Annexe 6. Effets combinés de l’implantation de couverts végétaux en interculture et de la réduction de fertilisation azotée minérale des cultures sur le lessivage des nitrates dans une rotation Betterave-Pois-Blé en Champagne crayeuse (dispositif de Thibie)
Rémy Duval, Jean-Pierre Cohan, Gérard Aubrion
Le dispositif de l’Arep[121] à Thibie (Marne) a été mis en place en 1991, afin d’évaluer et de comparer plusieurs modalités visant à limiter les fuites de nitrates par lixiviation dans une succession betterave-pois-blé, et un contexte de sol de craie de Champagne (rendzine brune sur craie à poches). Cet essai de longue durée a été conduit par Arvalis Institutdu végétal. Le site a été équipé de bougies poreuses pour mesurer in situ les teneurs en nitrates des eaux de percolation à 1 m de profondeur. Il était complété par le dispositif de cases lysimétriques de Châlons-en-Champagne (Inra-Fagnères), situé à quelques kilomètres de distance du site de Thibie, et sur lequel était implantée la même succession de cultures avec les mêmes traitements expérimentaux (avec/sans culture intermédiaire) afin de mesurer pour chacun d’eux les quantités d’eau drainées au-delà d’un mètre.
Le dispositif principal de l’expérimentation, dans lequel chaque culture était présente chaque année, croisait 2 facteurs : la gestion de l’interculture (sol nu/couverts systématiques) et la fertilisation minérale azotée des cultures principales (dose raisonnée/dose raisonnée diminuée de 35 %). On y avait adjoint des parcelles complémentaires, ne présentant qu’une seule culture chaque année, afin de tester l’effet spécifique de la date de déchaumage après récolte d’une part (déchaumage intensif/absence de déchaumage dans le dispositif principal), et l’effet de la suppression du pois dans la succession d’autre part (succession betterave-blé-escourgeon). Les traitements et les comparaisons deux à deux sont schématisés sur la figure A6.1.
Figure A6.1. Traitements présents et comparaisons proposées par le dispositif de Thibie.
* Couverts de radis (interculture blé-betterave), dactyle (pois-blé), blé (betterave-pois) ; ** les autres parcelles ne sont pas déchaumées après les récoltes.
Les parcelles élémentaires ont une dimension de 18 × 50 m, et sont répétées selon 3 blocs. Le labour a été maintenu entre chaque culture. L’essai, dans cette configuration et ce premier protocole, a été conduit de 1991 à 2004. Lors des dernières années, avant définition d’un nouveau protocole pour le site, certaines parcelles ont été redécoupées pour des essais de dose d’azote annuels sur betterave et blé, afin de mieux comprendre les évolutions de rendement constatées respectivement dans les différentes conduites. À l’issue de l’étude, les résultats ont permis d’établir des bilans d’azote annuels et pluriannuels pour estimer le devenir à moyen et long terme de l’azote soustrait au lessivage par les couverts.
Mesures de pertes d’azote par lixiviation, et comparaison des modalités expérimentales
Dans le contexte pédoclimatique et la rotation choisie, avec un drainage moyen annuel d’environ 140 mm sous sol nu, les pertes d’azote dans les eaux drainantes ont lieu essentiellement en période automnale et hivernale. En l’absence de plantes de couverture, elles ont lieu principalement avant et sous blé après pois, et en interculture longue blé-betterave. En moyenne sur la rotation, pour la conduite conventionnelle, les pertes d’azote sur la rotation sont de 36 kg/ha/an, avec une teneur moyenne en nitrate de l’eau drainée au-delà de la profondeur de 1 m établies à 106 mg NO3/l. L’essai a permis de hiérarchiser clairement les modalités testées quant à leur efficacité dans la réduction des pertes d’azote par lixiviation. L’insertion de cultures intermédiaires pour piéger l’azote minéral montre la meilleure efficacité, avec des quantités d’azote lixiviées diminuées de 60 % (15 kg/ha de pertes d’azote N moyennes annuelles), et des concentrations dans l’eau drainante divisée par 2 (51 mg/la NO3) (figures A6.2 et A6.3). En regard, la forte réduction des apports d’engrais minéraux sur les cultures (– 35 %) a un impact très faible (réduction des pertes et diminution de la concentration en nitrates de – 13 %). La suppression du déchaumage a également un effet, mais plus aléatoire et difficile à expliquer.
Figure A6.2. Concentration en NO3- (mg/l) par type d’interculture (moyenne 1992-2003).
SN N = Sol nu et fertilisation raisonnée ; SN N- = Sol nu et fertilisation réduite ; CI N = Cultures intermédiaires et fertilisation raisonnée ; CI N- = Cultures intermédiaires et fertilisation réduit.
Figure A6.3. Concentration en NO3- (mg/l) par modalité (moyenne 1992-2003).
Effets des conduites sur la productivité des cultures
La réduction de fertilisation azotée se traduit par une perte des rendements de cultures de – 10,6 % pour le blé, de – 4,5 % pour la betterave sucrière, et n’a naturellement pas de conséquence sur le rendement du pois. L’implantation fréquente de cultures pièges à nitrates se traduit par une augmentation des rendements de blé et de betterave (mais non du pois) à partir de la 7e année d’essai. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cet effet, qui semble très lié à la disponibilité en azote pour les cultures. Pour les deux cultures (betterave et blé), l’accroissement du rendement s’accompagne d’une augmentation des quantités d’azote prélevées : + 22 kg/ha sur la durée de l’essai en moyenne pour les cultures de blé et de betterave.
Effets cumulatifs sur le sol et devenir à moyen terme de l’azote piégé
L’introduction de cultures intermédiaires a pour effet de réduire les pertes par lessivage, mais ne réduit pas d’autant les doses minérales calculées à apporter aux cultures. Elle a donc pour conséquence de favoriser le stockage d’azote dans le sol (+ 350 kg/ha cumulés sur 13 ans). Cet excédent se traduit à terme par une augmentation de teneur en N organique de l’horizon labouré, confirmée par les mesures, et après plusieurs années, par un surplus de minéralisation. Ce surplus a été évalué à + 36 kg/ha/an d’azote au terme des 13 années d’essais. (Constantin 2010 ; Constantin et al., 2010, 2011, 2012).
Impact du pois dans la rotation
La suppression du pois et son « remplacement » par une orge d’hiver n’a qu’un effet limité sur les pertes en azote cumulées. La comparaison de ce traitement betterave-blé-orge (une seule culture par an pour cette modalité) avec l’ensemble des parcelles conduites en sol nu et fertilisation raisonnée, montre que cette succession alternative réduit la concentration de l’eau drainante de – 20 mg NO3/l en moyenne.
Références
Arep, 2009. Limiter le lessivage des nitrates. Essai de longue durée de Thibie, résultats acquis de 1991 à 2008. Document Arep-Arvalis, 82 pages + annexes.
Constantin J., 2010. Quantification et modélisation du bilan d’azote à long terme : impact des cultures intermédiaires, du semis direct et de la fertilisation réduite. Ph.D. thesis, AgroParisTec, Paris.
Constantin J., Mary B., Laurent F., Aubrion G., Fontaine A., Kerveillant P., Beaudoin N., 2010. Effects of catch crops, no till and reduced nitrogen fertilization on nitrogen leaching and balance in three long-term experiments. Agricult. Ecosys. Envir., 135 (4), 268-278.
Constantin J., Beaudoin N., Laurent F., Cohan J.P., Duyme F., Mary B., 2011. Cumulative effects of catch crops on nitrogen uptake, leaching and net mineralization. Plant and Soil, 341 (1-2), 137-154.
Constantin J., Beaudoin N., Launay M., Duval J., Mary B., 2012. Long-term nitrogen dynamic in various catch crop scenarios: test and simulations with STICS model in temperate country. Agricult. Ecosys. Envir., 147, 36-46.
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