Annexe 7. Renforcement de la biodiversité sur luzerne — Mesure d’une gestion différenciée des récoltes
Thierry Maleplate

Coop de France Déshydratation a initié en 2009 un programme de gestion différenciée des parcelles de luzerne, en expérimentant la non-récolte, lors de chacune des 4 à 5 coupes annuelles, d’une bande d’environ 7 m de large, correspondante à la largeur de la barre de coupe des faucheuses utilisées pour la récolte. L’objectif de cette mesure est de permettre à la luzerne d’accomplir son cycle jusqu’à la pleine floraison dans ces bandes, et ainsi de favoriser la biodiversité.

Cette démarche a fait l’objet d’un suivi scientifique (avec le Muséum national histoire naturelle) portant sur plusieurs indicateurs de la biodiversité ordinaire présente dans les milieux de grande culture : oiseaux, papillons de jour, abeilles domestiques, chiroptères et orthoptères. Le suivi a eu lieu sur environ une quinzaine de sites en 2009 et 2010, en région Champagne-Ardenne (et Haute-Normandie en 2010). Le principe de cette évaluation de l’impact de ce mode de récolte différencié des luzernes consistait à suivre ces différents indicateurs dans des parcelles de luzerne recevant cette gestion différenciée, dans des parcelles de luzernes témoins gérées classiquement, et dans des parcelles de blé d’hiver elles aussi gérées conformément aux itinéraires techniques locaux habituels pour cette culture. Les résultats des deux ans de suivi sont résumés ci-après.

Les oiseaux

La figure A7.1 résume les résultats collectés sur la richesse spécifique (A) et l’abondance (B) des populations d’oiseaux. Les tendances positives observées ne peuvent cependant pas être rattachées uniquement à la seule présence de la bande non fauchée du fait d’un effet site apparent et de plusieurs biais expérimentaux (observateurs, plus grande facilité d’observation dans les parcelles fauchées). Il est toutefois à noter que plusieurs observations qualitatives ont mis en évidence que les bandes de luzerne non fauchées permettaient à des nichées d’être sauvées de la destruction mécanique liée au passage de la faucheuse, et que cet habitat fleuri constituait une source alimentaire en insectes pour les oiseaux.

Figure A7.1. Évolution de la richesse spécifique (A) et l’abondance (B) des passereaux contactés sur les bordures de parcelles. Source : J. Chagué.

Les papillons

Un effet très positif de la bande non fauchée, à la fois pour la richesse spécifique et l’abondance des populations de papillons, a été relevé (figure A7.2). Ces bandes constituent une ressource alimentaire en nectar très fortement exploitée par les papillons adultes tout au long de la saison, et plus particulièrement en fin de saison quand les autres ressources nectarifères viennent à se raréfier dans le paysage. En aidant les papillons à trouver plus facilement des quantités importantes de nectar, ces bandes contribuent à une meilleure santé, et donc indirectement à une meilleure reproduction de nombreuses espèces. Cet effet sur la reproduction est même direct pour les espèces dont la chenille peut se nourrir de luzerne.

Figure A7.2. Évolution de la richesse spécifique (A) et l’abondance (B) des populations de papillons observés sur les bordures de parcelles. Source : J. Chagué.

L’abeille domestique

Les bandes de luzerne non fauchées ont également constitué une source privilégiée de nectar, permettant aux colonies d’abeilles domestiques de réaliser des réserves plus importantes que dans un paysage dépourvu de ces bandes fleuries. Le fort intérêt mellifère de la luzerne, qui se traduit directement pour l’apiculteur par des récoltes de miel plus importantes, a clairement été retrouvé en Haute-Normandie en 2010 : les ruchers avec bande non fauchée ont produit 12,2 kg de miel contre 3,7 kg pour les ruchers témoins.

Autres insectes

Les chiroptères et les orthoptères n’ont apparemment pas été favorisés par la présence des bandes de luzerne en fleurs. Seule la pipistrelle commune, espèce de chauve-souris la plus courante, semble avoir davantage fréquenté cet habitat que les luzernes témoins ou les céréales. Mais les multiples réserves à apporter à ce résultat (effet du paysage notamment) ne permettent pas de valider cette conclusion.

Conclusion

Il ressort que cette pratique présente des intérêts marqués pour la biodiversité, particulièrement pour les espèces situées au début de la chaîne trophique, et il est probable, que si un suivi avait été planifié sur le moyen à long terme, les effets auraient également été plus perceptibles pour les espèces situées plus haut dans la chaîne alimentaire.

On a observé un fort développement du nombre de parcelles concernées entre 2009 et 2010 grâce à ces résultats positifs et à la forte implication des acteurs de la filière, ce qui est positif pour pérenniser voire développer cette pratique.

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