Annexe 4. Évaluation multicritère de systèmes de culture avec et sans protéagineux en Bourgogne
Marie-Sophie Petit, Violaine Deytieux, Marie-Hélène Jeuffroy, Gérard Duc
La Bourgogne est une terre d’élevage et de productions végétales, mais à l’image de l’Union européenne, elle couvre aujourd’hui moins d’un tiers de ses besoins en protéines, et les surfaces de protéagineux y sont inférieures à 3 % des surfaces arables. Le programme de recherche Pour et Sur le Développement en Bourgogne a pour objectif d’améliorer l’autonomie protéique des élevages et les impacts environnementaux positifs, en insérant des protéagineux dans les systèmes de culture bourguignons.
Pour répondre à la question de l’intérêt et des limites des protéagineux dans les systèmes de culture bourguignons, une étude a été réalisée sur 3 années (Payot, 2011) dans le cadre du PSDR – PROFILE (Potentiels et leviers pour développer la production et l’utilisation des protéagineux dans le cadre d’une agriculture durable en Bourgogne) par la chambre régionale d’Agriculture de Bourgogne, en lien avec l’Inra, les chambres départementales d’Agriculture, les coopératives, les instituts techniques et le RMT (Réseau mixte technologique) Systèmes de culture innovants
.
L’objectif de cette étude est de décrire des systèmes de culture actuels avec et sans protéagineux dans les principaux contextes pédo-climatiques de Bourgogne et d’évaluer leurs résultats et performances, aux niveaux agronomique, technique, économique, environnemental (y compris énergétique) et social, en termes de durabilité.
Méthodologie
La méthodologie d’évaluation multicritère s’est organisée en 5 étapes de travail, qui sont :
étape 1 : recensement des outils et démarches d’évaluation de systèmes de culture, sélection des critères d’évaluation pertinents (Debaeke et al., 2008 ; Sadok et al., 2009) ;
étape 2 : choix des systèmes de culture à étudier, en fonction des principales petites régions agricoles productrices de protéagineux et des principaux systèmes de culture présents ;
étape 3 : enquête auprès des agriculteurs mettant en œuvre les systèmes de culture sélectionnés ;
étape 4 : description des systèmes de culture pratiqués à partir des données de l’enquête ;
étape 5 : réalisation de l’évaluation multicritère et analyse des systèmes de culture à l’aide des 31 critères sélectionnés à l’étape 1.
La démarche d’évaluation retenue s’appuie sur celle proposée par le RMT Systèmes de culture innovants (Debaeke et al., 2008 ; Petit et al., 2012 ; Deytieux et al., 2012), avec une caractérisation des systèmes de culture à l’aide de 31 critères et une évaluation globale avec MASC® 1.0. (Sadok et al., 2008, 2009) réalisée uniquement en 2009. Ainsi, le croisement des zones productrices de protéagineux en Bourgogne et des systèmes de culture présents dans ces contextes a permis de travailler chez 15 agriculteurs, correspondant à 27 systèmes de culture.
À partir de l’enquête réalisée chez les agriculteurs, nous avons décrit les systèmes de culture pratiqués selon la méthode proposée par Reau et al. (2010) et Petit et al. (2012) avec :
identification dans l’assolement des principaux systèmes de culture présents sur l’exploitation ;
choix du ou des systèmes de culture à étudier, et identification des parcelles associées dans la sole de l’exploitation ;
synthèse à l’échelle de la sole du système de culture des interventions culturales et des rendements de n parcelles par an à partir de l’historique disponible (2 à 5 ans le plus souvent), faite en collaboration avec l’agriculteur. Pour cela, seront distinguées les pratiques récurrentes et les variantes, sous forme d’amplitudes de variation (ou fréquences ou fourchettes) dans un contexte précis (Lagaise, 2009).
Des marges de manœuvre pour la fertilisation azotée
Pour la plupart des systèmes étudiés, l’introduction d’un protéagineux induit une diminution des apports azotés à l’échelle du système, en raison de l’absence d’apport sur le protéagineux et de la prise en compte de l’effet précédent. Toutefois, des marges de manœuvre existent encore aujourd’hui, comme à Tannerre-en-Puisaye (figure A4.1A) où l’ajustement de la dose d’azote sur la culture suivant le protéagineux n’est pas suffisant, avec + 63 kg/ha d’azote apportée en excès par rapport à la dose recommandée, sachant que l’objectif de rendement du blé de féverole a été revu à la hausse (80 q/ha contre 75 q/ha pour un blé de colza).
A.
B.
Figure A4.1. Dose d’azote (kg N/ha) apportée à Tannerre-en-Puisaye (A) ; à Bazolles (B).
À Bazolles (figure A4.1B), le système de culture avec pois-colza a les mêmes objectifs de rendement que le système sans protéagineux ; il présente surtout une fertilisation azotée revue à la baisse de - 33 kg/ha, en raison de l’absence d’apport sur pois et de la réduction d’apport sur colza, pour atteindre une dose totale de 126 kg/ha/an (contre 159 kg/ha/an pour le système sans protéagineux).
Intérêt des protéagineux par rapport à la pression phytosanitaire
Dans le contexte d’Ecophyto 2018, l’indice de fréquence de traitement (IFT) des systèmes de culture étudiés a été analysé et présente des valeurs légèrement inférieures (de 0,2 à 0,9 points) pour les systèmes avec protéagineux : en effet, le pois a souvent un IFT inférieur au blé (4,4 pour un pois d’hiver, 2,8 pour un pois de printemps, contre 5,4 pour un blé ou une orge d’hiver, par exemple à Jully), et le pois d’hiver n’est pas exposé aux pucerons de printemps. Par rapport à l’impact de ces systèmes sur le milieu, mesuré à l’aide de l’indicateur Iphy de la méthode Indigo de l’Inra de Colmar, Iphy est quasiéquivalent pour tous les systèmes avec et sans pois.
Intérêt énergétique des systèmes avec protéagineux : un atout pour aujourd’hui et pour demain
L’évaluation multicritère de 28 systèmes de culture bourguignons avec et sans protéagineux, montre dans la plupart des cas de systèmes de culture avec protéagineux, des consommations énergétiques moindres (figure A4.2) et une balance azotée plus équilibrée grâce à la réduction des apports d’engrais azotés sur le protéagineux et la culture suivante, identifiant aussi des marges de manœuvre pour améliorer cette balance. L’introduction de protéagineux dans les systèmes de culture en diversifiant la rotation modifie les stratégies de protection des cultures sans induire d’augmentation du recours aux produits phytosanitaires.
Figure A4.2. Consommation énergétique (en MJ/ha) de 28 systèmes de culture avec et sans protéagineux.
Impact environnemental en émissions de N2O des systèmes avec protéagineux
Par la méthode Salca (Nemecek et al., 2008), des impacts liés à la gestion des ressources (demande en énergie, réchauffement climatique potentiel, formation d’ozone potentielle), impacts liés à la gestion des fertilisants (eutrophisation potentielle et acidification potentielle), impacts liés à la gestion des polluants (écotoxicités terrestre et aquatique potentielles, toxicité humaine potentielle) ont été évalués. Quelle que soit l’unité fonctionnelle (par ha ou par € de marge brute), l’introduction d’un protéagineux dans le système de culture permet d’améliorer l’ensemble des impacts environnementaux considérés. Sur deux fermes situées en Bourgogne, il a été montré que les émissions de N2O par les sols contenant des résidus de pois ne sont en général pas supérieures à celles des sols contenant des résidus de céréales.
Intérêt économique des systèmes avec protéagineux
D’autre part, la rentabilité économique reste égale entre systèmes de culture avec ou sans protéagineux, quel que soit le scénario de prix des productions, des engrais ou des produits phytosanitaires. À partir du diagnostic et de l’évaluation multicritère des systèmes étudiés, un groupe de travail associant des conseillers en productions végétales des chambres d’Agriculture a proposé des évolutions des systèmes de culture avec protéagineux afin d’améliorer leurs performances économiques et environnementales (vis-à-vis de la balance azotée, des impacts des pertes d’azote avec IN, des risques d’impacts des phytosanitaires).
Conclusion
Ce travail d’évaluation multicritère montre que les systèmes de culture avec protéagineux présentent des intérêts économiques et environnementaux, dès lors que l’on raisonne en pluriannuel. Le développement des protéagineux ouvre une voie de diversification et d’innovation dans les systèmes de culture. Un potentiel d’utilisation locale de protéagineux existe déjà dans les filières des viandes blanches et du bio, qui certainement peuvent s’amplifier par des innovations technologiques, et se sécuriser en volumes et prix par la contractualisation. Une large diffusion des références acquises sur protéagineux et un bon interfaçage des acteurs, seront parmi les leviers nécessaires pour développer la production et l’utilisation des protéagineux en Bourgogne :
en mettant en valeur ces résultats à l’échelle globale du système de culture ;
en permettant de souligner les intérêts des protéagineux dès lors que l’on raisonne en pluriannuel et que l’on prend en compte les impacts environnementaux ;
en montrant tout l’intérêt de repenser/reconcevoir les systèmes de culture pour répondre aux problématiques locales ou encore aux impasses techniques notamment en matière de gestion des adventices.
Références
Debaeke P., Petit M.-S., Bertrand M., Mischler P., Munier-Jolain N., Nolot J.-M., Reau R., Verjux N., 2008. Évaluation des systèmes de culture en stations et en exploitations agricoles : où en sont les méthodes ? In: Systèmes de culture innovants et durables : Quelles méthodes pour les mettre au point et les évaluer ? Actes du colloque du 27 mars 2008, Educagri.
Deytieux V., Vivier C., Minette S., Nolot J.-M., Piaud S., Schaub A., Landé N., Petit M.-S., Reau R., Fourrie L., Fontaine L., 2012. Expérimentation de systèmes de culture innovants : avancées méthodologiques et mise en réseau opérationnelle. Innovations Agronomiques, 20, 49-78.
Duc G., Blancard S., Deytieux V., Lecomte C., Petit M.-S., et al., 2012. Projet PSDR, PROFILE, Bourgogne, Ssérie, Les 4 pages PSDR3.
Duc G., Blancard S., Hénault C., Lecomte C., Petit M.-S., et al., 2010. Potentiels et leviers pour développer la production et l’utilisation des protéagineux dans le cadre d’une agriculture durable en Bourgogne. Innovations Agronomiques, 11, 157-173.
Lagaise B., 2009. Élaboration d’un prototype de description de systèmes de culture innovants. Contribution à la création d’un référentiel de performances des systèmes de culture. Mémoire ESA Angers, Inra, 162 p.
Lecomte C., Prost L., Gauffreteau A., 2009. Présentation d’une méthode pour améliorer la connaissance des aptitudes variétales, intérêt des modèles, besoins de développements nouveaux. Innovations Agronomiques, 7, 105-119.
Payot B., 2011. Evaluation multicritère de systèmes de culture bourguignons avec et sans protéagineux. Mémoire de fin d’études de Montpellier Supagro hébergé par la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne. 128 pages.
Petit M.S., Reau R., Dumas M., Moraine M., Omon B., Josse S., 2012. Mise au point de systèmes de culture innovants par un réseau d’agriculteurs et production de ressources pour le conseil. Innovations Agronomiques, 20, 79-100.
Reau R., Mischler P., Petit M.-S., 2010. Évaluation au champ des performances des systèmes innovants en cultures arables et apprentissage de la protection intégrée en fermes pilotes. Mise au point de systèmes de culture innovants par un réseau d’agriculteurs et production de ressources pour le conseil. Innovations Agronomiques, 8, 83-103.
Sadok W., Bergez J.-E., Bockstaller C., Colomb B., Guichard L., Reau R., Messéan A., Doré T., Angevin F., 2009. MASC, a qualitative multi-attribute decision model for ex ante assessment of the sustainability of cropping systems. Agro. Sustain. Dev. 29, 447-461.
Sadok W., Bockstaller C., Guichard L., Reau R., Angevin F., Bergez J.-E., Colomb B., Doré T., 2008. Ex ante assessment of the sustainability of alternative cropping systems: implications for using multi-criteria decision-aid methods. A review. Agro. Sustain. Dev. 28, 163-174.
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