Annexe 1. Les légumineuses chez les agriculteurs innovants : une place privilégiée dans les systèmes économes
Mélissa Dumas, Marie-Sophie Petit, Raymond Reau

Mettre au point des systèmes de culture économes en intrants et performants : telle a été l’ambition confiée aux agriculteurs sélectionnés dans le réseau de « fermes » mis en place en 2010 dans le cadre du plan Ecophyto. Parmi les 124 exploitations en cultures arables, quatre sur dix (41 %) ont choisi d’utiliser des légumineuses dans leurs rotations de cultures assolées, ou en prairies mixtes graminées-légumineuse. Ce sont 36 systèmes avec légumineuse annuelle, 6 avec luzerne et 10 avec prairies mixte. Suite à une évaluation multicritère avec MASC (Sadok et al., 2009), les plus économes en produits phytosanitaires (moins de 70 % de l’IFT de référence ; Petit et al., 2012) et les plus performants du double point de vue économique et environnemental ont été sélectionnés.

Comme résumé par la figure 7.4, seulement 14 % des systèmes sans légumineuse étudiés se sont révélés être économes et performants (10 cas sur 70), tandis que 36 % des systèmes de cultures avec légumineuse se sont révélés être économes et performants (20 cas sur 56). Ces 20 systèmes de culture sont issus des régions Bretagne, Lorraine, Normandie, Picardie, et Poitou-Charentes : 11 comprennent une légumineuse annuelle, 5 une luzerne, et 4 une prairie mixte. Les rotations de ces 20 systèmes de culture sont de durée assez longue à très longue (4 à 13 ans).

Les légumineuses dans les rotations de grande culture et fourragères[113]

Les agriculteurs de ce réseau sont situés uniquement dans la moitié nord de la France, et les légumineuses cultivées sont soit des cultures annuelles destinées à la production de graines protéagineuses (pois et féverole avant tout), soit des cultures pluriannuelles valorisées en plante entière telle la luzerne ou les prairies temporaires multi-espèces.

L’usage de l’engrais azoté et des produits phytosanitaires chez ces agriculteurs innovants

Les doses d’azote total (organique et minéral) apportées en moyenne à l’année sur la rotation varient entre 15 et 180 unités, avec une dose moyenne de 105 unités d’azote par hectare (figure A1.1). Les apports les plus faibles (moins de 20 unités) sont issus de 2 systèmes en agriculture biologique qui combinent luzerne et légumineuse annuelle (pure ou en mélange). Dans les parcelles recevant un engrais de synthèse, la fertilisation moyenne varie entre 47 unités et 180 unités. Dans ces différents systèmes de culture, la luzerne et les prairies temporaires multi-espèces, et dans une moindre mesure les légumineuses annuelles permettent d’appliquer moins d’engrais azoté en moyenne dans la rotation (figure A1.2). Il conviendrait d’étudier s’il s’agit d’une simple dilution de la dose liée à la non-fertilisation des légumineuses, ou également d’une réduction de la fertilisation azotée des cultures suivantes.

Figure A1.1. Usage moyen par hectare et par an de l’engrais azoté et des produits phytosanitaires dans les 20 systèmes économes et performants étudiés. L’indice de fréquence de traitement (IFT) est exprimé pour les herbicides (IFT herbicide) et pour les autres produits phytosanitaires, autrement dit hors herbicide (IFT hors herbicide)

B, blé ; Bett, betterave ; C, colza ; F, féverole ; Luz, luzerne ; M, maïs ; O, orge ; P, pois ; RGI, ray-grass d’Italie ; T, tournesol ; Tri, triticale ; h, hiver ; p, printemps.

Figure A1.2. Dose d’azote moyenne sur la succession en kg/ha/an des systèmes de cultures économes et performants selon 4 catégories : sans légumineuse, avec luzerne, avec protéagineux, avec prairie temporaire multi-espèces. L’abscisse décrit des systèmes de culture en série.

Concernant la consommation de produits phytosanitaires, l’IFT total de ces systèmes (qui ont été sélectionnés sur ce critère) est en moyenne de 1,9, et se situe relativement à 36 % de la référence régionale en moyenne. Ces systèmes balaient une large gamme d’IFT allant de 0 à 4,1. L’IFT herbicide varie entre 0 à 1,8, l’IFT hors herbicide entre 0 et 2,9 (figure A1.1). Les 4 systèmes avec luzerne de 3 ans correspondent à des rotations très longues (8 à 11 ans) qui ont été conduites sans ou avec peu de produits phytosanitaires : leur IFT est inférieur à 2. Les 4 systèmes de cultures avec prairie ont un IFT total inférieur à 1, ils sont conduits avec très peu de produits phytosanitaires, herbicides (IFT allant de 0,1 à 0,5) ou hors herbicides (IFT allant de 0 à 0,2) (figure A1.3).

Bien que l’introduction d’une légumineuse annuelle ne semble pas conduire à une réduction de l’IFT, les cultures de luzerne et les prairies multi-espèces amènent à des rotations nettement plus économes en pesticides. Il reste ainsi à étudier dans quelle mesure il s’agit d’un effet de dilution, lié au faible usage d’herbicides et au non-usage des autres pesticides en prairies et luzernes pluriannuelles, ou également d’une réduction de l’usage des herbicides dans le reste de la rotation.

Figure A1.3. IFT des systèmes de cultures économes et performants selon 4 catégories : sans légumineuse, avec luzerne, avec protéagineux, avec prairie temporaire multi-espèces. L’abscisse décrit des systèmes de culture en série.

Les performances de durabilité des systèmes de culture avec légumineuses

L’analyse multicritère des 20 systèmes de culture a été réalisée suivant l’arbre standard de la méthode MASC.

Les radars des figures A1.4 et A1.5 présentent leurs performances prises par les principales composantes des performances économique, sociale et environnementale Les systèmes avec cultures légumineuses annuelles se caractérisent par des résultats très variables et parfois médiocres sur les critères de « conservation de la biodiversité » et des « risques de toxicité phytosanitaires pour les travailleurs » (y compris dans les systèmes avec luzerne) ou encore pour les difficultés opérationnelles. Les systèmes avec légumineuses pluriannuelles sont plus réguliers, et globalement plus performants sur l’ensemble de ces composantes.

Figure A1.4. Les performances de durabilité des systèmes de culture avec légumineuses annuelles.

B, blé ; Bett, betterave ; C, colza ; F, féverole ; M, maïs ; O, orge ; P, pois ; RGI, ray-grass d’Italie ; h, hiver ; p, printemps.

Figure A1.5. Les performances de durabilité des systèmes de culture avec légumineuses pluri-annuelles.

B, blé ; C, colza ; F, féverole ; M, maïs ; O, orge ; T, tournesol ; Tri, triticale ; h, hiver ; p, printemps.

Les figures A1.6 et A1.7 permettent d’analyser les performances environnementales d’impact sur la qualité du milieu d’une part et de pression sur la ressource d’autre part.

Figure A1.6. Analyse des performances de pression sur la ressource et d’impact sur la qualité du milieu des systèmes de culture avec légumineuses annuelles.

B, blé ; Bett, betterave ; C, colza ; F, féverole ; M, maïs ; O, orge ; P, pois ; RGI, ray-grass d’Italie ; h, hiver ; p, printemps.

Figure A1.7. Analyse des performances de pression sur la ressource et d’impact sur la qualité du milieu des systèmes de culture avec légumineuses pluriannuelles.

B, blé ; C, colza ; F, féverole ; M, maïs ; O, orge ; T, tournesol ; Tri, triticale ; h, hiver ; p, printemps.

Cette analyse montre que les performances énergétiques de ces systèmes avec légumineuses sont bonnes à très bonnes (note supérieure à 7 pour l’indicateur indigo I-Energie). Seules deux variables s’avèrent présenter quelques limites dans certains cas : le risque de pollution des eaux superficielles par les produits phytosanitaires, et les pertes de nitrate dans une rotation avec luzerne pluriannuelle et une rotation avec prairie.

Conclusion

Non seulement les systèmes avec légumineuses ont permis d’avoir une fertilisation azotée réduite dans les systèmes de culture de ces exploitations agricoles, elles ont permis également d’être économes en pesticides. Cet usage réduit de ces intrants provient d’abord de la dilution de ces intrants à l’échelle pluriannuelle dans la mesure où on n’apporte pas d’engrais de synthèse sur les légumineuses en général, et où l’usage des pesticides est très réduit dans les luzernes et les prairies temporaires mixtes. La réduction d’usages de ces intrants sur les autres cultures de la rotation pour valoriser l’effet suivant de fournitures d’azote par les résidus des légumineuses, ou l’effet de l’allongement de la diversification de la rotation sur la pression en adventices en particulier et en bioagresseurs en général, est moindre. Son analyse mérite une analyse plus approfondie.

À une exception près, tous les systèmes avec légumineuses pluriannuelles sont économes en pesticides, et au final une majorité a été jugée économe et performante (9/17). La majorité des systèmes avec légumineuse annuelle (protéagineux) ne sont pas économes en pesticides (18/35). Sur les 17 systèmes économes, 6 ne sont pas performants, car leur rentabilité est faible et leurs performances environnementales sont moyennes à médiocres en raison d’impacts sur la qualité du milieu trop défavorables. Enfin, 11 sont jugés performants.

Il semble plus facile d’être économe et performant dans les systèmes de culture avec légumineuses que dans les rotations sans légumineuse ni prairies. 36 % des systèmes de culture avec légumineuses étudiés dans ce réseau s’avèrent économes et performants, ce qui se révèle être le cas pour 14 % des systèmes de culture sans légumineuses.

Parmi cette sélection de systèmes de culture économes et performants, la gamme d’IFT balayée est identique pour les successions à base de cultures annuelles : de 1 à 4 points d’IFT environ, qu’il y ait ou pas de protéagineux. Il semble ainsi plus facile d’être économe et performant avec des légumineuses dans les rotations. Cependant, les protéagineux ne permettent pas de descendre plus bas que les autres cultures annuelles.

Ces résultats montrent que d’ores et déjà des agriculteurs maîtrisent des systèmes qui sont à la fois économes et performants. Les légumineuses seraient-elles une des clés pour mettre au point des systèmes de culture économes en intrants et performants, et élargir l’univers du possible en matière de réduction d’usage des produits phytosanitaires et des engrais azotés ?

Références

Petit M.S., Reau R., Dumas M., Moraine M., Omon B., Josse S., 2012. Mise au point de systèmes de culture innovants par un réseau d’agriculteurs et production de ressources pour le conseil. Innovations Agronomiques, 20, 79-100.

Reau R., Mischler P., Petit M. S., 2010. Évaluation au champ des performances des systèmes innovants en cultures arables et apprentissage de la protection intégrée en fermes pilotes. Mise au point de systèmes de culture innovants par un réseau d’agriculteurs et production de ressources pour le conseil. Innovations Agronomiques, 8, 83-103.

Sadok W., Angevin F., Bergez J.-E., Bockstaller C., Colomb B., Guichard L., Reau R., Messéan A., Doré T., 2009. MASC, a qualitative multi-attribute decision model for ex ante assessment of the sustainability of cropping systems. Agronomy for Sustainable Development, 29 (3), 447-461.

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113Le réseau de fermes comprend aussi des systèmes de polyculture, élevage avec prairie en légumineuses qui ne sont pas ici décrits.