation riche en céréales » par hectare et par euros de marge semi-directe. Les deux stratégies d’insertion du pois qui semblent les plus adaptées sur le plan agroéconomique et environnemental sont l’insertion entre deux blés, lorsque cette succession est présente dans l’assolement de référence, et l’insertion avant un colza. Ainsi, en moyenne sur les quatre cas considérés :
insérer un pois entre deux blés, Colza-Blé-Pois-Blé-Orge à la place de Colza-Blé-Blé-Orge, permet de réduire de 10,5 % la consommation en énergie non renouvelable (réduction de 2 600 éq. MJ/ha/an, soit 13 000 MJ d’économisés en cinq ans) et de 14 % l’effet de serre (- 450 kg éq. CO2/ha/an, soit 2,2 t éq. CO2 d’économisées en 5 ans) (la moyenne de la dose azotée apportée est réduite de 23 %) ;
insérer un pois devant le colza dans la rotation type Colza-Blé-Orge permet de réduire de 8 % la consommation en énergie non renouvelable (- 2 000 éq. MJ/ha/an) (avec la réduction du niveau de fertilisation utilisée dans cette étude, soit - 24 kg/ha) et de 10 % l’effet de serre (- 300 kg éq. CO2/ha/an) (la moyenne de la dose azotée apportée est réduite de 17 %).
Tableau 6.3. Écarts des impacts par hectare des rotations alternatives avec pois (A_pois) par rapport à l’impact des rotations de référence de chaque région, en production conventionnelle (en valeur pour la moyenne des témoins et en % par rapport au témoin pour la moyenne des alternatives par région).
% pois | Nombre de rotations dans la moyenne | kg N | Énergie non renouvelable, fossile et nucléaire (éq. MJ) | Potentiel d’effet de serre 100 ans (IPCC 2007) (kg éq. CO2) | Potentiel formation d’ozone, NOx élevé POCP (kg éq. éthylène) | Eutrophisation potentielle combinée (kg N) | Acidification (kg éq. SO2(EDIP97)) | Toxicité aquatique 100 ans (CML) (kg éq. 1,4-DCB) | |
Témoin sans pois | 0 % | 3 (Beauce) 2 (Bourg.) 5 (Moselle) | 100 % Be : 168 Bo : 167 Mo : 164 | 100 % Be : 28 939 Bo : 21 784 Mo : 22 967 | 100 % Be : 3 357 Bo : 3 132 Mo : 2 993 | 100 % Be : 0,75 Bo : 0,62 Mo : 0,68 | 100 % Be : 73 Bo : 96 Mo : 89 | 100 % Be : 43 Bo : 40 Mo : 43 | 100 % Be : 756 Bo : 2 035 Mo : 679 |
A_pois Beauce | 22 % | 10 | 77 % | 87 % | 84 % | 90 % | 87 % | 78 % | 90 % |
A_pois Bourgogne | 14 % | 8 | 83 % | 92 % | 90 % | 96 % | 92 % | 85 % | 104 % |
A_pois Moselle | 13 % | 9 | 85 % | 93 % | 92 % | 96 % | 87 % | 88 % | 83 % |
Ceci confirme des tendances déjà observées lors de l’étude européenne précédente (Nemecek, 2006 ; annexe A8 ) dont la conclusion était qu’inclure 20 % de légumineuses dans les rotations de systèmes intensifs européens (exemple le Barrois en France et la Saxe-Anhalt en Allemagne) permettait une réduction de :
environ 13 % de moins d’énergie fossile consommée par hectare de l’exploitation agricole ;
jusqu’à 18 % de moins de composés acidifiants par hectare (réduction de 20-40 kg SO2 équivalents) ;
environ 14 % de moins du potentiel d’effet de serre par hectare (évitant 2,5 t éq. CO2 : 0,4-0,6 par an).
Ces modélisations par ACV rejoignent les extrapolations des mesures ponctuelles (voir figure 6.5) menées au champ en parallèle sous blé, colza et pois en France (Jeuffroy et al., 2013) : la réduction drastique des émissions de N2O sous pois contribue fortement à la réduction estimée ici à 20–25 % des émissions de N2O au champ lorsqu’on introduit une culture de pois dans une rotation de 3 ans.
Un autre exemple d’étude ACV en grandes cultures (Thiébeau et al., 2010 ; annexe A9 ) couvrait spécifiquement les cas de deux fermes conventionnelles type de Champagne crayeuse (zone betteravière) reflétant chacune environ 450 exploitations, l’un dont la proportion de légumineuses est de 5 % (taux bas), l’autre dont la proportion est de 20 % (taux haut). Les résultats de l’ACV indiquent une diminution des impacts liés au changement climatique (- 4 %) et d’utilisation d’énergie non renouvelable (- 5 %) par hectare de SAU pondéré des assolements respectifs, en faveur des exploitations disposant de 20 % de surface occupée par des cultures de légumineuses. Ramené à l’échelle d’une exploitation disposant de 20 % de surface en légumineuses, cela évite le rejet de plus de 16 400 kg équivalent CO2 et économise 153 500 MJ d’énergie non renouvelable.
L’encadré 6.4 illustre le cas des associations céréales-protéagineux, très intéressantes pour réduire toutes les catégories d’impacts environnementaux.
De façon générale, en systèmes céréaliers, mis à part le choix de l’origine de l’engrais et des modalités d’application, la réduction des apports d’engrais azotés est de loin le principal levier d’amélioration des performances environnementales dans ce type de système de culture, à performances économiques équivalentes. Dans les secteurs sous contrainte de réduction d’engrais azoté (comme dans certains bassins d’alimentation de captage), l’introduction d’une culture de légumineuses paraît particulièrement intéressante pour maintenir les performances économiques en limitant les risques de perte de rendement et de marge pour les cultures fertilisées.
Encadré 6.4. L’évaluation multicritère des associations céréales-protéagineux.
Des analyses environnementales couvrant plusieurs critères ont été menées[64] sur une série de cas d’associations de culture avec céréales et légumineuses entre 2005 et 2012. Dans le cadre d’une production conventionnelle de blé meunier et de pois protéagineux dont le grain est récolté pour l’alimentation animale, par rapport aux cultures pures (blé pur fertilisé et pois pur), les associations blé–pois permettent à surface équivalente une augmentation de 10 à 20 % de la production de grains (LER de 1,1 ou 1,2), en ayant recours à moins d’intrants, et de produire chaque tonne de blé avec moins de la moitié d’engrais azotés par rapport au blé pur fertilisé (Corre-Hellou et al., 2013).
Une réduction de l’utilisation des fertilisants azotés sur l’association peut conduire à une réduction de la consommation énergétique, ainsi qu’à une réduction des émissions de GES liées à la production et à l’application de ces engrais. Les résultats d’un réseau national d’essais (Pelzer et al., 2012) ont ainsi montré que l’énergie nécessaire à la production d’une tonne de grains (grains de blé pour les modalités blé pur, grains de pois pour le pois pur, ou grains de blé et grains de pois mélangés pour les modalités association) est significativement plus élevée pour le blé pur fertilisé que pour les autres modalités (blé pur non fertilisé, pois pur, association pois-blé fertilisée et association pois-blé non fertilisée). L’énergie nécessaire à la production d’une tonne de grains de blé est également significativement plus élevée pour le blé pur fertilisé que pour les autres modalités (Pelzer et al., 2012). La méthode d’analyse de cycle de vie (ACV) a été mise en œuvre afin d’évaluer les impacts environnementaux potentiels des associations en comparaison à des cultures pures de blé tendre d’hiver et de pois protéagineux d’hiver pour les catégories d’impacts « changement climatique », « demande en énergie », « eutrophisation » et « occupation des terres » (Le Breton 2001 ; Naudin et al., 2014). Cette évaluation a été réalisée pour des stratégies de conduites et d’insertion de mélanges blé-pois d’hiver définies à dire d’experts, et adaptées aux régions Pays-de-la-Loire et Normandie (Le Breton, 2011). Comparées à des combinaisons de cultures pures qui produisent les mêmes quantités à l’hectare, les associations présentent des impacts environnementaux potentiels inférieurs aux cultures pures, quelle que soit la catégorie d’impacts considérée. À production équivalente, une association blé–pois a des impacts d’environ 30 à 60 % inférieurs aux cultures pures concernant le changement climatique (émissions de GES) et la demande en énergie. À surface équivalente, l’association réduit l’eutrophisation jusqu’à 77 % dans certains systèmes testés.
En production monogastrique (volaille et porc), l’impact des aliments représente la majeure partie de l’impact global de l’élevage.
En systèmes laitiers, de 7 à 10 exploitations laitières bretonnes, échantillon des réseaux ETRE et BIO, ont été évaluées avec l’outil nommé « EDEN », outil de type ACV (encadré 6.3), le système étudié étant ici l’exploitation agricole délimitée jusqu’à la sortie ferme. Les résultats ont souligné les bonnes performances environnementales des fermes herbagères autonomes en azote avec des prairies incluant 30 % de légumineuses, notamment une forte relation entre impacts d’eutrophisation et émissions au champ des cultures (soit sur la ferme elle-même, soit pour produire les intrants tels que les aliments).
La figure 6.8A décrit les principales caractéristiques des systèmes types comparés : système de référence maïs-herbe, systèmes herbe comprenant 10 et 30 % de légumineuses. Les impacts ont été calculés par hectare et par tonne de lait produit. Lorsqu’ils sont calculés par tonne de lait, les impacts prennent en compte l’ensemble des moyens de production (locaux et relatifs aux produits importés) mobilisés pour produire le lait. Lorsque les impacts sont rapportés à l’hectare, les impacts indirects (générés par la production des intrants) sont rapportés aux surfaces indirectes et les impacts directs (générés par l’utilisation des intrants et par les productions de la ferme) sont rapportés à la surface de l’exploitation. Le résultat final intègre l’ensemble de ces impacts (la méthode est détaillée dans Van der Werf et al., 2009). Le bilan apparent en azote décroît du système maïs-herbe au système avec 30 % de légumineuses, que le bilan soit calculé avec ou sans la fixation d’azote par les légumineuses. Pour satisfaire leur besoin en protéines, ces élevages mobilisent des surfaces hors exploitations dont le niveau décroît du système maïs-herbe au système herbager comprenant le plus de légumineuses (figure 6.8A).
Figure 6.8. Comparaison des impacts calculés par la méthode ACV, rapportés à la tonne de lait produit ou à l’hectare d’exploitation : A. description des systèmes types, B. contribution des postes des 3 systèmes aux différents impacts ACV et C. impacts totaux des systèmes herbagers comparés aux systèmes maïs-herbe. D’après Vertès et al., 2011.
Six indicateurs ont été calculés (eutrophisation, acidification, changement climatique, toxicité terrestre, utilisation d’énergie non renouvelable et occupation de la surface) pour calculer les impacts à la sortie de la ferme (il s’agit ici d’impacts totaux, c’est-à-dire incluant le changement d’affectation des sols). Comparés au système maïs-herbe, les deux systèmes herbagers (prairies avec 10 ou 30 % de légumineuses) ont des impacts égaux ou supérieurs lorsqu’ils sont rapportés au lait produit, mais inférieurs lorsqu’ils sont rapportés à l’hectare, sauf pour l’impact toxicité, toujours supérieur pour le système maïs-herbe (figure 6.8C). La figure 6.8B illustre la contribution des principaux postes aux impacts agrégés, qui varie entre systèmes. Les gains les plus sensibles des systèmes de production riches en légumineuses sur le poste énergie sont dus aux moindres utilisations d’intrants (engrais et aliments concentrés) et de combustibles fossiles (moins de transport et d’engins agricoles), à la réduction de la consommation en électricité et à la moindre utilisation de gaz brut : - 55 % (HLég-) et - 89 % (HLég+) comparé à maïs-herbe grâce à l’économie du séchage des aliments concentrés.
Pour l’impact « changement climatique », les émissions de CO2 sont réduites de 74 et 62 % pour HLég- et HLég+ comparé à maïs-herbe, en raison de l’utilisation moindre d’intrants (engrais, concentrés) nécessitant moins d’énergie. Les émissions de N2O et NOx sont aussi relativement basses pour les systèmes légumineuses, avec une réduction des pertes à partir des excrétions animales dans le bâtiment, au pâturage et lors du stockage : - 68 % N2O et NOx émis par HLég+ comparé à maïs-herbe (pas d’engrais de synthèse, part du pâturage importante). Enfin, les plus faibles émissions de nitrate pour le système HLég+ (- 26 % comparé à MH) s’expliquent essentiellement par un bilan apparent global azoté plus faible. La part des impacts indirects dans les impacts totaux rapportés à la tonne de lait produit diminue du système MH au système HLeg+ (figure 6.8B). Enfin, la prise en compte des hectares nécessaires pour fournir les intrants dans ces trois systèmes types montre des besoins en sol quasi équivalents (figure 6.8A).
L’analyse environnementale des produits finaux issus des productions agricoles françaises a fait l’objet d’un effort national lors du programme Agri-Balyse[65], pour caractériser les matières premières végétales agricoles françaises les plus représentatives (notamment blé tendre, maïs, orge, colza, tournesol, pois, féverole, pomme de terre et luzerne) ainsi que les principales productions animales françaises. Une série d’indicateurs d’impacts a été utilisée, incluant la consommation en énergie, les émissions de GES, l’acidification et l’eutrophisation.
Figure 6.9. Impact GES de 7 cultures par hectare (barres) et par kilogramme de produit (points). D’après Willmann et al., 2014.
Pour ces indicateurs d’impacts, les émissions au champ sont prépondérantes. Pour sept grandes cultures analysées (Willmann et al., 2014), les émissions de GES vont de 940 à 3 380 kg éq. CO2/ha selon la culture (figure 6.9). Le pois de printemps et le tournesol ont un potentiel de réchauffement climatique bas du fait de l’absence de fertilisation azotée sur le pois et de la faible dose (40 unités/ha) apportée sur le tournesol. Quand les résultats sont exprimés dans l’unité fonctionnelle du kilogramme du produit agricole, les rapports peuvent changer, et les comparaisons sont délicates à mener car 1 kg de pois n’a pas les mêmes caractéristiques en termes de composition et de valeur nutritionnelle que 1 kg de pomme de terre par exemple.
Les résultats d’Agri-Balyse font ressortir, parmi les pratiques à moindre impact environnemental, l’introduction d’une culture de légumineuses dans la rotation. L’analyse des ACV-culture confirme les impacts environnementaux potentiels significativement plus bas pour le pois (fixant l’azote) et aussi pour le tournesol (culture à bas intrants), comparativement aux cultures nécessitant des apports azotés importants en cours de culture. Cela confirme les analyses au niveau de la culture et de la succession culturale (Jeuffroy et al., 2013 ; Nemecek et al., 2014).
En considérant l’aval de la production végétale, des évaluations des impacts environnementaux des produits achetés par le consommateur ont été menées pour quantifier le rôle de l’utilisation de légumineuses dans ces produits.
Pour analyser les impacts environnementaux de l’introduction en Europe des protéagineux dans les aliments du bétail, cinq cas d’études ont été évalués par ACV dans quatre régions selon l’importance de productions respectives : production de porcs en Rhénanie du Nord Westphalie (NRW, Allemagne) et en Catalogne (CAT, Espagne), production de porcs, poulets et œufs en Bretagne (BRI, France), et production de lait dans le Devon et Cornwall (DAC, Royaume-Uni) (Baumgartner et al., 2008).
Les formulations considérées ont été calculées par un modèle d’optimisation économique (Pressenda et Lapierre, 2008), apportant les éléments nutritifs nécessaires aux différents animaux dans une composition réaliste d’aliments du bétail. Les aliments contiennent cinq catégories de matières premières : tourteau de soja (venant du Brésil, des États-Unis ou d’Argentine), différentes matières premières riches en protéines (colza, tournesol et tourteau d’amande de palme, maïs, gluten), des pois et féveroles d’origine européenne, des matières premières riches en énergie (blé, drèches de blé, orge, maïs, pulpes de betterave et d’agrumes, manioc, huiles), et minéraux (chaux, biphosphate de calcium, acides aminés de synthèses, vitamines). Les vaches laitières ont des fourrages dans leurs rations (frais ou séchés).
La part de l’aliment (production et transport des matières premières) est importante (40 à 100 % des impacts) et prédominante dans tous les impacts (sauf énergie). Pour les cinq cas étudiés sur la production de viande (porc et volaille), d’œufs ou de lait, remplacer le tourteau de soja par des protéagineux apporte des bénéfices clairs dans le cas des impacts liés à l’utilisation des ressources grâce à un moindre transport, à une incorporation réduite de matières premières riches en énergie dans les formules et l’absence de changement d’usage des sols. Ainsi, la consommation des énergies non renouvelables est réduite dans tous les cas sauf celui de la Rhénanie du Nord Westphalie où l’alternative avec protéagineux européens est similaire à la référence avec soja importé. Lorsque le soja (venant du Brésil, des États-Unis ou d’Argentine) est remplacé principalement par du pois et des tourteaux de colza et de tournesol (formule GLEU), l’effet favorable est lié au moindre transport et au fait que la production du pois et de la féverole demande moins d’énergie fossile que la combinaison avec le tourteau de soja et les matières riches en énergie qu’ils remplacent. Cet effet est clairement illustré dans le cas d’étude du lait en Angleterre (- 10 % pour la réduction des besoins en énergie non renouvelables) et renforcé dans le cas de la production à la ferme (- 20 %).
Le potentiel de réchauffement planétaire est réduit dans tous les cas avec les formules à base de protéagineux européens, sauf pour le cas de la Catalogne. Ceci est dû au potentiel de réchauffement lié au soja importé notamment en liaison avec le changement d’occupation des sols. La transformation de la forêt tropicale brésilienne et de la savane argentine en cultures de soja entraîne des rejets importants de CO2 (biomasse et matière organique des sols).
Il y a un faible effet sur les impacts liés aux nutriments, puisque les effets positifs de la moindre utilisation du tourteau de soja et des matières premières riches en énergie sont souvent compensés (ou dépassés) par les effets négatifs de la mise en production des cultures des protéagineux eux-mêmes ou des autres matières premières riches en énergie qui leur sont associées, notamment le tournesol et le tourteau de colza.
Vu l’importance de la part des aliments dans les impacts des élevages, il a été décidé de mettre à jour une base de données de matières premières agricoles utilisables pour les fabricants d’aliments du bétail, s’appuyant sur la méthodologie Agri-Balyse, et d’étudier l’optimisation de la formulation des aliments composés pour animaux pour des impacts environnementaux les plus bas possibles au niveau des aliments et au niveau des élevages (projet Ademe-Casdar EcoAlim 2013-2015).
Peu d’évaluations multicritères ont été publiées sur des produits issus de légumineuses pour la consommation humaine, d’où l’intérêt de mentionner ici une étude de ce type. Des repas à équivalence nutritionnelle (même teneur en protéine et énergie) composés de différents produits alimentaires (dont certains issus de graines de légumineuses) ont été comparés dans une étude suédoise pour leur valeur environnementale, en intégrant toutes les étapes de la production de leurs matières premières à leur consommation (Davis et Sonesson, 2008 ; Davis et al., 2010). Certains contiennent de la viande de porc dont les rations contenaient du pois à la place du tourteau de soja, d’autres, non pas de la viande, mais de la charcuterie faite avec de la protéine de pois, d’autres encore sont végétariens (sandwich avec un steak végétarien, type « burger »). Les résultats sont en général en faveur de l’utilisation du pois. Seul le critère énergie consommée met le « burger végétarien » au même niveau que le plat à base de viande. Les plats végétariens ont des impacts environnementaux réduits comparativement à la viande, surtout sur les gaz à effet de serre, l’acidification et l’eutrophisation, car l’impact « agricole » est largement diminué (beaucoup moins de matière première végétale nécessaire). Par contre, les étapes de transformation ultérieures, en particulier cuisson et conservation (congélation), pèsent lourd dans les bilans en énergie non renouvelable, et ce d’autant qu’il s’agit de filières portant sur de petits volumes. Soulignons que les résultats seraient différents avec des produits peu transformés, c’est-à-dire des plats cuisinés avec des légumes secs par exemple.
Au sein des paysages agricoles, les cultures de légumineuses ou les prairies sont connectées à d’autres parcelles et à d’autres écosystèmes (forêts, haies, fossés, bordures). Ces relations de proximité créent des échanges à la fois abiotiques (composés azotés, produits phytosanitaires) et biotiques (micro-organismes pathogènes ou non, insectes, oiseaux, petits mammifères). Elles contribuent à la réalisation d’un « damier » végétal, constituant une offre potentielle de nourriture et de site de reproduction à la biodiversité animale.
Les légumineuses étant faiblement émettrices de NH3, voire un puits pendant l’essentiel de leur cycle, elles ont un impact potentiellement faible sur les écosystèmes proches. On pourrait imaginer qu’elles puissent contribuer à constituer des zones-tampons autour des zones sensibles (Hicks et al., 2011), en particulier les légumineuses pérennes qui présentent l’autre avantage de réduire la pression phytosanitaire et ses conséquences sur les écosystèmes voisins. Ces atouts peuvent être particulièrement importants dans des paysages à parcellaire très morcelé et à proximité de zones humides. Le même constat peut être fait, dans certaines conditions de pratiques, pour les fuites de nitrate. L’implantation de légumineuses pérennes en cultures pures ou en associations prairiales peut être envisagée dans les périmètres de captage d’eau potable pour limiter les risques de contamination des eaux par le nitrate et les produits phytosanitaires. Des précautions doivent toutefois être prises au moment du retournement de ces couverts.
Concernant les échanges biotiques, on a vu précédemment que les légumineuses, plantes mellifères, favorisaient les populations d’insectes pollinisateurs. Elles favorisent de manière générale les populations d’insectes. Cette fonction peut être valorisée en les insérant dans le paysage agricole sous forme de bandes de luzerne aménagée. Servant de refuges à insectes, elles favorisent aussi les animaux insectivores, en particulier les oiseaux. Les légumineuses pluriannuelles constituent des refuges pour la nidification de certaines espèces d’oiseaux, pour l’alimentation d’insectes, d’oiseaux et de mammifères. Tous ces effets contribuent à la biodiversité générale à l’échelle du paysage.
À retenir. Effets des systèmes avec légumineuses sur l’environnement.
Les impacts environnementaux, effectifs ou potentiels, ont été quantifiés (par des mesures ou de la modélisation sur une série de critères) dans le cas de plusieurs types (cas de système-type ou de cas réel) de systèmes agricoles ou systèmes agroalimentaires impliquant (ou pas) des légumineuses : systèmes de cultures céréaliers, systèmes d’élevages, produits issus d’animaux ou autres produits agroalimentaires. Les résultats sont variables selon les espèces de légumineuses et leurs modes d’insertion, mais ils confirment une convergence d’effets qui est plutôt favorable à l’environnement.
Les systèmes avec légumineuses, en comparaison avec des systèmes équivalents sans légumineuse, contribuent notamment de façon significative à la réduction de la consommation des ressources en énergies fossiles et à l’atténuation du changement climatique des productions agricoles. Ils contribuent également significativement à la réduction des émissions acidifiantes (NH3, NO) vers l’atmosphère et les écosystèmes naturels.
Ces effets favorables sont dus principalement à l’évitement d’émissions liées aux engrais azotés, qui représentent environ 60 % des besoins en énergie d’une culture fertilisée et 50 à 80 % de sa production en GES.
À l’échelle de la culture en système conventionnel, l’ordre de grandeur des réductions est de 50 à 60 % pour l’énergie fossile, de 60 à 70 % pour les GES, de 80 % pour les gaz acidifiants. À l’échelle de la rotation culturale, la réduction est de l’ordre de 10 à 50 % selon les impacts et les systèmes.
De plus, au sein de plusieurs échantillons d’exploitations agricoles existantes (conventionnelles ou en agriculture biologique), l’analyse multicritère souligne que l’introduction de légumineuses est une composante qui facilite la réalisation de performances agronomiques et environnementales satisfaisantes.
Les impacts environnementaux de l’introduction de légumineuses dans les systèmes de culture concernent donc principalement le cycle de l’azote et la biodiversité. Concernant l’azote, les effets sont globalement positifs, accompagnant une amélioration du bilan énergétique due essentiellement à la moindre utilisation d’engrais industriels, et montrent une diminution des fuites vers l’environnement (NH3, N2O, NO, nitrate) et des impacts qui y sont associés. Il faut cependant souligner les risques liés à l’enfouissement des résidus de culture, surtout pour les cultures pérennes qui peuvent libérer de grandes quantités d’azote sur plusieurs mois ou années.
Pour ce qui concerne la biodiversité, les effets sont multiples, portant à la fois sur la microflore du sol, la flore, la mésofaune, les petits mammifères et les oiseaux. La compréhension des effets des légumineuses bénéficiera certainement des approfondissements nécessaires sur les facteurs de ce qu’on nomme parfois « fertilité des sols » pour recouvrir l’ensemble des paramètres permettant une production agricole élevée et durable. Ces effets peuvent être directs, la légumineuse étant une source de nutriments (riches en azote) ou un refuge (couverts pérenne), ou indirects, une moindre pression phytosanitaire réduisant les impacts des activités agricoles sur certains organismes.
Ces relations entre légumineuses et environnement doivent être intégrées de façon simultanée pour les différents types d’impacts et doivent aussi se replacer dans divers contextes spatiaux ou organisationnels. Les effets de l’introduction de légumineuses ne se réduisent en effet pas à l’échelle de la parcelle, mais doivent aussi s’évaluer à l’échelle du système de culture (place des légumineuses dans les rotations) et des paysages agricoles (contribution à la biodiversité à cette échelle, impacts positifs sur les écosystèmes voisins…) et des produits consommables issus de l’agriculture.
C’est donc sur ces connaissances environnementales et à ces différentes échelles d’analyse que les acteurs du monde agricole peuvent concevoir des systèmes agricoles utilisant les légumineuses pour contribuer à une agriculture durable. Une telle conception doit combiner les deux faces de la médaille : éviter ou minimiser les dommages potentiels et faire exprimer au maximum les services écosystémiques. Or, cette conception de systèmes agricoles durables est aussi très dépendante des composantes des systèmes socio-économiques qui les englobent (valeurs sociétales, contexte économique et réglementations ou organisations d’acteurs et de marchés), ce qu’examine le chapitre 7.
Avec la contribution de : Gérard Aubrion, Benoît Carrouée, Nicolas Cerruti, Guénaëlle Corre-Hellou, Katell Crépon, Sylvie Dauguet, Axel Decourtye, Jean-Jacques Drevon, Rémy Duval, Frank Hayer, Thomas Nemecek, Sarah Willmann.