Conclusion générale

Cette synthèse sur les légumineuses aura apporté des éclairages (et pistes à creuser) sur leur place hier, aujourd’hui et demain dans nos systèmes de production et territoires agricoles, et dans nos assiettes soit en direct soit après une transformation par l’animal. Ces espèces, tant par leur diversité biologique, écologique et fonctionnelle, que par les utilisations possibles, peuvent jouer un rôle privilégié dans l’émergence de systèmes agricoles et de systèmes alimentaires durables, tels que définis par Brutland, si l’on prend en considération leurs spécificités. La diversité des traits fonctionnels des espèces de légumineuses permet de les utiliser en production de graines, de fourrages ou en apports de services autres que productifs. Ceci explique la diversité des solutions que les légumineuses contribuent à construire et des systèmes agricoles et alimentaires qui peuvent les valoriser.

Il est essentiel d’identifier les limites de l’exercice, mais aussi les enseignements et les recommandations que l’on est en mesure de tirer de cette compilation d’informations, qui a mobilisé une large gamme de compétences scientifiques et techniques, de différents domaines disciplinaires, et s’est appuyée tant sur les acquis de la recherche cognitive et fondamentale que sur les expériences de terrain, chez les agriculteurs.

Afin d’éviter le biais d’analyse engendré par la conjoncture instantanée, nous avons posé un cadre d’analyse systémique, basé sur les connaissances scientifiques et techniques, et mobilisant des concepts reconnus et partagés, comme celui du Millenium Ecosystem Assessment (2005) qui structure fortement la réflexion. Cet ouvrage constituera une référence utilisable dans la durée, apportant des éléments génériques applicables à une large gamme de contextes et de milieux tout à la fois pédoclimatiques, socio-économiques et sociétaux.

Des connaissances en partie liées à un contexte français et européen

Toutefois, ce travail n’est pas dénué de limites liées autant au contenu qu’à la genèse de ce projet et la façon dont nous l’avons construit. Ces limites tiennent d’abord au contexte global dans lequel il est préparé. Même si les connaissances mobilisées sont larges, elles ont été appelées pour éclairer la vision de décideurs français sur la production et l’utilisation des légumineuses. Quatre éléments majeurs marquent l’éclairage proposé :

L’organisation et le contenu des chapitres apparaissent ainsi profondément marqués par ce contexte européen et français, car sollicité par un comité national français. Le contexte est aussi celui qui est issu de 60 ans d’évolution des régimes alimentaires en Europe occidentale, marqué par l’augmentation de la consommation de produits carnés. Dès les années 1970, au moment où l’Europe prend conscience de sa faiblesse sur le secteur stratégique de la production des protéines végétales nécessaires aux élevages, s’installe un différentiel d’investissement en recherche et de développement entre le domaine privilégié de la nutrition animale d’une part et celui de l’alimentation humaine et des technologies agroalimentaires pour la transformation de ces matières premières particulières d’autre part.

En conséquence de ces contextes géographiques et temporels, des choix ont été faits qui ont pu engendrer des biais. Ainsi en est-il du soja, qui n’est pas regardé au travers de cet ouvrage comme une légumineuse dont la culture pourrait être massivement mise en œuvre sur le territoire national, sous réserve d’une adaptation des types variétaux, ou des espèces pour lesquelles un bond variétal ou une innovation en système de culture pourraient changer la donne. La priorité a été mise sur la connaissance des spécificités et non sur des plans de développement arrêtés. Il a été cependant montré que la complémentarité entre espèces est un atout à jouer pour les territoires français et la diversité botanique, un plus pour l’agroécologie.

Pour cerner les limites de ce travail, on peut identifier les invariants que nous avons volontairement ou implicitement supposés, même si cet exercice a posteriori reste délicat.

Cet ouvrage est une synthèse des connaissances et non une étude prospective. Des scénarios de rupture n’ont pas été étudiés même si des évolutions et propositions d’actions pour infléchir le système dominant actuel ont été initiées dans le dernier chapitre. Il serait certainement intéressant de poursuivre des analyses, avec une dimension quantitative des moyens et des résultats, pour une situation de rupture par rapport aux trajectoires actuelles des systèmes agricoles et alimentaires et des habitudes de consommation : évolution plus profonde des systèmes de cultures (l’ensemble des surfaces en cultures associées, plusieurs cultures dans l’année, rééquilibrage des zones de productions végétales et animales, etc.) et des régimes alimentaires, des innovations exogènes fortes comme une autre méthode de production d’engrais azotés à des coûts énergétiques faibles telle que le laisse supposer la récente publication de Shima et al. (2013). Cependant, ne pas se placer en rupture rend les leviers évoqués dans cet ouvrage plus immédiatement applicables dans les systèmes agricoles et alimentaires actuels.

Appréhender la complexité par des approches systémiques

L’importance du travail d’analyse et de synthèse conduit pour la préparation de cet ouvrage permet de dégager quelques enseignements forts pour renforcer le statut des légumineuses comme ingrédients pertinents au sein des systèmes agricoles et alimentaires de demain. Trois de ces enseignements peuvent être ici soulignés.

Il existe une grande richesse des connaissances fondamentales et appliquées mobilisables pour l’action, et donc disponibles pour que les acteurs économiques déploient des innovations tant biotechniques qu’organisationnelles pour que les légumineuses assurent la fourniture d’une large gamme de services écosystémiques. Il s’agit de capitaliser sur cette avance que possède la France sur les légumineuses, même si ces connaissances sont encore à compléter, surtout dans le cadre d’un besoin d’innover dans les pratiques. Il s’agit surtout de voir comment les diffuser et les traduire en outils facilement mobilisables par chaque acteur du monde agricole, en favorisant un contexte qui incite à le faire.

Le second enseignement est l’obligation d’adapter le cadre d’analyse pour valoriser le potentiel des légumineuses dans les systèmes agricoles et alimentaires. Il est en effet indispensable d’avoir une pensée systémique. Plus que toute autre spéculation agricole, les légumineuses sont à l’interface de plusieurs systèmes. Il s’agit d’abord du système de production agricole, puisque certains services écosystémiques ne peuvent être exprimés et donc valorisés que dans le temps (légumineuses en rotations avec des cultures annuelles, accumulation d’azote et de carbone dans les prairies, etc.) ou dans les espaces agricoles (préservation de la qualité des milieux et service à la biodiversité). C’est ensuite le système que composent les diverses valorisations en alimentation humaine et animale ou en utilisation non alimentaire, notamment des protéines, une caractéristique essentielle des légumineuses. L’évolution de la population mondiale et des consommations individuelles moyennes en protéines végétales et animales va inévitablement mettre ce système en tension demain, que ce soit pour les échanges commerciaux ou pour les consommateurs. Dernier système enfin, celui de l’azote, élément central dans les acides aminés et les protéines pour les êtres vivants et également dans les équilibres au sein des compartiments de l’environnement. La fourniture d’azote aux cultures est une composante indispensable à la production et à la qualité des produits de récolte. Sa fourniture aux plantes est énergétiquement coûteuse, soit lors de la synthèse chimique, soit lors de la fixation symbiotique. Mais le système protéines-azote est aussi à l’origine de dommages ou de bénéfices environnementaux potentiels, soit par les pertes d’ammoniac, les lixiviations de nitrate ou les émissions de protoxyde d’azote. Il est donc là encore indispensable de penser les légumineuses à une échelle systémique.

Le troisième enseignement est l’obligation de favoriser les approches multicritères pour analyser de façon exhaustive et conjointe les différentes performances des systèmes de production agricole et des systèmes alimentaires. Elles permettent d’explorer des pondérations entre les critères et, donc, entre les différentes composantes de la durabilité pour trouver des compromis. Cependant, elles permettent aussi d’aller au-delà, c’est-à-dire d’approcher des fronts nouveaux et d’imaginer des innovations dès lors qu’on explore les convexités de relations. Si deux performances a et b sont liées négativement, la performance b se dégrade quand la performance a augmente. La convexité de la relation signifie que la performance b se dégrade moins vite dès lors que la performance a augmente. Au-delà du cadre théorique résumé de façon simpliste ici, c’est bien toute notre analyse qui s’en trouve transformée. Cette réflexion sur la prise en compte simultanée de plusieurs critères conduit aussi à réfléchir aux échelles de temps. En effet, les performances selon les différents piliers de la durabilité ne sont pas toutes impactées simultanément. Ceci est particulièrement important sur les légumineuses et leur place dans les systèmes de production agricole, puisque si l’on note des effets positifs sur l’environnement, ces effets sont perçus sur des pas de temps longs, alors qu’une baisse de rendement est perçue instantanément. C’est surtout au moment des transitions que ces décalages dans le temps sont sensibles et seul un accompagnement pertinent basé sur une réflexion stratégique peut permettre de telles transitions.

Ébaucher des recommandations

Au terme de cette compilation de connaissances et d’analyses, nous nous permettons d’émettre un certain nombre de recommandations, que l’on peut regrouper selon deux ensembles de questionnement : comment stimuler l’innovation sur les systèmes agricoles et agro-alimentaires incluant des légumineuses ? Sur quelles thématiques faut-il concentrer l’effort de recherche ?

Le premier ensemble conduit à réfléchir à l’écosystème de l’innovation et à sa déclinaison spécifique sur les légumineuses. L’innovation a été définie par l’OCDE en 2005 comme étant l’adoption d’une nouveauté. Cette nouveauté peut être soit le fruit de travaux de recherche finalisée ou appliquée, soit le fruit de la créativité de praticiens, parfois qualifiée à tort de savoir profane.

Or, pour les légumineuses, et en particulier les légumineuses à graines, des connaissances existent et la question essentielle est donc de savoir pourquoi elles ne sont pas ou peu traduites en innovations, effectivement adoptées par un nombre significatif d’acteurs. L’analyse de l’écosystème de l’innovation permet de nous éclairer, ce qui a été un des objectifs du dernier chapitre de cet ouvrage.

Cet écosystème est constitué par les acteurs de la recherche, du développement, de la formation initiale et continue d’une part et, d’autre part, par les acteurs économiques, qu’ils soient individuels ou collectifs (entreprises et institutions). Pré-formaté par le modèle de société en cours, cet écosystème est bordé par le cadre réglementaire, qui peut favoriser ou ralentir l’adoption d’une nouveauté, et par les politiques incitatives de recherche et développement (et les financements correspondants) qui peuvent plus ou moins favoriser le travail partenarial entre les différents membres de cet écosystème. Dans le cas des légumineuses à graines et des légumineuses fourragères, l’analyse de cet écosystème donne un bilan contrasté. Si l’effort de recherche a été soutenu, en particulier sur les modèles pois et luzerne, l’analyse des autres composantes est différente entre les groupes d’espèces et entre les segments de la chaîne de valeur, et le différentiel par rapport aux céréales et oléagineux est important. Dans le cas de légumineuses fourragères, les acteurs économiques concernés sont les éleveurs et les coopératives de déshydratation d’une part, et les obtenteurs de variétés d’autre part. Le secteur de la déshydratation, comme les acteurs de l’obtention, est largement investi dans des projets partenariaux permettant de renforcer la conception et de favoriser l’adoption. Dans le cas des légumineuses en prairies d’association, les actions du développement ont grandement favorisé l’adoption de ce mode d’utilisation, et il est notable de voir la place que celui-ci occupe dans l’enseignement agricole, notamment au travers du concours Prairies temporaires porté par le GNIS, où la plupart des projets présentés par les étudiants en formation comprennent des prairies d’association ou des légumineuses. La situation est sans doute plus contrastée sur les légumineuses à graines. La recherche partenariale est particulièrement active en amélioration génétique sur le pois, auparavant grâce à plusieurs programmes soutenus par les ministères et la profession en France et par la Commission européenne, et actuellement grâce au programme Investissement d’avenir PeaMUST. Elle se développe également pour la transformation et la valorisation, par exemple au travers de la plateforme Improve. C’est sans doute au niveau de la production que des efforts doivent porter. En effet, une mobilisation des acteurs économiques est indispensable pour relayer les travaux d’amont et de la recherche appliquée dans le développement de nouveaux systèmes de production, en stimulant la production d’outils dédiés au pilotage de ces cultures et ainsi contribuer en priorité à la réduction des aléas interannuels. Le renforcement du rôle de la formation pourrait aussi être envisagé. C’est d’ailleurs pour contribuer à cette dynamique de la formation que le présent ouvrage a été mis à disposition également sous forme d’ouvrage électronique en accès libre pour que chaque apprenant puisse en profiter. Enfin, dans le cas des légumineuses non récoltées, cet écosystème est presque totalement à construire.

Mais, par-dessus tout, l’écosystème des légumineuses est conditionné par le système de production agricole dominant, hérité de l’urgence d’après-guerre à fournir l’approvisionnement alimentaire en quantité et à moindre coût, et dont la cohérence impose le maintien de l’équilibre installé entre les parties de ce système. L’innovation doit aussi s’appliquer au processus de changement de paradigme de cet écosystème agricole si la société décide de mieux prendre en compte les préoccupations environnementales.

Le second ensemble de recommandations porte sur les verrous de connaissances identifiés et sur l’identification des priorités de recherche. Les différents chapitres de cet ouvrage, tout en présentant une grande richesse de résultats et de connaissances, identifient également des verrous de connaissances. Il serait vain de les reprendre tous ici, mais il est préférable d’identifier des points clés, au risque que la hiérarchie ainsi proposée ne soit trop réduite.

La connaissance des génomes, et en particulier le séquençage, a fortement progressé sur quelques espèces, comme le pois, le soja et la luzerne. Il faut poursuivre ce travail afin de proposer les outils issus de ces études pour l’ensemble de la diversité des espèces utilisées en France. Cela donnera des outils pour mieux connaître la diversité génétique mobilisable en amélioration génétique et fournira à court terme les ressources pour mettre en œuvre la sélection génomique.

Ces outils et méthodologies doivent servir à créer du matériel génétique répondant à des objectifs agronomiques. Après avoir favorisé les caractéristiques des types printemps des légumineuses, la sélection au cours des dernières décennies a aussi porté sur des matériels génétiques à cycle long de type hiver selon des démarches originales, comme les types Hr en pois ou les types déterminés en lupin. Toutefois, cela a pour conséquence d’augmenter la période pendant laquelle les cultures sont exposées à des aléas biotiques et abiotiques. Il serait pertinent de tester l’hypothèse inverse, à savoir rechercher les cycles les plus courts possibles, mais en vue d’insérer les légumineuses à graines dans des systèmes de culture profondément modifiés et où, par exemple, on cherche à insérer 3 cultures de production en 2 ans. Ainsi, les schémas de sélection doivent mieux prendre en compte la diversité possible des systèmes de culture et ouvrir à des caractères autres que la productivité des plantes, comme l’autonomie en intrants ou la fourniture de services écosystémiques.

L’analyse des caractéristiques agronomiques a permis de souligner la sensibilité des cultures à une large gamme de bioagresseurs, tant maladies que ravageurs. Ainsi, même si l’intégration de légumineuses dans les successions permet de réduire le recours à des produits phytosanitaires à l’échelle de la culture, la culture légumineuse elle-même reste sensible aux contraintes du milieu et devient parfois difficile par manque de molécules homologuées. Les travaux de recherche sur la résistance aux bioagresseurs doivent donc être poursuivis, mais avec une approche permettant de combiner le progrès conjoint sur plusieurs stress. La voie du contrôle des bioagresseurs grâce aux fonctions régulatrices de l’écosystème cultivé doit être explorée, avec des travaux sur la conception du système de culture et sur l’usage du biocontrôle comme mode de protection des cultures, en identifiant éventuellement des spécificités liées aux légumineuses, comme par exemple à la richesse en protéines des tissus végétaux.

Comme il a été montré au long de ces pages, les cultures en associations et les usages de légumineuses en tant que plantes apportant des services autres que celui de l’approvisionnement ouvrent de nouvelles perspectives pour maximiser la production de légumineuses et de protéines, pour accroître la contribution de la fixation symbiotique aux entrées d’azote dans les systèmes de cultures et plus globalement pour augmenter la fourniture de services écosystémiques par les légumineuses. Or, ces modes de culture sont en émergence. Il est donc nécessaire de poursuivre l’effort de recherche entrepris, pour mieux comprendre les processus biologiques et physiologiques en œuvre dans ces écosystèmes particuliers, éventuellement rechercher les types variétaux les plus adaptés et développer les outils d’aide à la décision pertinents pour mieux valoriser les processus biologiques spécifiques comme la fixation symbiotique. Dans le cas des associations, la maîtrise de l’équilibre entre les partenaires est un enjeu essentiel pour maximiser les bénéfices agronomiques issus de ces couverts.

Les bénéfices environnementaux permis par les légumineuses constituent de toute évidence un atout pour l’agriculture qu’il convient de maximiser tout en minimisant les éventuels dys-services. De nombreux services environnementaux sont en lien avec le cycle de l’azote. Les travaux de recherche doivent être poursuivis dans ce domaine pour mieux en comprendre l’ensemble des déterminants des flux polluants azotés, dans l’air, l’eau ou les sols. De plus, face aux écarts considérables des impacts environnementaux entre situations, il faut comprendre les mécanismes de régulation des écosystèmes cultivés et intégrer ces éléments de connaissance dans l’élaboration de systèmes de culture et d’itinéraires culturaux, et ainsi améliorer le conseil.

L’état des connaissances établies au travers de cet ouvrage montre aussi l’importance de lever des verrous de connaissances sur l’utilisation des produits, notamment pour engendrer de la valeur ajoutée. Si les travaux sur l’utilisation en alimentation animale ont été particulièrement développés par le passé, il reste à les remettre à jour au sein des systèmes de production de demain visant des performances et priorités revisitées. Il reste également quelques incertitudes concernant la valorisation des légumineuses fourragères et notamment leur contribution en tant que sources de fibres digestibles. Mais c’est surtout en alimentation humaine et en technologies agroalimentaires que l’effort doit porter. Il est indispensable de développer une offre permettant une valorisation des légumineuses à graines comme ingrédients dans une large gamme de produits agroalimentaires répondant à plusieurs types de besoins. De la même façon, les travaux entrepris en vue d’une utilisation non alimentaire dans le cadre de la bioraffinerie, ou plus largement de ce que l’on nomme Bio-Based Industries doivent être intensifiés.

Si des premiers travaux montrent des effets bénéfiques sur la santé humaine, il convient de poursuivre ces travaux de recherche pour bien en comprendre les déterminants, les effets propres des légumineuses et les composants, ou combinaisons de composants, qui les expliquent. Les bienfaits sur la santé doivent être étudiés en considérant que les légumineuses en alimentation humaine apparaîtront de plus en plus comme l’ingrédient d’une diète ou de plats, et de moins en moins comme des aliments per se.

Enfin, les travaux en sciences humaines et sociales dédiés aux légumineuses mériteraient une poursuite et une intensification. Dans un premier volet, ils doivent aborder la question de la perception et de l’acceptation de ces espèces et de leurs produits. Comprendre les déterminants de la perception constitue un point essentiel de l’acceptation. C’est le cas pour les producteurs quand il s’agit d’intégrer des légumineuses dans les productions végétales ou dans l’utilisation pour l’alimentation des troupeaux. C’est également le cas des consommateurs dans ce qui va déterminer leurs choix alimentaires et leurs pratiques d’achat. Développer les démarches et outils pertinents pour accompagner les changements doit constituer le deuxième volet de ces travaux.

Inciter aux changements pour des systèmes plus durables incluant des légumineuses

Pour traverser l’étape cruciale de l’adoption des innovations, il s’agit de définir le contexte favorable et les outils adéquats pour changer le paradigme de la production agricole ou du moins moduler la conception des systèmes de production pour les rendre effectivement plus durables. La présence de légumineuses est un levier de la durabilité de l’agriculture trop peu utilisé en Europe et en France, contrairement à tous les autres continents. Il ne sera effectif qu’en repensant l’accompagnement au changement et qu’en conjuguant les leviers économiques et sociologiques au service de la durabilité.

Des leviers indispensables sur légumineuses à graines

Massifier durablement l’offre pour enclencher des rendements croissants d’adoption ; la massification de l’offre peut se faire en visant différents segments de marchés en alimentation humaine et animale, en développant des grilles de qualité à l’échelle nationale pour fédérer la production sur des standards communs.

Renforcer les observatoires des prix d’achat des légumineuses ainsi que l’utilisation d’accords interprofessionels ou d’arrangements privés pour intégrer les bénéfices environnementaux dans la chaîne de valeur.

Soutenir la mise en œuvre de nouvelles filières, particulièrement en alimentation humaine.

Renforcer les recherches en agroécologie, en nutrition humaine et en systèmes de culture innovants.

Renforcer l’accompagnement technique et les outils de pilotage sur les systèmes incluant des légumineuses, ainsi que sur les valorisations des graines issues de cultures associées.

Renforcer la communication auprès du citoyen sur les bénéfices environnementaux et nutritionnels de ces espèces.

Des leviers indispensables sur les légumineuses fourragères

Renforcer les recherches et le conseil sur la conduite des prairies d’association.

Renforcer les recherches sur l’impact de la consommation des légumineuses sur la qualité des produits animaux.

Renforcer les recherches sur le machinisme agricole pour améliorer la récolte des fourrages en accélérant la vitesse de séchage pour réduire les pertes et améliorer la valeur alimentaire.

Renforcer les recherches en agroécologie et en systèmes de culture innovants incluant des prairies temporaires à base de légumineuses.

Des leviers indispensables sur toutes les légumineuses

Renforcer le conseil technique et l’échange d’expériences de terrain sur l’insertion des légumineuses dans les systèmes de production (prairies et cultures annuelles).

Soutenir les démarches contractuelles, particulièrement de type pluriannuel.

Intégrer le secteur agricole dans des marchés carbone et définir des méthodologies de calcul pour les différentes filières de valorisation des légumineuses (tant en alimentation animale qu’humaine).

Renforcer les travaux sur l’utilisation innovante des légumineuses dans les systèmes de culture, notamment via les associations de culture ou les couverts entre ou sous cultures.

Renforcer la communication sur les bénéfices agroenvironnementaux des légumineuses auprès d’institutions publiques affectant les politiques agricoles (par exemple les agences de l’eau).

Un levier économique de premier ordre pour les légumineuses réside dans tout mécanisme qui permettrait de mieux prendre en compte la valeur économique des services écosystémiques rendus par les légumineuses, que ce soit dans l’évaluation économique des systèmes agricoles ou/et in fine dans les prix des produits agricoles dont ils sont issus. Actuellement, la valeur commerciale des légumineuses est restreinte à la production de graines ou de biomasse en tant que cultures de rente. Donner une valeur économique aux services écosystémiques dans leur ensemble peut se faire à plusieurs niveaux :

Par ailleurs, une plus grande « perception de valeur » passe également par des débouchés à plus forte valeur ajoutée, tout particulièrement sur les marchés en développement pour l’alimentation humaine, qu’il s’agisse du marché des graines entières (exportations graines protéagineuses vers pays tiers) ou du marché des ingrédients fonctionnels (farines, isolats, extraits de protéines, d’amidon…). Les marchés des protéines végétales pour l’alimentation humaine connaissent une croissance forte depuis les années 2000 sous l’effet de plusieurs tendances :

Un autre levier économique réside dans la massification de l’offre, via différents segments de marchés (favoriser à la fois les débouchés de masse et les débouchés de niche à haute valeur ajoutée) liés à leur usage direct (valeur marchande) ou à la mise en avant de leur contribution environnementale aux autres cultures (valeur écologique).

Sur le plan socio-économique, le mécanisme d’adoption de nouvelles pratiques (vers des systèmes agricoles avec plus de légumineuses) peut s’enclencher par un processus d’investissements et d’apprentissage cumulatifs, car plus le nombre d’adoptants augmente, plus les connaissances se diffusent et consolideront les performances de ces espèces (rendements croissants d’adoption). Pour accompagner ce processus d’adoption, il s’agit aussi de mobiliser la formation primaire et secondaire sur les compétences nécessaires à ces productions végétales, ainsi que les réseaux techniques et agricoles sur les supports et techniques relatifs à ces cultures, à l’image de ce qui a pu se produire pour l’utilisation de légumineuses fourragères en association dans les prairies temporaires. En effet, l’état de connaissances conditionne les actions, il est donc nécessaire de faire évoluer le paradigme dominant aujourd’hui et fondé principalement sur l’agrochimie pour aller vers une meilleure prise en compte des régulations écologiques.

Il s’agit d’accompagner l’émergence de nouvelles technologies adaptées aux légumineuses en assurant leur mise en cohérence technico-organisationnelle avec les standards technologiques du conseil agricole dominant structuré principalement autour des solutions à court terme.

Encourager une meilleure coordination des acteurs, coordination horizontale mais aussi verticale, des filières jusqu’au consommateur, est une condition essentielle à la production et à une utilisation de légumineuses à une plus large échelle. Cela relève à la fois d’outils de régulation des marchés (mesures et incitations éco-environnementales), des débouchés (nouvelles valeurs commerciales), et de nouveaux standards (accords privés et institutionnels avec cahiers des charges ou contractualisation, affichage environnemental, affichage nutritionnel, économie carbone, etc.).

Une grande partie du chemin reste à venir, mais citons, en le traduisant, Lawrence Busch (2011), chercheur américain travaillant sur les standards alimentaires : « ce processus sera sans aucun doute long et lourd de conflits, car il implique des changements considérables pour de nombreux acteurs de la chaîne de valeur. Plus tôt cela commencera, plus grandes seront les chances de succès »[111].

Pour conclure, la conjugaison de plusieurs approches semble nécessaire pour actionner le levier des légumineuses au service de la durabilité. Les systèmes de production à bas intrants ou avec un objectif de durabilité ont montré l’atout des légumineuses. À l’avenir, l’extension de l’utilisation de ces cultures sur notre territoire français sera permise si l’on conjugue la prise de conscience citoyenne, l’intérêt de chaque acteur agricole et l’intérêt général français. Amener le changement de paradigme qui place la durabilité comme priorité est le fondement d’une évolution des systèmes, même si cela demande du temps. Renforcer la diffusion large des connaissances sur les légumineuses et poursuivre la compréhension des mécanismes qui leur sont spécifiques sont des préalables indispensables. Attribuer une valeur ajoutée aux services écosystémiques des systèmes de production qui soit reconnue sur les échanges économiques peut permettre une appropriation à plus court terme des pratiques plus durables dont l’inclusion de légumineuses dans les systèmes agricoles et alimentaires français.

111Texte original : « this process will doubtless be long and fraught with conflict as it will involve considerable dislocations for many supply chain actors. The sooner it begins, the more likely it will be successful ».