Annexe 5. Analyse multicritère de la production de soja dans des exploitations agricoles contrastées du Sud-Ouest
Élie Parachini, Pierre Jouffret, Françoise Labalette
Le Cetiom a réalisé en 2013 une analyse multicritère de la production de soja dans différentes exploitations agricoles de grandes cultures du Sud-Ouest (Haute-Garonne, Gers et Lot-et-Garonne), en utilisant le logiciel Systerre (Arvalis, Institut du végétal).
Un échantillon qualitatif de cinq exploitations agricoles contrastées a été construit en se basant sur différents critères : localisation géographique (zones où le soja a pu se maintenir malgré le déclin des surfaces : Sud-Ouest du Gers -canton Rivière Basse- ou coteaux Nord du Lot-et-Garonne), systèmes de culture (exploitation à dominante de monoculture de maïs : Vallées et terrasses de Garonne, Sud-Ouest Gers vallée et exploitations diversifiées : Coteau Volvestre par exemple) et pédologiques (coteaux argilo-calcaires, boulbènes et sols argileux profonds de vallée).
Pour chacun des 3 piliers de la durabilité, 3 indicateurs ont été retenus :
volet économique : charges intrants totales, marge brute hors aides et marge nette avec aides ;
volet social : temps de travail, temps de travail hors entreprise de travaux agricoles, temps de travail estival ;
volet environnemental : émissions de gaz à effet de serre (GES), efficience énergétique et indice de fréquence de traitement (IFT).
Impact de la proportion de légumineuses dans l’assolement sur les émissions de GES et la marge nette des exploitations agricoles de l’échantillon (figure A.5.1)
Figure A.5.1. Émissions de GES et marge nette hors aides directes des exploitations en fonction du pourcentage de légumineuses (récolte 2012) — étude Cetiom-Onidol SojaLoc 2013-2014.
À l’échelle de l’exploitation agricole, on observe que les émissions de gaz à effet de serre diminuent de manière linéaire (coefficient de corrélation R2 = 0,83) lorsque la proportion de légumineuses dans l’assolement augmente. Il n’existe cependant pas de corrélation entre le taux de légumineuses et la marge nette hors aides.
Ces résultats globaux montrent qu’aujourd’hui, la culture de légumineuses (soja irrigué, soja sec, luzerne) peut tout à la fois permettre de diminuer les émissions de GES des systèmes de culture orientés en grandes cultures tout en maintenant des résultats économiques satisfaisants pour l’exploitation agricole.
L’impact environnemental du soja comparé aux autres cultures de printemps (figure A.5.2)
Figure A.5.2. Émissions de GES et IFT des cultures de printemps présentes en 2012 dans les exploitations considérées — source : étude Cetiom-Onidol SojaLoc 2013-2014.
Le soja est la culture de printemps la plus sobre en émissions de gaz à effet de serre de notre échantillon.
Le soja irrigué émet en moyenne 5,8 fois moins de gaz à effet de serre que le maïs irrigué, 3,4 fois moins que le sorgho en sec et 2,4 fois moins que le tournesol en sec.
On peut de plus noter que le soja sec est encore plus sobre en émissions de GES que le soja irrigué : 20 % et 16 % de moins chez les deux agriculteurs cultivant du soja en sec.
L’écart important avec le maïs grain, culture prédominante dans les systèmes de grandes cultures irrigués du Sud-Ouest, est dû à la fertilisation (surtout les engrais azotés) qui représente entre 82 et 89 % des émissions totales de GES de la culture. Les émissions directes (au champ) représentent de 55 à 62 % des émissions de GES liées aux fertilisants. La tendance est identique mais moins accentuée en sorgho où la part des fertilisants est de 78 % dans les émissions de GES totales alors qu’elle est comprise entre 65 et 76 % pour le tournesol.
En soja irrigué, le poste d’émission principal est le carburant (majoritairement dépensé lors des opérations de travail du sol) qui représente entre 58 et 69 % des émissions totales de GES et entre 65 et 79 % en soja sec.
En terme d’IFT, le soja est la culture la plus économe de notre échantillon (en moyenne 2,20 en sec et 2,26 en irrigué) avec le tournesol (2,25) devant le sorgho (2,49) et le maïs (3,22). Notons la forte variabilité affectant ces valeurs due à des problématiques spécifiques à chaque exploitation (gestion des adventices vivaces type liseron pour le maïs, traitements anti-taupin et anti-limace pour le tournesol).
Le soja est peu performant en terme d’efficience énergétique (E) comparé aux autres cultures de printemps : en irrigué : Esoja = 3,66 < 5,31 = Emaïs et en sec : Esoja = 5,8 < 6,4 = Etournesol < 6,65 = Esorgho.
Impact du contexte hydrique de l’exploitation sur la compétitivité du soja avec le maïs grain en irrigué (figure 7.2)
Dans l’exploitation Terrasses de Garonne, le rendement en maïs grain irrigué est très élevé (128 q/ha) et le rapport de rendements entre le maïs et le soja est élevé en faveur du maïs : 3,56, ce qui est supérieur à la moyenne Sud-Ouest : 3,24 (Cetiom, 2012). En conséquence, dans le contexte de prix de 2012[119], le soja obtient des marges brute et nette inférieures au maïs grain. Le soja devient en revanche, compétitif grâce à l’apport d’une mesure agro-environnementale territorialisée [120](MAET IRRLEG) visant à promouvoir les légumineuses dans les systèmes irrigués.
Dans l’exploitation Coteau Nord Lot-et-Garonne, le rendement en maïs grain est plus faible par rapport à Terrasses de Garonne (100 q/ha) et le rapport de rendement avec le soja est également plus faible : 3,03 (inférieur à la moyenne Sud-Ouest 3,24). Ainsi dans la situation de prix de 2012, le soja obtient de meilleures marges brute et nette que la culture du maïs grain.
Ces différences de compétitivité peuvent en partie s’expliquer de par les différentes stratégies d’irrigation : Terrasses de Garonne n’est pas limité en eau et conduit une irrigation ayant pour but d’obtenir un rendement très élevé : le maïs reçoit en moyenne 7 tours d’eau de 25 mm, le soja 6 tours d’eau. À l’inverse, l’exploitation Coteau Nord du Lot-et-Garonne est limitée en main-d’œuvre (exploitation diversifiée avec de l’arboriculture) et apporte un nombre de tours d’eau limité (3 tours d’eau de 30 mm sur maïs et 2 sur soja) sans rechercher un rendement très élevé.
Ces résultats sont cohérents avec les simulations réalisées avec le logiciel Lora dans le cadre du projet Casdar Eau de Midi-Pyrénées (Deumier et al., 2010) : les exploitations agricoles étudiées dans ce projet — à orientation maïs grain — au sein de 3 collectifs d’irrigants de Midi-Pyrénées, sous l’effet d’une contrainte hydrique croissante, diminuent leur sole maïs qui est toujours irriguée à l’optimum. Ils incorporent des cultures de diversification comme le soja (de 20 à 25 %) qui valorise mieux une irrigation contrainte.
Le soja en sec : une culture performante économiquement dans des contextes bien précis (figure A.5.3)
Figure A.5.3. Compétitivité du soja en sec avec ses cultures concurrentes dans deux exploitations de l’échantillon et dans le contexte de l’année 2012 — source : étude Cetiom-Onidol SojaLoc 2013-2014.
Dans l’échantillon d’agriculteurs, plusieurs cultivent le soja en sec de manière régulière. Les deux exemples ci-dessus sont choisis de par leur contraste.
Le cas du coteau Volvestre (CV) obtient un rendement moyen en soja sec de 17,5 q/ha (très variable d’une année à l’autre) et le soja sec n’est pas compétitif ni avec le tournesol sec ni avec le soja irrigué. À l’inverse, le cas du coteau du Sud-Ouest du Gers (CG) obtient un rendement en soja sec de 25 q/ha et ce mode de conduite obtient une marge brute nettement inférieure au soja irrigué (– 27 %) mais une marge nette proche (– 9 %).
Les deux facteurs principaux pouvant impacter ces résultats différenciant ces deux exploitations agricoles sont le type de sol (coteau argilo-calcaire très profond pour CG et coteau argilo-calcaire moyennement profond pour CV) et la pluviométrie estivale (109 mm pour CV contre 187 mm pour CG en moyenne).
Ces résultats montrent que la culture du soja en sec peut être intéressante d’un point de vue économique dans des conditions de sol et de disponibilité en eau bien précises qui mériteraient d’être mieux objectivées.
La hausse du prix des intrants agricoles : une chance pour le soja ? (figure A.5.4)
Figure A.5.4. Évolution de la compétitivité maïs/soja chez Terrasses de Garonne, exploitation la moins favorable au soja en 2012, dans un scénario « intrants » — Source : étude Cetiom-Onidol SojaLoc 2013-2014.
Le scénario économique « intrants » correspond à une hausse tendancielle du prix des intrants agricoles (indices Ipampa de l’Insee pour fioul, électricité, engrais azotés) jusqu’à 2025, les prix de vente restant fixes.
On observe que la compétitivité maïs/soja évolue en faveur du soja entre 2012 (maïs, culture la plus rentable) et 2025 (marge brute du soja légèrement inférieure, marge nette supérieure). Cela s’explique par le fait que le maïs est davantage pénalisé sur les postes engrais et irrigation. De plus, le maïs est impacté par l’augmentation du coût du séchage.
Dans cette exploitation où le maïs se comporte bien (rapport de rendement maïs/soja de 3,56 contre 3,24 en moyenne dans le Sud-Ouest) et dans un contexte de prix haut plutôt favorable au maïs, on voit qu’une hausse tendancielle du prix des intrants pourrait rendre le soja attractif à moyen terme. Cette approche, assez grossière (prise en compte de l’évolution des charges, mais prix de vente fixes) permet de quantifier l’impact de la tendance lourde de la hausse du prix des intrants agricoles. Celle-ci sera favorable aux cultures et modes de conduite économes, notamment ceux intégrant des légumineuses.
Conclusion
L’analyse multicritère menée dans des exploitations contrastées du Sud-Ouest a permis de quantifier les atouts environnementaux de la culture du soja (sobriété en émissions de gaz à effet de serre et en utilisation de produits phytosanitaires). Sur le plan économique, les résultats suggèrent que le soja est plus compétitif avec la culture dominante en contexte irrigué, le maïs grain, dans des situations hydriques contraintes par rapport à des situations où l’eau est utilisée de façon non limitante. Le contexte de prix 2012 a mis en évidence des situations où le soja irrigué est la culture de printemps la plus rentable et où le soja sec est également intéressant. Il est vrai qu’en 2012 le soja avait atteint un niveau de prix historiquement haut (500 €/t) et que le rapport de prix avec le maïs (2,3 environ) était assez favorable au soja par rapport aux niveaux observés dans le passé. Ce type de situation favorable au soja devrait toutefois tendre à se répéter dans l’avenir (exemple de la récolte 2013 où le ratio de prix soja/maïs = 3) du fait de tensions sur l’approvisionnement en protéines. Couplé à une hausse prévisible du prix des intrants agricoles, cela devrait contribuer à rendre la culture du soja attractive de manière pérenne.
Références
Deumier et al., 2010. Connaissance, adaptation et amélioration de la gestion quantitative de l’eau avec des collectifs d’irrigants de Midi-Pyrénées par le développement et l’utilisation de méthodes et d’outils adaptés, Rapport technique, p. 3.
Cetiom, 2012. Enquête nationale sur les pratiques culturales du soja, rapport de rendement observé sur 5 ans entre soja irrigué et maïs irrigué.
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