Annexe 3. Évaluation multicritère de systèmes céréaliers et polyculture-éleveurs du Grand Ouest tendant vers des « Systèmes de culture économes en intrants »
Alexis de Marguerye

Les mesures agroenvironnementales (MAE) sont des outils de la politique agricole commune européenne. En contractualisant une MAE, un agriculteur volontaire s’engage à changer ou à maintenir ses pratiques agricoles vers un meilleur respect de l’environnement pour une durée de cinq ans. En contrepartie, il reçoit une compensation financière.

L’expérience des systèmes fourragers économes en intrants

Certaines de ces MAE dites « systèmes » engagent l’intégralité de la surface agricole utile, combinent plusieurs engagements dans une approche globale et permettent de garantir des résultats sur différents enjeux environnementaux à la fois. C’est le cas de la MAE Système fourrager économe en intrants (SFEI) qui a traversé les différentes programmations PAC depuis 1995. Basée sur le pâturage de prairies d’associations graminées — légumineuses, l’autonomie alimentaire et la réduction des intrants, elle est née en Bretagne d’un schéma bottom up (Schaller et al., 2012) et, par essence, dédiée aux éleveurs de ruminants.

La place des légumineuses est essentielle dans ces systèmes. Elles sont donc principalement présentes sous la forme de prairies d’associations mais on trouve également des cultures protéagineuses annuelles (féveroles) et des mélanges céréales — protéagineux. Elles contribuent largement à l’augmentation des performances permettant :

Notons que le résultat courant dans ces systèmes est comparable (+ 2 %) à la référence Rica.

Vers une MAE systèmes de cultures économes en intrants

Pour proposer à l’administration une autre MAE de ce type, 56 polyculteurs – éleveurs (monogastriques principalement) et céréaliers du Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Centre, Poitou-Charentes) ont conçu puis testé un prototype de cahier des charges « systèmes de culture économes en intrants » sur leurs exploitations avec l'aide de partenaires scientifiques (Inra, ESA d'Angers, université de Poitiers) entre 2008 et 2012. Pendant cette période, les agriculteurs ont été accompagnés par une équipe de cinq animateurs qui ont proposé des formations, des animations ainsi qu’un suivi technique collectif (De Marguerye et al., 2013). In fine, les systèmes de cultures développés dans les fermes sont évalués à travers une grille d’indicateurs qui fait écho aux engagements pris par l’État vis-à-vis de la Commission européenne ou de la société civile (directives européennes, cadre sur l’eau, directive 3 × 20, objectif Ecophyto…) : IFT < 50 % de la référence régionale ; concentration de nitrates dans l’eau ≤ 50 mg NO3/l ; pertes d’N par lessivage < 40 kg N/ha ; consommation énergétique ≤ 327 EQF/ha (moyenne Planète – 20 %) ; dégagements de gaz à effet de serre ≤ 1,76 t éq. CO2/ha (moyenne Planète – 20 %) ; note de biodiversité Cobio moyenne à élevée ; pertes de phosphore ≤ 30 kg P2O5/ha.

Dix systèmes (25 %) ont des résultats qui se révèlent satisfaisants pour l’ensemble des indicateurs. Les 4 régions sont concernées, et nous retrouvons une présence minoritaire de céréaliers (trois systèmes) et une présence majoritaire de polyculteurs-éleveurs (7 systèmes). L’analyse de leur fonctionnement permet de mettre en lumière des composantes favorables à l’atteinte des résultats : diversification des cultures ; introduction de légumineuses ; réduction d’intrants (produits phytosanitaires ; fertilisation) ; optimisation du rôle fonctionnel des infrastructures agroécologiques ; implantation de couverts : etc.

Les dix systèmes satisfaisants pour l’ensemble des indicateurs ont une fertilisation azotée inférieure à 145 kg N/ha (80 unités en moyenne) et tous comprennent des légumineuses. La mobilisation de ces dernières dans les systèmes permet de capter l’azote atmosphérique et génère de nombreux bénéfices attendus par la réduction de la fertilisation, à savoir une réduction des émissions de N2O et des consommations énergétiques, ainsi qu’une réduction des risques de sur-fertilisation mais aussi, de l’usage de produits phytosanitaires. Effectivement, ceux qui consomment beaucoup d’engrais sont aussi ceux qui consomment beaucoup de pesticides. On constate une bonne corrélation d’une part entre fertilisation azotée et dégagements de protoxyde d’azote (N2O) (figure A3.1), et d’autre part entre le taux de légumineuses et la fertilisation azotée (figure A3.2).

Figure A3.1. Fertilisation azotée et N2O.

Les points verts sont les 10 systèmes ayant des résultats satisfaisants pour l’ensemble des indicateurs.

Figure A3.2. Légumineuses et fertilisation azotée.

Les points verts sont les 10 systèmes ayant des résultats satisfaisants pour l’ensemble des indicateurs.

Exemple en zone céréalière

Un parmi les 10 systèmes satisfaisants sur tous les indicateurs est situé dans le département très céréalier de l’Eure-et-Loir. Au début du projet, le système de culture intensif « colza – blé – blé – orge » était dans une impasse technique, due au fait de la répétition des blés. In fine, la rotation (colza/blé/orge (hiver ou printemps) / tournesol/blé/pois de printemps) est longue, elle alterne entre cultures d’hiver et de printemps et intègre des légumineuses.

Le système optimise très bien l’azote avec un niveau de pertes très faible (< 10 kg N/ha). La fertilisation économe (103 kg N/ha) évite les risques de sur-fertilisation. Le pois est placé devant le colza (dont la date de semis a été avancée) afin que ce dernier valorise au mieux son arrière-effet. Des couverts (moutarde/avoine rude) placés suffisamment tôt (fin août) derrière les céréales précédant les cultures de printemps sont particulièrement efficaces (pertes de 3 à 4 kg N/ha). Les pertes les plus importantes se situent entre les deux céréales (22 kg N/ha). Notons que la transition est remarquable puisqu’en deux années seulement, l’agriculteur a réduit de 58 % sa consommation de pesticides, de 42 % sa consommation d’engrais azotés, et de 26 % ses dégagements de gaz à effet de serre sans affecter sa rentabilité économique, grâce notamment à l’introduction de légumineuses (tableau A3.1).

Tableau A3.1. Performances environnementales d’un système de culture céréalier (et du système de référence) en Eure-et-Loir suite à son évolution entre 2008 et 2010.

RéférenceSC 2008 (sans légumineuses)SC 2010 (avec légumineuses)Différence
Pesticides (IFT en % IFT référence)50 % (2,42)115 % (5,58)47 % (2,28)- 58 %
Fertilisation azotée (UN/ha)NR178103- 2 %
Risque de concentration des nitrates dans l’eau (mgNO3/l) (méthode Indigo)506742- 37 %
Consommation énergétique (EQF/ha)327422305- 28 %
Émission de GES (t éq. CO2/ha) (diagnostic Planète)1,762,261,67- 26 %
Charges en intrants (€/ha)NR393226- 42 %
Marge brutea (€/ha)NR774829+ 7 %

a Prix utilisés : colza 360 €/t ; blé 140 €/t ; orge 110 €/t ; tournesol 390 €/t ; pois de printemps 170 €/t.

Un potentiel de diffusion satisfaisant et une appropriation par les pouvoirs publics

Après vérification de sa capacité à répondre à des exigences de contractualisation potentielle sur les quatre régions, un cahier des charges MAE système est donc proposé avec notamment, l’obligation de cultiver 10 % de la SAU en légumineuses. On observe que le nombre d’agriculteurs du projet respectant le cahier des charges a presque triplé (de 8 à 23 %) en seulement deux années. Sur cette période, les agriculteurs du réseau des Civam ont presque triplé leurs surfaces en cultures protéagineuses annuelles (+ 187 %), plus que doublé leurs surfaces en mélanges céréales-protéagineux (+ 131 %) alors que les surfaces en céréales étaient réduites de 5 %. Pour valoriser ces surfaces en légumineuses, les agriculteurs ont diversifié leurs débouchés : autoconsommation, vente à des éleveurs en région mixte, coopérative, usine d’alimentation animale, négoce, alimentation humaine… Leur déploiement à plus grande échelle pourrait ainsi être facilité par une valorisation plus répandue des cultures de diversification chez les opérateurs des filières et leur volonté d’accompagner le développement des protéagineux. À son niveau, le ministère en charge de l’Agriculture a intégré cette proposition dans la concertation des OPA pour sa mise en œuvre de la PAC post 2013. La réaction des OPA est mitigée, jugeant la MAE trop exigeante pour certaines d’entre elles, parfois pas assez pour d’autres. Notons également que le projet Grandes cultures économes qui a constitué la phase test de ce cahier des charges est lauréat aux trophées de l’agriculture durable 2013 et aux trophées de l’eau Loire-Bretagne dans la catégorie « protection des ressources et réduction des pollutions ».

Références

De Marguerye A., Denis E., Mialon A., Deschamps D., 2013. Vers une MAE « Systèmes de culture économes en intrants ». Innovations Agronomiques, 30, 219-235.

Schaller N., 2012. Vers une mesure agro-environnementale « systèmes de culture économes en intrants » ? Les publications du service de la statistique et de la prospective — Centre d’études et de prospective, analyse, 53, décembre 2012, 1-7.

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