Annexe 2. Systèmes de production avec légumineuses : des atouts observés en exploitations agricoles
Mickaël Pourcelot, Guillaume Py, Meryll Pasquet et Anne Schneider

Comment se comportent les systèmes de culture actuels avec légumineuses ? Une analyse des performances des systèmes de culture actuels avec légumineuses, à graines ou fourragères, dans les exploitations de grandes cultures, a été réalisée par l’UNIP et InVivo AgroSolutions, en comparaison avec des systèmes sans légumineuses au sein de 13 régions (voir note du tableau A2.1). Cette étude s’est appuyée sur les résultats de trois campagnes d’un échantillon d’exploitations agricoles suivies par les coopératives engagées depuis 2010 dans le réseau DEPHY du plan Ecophyto[114]. La forte hétérogénéité de pratiques culturales de ce réseau permet d’envisager différentes pistes de progrès en vue de réduire les impacts environnementaux.

De cette étude, il ressort que les exploitations avec légumineuses ont non seulement des atouts environnementaux mais aussi des performances agronomiques et économiques, par rapport aux références régionales, qui peuvent être comparables, voire supérieures, à celles des exploitations sans légumineuses.

Une étude reposant sur l’analyse des données de fermes actuelles

Les systèmes avec ou sans légumineuses ont été comparés à partir des données d’assolements issues des pratiques culturales 2010/2011, 2011/2012 et 2012/2013. Les exploitations suivies font partie d’un réseau animé, à l’échelle nationale, par InVivo AgroSolutions : 155 exploitations étaient suivies par 21 coopératives en 2011, 317 exploitations par 34 coopératives en 2012 et 288 exploitations par 34 coopératives en 2013. Ces agriculteurs, engagés dans la démarche Ecophyto sur la base du volontariat, expérimentent de nouvelles techniques en vue, à la fois, de réduire et d’améliorer l’utilisation des produits phytosanitaires, d’améliorer leurs performances environnementales et de maintenir une production rentable de qualité. Seules ont été retenues dans l’étude les exploitations de grandes cultures et de polyculture-élevage (hors agriculture biologique pour des questions de représentativité) situées dans des régions possédant à la fois des parcelles avec et sans légumineuses comme culture de rente (hors prairies). Les surfaces cultivées en légumineuses représentent 433 ha, 569 ha et 350 ha pour chacune de ces trois campagnes suivies (tableau A2.1).

Tableau A2.1. Caractéristiques de l’échantillon des exploitations et légumineuses considérées. Luzerne et pois sont les légumineuses les plus représentées.

Campagne 2010/2011
18 coop., 10 régionsa
Campagne 2011/2012
24 coop., 12 régionsb
Campagne 2012/2013
13 coop., 8 régionsc
Nombre d’exploitationsSurface cultivée (ha)Nombre d’exploitationsSurface cultivée (ha)Nombre d’exploitationsSurface cultivée (ha)
Exploitations sans légumineuses77680912613069646873
Exploitations avec légumineuses414094606684423883
Féverole11111,78102,4534,1
Luzerne15112,528210,837129,1
Mélange graminées légumineuses 111,900,000,0
Pois d’hiver 214,6211,500,0
Pois de printemps17131,918141,023154,2
Soja546,91199,7419,7
Trèfle23,723,2213,4

a Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Île-de-France, Lorraine, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes.
b En plus des régions étudiées en 2011, on retrouve également le Limousin et les Pays de la Loire.
c Bretagne, Centre, Champagne-Ardenne, Lorraine, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes.

100 à 200 cas analysés par an de 2011 à 2013

Les performances des exploitations avec et sans légumineuses sont évaluées chaque année à l’aide d’une série d’indicateurs. Les résultats agronomiques sont représentés par la productivité (rendement) et les résultats économiques par la rentabilité (marge brute standardisée). Les performances environnementales sont caractérisées par la consommation énergétique, les émissions de GES, le reliquat entrée draînage (RED[115]), la quantité d’azote lessivé et les concentrations sous-racinaires en substance active dans les eaux d’infiltration[116]. Des indicateurs liés aux pratiques sont également évalués : la quantité azotée totale efficace et l’Indice de fréquence de traitement (IFT) incluant l’IFT total, l’IFT herbicides et l’IFT hors herbicides.

Une partie de ces indicateurs est exprimée, en pourcentage, par comparaison avec la valeur de référence moyenne de la région considérée (tableau 2). Les données concernant la quantité d’azote lessivé, le RED et la quantité azotée totale efficace sont exprimées en valeur absolue (kg N/ha). Les données sont soumises à une analyse de variance[117].

Tableau A2.2. Définition des indicateurs de l’étude, exprimés et comparés en pourcentage de référence par culture.

IndicateurUnitéMéthode de calculÉchelle de la référenceValidité de la référenceSource de la référence
Rendementaq/haRendement réel enregistréPetite région agricoleValeur annuelleCoopératives (base de données, OADb, données CER)
Marge brutec standardisée€/haRendement ×prix du quintal  –Consommations intermédiairesPetite région agricoleValeur annuelleCoopératives (base de données, OAD, données CER)
Consommation énergétiqueMJ/qMéthode GES’TIMdNationaleValeur fixeGES’TIM
Émission de gaz à effet de serrekg équivalent CO2/qMéthode GES’TIMNationaleValeur fixeGES’TIM
IFTeSans unitéministère de l’AgricultureRégionalefValeur fixe (2006)Enquêtes culturales du SCEESg

a L’écart de ce rendement à la référence de la culture dans la PRA est ensuite moyenné à l’assolement.
b Outils d’aide à la décision.
c L’écart de cette marge à la référence de la culture dans la PRA est ensuite moyenné à l’assolement.
d Guide méthodologique pour l'estimation des impacts des activités agricoles sur l'effet de serre.
e Indice de fréquence de traitement incluant l’IFT total, l’IFT herbicides et l’IFT hors herbicides.
f L’IFT de référence régional correspond à la valeur en dessous de laquelle se situent 70 % des cas de la région.
g Service central des enquêtes et études statistiques (ministère de l'Agriculture).

Productivité : peu de différences

Entre les exploitations avec et sans légumineuses, aucune différence significative de productivité et de rentabilité n’a pu être mise en évidence dans l’étude en comparant aux références régionales. Pour les trois campagnes, la productivité des exploitations intégrant des légumineuses est légèrement supérieure à celle des exploitations sans légumineuses (+ 3 % en 2011, + 1 % en 2012 et 7 % en 2013). Pour les deux premières campagnes, en présence de légumineuses, la proportion des exploitations est plus grande dans les tranches de rendement les plus élevées (figure A2.1). Les exploitations avec légumineuses sont légèrement plus rentables pour les campagnes 2010/2011 (+ 6 %) et 2011/2012 (+ 2 %) mais pas pour la campagne 2012/2013 (- 2 %).

Figure A2.1. Répartition des exploitations agricoles avec et sans légumineuses selon leur productivité par rapport à la référence pour les trois campagnes. En abscisse : moyenne des écarts de rendement des cultures par rapport au rendement de référence de la culture dans la petite région agricole.

Réduction de la consommation d’énergie et de GES

Par rapport aux exploitations sans légumineuses, la consommation énergétique des exploitations avec légumineuses est plus faible de 15 % en moyenne pour la récolte 2011, 10 % en 2012 et 13 % en 2013. Cette différence n’est toutefois pas significative. Les exploitations intégrant des légumineuses émettent également en moyenne moins de GES, de manière significative, pour les campagnes 2010/2011 (- 18 %), 2011/2012 (- 15 %) et 2012/2013 (- 17 %). L’introduction de légumineuses, capables d’utiliser directement l’azote présent dans l’air grâce à la fixation symbiotique, réduit les apports d’azote de la succession culturale et les émissions au champ (Jeuffroy et al., 2013), induisant ainsi une réduction de la consommation énergétique et des émissions de GES. Dans l’étude, la quantité azotée totale efficace épandue dans les exploitations avec légumineuses, comparativement aux exploitations sans légumineuses, est significativement plus faible de 17 %, 15 % et 19 % pour chacune des campagnes successives étudiées.

Qualité de l’eau : pas de différence significative

Le RED des exploitations avec légumineuses est soit légèrement inférieur (- 6 % pour la récolte 2011), soit supérieur (+ 4 % et + 13 % en 2012 et 2013) à celui des exploitations n’intégrant pas de légumineuses. Des résultats similaires sont observés pour la quantité d’azote lessivée estimée (- 21 % pour la récolte 2011, + 11 % pour 2012 et - 4 % pour 2013). Cependant, pour les trois campagnes, ces différences de RED et de quantités d’azote lessivé ne sont pas significatives.

Dans le cas des exploitations avec légumineuses, 16 % des applications de substances actives présentent une concentration sous-racinaire nulle à faible[118] dans les eaux d’infiltration pour la récolte 2011, contre 14 % pour les exploitations sans légumineuses, d’après les résultats de modélisation3. Une tendance inverse est observée pour la récolte 2012 (13 % pour les exploitations intégrant des légumineuses contre 17 % pour les exploitations sans légumineuses).

Une utilisation réduite d’intrants

Or, les exploitations cultivant des légumineuses présentent, en moyenne, des IFT plus faibles que les exploitations sans légumineuses : IFT total réduit de 13 %, 11 % et 7 % respectivement pour les récoltes 2011, 2012 et 2013, IFT herbicides réduit de 5 %, 13 % et 7 % pour les récoltes 2011, 2012 et 2013 et IFT hors herbicides réduit de 19 % pour 2011 et 2013 (13 % en 2012). Les différences observées entre les deux types d’exploitations ne sont toutefois significatives que pour l’IFT total et l’IFT herbicides, pour la campagne 2011/2012. Cependant, pour les trois campagnes, un plus grand nombre de résultats se situent dans les tranches de réduction d’IFT hors herbicides les plus élevées dans les assolements avec protéagineux ou luzerne (figure 3.17). Ainsi, chaque année, au moins les 2/3, voire les ¾, des exploitations avec légumineuses ont un IFT hors herbicides réduit d’au moins 30 % par rapport à la référence, contre seulement 40 à 56 % pour les « sans », et moins de 15 % en ont un supérieur, contre au moins 25 % pour les « sans ».

Conclusion

Dans des exploitations agricoles d’une même région géographique, on constate une hétérogénéité dans les performances. L’étude montre que, au sein de cette hétérogénéité, il est possible de gérer des assolements avec légumineuses récoltées pour combiner intérêt économique et bénéfices environnementaux.

Références

Jeuffroy M.H., Baranger E., Carrouée B., de Chezelles E., Gosme M., Hénault C., Schneider A., Cellier P., 2013. Nitrous oxide emissions from crop rotations including wheat, oilseed rape and dry peas. Biogeosciences, 10 (3), 1787-1797.

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114Les agriculteurs, engagés dans cette démarche sur la base du volontariat, expérimentent de nouvelles techniques en vue, à la fois, de réduire et d’améliorer l’utilisation des produits phytosanitaires, et de maintenir une production rentable de qualité.
115Le reliquat entrée drainage (RED) correspond à la quantité d’azote minéral présente dans le sol au début de la période de drainage. Il s’agit d’un indicateur pertinent pour piloter la fertilisation et estimer le risque de perte de nitrates dans les eaux d’infiltration.
116Concentrations sous-racinaires en substance active obtenues par modélisation avec les outils Epiclès et MACRO, dans les conditions d’utilisation des agriculteurs (campagnes 2010/2011 et 2011/2012 seulement).
117Auparavant, les hypothèses nécessaires à la réalisation d’une ANOVA sont vérifiées pour chaque indicateur, à l’aide des tests de Shapiro-Wilk (normalité des résidus) et de Bartlett (homogénéité de la variance résiduelle). Si ces conditions ne sont pas respectées, une transformation logarithmique ou racine carrée des données est effectuée. Si cela ne suffit pas, les données sont analysées à l’aide du test non-paramétrique de Kruskal-Wallis.
118Seuil de potabilité de l’eau, au niveau des captages en eau potable, après dilution par l’ensemble d’un territoire. En se référant à ce seuil règlementaire, le risque de pertes de substances actives vers les eaux d’infiltration est surestimé.