Chapitre 1

Rôle des légumineuses dans l’agriculture française

Anne Schneider, Christian Huyghe, Thierry Maleplate, Françoise Labalette, Corinne Peyronnet, Benoît Carrouée

Les légumineuses sont des plantes dicotylédones appartenant à la famille botanique des Fabacées[5], qui représente la troisième famille de plante par le nombre d’espèces (à savoir 18 000 référencées), après les composées (Astéracées) et les orchidées. La plupart des légumineuses cultivées appartiennent à une des sous-familles (les Faboideae ou Papilionoideae) et plus précisément, aux tribus des Fabeae, des Phaseoleae et des Trifolieae. On connaît environ 376 espèces de légumineuses naturelles ou sub-spontanées en France (y compris les légumineuses cultivées en grandes parcelles) soit seulement 2 % de la flore mondiale de légumineuses.

Les légumineuses sont caractérisées par :

Par cette troisième caractéristique, et contrairement aux autres espèces cultivées, la culture de légumineuses n’a en général pas besoin d’apport de fertilisants azotés pour exprimer une croissance optimale, et elle représente une porte d’entrée d’azote symbiotique (c’est-à-dire azote issu de la fixation symbiotique) dans les systèmes de production agricole (encadré 1.1).

Encadré 1.1. L’azote symbiotique des systèmes agricoles s’élève à 50 millions de tonnes (Mt) dans le monde, 1 Mt dans l’EU-27 et 0,5 Mt en France.

La fixation symbiotique azotée mondiale représente entre 100 et 290 millions de tonnes (Mt) d’azote par an (Cleveland et al., 1999) dont 40-48 Mt d’azote par an fixés par les cultures agricoles (Jenkinson, 2001 ; Peoples et al., 2009), et 50-70 Mt si on inclut les savanes extensives (14 Mt) (Herridge et al., 2008). À titre de comparaison, la production azotée industrielle réalisée lors de la fabrication d’engrais azotés (par le procédé Haber-Bosch) produit environ 87 Mt d’ammoniac par an (Peoples et al., 2009) soit plus de 105 Mt d’azote par an dans le monde.

Au sein de l’ensemble de l’azote fixé par les cultures agricoles dans le monde, la fixation de N2 par les légumineuses à graines est estimée à 21 Mt dont 3 Mt de N2 fixés par les légumineuses riches en protéines (avec par ordre de contribution : pois chiche, haricot, pois, féverole, cornille, lentille pour les principales) et 18 Mt d’azote fixé par les légumineuses riches en huile (dont 16 par le soja et 2 par l’arachide) (Herridge et al., 2008). Le soja représente ainsi les 2/3 de la quantité de N2 fixée par les légumineuses à graines dans le monde. La quantité fixée par les légumineuses fourragères serait dans la fourchette de 12 à 25 Mt (Herridge et al., 2008).

Pour l’EU-27, en 2000, la fixation symbiotique des cultures agricoles fait entrer 1 Mt d’azote par an dans le cycle de l’azote réactif , en plus des 0,3 Mt dus à la fixation symbiotique des milieux naturels (via les légumineuses sauvages, les bactéries libres des sols ou les cyanobactéries dans les océans), et à côté des 11 Mt d’azote apportés par les engrais industriels azotés (Nitrogen European Assessment, 2011) (figure 1.1).

Figure 1.1. Estimation de l’azote réactif (en Mt N/ha) créé en Europe en 2000, d’après les experts du « Nitrogen European Assessment ». D’après les données de Sutton et al., 2011.

En France, on peut estimer à 0,52 Mt l’apport d’azote par la fixation symbiotique des légumineuses dans les cultures agricoles (prairies, fourrages et protéagineux) en 2010, quantité à laquelle il convient d’ajouter 260 000 t en provenance du soja importé, le tout à comparer aux 2,1 Mt d’engrais chimiques azotés utilisés en France en 2009 (Duc et al., 2010) comme résumé dans le tableau 1.1.

Tableau 1.1. Estimations de l’azote fixé entrant dans l’agriculture française via la symbiose en 2010.

Azote fixé (Mt)
Prairies artificielles (espèce dominante : luzerne)0,08
Prairies temporaires en association0,07
Prairies permanentes (dont 0,135 Mt N fixé par les prairies permanentes)0,32
Sous-total 1 : Fourrages produits en Franceenviron 0,5
Soja produit en France (données 2009)0,003
Protéagineux produits en France (pois, féverole, lupins) :0,05
Sous-total 2 : Légumineuses à graines produites en France0,053
Total de l’azote fixé par l’agriculture en France via la symbiose0,52
Protéines de soja entrant dans l’alimentation animale française (importées)0,26

Ces quantités d’azote fixé sont à mettre en perspective avec d’une part, des quantités d’azote et de protéines produites et consommées en France et, d’autre part, des enjeux environnementaux pour lesquels l’azote symbiotique peut être un levier :

Dès les premiers temps de l’agriculture, les agriculteurs ont sélectionné des légumineuses, d’abord pour se nourrir (lentille, pois sec, fève et pois chiche puis soja, haricot, lupin, arachide, etc.), puis pour nourrir leur bétail avec des espèces fourragères (luzerne, trèfles, sainfoin, vesce, etc.). Plus récemment, les agriculteurs et les industries de l’approvisionnement ont adapté et transformé industriellement certaines espèces pour intensifier la production du cheptel (tourteau de soja, graines de protéagineux, etc.).

Au niveau mondial, le soja est largement prépondérant au sein des légumineuses à graines, la luzerne est la principale espèce de légumineuses fourragères cultivées en culture monospécifique, et le trèfle blanc occupe les surfaces les plus importantes au sein des prairies multi-spécifiques.

Aujourd’hui, même si les réglementations européennes distinguent cinq types de légumineuses (encadrés 1.3), deux grandes catégories sont couramment utilisées : les légumineuses fourragères et les légumineuses à graines.

Encadré 1.2. À propos de la nomenclature des légumineuses cultivées.

La délimitation botanique des espèces de légumineuses est relativement claire et consensuelle (hormis parfois de la synonymie de noms latins pour certaines espèces comme Vigna unguiculata), avec peu d’hybrides interspécifiques et les caractères morphologiques visuels bien distinctifs. Cependant, la nomenclature des légumineuses cultivées apparaît foisonnante, si ce n’est confuse, notamment dans le cas des légumineuses à graines. Le nombre d’espèces cultivées est pourtant du même ordre que celui de la famille des graminées par exemple, qui ont aussi des usages variés (graines et fourrage, alimentation humaine et animale). Mais la complexité des termes vernaculaires des légumineuses à graines cultivées trouve son origine dans quelques particularités :

Enfin, les réglementations française et européenne viennent ajouter une couche de complexité, en créant des groupes de légumineuses qui n’ont pas le même sens suivant les contextes. Par exemple, le terme « protéagineux » désigne un groupe de 5 espèces (pois, féverole, et 3 espèces de lupin) dans la réglementation européenne. Mais il désigne parfois l’ensemble des légumineuses à graines hors soja (il est alors synonyme de « légumes secs » ou de pulses en anglais) ou toutes les légumineuses à graines y compris le soja.

Cette complexité pose parfois problème dans les publications techniques et scientifiques (ambiguïté sur les espèces couvertes par une appellation) et également dans les statistiques internationales avec des regroupements à géométrie variable de plusieurs espèces (pour la FAO et les codes de nomenclatures douanières français, le terme haricot regroupe les Phaseolus et la plupart des Vigna sauf la cornille et voandzou).

Il est donc recommandé d’utiliser les termes vernaculaires indiqués dans les tableaux 1.3 et 1.4 et de bien préciser les espèces concernées pour éviter les ambiguïtés lorsqu’un terme générique est utilisé.

Les légumineuses fourragères sont cultivées pour utiliser l’ensemble de la partie aérienne de la plante (avec en particulier des feuilles riches en protéines) afin de nourrir les animaux — principalement des ruminants — soit par pâturage, soit après conservation du fourrage (foin, ensilage, déshydratation), ou parfois pour des utilisations industrielles (biomasse pour la production d’énergie ou de biomatériaux, plus rarement pour des ingrédients en agroalimentaire). À l’échelle mondiale, de nombreuses autres espèces de légumineuses fourragères, annuelles ou pérennes sont cultivées, car adaptées à la diversité des conditions de sol et de climat. Les principales légumineuses fourragères cultivées en France sont la luzerne, le trèfle blanc, le trèfle violet, le sainfoin et le lotier corniculé.

Les légumineuses à graines sont cultivées principalement pour leurs graines qui sont récoltées à maturité[7] et qui sont riches en amidon ou lipides (sources d’énergie pour le métabolisme) et en protéines (sources d’éléments constitutifs des organismes). Elles sont principalement utilisées pour l’alimentation animale et humaine. Il y a plus de quarante espèces et d’innombrables variétés de légumineuses à graines cultivées dans le monde avec des types tempérés et des types tropicaux selon les régions de cultures. L’adaptation au contexte pédoclimatique fait que le pois, la féverole et les lupins se sont davantage développés dans le Nord de l’Europe et de la France tandis que les vesces, les pois chiches et le soja se sont développés surtout dans le Sud de l’Europe et de la France. Les haricots, les lentilles et les pois chiches sont des cultures plus minoritaires en France et souvent davantage liées à des bassins de production privilégiés ou à des productions sous appellations.

De plus, les légumineuses peuvent être utilisées sans usage marchand ni exportation de la parcelle, dans les couverts associés et dans la plupart des cultures intermédiaires. Les légumineuses sont alors un intrant dans les systèmes de productions végétales mais ne sont pas récoltées.

Derrière leur point commun lié à la fixation azotée symbiotique, les légumineuses présentent une certaine diversité dans le paysage agricole français, comme d’ailleurs de nombreuses familles de matières premières agricoles (telles que les céréales). Afin de présenter l’ensemble des légumineuses françaises, nous allons examiner cette diversité sous ses différents aspects au cours des sous-parties suivantes, selon :

Mode d’exploitation des légumineuses dans les systèmes de production

Dans le cadre de cet ouvrage, la principale clé d’entrée utilisée repose sur la façon dont les légumineuses sont exploitées au sein des systèmes agricoles français (tableau 1.2) : plantes non récoltées, ou cultures de rente, parmi lesquelles on distingue celles exploitées pour leurs graines de celles utilisées pour leur biomasse fourragère (parties aériennes dans leur ensemble). Les prairies permanentes sont un cas particulier d’utilisation des légumineuses fourragères.

Tableau 1.2. Les principales espèces cultivées selon les modes de gestion de la plante dans les systèmes et selon les types de valorisation de leurs produits (non compris les usages en grains et gousses immatures, non abordés dans cet ouvrage).

Légumineuses non récoltées (semées seules ou en mélange).
Ce sont des couverts d’interculture (appelé couramment culture intermédiaire ) ou des couverts accompagnant une culture de rente
Légumineuses à graines (plantes récoltées après avoir été semées en culture monospécifique ou en association)Légumineuses fourragères et prairiales (plantes semées en monospécifique ou en association, puis fauchées ou pâturées) (ou espace naturel)
Principales espèces concernéesPois, vesces, lentille, féverole, lupins, trèfles, gessesPois, féverole, soja, lupins, lentille, pois chiche, haricotLuzerne, trèfles, vesces, sainfoin, lotier, pois
Produit principalUn ou plusieurs services écosystémiques de la plante non récoltée (pas de valeur marchande), notamment couverture du sol, intrant pour les autres productions végétales, services de régulation des bioagresseurs, etc.Graines ou ingrédients issus des grainesPartie aérienne dans son ensemble, pâturée ou plus ou moins transformée après fauche : séchée, ensilée, déshydratée, extraits éventuellement (dans le cas de la luzerne)
Principal débouché viséPas de valorisation économique (en général) en dehors de la parcelle.
Parfois, usage en fourrage
Alimentation animale ou humaine (et très minoritairement usage non alimentaire)Alimentation animale (ou, très rarement, industrie alimentaire ou non alimentaire)

Nous définissions la légumineuse en culture de rente comme une plante de légumineuse semée, cultivée et utilisée au terme de son cycle de croissance (jusqu’à la maturité physiologique) pour être valorisée économiquement : ce sont ses parties aériennes (plante entière ou graines seules, ou graines et pailles séparément) qui font l’objet d’une transaction (vente ou échange) avec des tiers, ou qui sont utilisées sur place en intrants d’un autre atelier de l’exploitation agricole (fourrage ou pâture ou graines ensilées pour l’atelier animal en général). Elle est cultivée soit seule, c’est-à-dire en culture « pure » (peuplement monospécifique), soit dans une association de cultures (peuplement plurispécifique).

La finalité première d’une culture de rente est donc un service « d’approvisionnement » (alimentation), même si la plante peut aussi apporter des services « de support » et « de régulation » par ailleurs (voir services écosystémiques ), alors que la plante non récoltée apporte uniquement des services de support et de régulation. Elle fait alors partie de l’itinéraire technique d’une autre culture de rente.

Légumineuses exploitées

Légumineuses à graines récoltées en cultures de rente dans la succession culturale

Il s’agit des protéagineux, du soja ou des légumes secs, qui sont des cultures annuelles (parfois dérobées) récoltées principalement pour leurs graines (à maturité avec 14 à 18 % d’humidité) riches en protéines pour une utilisation en alimentation humaine ou animale, en général en complément des céréales.

En Europe et en France, la plupart sont des espèces d’origine méditerranéenne, sauf le soja, légumineuse tropicale, originaire d’Extrême-Orient, et le haricot, originaire du continent américain. Les principales espèces sont le pois (Pisum sativum), les féveroles (Vicia faba) et les lentilles (Lens culinaris) de la tribu botanique Fabeae (ou Vicieae), le soja (Glycine max) et le haricot commun (Phaseolus spp.) de la tribu Phaseoleae, ainsi que les lupins (Lupinus spp.) de la tribu des Genisteae et les pois chiches (Cicer arietinum) des Cicereae. La domestication a sélectionné des formes annuelles, à grosses graines peu dormantes, à gousses indéhiscentes. La sélection a favorisé les variétés et populations dépourvues de facteurs antinutritionnels (mis à part le soja), à tiges plus courtes et moins sensibles à la verse que les formes sauvages.

Légumineuses fourragères en culture de rente

Ce sont majoritairement des espèces pérennes mais elles peuvent s’intégrer dans des rotations de cultures de rente, avec un temps de culture s’étalant sur 2 à 5 ans. Elles sont cultivées en peuplement monospécifique (cultures « pures ») dans les prairies dites alors « artificielles » dans la réglementation française (voir encadré 1.6), ou en association, c’est-à-dire un mélange d’une ou plusieurs légumineuses et de graminées fourragères pérennes (prairies « temporaires »).

Récoltées en plantes entières (stade immature), elles sont valorisées après séchage ou ensilage, voire après séchage industriel (déshydratation). Elles sont directement utilisées sur l’exploitation la plupart du temps mais peuvent également être vendues ou faire l’objet d’échange entre exploitations. Il s’agit de la luzerne (Medicago sativa), des trèfles (Trifolium spp), du sainfoin (Onobrychis), du lotier (Lotus spp). Certaines espèces annuelles sont également utilisées : la vesce commune (Vicia sativa), le pois fourrager (Pisum spp), etc.

Légumineuses fourragères pâturées par les animaux

Il s’agit de cultiver des légumineuses dans les prairies au sein des systèmes avec élevage :

  • soit en sursemant des légumineuses dans les prairies permanentes,

  • soit en semant des mélanges simples ou complexes associant une ou plusieurs graminées, une ou plusieurs légumineuses, et éventuellement d’autres dicotylédones.

Avec une faible dépendance aux ressources en azote minéral du sol et ayant développé des mécanismes d’adaptation à la concurrence pour la lumière, beaucoup d’espèces de légumineuses sont adaptées à la prairie et au pâturage où elles subissent défoliation fréquente et piétinement (trèfle blanc, luzerne lupuline, etc.). Cependant, si la fertilisation est trop forte, les légumineuses ont tendance à disparaître des peuplements mixtes de la prairie. Ainsi, l’intensification a incité à développer des prairies semées en légumineuses en culture pure (prairies artificielles). Ces prairies, et également celles associant légumineuses et graminées, sont alors insérées dans des rotations à dominante céréalière, et ne sont plus pâturées mais récoltées, comme expliqué précédemment.

Culture monospécifique ou cultures en association

Les légumineuses à graines et fourragères (présentées précédemment) peuvent être cultivées en peuplement monospécifique ou en association avec d’autres plantes non-légumineuses.

L’association de cultures est « la culture simultanée d’au moins deux espèces sur la même parcelle pendant une partie significative de leur développement » (Willey, 1979). Sont souvent associées une espèce de légumineuse à une graminée (cultures fourragères de type méteil comme pois-blé, pois-triticale, ou associations prairiales comme luzerne-dactyle, trèfle blanc–ray-grass anglais, etc.). L’association de cultures peut être arrangée de façon aléatoire dans la parcelle (mixed intercropping), en rangs alternés (row intercropping), ou spatialement en bande (strip intercropping), ou en relais (relay intercropping), c’est-à-dire avec des cycles décalés : semis et/ou récolte non simultanés (Andrews et Kassam, 1976).

L’association peut être récoltée en grains, en foin après séchage ou en ensilage, et répondre à plusieurs objectifs de production : fourrage à forte biomasse de bonne qualité avec peu d’intrants, céréale avec moins d’intrants azotés, protéagineux sans les difficultés rencontrées en culture pure.

Légumineuses non récoltées

Lorsqu’elles ne sont pas récoltées, les légumineuses font partie des cultures intermédiaires présentes entre deux cultures de rente, ou des couverts accompagnant une culture de rente, ceci correspondant à des développements agronomiques récents. Comme les cultures de rente, la technique des associations d’espèces est possible pour les plantes non récoltées : on parle alors de mélange d’espèces.

De nombreuses variantes de gestion du système de culture sont possibles en semant la ou les légumineuses non récoltées soit dans la culture précédente (couverte permanent ou mulch vivant), soit pendant la période de l’interculture et en la détruisant pendant l’hiver, à la récolte de la culture de rente ou dans la culture qui suit, etc. (voir chapitre 3).

Les trèfles annuels (incarnat, de Perse, d’Alexandrie), les vesces (commune et velue), le fenugrec (Trigonella foenum-graecum), la séradelle (Ornithopus sativus), la gesse, et certaines légumineuses à graines font partie des espèces les plus utilisées.

« Culture intermédiaire » (CI) ou couvert intermédiaire

Il s’agit de l’implantation d’un couvert végétal pendant la période d’interculture, mono-espèce ou pluri-espèce (mélange d’espèces, incluant souvent une ou des espèces de légumineuses), avec l’objectif premier de couvrir et/ou d’enrichir le sol. Le couvert est en général détruit soit naturellement (en choisissant des plantes gélives, détruites par le gel), soit par destruction chimique ou mécanique. En général, il s’agit de plantes à usage non marchand mais parfois certaines peuvent être utilisées (vente, méthanisation ou utilisation autre que celui d’apport de matière organique sur la parcelle par enfouissement).

Pour les CI avec légumineuses, plusieurs services écosystémiques de « support » et/ou de « régulation » sont recherchés :

  • simple couverture du sol (protection de l’érosion, prévention du risque de lixiviation du nitrate, concurrence aux adventices), notamment pendant la période d’interculture,

  • enrichissement du sol en éléments minéraux, notamment pour accroître l’entrée d’azote issu de la fixation symbiotique, et avoir un effet engrais vert sur la nutrition azotée de la culture suivante et un stockage d’azote organique dans le sol (lorsque la plante est enfouie pour fertiliser la culture suivante, on parle d’engrais vert),

  • culture intermédiaire piège à nitrate (Cipan), pratique qui fait l’objet d’une réglementation spécifique dans les zones vulnérables : piéger l’azote minéral du sol pendant la période de drainage permet d’éviter la lixiviation du nitrate.

Réglementairement, dans les zones vulnérables définies par la directive « nitrates », les légumineuses sont autorisées dans l’interculture sous forme de mélange avec d’autres espèces (avoine, moutarde, phacélie, tournesol…), et seules certaines régions autorisent l’implantation en pur (pois, féverole, trèfle, vesce, lentille…). Du point de vue agronomique, le mélange de légumineuses avec des non-légumineuses est conseillé car il permet de concilier intérêts agronomiques et environnementaux, avec plus d’efficacité notamment pour le prélèvement de l’azote et le contrôle des adventices. Cette préconisation tend à se répandre pour gérer l’interculture, notamment pour éviter l’effet de préemption d’azote de la CI qui peut induire une réduction de la disponibilité en azote pour la culture principale suivante.

Couvert accompagnant une culture de rente

Il s’agit du couvert végétal qui est semé et cultivé en étant associé à une culture de rente pendant une partie restreinte de cycle de croissance de celle-ci, mais qui n’est pas récolté[8].

Le couvert disparaît soit parce que c’est une plante à cycle très court (utilisation de la sénescence naturelle pour son élimination), soit parce qu’il est détruit naturellement sous l’effet du gel (en choisissant des plantes gélives), soit par destruction chimique ou mécanique. La finalité première du couvert associé est la prestation d’un service écosystémique dit « de support » ou « de régulation ». Parmi les situations rencontrées, on peut citer féverole ou lentille ou gesse associées à une culture de colza ; trèfles annuels + carotte porte-graines.

À retenir. Trois grands modes d’exploitation des légumineuses dans les systèmes agricoles.

Le mode d’exploitation des légumineuses dans les systèmes agricoles permet de distinguer trois catégories :

  • les légumineuses à graines (pois, féverole, lupins, soja, lentille, pois chiche, haricots) : exploitées en rotation culturale prioritairement pour leurs graines riches en protéines et en amidon, en plus de leurs services écosystémiques de soutien et de régulation, en culture monospécifique (cas le plus répandu) ou en association avec des non-légumineuses ;

  • les légumineuses fourragères et prairiales : exploitées par fauche ou/et pâturage, pour la production de biomasse et l’apport de services écosystémiques ; majoritairement pérennes, elles peuvent s’intégrer dans des rotations de cultures de rente, avec un temps de culture s’étalant sur 2 à 5 ans, soit en culture monospécifique dans les prairies dites « artificielles » (comme la luzerne, le trèfle violet ou le sainfoin), soit en association avec des non-légumineuses (graminées le plus souvent) dans les prairies dites « temporaires » bi- ou multi-spécifiques ou des prairies de plus de 6 ans dites « permanentes » ;

  • les légumineuses non récoltées (pois, vesce, lentille, féverole, lupins, trèfles, gesses) : exploitées uniquement pour des services écosystémiques de soutien et de régulation, en cultures intermédiaires (présentes entre deux cultures de rente) souvent en mélange avec des non-légumineuses, ou en couverts associés à une culture de rente qui ont des durées de croissance de quelques mois ou de plus d’un an.

Les deux premières catégories correspondent aux cultures de rente, c’est-à-dire aux cultures valorisées économiquement (vente, échange, alimentation de l’atelier animal de l’exploitation…), apportant donc un service écosystémique « d’approvisionnement » (alimentation) en plus d’autres services potentiels « de support » et « de régulation » alors que la troisième catégorie fournissant uniquement services de support et de régulation correspond à des éléments de l’itinéraire technique des autres cultures de rente.

Espèces de légumineuses et variabilité génétique utilisée

Les légumineuses à graines ont été parmi les premières espèces domestiquées dans le croissant fertile. On retrouve encore certains restes archéologiques vieux de 12 000 ans. La Rome antique a laissé dans ses écrits des témoignages de l’utilisation de fèves, lentille et pois dans les régimes alimentaires. Le lupin était utilisé après trempage pour éliminer amertume et alcaloïdes[9], l’eau de trempage des graines étant exploitée pour ses vertus thérapeutiques du fait de sa richesse en alcaloïdes. En fourragère, la luzerne a été introduite en Europe par les conquérants arabes qui l’utilisaient comme fourrage pour les chevaux.

Sur le plan botanique, la tribu des Vicieae (pois, fèves, lentilles, vesces, gesses), des Trifoloeae (luzernes, trèfles, mélilots), des Cicereae (pois chiche) et les lupins (Lupinus albus, angustifolius ou luteus) autres que le lupin changeant, sont proches et fréquemment originaires du croissant fertile. En revanche, les espèces de la tribu des Phaseoleae sont originaires de Chine (soja) ou d’Amérique (haricots), celles de la tribu des Vigna originaire d’Afrique et d’Asie, et le lupin changeant (L. mutabilis) d’Amérique latine (issu d’un large continuum d’espèces réparties de l’Alaska à la Terre de Feu).

Les tableaux 1.3 et 1.4 donnent un aperçu des principales espèces des légumineuses cultivées.

Tableau 1.3. Principales espèces de légumineuses à graines cultivées dans le monde. Espèces toutes annuelles, à graines relativement grosses : PMG 50 à 600 g (800 à 2 000 g pour fèves et haricot de lima, 30 à 40 pour le fénugrec) cultivées principalement pour leurs graines, parfois aussi comme fourrage pour les ruminants, ou comme plantes de service. Source : Unip.

Type/compositionaOrigine géographiqueNom françaisNom anglaisNom scientifiqueProduction mondialeb (Mt)Autres usages que graines sèches (entières, décortiquées ou en farine)
Graines riches en amidon (40-52 %) et en protéines
(22-32 %)
Méditerranéenne (culture d’hiver-printemps)Pois chicheChickpeaCicer arietinum~ 10rarement : gousses et graines immatures
PoisPeaPisum sativum~ 10gousses et graines immatures (pois mangetout et petit pois), fourrage
Féverole – FèveFaba beanVicia faba~ 4,5gousses et graines immatures
LentilleLentilLens culinaris~ 3
GesseGrass peaLathyrus sativus~ 0,5fourrage pour les ruminants
Vesce communeCommon vetchVicia sativa~ 0,5 ?fourrage pour les ruminants
FénugrecFenugreekTrigonella foenum graecum< 0,5 ?épice (curry), tisane, plante compagne
Vesce erviliaBitter vetchVicia ervilia< 0,5fourrage pour les ruminants
Tropicale
(culture d’été)
Haricot communCommon beanPhaseolus vulgaris15 à 20 ?gousses immatures (haricot vert)
Pois CajanPigeon peaCajanus cajan~ 3
Cornille - NiébéCowpeaVigna unguiculata3 à 4
MungoMung beanVigna radiata3 à 4 ?grains germés (« germes de soja »), fourrage
UridUrd beanVigna mungopeu de données statistiques : de l’ordre de 1 à 2 Mt pour chaque espèce ?
AzukiAzuki beanVigna angularis
Haricot de LimaLima beanPhaseolus lunatis
Haricot d’EspagneRunner beanPhaseolus coccineus
LablabVal beanLablab purpureus
KulthKulthMacrotyloma uniflorum~ 1
Voandzou-Pois bambaraGroundbeanVigna subterranea~ 0,6gousse souterraine
Moth - Haricot papillonMoth beanVigna aconitifolia< 0,5 
Graines riches en protéines (34-42 %), fibres (30-40 %) et huile (6-10 %)Méditerranéenne (culture d’hiver-printemps)Lupin à feuilles étroites (ou lupin bleu)Narrowleaf lupinLupinus angustifolius~ 1
Lupin blancWhite lupinLupinus albus~ 0,1
Lupin jauneYellow lupinLupinus luteus~ 0,1
Graines riches en huile (19-44 %) et en protéines
(27-40 %)
Tropicale
(culture d’été)
SojaSoybeanGlycine max~ 300graine non consommée en l’état mais triturée (huile+tourteau) ou chauffée (toastée) ou fermentée (tofu)
ArachideGroundnutArachis hypogaea~ 24graine consommée en l’état (grillée) ou triturée (huile + tourteau)
Haricot ailéWinged beanPsophocarpus tetragonolobuspeu de données : ~ 1 Mt ?gousses et graines immatures, tubercules, feuilles et jeunes pousses

a Plage de variation indicative, en % de la matière sèche (teneur en eau standard de la graine : 14 %) ; b Production mondiale approximative actuelle (2010-2014).

Tableau 1.4. Légumineuses fourragères inscrites au catalogue européen. Espèces toutes à petites graines (PMG < 50 g), sauf Vicia sativa, toutes d’origine eurasiatique de climat méditerranéen ou tempéré. Le caractère annuel ou pluriannuel de la plante a des conséquences fortes sur le mode d’exploitation de la culture. Le nombre de variétés inscrites donne une indication de la dynamique de création variétale et du marché en Europe.

Nom françaisNom anglaisBinôme latinSynonymes et inclusionsPérennitéNombre variétés UEa
LuzerneLucerne, AlfalfaMedicago sativa et M. x variaPérenne391
Trèfle violetRed cloverTrifolium pratenseTrèfle des présPérenne215
Trèfle blancWhite cloverTrifolium repensTrèfle rampantPérenne139
Vesce communeCommon vetchVicia sativaAnnuelle137
Trèfle d’AlexandrieBerseemTrifolium alexandrinumAnnuelle36
Trèfle incarnatCrimson cloverTrifolium incarnatumAnnuelle36
Lotier corniculéBirdsfoot trefoilLotus corniculatusPérenne30
SainfoinOnobrychis viciifoliaPérenne28
Vesce velueHairy vetchVicia villosaVesce de CerdagneAnnuelle27
Trèfle de PersePersian cloverTrifolium resupinatumTrèfle résupinéAnnuelle25
Trèfle hybrideAlsike cloverTrifolium hybridumPérenne18
Sainfoin d’EspagneSullaHedysarum coronariumHédysarum à bouquet, Sainfoin d’ItaliePérenne8
Luzerne lupulineTrefoilMedicago lupulinaMinetteAnnuelle4
Sand lucerneMedicago × variaMedicago sativa nsubsp variaPérenne4
Vesce de HongrieHungarian vetchVicia pannonicainclus Vicia purpurescens, vesce de PannonieAnnuelle3
FénugrecFenugreekTrigonella foenum-graecumAnnuelle2
Galega d’OrientFodder galegaGalega orientalisPérenne1

a Inscrites au catalogue européen en 2013.

Pois, féverole et lupin

Le terme « protéagineux », propre à la réglementation européenne, a été créé dans les années 1970, par analogie avec le terme « oléagineux » pour désigner les pois (Pisum spp), féveroles (Vicia faba spp) et lupins (Lupinus spp) doux[10] destinés à être utilisés en alimentation animale.

Dans l’usage courant, le terme « protéagineux » regroupe l’ensemble des espèces cultivées jusqu’à maturité de la graine, quelles que soient leurs utilisations (par exemple le pois protéagineux désigne tous les pois à fleurs blanches de l’espèce Pisum sativum, que les graines soient ensuite utilisées en alimentation animale ou en pois de casserie). Même si les utilisations en alimentation animale sont historiquement majoritaires en volume, les débouchés en alimentation humaine et en non alimentaire existent et représentent une part plus ou moins importante de la production selon les années. Les différentes utilisations sont détaillées dans Diversité d’utilisation des produits de récolte .

La diversité des formes d’utilisation, des couleurs de graines, a généré une nomenclature parfois confuse[11], d’autant que les pois et féveroles peuvent aussi être récoltés à un stade immature, en graines ou gousses fraîches, dont la composition est très différente et l’utilisation strictement limitée à la consommation humaine comme légume. Par exemple, le pois protéagineux se distingue du « pois potager » (ou « petit pois » ou « pois de conserve ») par le stade de récolte : ce dernier est récolté à un stade immature, juste avant que les grains ne commencent à se remplir d’amidon et de protéines.

Les protéagineux sont des légumineuses annuelles à cycle court et à grosses graines. Ce sont principalement des cultures de printemps semées entre février et mars (ou entre novembre et janvier dans le sud de la France) et récoltées quand les graines sont à maturité entre juillet et septembre. Il y a également des variétés dites d’hiver, semées à l’automne et récoltées une quinzaine de jours plus tôt que leurs homologues (de type printemps).

La teneur en protéines des protéagineux est un objectif constant pour l’amélioration variétale, avec un seuil éliminatoire (de - 6 % de la moyenne des témoins) lors de l’inscription au catalogue français des variétés de chacune des espèces (pois, féverole, lupin blanc).

Le progrès génétique du pois

En France, 80 % des surfaces de pois protéagineux sont implantées avec des types printemps. Du fait de la jeunesse de l’amélioration variétale de ces cultures en Europe et du peu d’acteurs privés sur un marché limité par des surfaces faibles, le potentiel de la culture du pois n’est pas encore pleinement exploité et la variabilité de ses rendements est importante.

Le progrès génétique du pois a d’abord été marqué dans les années 1980 par l’acquisition du caractère « afila » (transformation des folioles en vrilles) qui contribue à une meilleure tenue au champ du peuplement (résistance à la verse) et par la réduction drastique des facteurs antitrypsiques des graines (facteurs antinutritionnels, FAN, réduisant la digestibilité et les performances de croissance des animaux). Actuellement, 100 % des pois protéagineux inscrits en France sont afila, à fleurs blanches (graines sans tanins) et ont des graines à faible activité antitrypsique (de moins de 4 ou 8 unités par mg de matière sèche pour le pois de printemps et le pois d’hiver).

Depuis 2000, le progrès génétique du pois de printemps a porté essentiellement sur la hauteur de tige à la récolte. Les variétés actuelles présentent ainsi une meilleure résistance à la verse. Simultanément, une diminution de la taille des graines a été apportée, permettant de réduire le coût des semences (poids de mille grains, PMG, maintenant voisin de 250 g contre 300 g pour les variétés inscrites dans les années 1980-1990). L’effort de sélection orienté principalement sur la tenue de tige a sans doute limité le progrès génétique sur le rendement, qui, bien que continu, paraît moins visible ces dernières années. Celui-ci est sans doute masqué par les facteurs abiotiques (évolution du climat) ainsi que les facteurs biotiques, notamment ascochytose (Prioul-Gervais et al., 2007) et la maladie due à Aphanomyces. Ce progrès génétique est malgré tout réel, car lorsque l’on compare des variétés récentes (Kayanne) avec des plus anciennes (Solara ou Baccara) sur les mêmes sites et dans des conditions climatiques favorables, on observe un net accroissement du rendement (qui a été conjugué à un maintien de la teneur en protéines aux alentours de 24 % de la matière sèche graine) et de la hauteur à la récolte (Arvalis-Unip, 2013). Concernant la maladie la plus préjudiciable pour le pois, la pourriture racinaire du pois due à Aphanomyces euteiches, le cumul de plusieurs QTL[12] apportant des résistances partielles par sélection assistée par marqueurs (Pilet-Nayel et al., 2005) devrait amener des progrès dans les années à venir. En attendant, la gestion du risque s’opère par une vérification du potentiel infectieux du sol (analyse de terre) et par des voies agronomiques (gestion des rotations, échappement par recours au semis d’hiver, etc.) (voir Systèmes de culture avec légumineuses annuelles à graines ).

Pour le pois d’hiver, l’amélioration variétale est plus récente. On assiste à un progrès sur la résistance au froid, le rendement et la hauteur de tige à la récolte. Le type hiver présente des avantages pour améliorer le rendement et sa stabilité (allongement du cycle de la culture, meilleures conditions d’implantation, avancement du cycle reproducteur pour éviter les stress hydriques et thermiques) et aussi pour l’extension des conditions pédoclimatiques adaptées au pois. Il est encore à améliorer pour la résistance au gel et pour le niveau de rendement, mais aussi pour la résistance à l’ascochytose. La sensibilité à la photopériode (caractère Hr, Lejeune-Henaut et al., 2008) est également travaillée pour mettre au point un pois d’hiver qui permettrait des semis plus précoces (voir Autres spécificités agrophysiologiques des légumineuses ).

Dans l’ordre chronologique, les variétés dominantes du pois protéagineux au sein des variétés inscrites utilisées en France (figure 1.2) ont été : Solara, Baccara, Athos, Hardy, Lumina et Kayanne.

Les avancées dans la connaissance des génomes, sur l’espèce modèle Medicago truncatula et la mise en place du grand programme national de génomique sur le pois (PeaMUST) permettent à la sélection variétale de se doter d’outils et de ressources technologiques (importantes collections de ressources génétiques et les avancées des outils de génotypage), qui contribueront à une forte accélération du progrès génétique et/ou la prise en compte simultanée d’un plus grand nombre de caractères (Burstin et al., 2007).

Figure 1.2. Évolution des parts de marché des cultivars de pois protéagineux.

Le progrès génétique de la féverole

En féverole, le type printemps domine également. Il est localisé dans la bordure nord-ouest de la France et cultivé essentiellement pour l’export vers l’Égypte (alimentation humaine). Deux variétés ont principalement contribué au développement de la féverole de printemps à partir de 2002 avec des niveaux de rendements élevés les années favorables (2008, 2009, 2012) : Maya, inscrite en 1995 et Espresso, inscrite en 2003. Certaines variétés (Lady et Betty puis Fabelle) présentent par ailleurs une faible teneur en vicine-convicine des graines. Ces composants (glucosides antinutritionnels) réduisent la digestibilité des graines pour les animaux monogastriques (par exemple, chez les pondeuses, on observe une taille réduite des œufs) et, pour les hommes, ils peuvent être déclencheurs de favisme[13] chez les individus génétiquement prédisposés.

Dans les zones d’élevage du Sud-Ouest et de l’Ouest de la France, ce sont plutôt des féveroles d’hiver qui sont cultivées en agriculture biologique (AB) ou dans des systèmes à bas intrants pour l’autoconsommation. Castel, variété ancienne très utilisée dans le Sud-Ouest depuis plusieurs années, a été re-déposée au CTPS car elle présentait une dérive génétique. Deux variétés de féverole d’hiver ont permis un progrès sur le rendement à partir de 2002 : Iréna, qui convient bien à la zone Ouest, et Diva qui est plus résistante au froid et est développée dans la région Centre. Des ressources génétiques importantes conservées en Europe n’ont pas encore révélé tout leur potentiel (Duc et al., 2010) et des actions de sélection assistée par marqueurs sont en cours de développement, en utilisant les acquis de la génomique développée sur le pois et Medicago truncatula.

Le progrès génétique du lupin

Conformément à la réglementation, toutes les variétés de lupin sont douces, c’est-à-dire à teneur en alcaloïdes réduite (moins de 200 mg/kg de graine) contrairement aux variétés « amères ».

Le lupin bleu est l’espèce de lupin la plus cultivée au monde mais il n’y a pas de sélection en France. En Australie, le progrès génétique sur lupin bleu est estimé à 2 % par an entre les années 1970 et 2000, principalement lié à la tolérance aux maladies (avec un fort impact économique des financements via le GRDC, Grains Research & Development Corporation, géré par le gouvernement avec le soutien de l’industrie des grains). Le lupin jaune est davantage cultivé en Allemagne et dans les pays de l’Est, où son cycle court et son adaptation à des pH très bas lui permettent d’être cultivé sur des sols sableux.

Pour le lupin blanc, il existe des types printemps et des types hiver. Alors que le développement de l’espèce a commencé en France par la culture de variétés de printemps, le lupin d’hiver est actuellement le plus cultivé. La réduction des surfaces s’est accompagnée d’un repli vers la zone « historique » de culture : les Pays de Loire et le Poitou-Charentes. La sélection de cette espèce a la particularité de n’être alimentée aujourd’hui que par un seul sélectionneur privé.

En France, la sélection du lupin a débuté à la fin des années 1970 et a abouti en 1985 à la création de variétés de type printemps plutôt alternatives (Lucky), c’est-à-dire à cycle long, adaptées aux zones dont les étés sont secs, ou au contraire avec une maturité précoce (Amiga, Lublanc) et donc à cycle plus court. La longueur de cycle segmente le marché du lupin de printemps. Les principales variétés sont actuellement Amiga pour la zone Nord et Energy (inscription 2001) pour la zone Sud.

La sélection de lupin d’hiver a été initiée par l’Inra de façon à améliorer le potentiel de rendement de l’espèce par allongement du cycle, et à sécuriser la récolte par une maturité plus précoce. Cette sélection a mobilisé la diversité génétique pour la résistance au froid (identifiée dans des écotypes italiens), et pour l’architecture (par mutation induite) avec la sélection de types déterminés (inscription de Ludet en 1996) et de type nain (inscription de Luxe en 2002). Les dernières inscriptions au catalogue combinent ces traits d’architecture et permettent un progrès en résistance au froid et en rendement et une étape significative a été franchie en 2011 avec l’inscription de la variété Orus. Pour plus de détail sur la sélection du lupin, on peut citer notamment Buirchell (2008) et Papineau et Huyghe (2004).

Soja, un oléoprotéagineux

Le soja (Glycine max L. Merill) est une légumineuse originaire d’Asie et cultivée pour ses graines depuis les zones tempérées jusque sous les tropiques. En Europe, comme sur le continent nord-américain, le soja est une culture dite de printemps semée essentiellement d’avril à mai et récoltée en début d’automne.

Si traditionnellement le soja est consommé en alimentation humaine en Asie, il doit son expansion fulgurante au xxe siècle à l’intensification des systèmes d’élevage. Son tourteau concentré en protéines (co-produit suite à l’extraction d’huile) devient un des piliers du fameux modèle pour l’alimentation animale « maïs/soja » initié aux États-Unis et rapidement adopté en Europe avec quelques adaptations.

La graine de soja se caractérise par un contenu élevé à la fois en protéines (environ 38 à 40 % à 0 % d’humidité) et en huile (18 à 20 %) : sa composition en fait un oléoprotéagineux. Cependant, comme sa teneur en matière grasse est suffisante pour justifier son extraction à grande échelle par un procédé industriel, le soja est en général considéré comme un « oléagineux », ce qui obère parfois sa spécificité de fonctionnement de légumineuse. La graine crue est riche en facteurs antitrypsiques qui sont détruits par les traitements thermiques (désolventation, toastage) lors du processus industriel d’extraction d’huile et par cuisson ou fermentation dans le cas de préparations pour l’alimentation humaine.

Le progrès génétique du soja

Au niveau mondial, et notamment aux États-Unis, le soja a fait l’objet d’une sélection très active depuis le début du xxe siècle, qui a permis de développer des variétés à bon rendement, adaptées à une large gamme de conditions climatiques allant de l’équateur à des latitudes septentrionales. Le soja étant une plante autogame, les variétés cultivées sont des lignées pures.

Les efforts de recherche et de développement ont démarré en France lors de l’expansion des surfaces à la fin des années 1970 (liée au plan protéines de l’Union européenne), à partir de l’introduction de variétés en provenance du continent nord-américain (Kingsoy, Weber, Mapple Arrow). Puis les sélectionneurs privés français et la recherche publique française (École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse, Inra) se sont engagés dans l’amélioration du soja avec près de quarante ans d’efforts continus mais des moyens modestes en raison de la relative faiblesse des surfaces en Europe. Outre la productivité, la résistance à la verse a été particulièrement travaillée dès le milieu des années 1980 pour les groupes tardifs, que ce soit sur les types indéterminés (majoritaires traditionnellement en zone tempérée) ou déterminés (variété Spot) et semi-déterminés (variété Alaric) (Roumet, 2010). On observe[14] un progrès significatif et régulier pour les groupes tardifs (I et II) au sein des variétés inscrites au catalogue français entre 1998 et 2002, gage de stabilité du rendement et de moindre sensibilité à un bioagresseur du soja, le sclérotinia.

En parallèle, des efforts importants ont été entrepris (avec l’Université de Changins en Suisse) pour sélectionner des lignées tolérantes aux faibles températures, notamment à floraison, ce qui permet d’améliorer l’indice de récolte et donc le niveau de rendement à maturité. Les variétés précoces (groupe 00) et très précoces (000) inscrites depuis en France démontrent que l’on peut concilier rendement, qualité de la graine et précocité. Cette gamme de précocité élargie à laquelle se rajoutent les dernières innovations dites « très très précoces » permet d’envisager la culture du soja sur une plus grande partie du territoire national (figure 1.3) et selon divers modes de conduite (en culture principale et, dans le Sud de la France, en seconde culture). Malgré les efforts de sélection génétique, les variétés les plus précoces (000 et TTP) montrent encore à ce jour une moindre capacité à croître, ramifier et produire des graines, dans les conditions de production française.

Figure 1.3. Précocité variétale du soja à privilégier pour un semis de fin avril à début mai. Source : J. Lieven et collègues.

Zone hachurée : le positionnement de la culture de soja doit encore être précisé pour cette zone.

Enfin, en réponse à la baisse de la teneur en protéines des nouvelles variétés inscrites au catalogue français au tout début des années 1990 (groupes 00 et I) et dans l’objectif de mieux répondre aux attentes du marché naissant de l’alimentation humaine et de celui, bien implanté, de l’alimentation animale, ce caractère qualitatif a été pris en compte à tous les stades de la sélection. Suite à la modification des règles d’inscription en 1996 (notion de rendement protéique pour la cotation des variétés candidates), sont arrivées dès 2002 des variétés aux teneurs en protéines identiques à celles de la fin des années 1980 puis des variétés aux teneurs élevées (plus de 40 % de la matière sèche et jusqu’à 48 %) (figure 1.4).

Figure 1.4. Potentiel de rendement et teneur en protéines des principaux groupes de précocité cultivés en France en soja sur la période 2009-2013. Source : F. Salvi, V. Lecomte d’après essais Cetiom-Geves.

Fin 2013, le catalogue français recense 50 variétés (non OGM), fruit d’une inscription de trois variétés par an en moyenne sur les 15 dernières années, ce qui est loin d’être négligeable au regard des surfaces cultivées. Cependant, cette moyenne masque des irrégularités et un manque d’innovation pénalisant sur tel ou tel créneau, comme celui des sojas tardifs ces dernières années. En 2014, dans un contexte de regain d’intérêt pour le soja en Europe et pour pallier le manque de compétitivité de la culture dans certaines situations, les variétés sont cotées au CTPS sur le rendement en grains par rapport aux deux meilleurs témoins et peuvent bénéficier d’une bonification si elles expriment une meilleure teneur en protéines. Il s’agit de concentrer l’effort de sélection sur la productivité sans dégrader la teneur en protéines, désormais jugée satisfaisante pour une majorité d’usages.

Le rythme de l’innovation variétale pourrait s’accélérer car on observe l’augmentation des moyens de sélection, y compris génomiques, alloués récemment au soja par certains semenciers en France et en Europe, et l’engagement de recherches publiques sur la conception d’idéotypes de soja adaptés à des semis plus précoces en zone sud (évitement de stress hydrique). D’autres cibles, telles que la tolérance au sclérotinia (principale maladie fongique du soja en Europe) et l’abaissement de la teneur en facteurs antitrypsiques, pourraient également être intégrées dans les programmes de sélection.

Vesces

Les vesces sont cultivées dans différents sols, sauf dans les sols acides et mal drainés, sensibles à la sécheresse en début de cycle. Il existe des variétés de printemps et d’hiver.

La vesce commune (Vicia sativa) est la plus répandue mais il existe aussi la vesce velue (Vicia villosa), l’ervilier (Vicia ervilia ou synonyme Ervum ervilia), la vesce de Narbonne (Vicia narbonensis) et la vesce de Hongrie (Vicia pannonica). À noter qu’elles appartiennent au même genre que la fève ou la féverole (Vicia faba).

La culture de vesce donne plusieurs types de produits : des fourrages, des engrais verts ou des grains. La vesce est peu cultivée en Europe, on la trouve principalement en Espagne pour produire du fourrage pour les ruminants. Elle est aussi utilisée en couvert associé aux céréales (ou autre culture) pour éviter la verse et dans les mélanges de cultures intermédiaires (pratique agronomique montante en France).

La vesce contient des facteurs antinutritionnels qui restreignent leur utilisation par les monogastriques ou pour l’alimentation humaine[15].

Pois chiches, lentilles, haricots, fèves

L’appellation courante « légumes secs » est souvent utilisée pour désigner les graines de légumineuses récoltées à maturité et faciles à conserver de façon naturelle pour la consommation humaine, d’où leur nom, par opposition aux légumineuses immatures comme les petits pois et les haricots verts dont les gousses sont récoltées avant la maturité physiologique des graines, et alors affectées au segment « frais » des produits de consommation. Cependant, ces espèces peuvent avoir d’autres usages que l’alimentation humaine. Ces légumineuses sont connues depuis la plus haute antiquité pour leurs valeurs nutritionnelles, leurs effets positifs sur la santé et leurs qualités gustatives. Au niveau mondial, elles jouent un rôle de premier ordre pour l’alimentation humaine dans de nombreux pays, notamment en Asie, en Amérique latine et en Afrique (protéines végétales moins chères que la viande), avec une diversité d’espèces bien plus large que la gamme française.

Les principaux légumes secs cultivés en France sont les lentilles, les pois chiches et les haricots. Ces cultures sont semées au printemps (pois, fèves et lentilles de mi-février à fin avril, haricots vers la mi-mai) et sont en général récoltées à maturité des graines (17 % d’humidité des graines) environ trois mois plus tard (sauf les flageolets verts).

Les pois cassés sont des pois (Pisum sativum) dont les cotylédons ont été séparés lors du décorticage du pois récolté à maturité (grains verts ou jaunes). C’est souvent sous cette forme que le pois est consommé dans l’alimentation humaine (soupes, bouillies ou farines). Il s’agit de la même espèce et de la même culture que le pois protéagineux utilisé en alimentation animale.

Les fèves sont très peu cultivées en France (essentiellement dans les potagers individuels), et elles correspondent à Vicia faba major, à grosses graines (les féveroles étant leurs cousines à plus petites graines Vicia faba minor ou equina).

Les haricots sont les plantes du genre Phaseolus. Les plus consommés en France sont les haricots blancs (lingots cultivés dans le Nord et en Vendée avec la mogette vendéenne, cocos, flageolets) et les flageolets verts (chevriers). On trouve aussi des haricots rouges et les Soissons à très gros grains blancs, ainsi que les haricots tarbais dans le Sud-Ouest. Les pieds des flageolets verts dits chevriers sont arrachés peu avant maturité complète des graines pour continuer de mûrir et sécher à l’abri de la lumière (d’où leur couleur verte, leur goût et leur digestibilité). La production de haricots resterait assez stable, dans des zones de productions localisées.

Le pois chiche (Cicer arietinum de la tribu Cicereae) est une plante annuelle traditionnelle des zones méditerranéennes et consommée dans l’alimentation humaine. Cette plante est couverte de filaments glandulaires (avec un exsudat riche en acide oxalique), avec des feuilles composées, des fleurs avec des veines bleues, violettes ou roses, et des gousses contenant 1 à 3 graines. Il existe deux types de graines : le type Kabuli avec de larges graines claires (plutôt typique pour la production et la consommation européenne) et le type Desi avec de petites graines foncées (plus courant dans les pays asiatiques). Très tôt cultivé autour de la Méditerranée, le pois chiche est un produit courant depuis l’Antiquité. Il est diffusé en Europe du Nord depuis le haut Moyen Âge. À partir du xve siècle, les aliments d’origine végétale conquièrent la gastronomie fine de l’Europe occidentale auparavant réservée aux produits carnés. Depuis les années 1990, la culture de pois chiche réapparaît dans le sud de la France (Provence et Lauragais), avec une diminution des surfaces dans les années 2000 puis une reprise récemment, notamment en Languedoc-Roussillon.

Les principaux produits commercialisés du pois chiche sont les graines entières, la purée (houmos au Liban), et la farine de pois chiche (zone méditerranéenne et sous-continent indien où elle est parfois mélangée avec la farine de pois).

Dans l’Union européenne (UE), le seul programme public en amélioration variétale du pois chiche est celui de l’Instituto Nacional de Investigação Agrária e Veterinária (Iniav) à Elvas (Portugal), démarré en 1985 avec l’introduction de ressources génétiques venant de l’Icarda, de ressources locales portugaises et d’autres régions du monde. L’objectif premier a été d’identifier, au sein des types printemps avec absence d’anthracnose (Ascochyta rabiei), du matériel génétique bien adapté aux conditions de semis anticipé d’automne ou hiver. Ont été obtenues des plantes hautes pour une récolte mécanique et à bons rendements (Duarte-Maçãs, 2003). Ensuite, les objectifs de sélection se sont orientés vers la tolérance à l’attaque de Fusarium sp. et Helicoverpa armigera, une bonne adaptation à la sécheresse (au cours du printemps), aux excès d’eau en hiver (submersion des jeunes plantes de 2 ou 3 feuilles) et à l’obtention de grosses graines.

Actuellement, cinq variétés de pois chiche sont inscrites au catalogue portugais : trois du type Kabuli (Elvar, Elixir et Eldorado) et deux du type Desi (Elmo et Elite). Les variétés Kabuli, également inscrites au catalogue français, représentent un réel progrès pour leur potentiel de production. Elvar est la principale variété de pois chiche dans le Sud de la France, avec un rendement élevé et des graines de qualité. L’adaptation de l’espèce aux conditions européennes a été nécessaire pour arriver à l’extension de la culture en France. Pour continuer cette adaptation, après l’inscription d’Elvar, d’Eldorado et d’Elixir au catalogue français, un acteur privé français (coopérative agricole) vise l’inscription de deux nouvelles variétés pour renforcer le choix et l’adaptation variétale aux différents terroirs de la coopérative : calibre suffisant pour permettre à la fois une qualité sanitaire‎ maîtrisée et une attractivité visuelle des graines produites (forme, régularité, couleur, etc.), et goût qui renforce l’attractivité des produits. En 2014-2015, les principales variétés utilisées en France sont Alvar dans le secteur Sud-Ouest (Aude, Tarn, Haute-Garonne) et Twist dans le secteur méditerranéen.

L’objectif central encore à atteindre est l’amélioration du niveau de tolérance à l’anthracnose, maladie qui reste le problème majeur de cette espèce. En parallèle, la gestion du risque doit être assurée, a minima, par une bonne qualité sanitaire de la semence (Duarte et al., 2013).

La lentille est une des espèces cultivées les plus anciennes. Les graines sont de bonne valeur nutritionnelle, utilisées en alimentation humaine, mais la culture présente de faibles rendements. C’est une plante annuelle au port érigé à nombreuses tiges et à feuilles pennées de quatre à sept folioles se terminant par une vrille. Les fleurs sont bleues, blanches ou roses, et les petites gousses contiennent deux graines. En Europe, les lentilles faisaient déjà partie du régime alimentaire des chasseurs-cueilleurs du mésolithique (8 000 ans avant JC), puis des échanges commerciaux autour de la Méditerranée. On commercialise les graines vertes ou brunes, ou des graines décortiquées dites rouges ou « lentilles corail ».

La sélection variétale est restreinte (essentiellement concentrée sur la lentille verte) et les cahiers des charges des labels AOC ou AOP (très utilisés en lentille) sont souvent basés sur la variété Anicia, inscrite au catalogue en 1966, ce qui est un point faible pour l’évolution variétale. Un programme (privé-public) visant la résistance à la rouille brune et à la verse est envisagé en région Auvergne depuis 2014.

Luzerne

La luzerne cultivée appartient à un complexe d’espèces avec plusieurs niveaux de ploïdie[16]. L’espèce Medicago sativa ssp sativa, originaire des hauts plateaux iraniens, à tiges dressées, à fleurs bleues et à gousses spiralées, est introduite dans le Sud de l’Europe et de la France lors des conquêtes arabes (elle servait en particulier de fourrage pour les chevaux). Croisée avec la sous-espèce spontanée M. sativa ssp falcata, originaire de Sibérie occidentale, avec des populations naturelles dans l’Est de la France, à port prostré, à fleurs jaunes et à gousses en faucille, elle a donné lieu à une plante rustique aux faibles exigences nutritionnelles et qui est résistante au froid. Les luzernes que l’on cultive actuellement, autotétraploïdes, à fleurs bigarrées, sont issues de ce croisement et sont adaptées à la sécheresse estivale et généralement résistantes à l’hiver. C’est à partir du xviiie siècle que la luzerne va se développer dans le Bassin parisien pour ses vertus agronomiques dans les rotations céréalières.

La luzerne s’installe en 90 à 120 jours. Si elle est semée en été, la production sera optimale dès le début de l’année suivante. Si elle est semée au printemps, la production de cette première année d’implantation sera faible et c’est en deuxième année que la production sera à son optimum. La luzerne est implantée en général pour des durées de 3 à 5 ans, et elle est bien adaptée à un régime de fauche.

Le progrès génétique de la luzerne

Lors de l’ouverture du Catalogue officiel des variétés de luzerne, les populations de pays ont tout d’abord été inscrites, puis des sélections dans les populations de pays ont constitué les premières variétés synthétiques. Outre la production fourragère annuelle, la résistance à la verse, la teneur en protéines du fourrage et les résistances à des maladies ou parasites (verticilliose, anthracnose et nématodes des tiges) ont rapidement constitué des critères majeurs. Aujourd’hui, les objectifs de la sélection variétale (Annicchiarico et Julier, 2014 ; Annicchiarico et al., 2015) incluent aussi la pérennité (allongement de la durée d’exploitation des parcelles de luzerne) et la valeur énergétique (teneur en fibres comme indicateur de la digestibilité). La prise en compte de la valeur en association avec des graminées est en cours d’étude.

Si la variété Vertus inscrite en 1970 a été la première à combiner un certain niveau de résistance à la fois au nématode, à l’anthracnose et à la verticilliose, les pourcentages de plantes résistantes à chacune des maladies se sont progressivement élevés. Par exemple, pour la tolérance aux nématodes, les variétés Diane et Capri ont atteint un seuil de 50 % de plantes résistantes dans les années 1990, et la variété Mercedes a permis de franchir la barre des 80 % en 1994. Les inscriptions récentes offrent des niveaux de résistance compris entre 70 et 90 %.

De la même façon, des progrès ont été régulièrement enregistrés pour la résistance à la verticilliose (Verticillium albo-atrum), puis pour la résistance à l’anthracnose (Colletotrichum trifolii) dont l’émergence brutale a obligé l’engagement rapide des programmes de sélection. La variété Marshall inscrite en 1997 a montré sur le terrain un bon niveau de tolérance. Pour tous ces caractères, la prise en compte des notations réalisées au moment des essais officiels effectués par le Geves permet d’attester que les récentes inscriptions que sont Asmara, Everest, Félicia, Galaxie et Neptune présentent un bon niveau de tolérance face à ces parasites.

La teneur en protéines, critère de valeur alimentaire, a été incluse très tôt dans l’évaluation des variétés. La première variété à apporter une différence significative a été Harpe en 1996 avec un taux de 106 % des témoins officiels. Depuis, d’autres variétés comme Alicia, Arpège, Concerto et Marshall ont approché ou atteint ce niveau. Un second critère de valeur alimentaire a été introduit en 2006 dans l’évaluation des variétés : il s’agit de la teneur en fibres (teneur en ADF, Acid Detergent Fiber, qui inclut lignine et cellulose), dont la faible valeur traduit une meilleure digestibilité du fourrage. Malgré une corrélation négative entre le rendement et la valeur alimentaire, certaines nouvelles variétés, comme Galaxie, parviennent à combiner favorablement ces caractères.

Les sélectionneurs prennent en compte l’allongement de la durée d’exploitation des parcelles de luzerne, en améliorant la pérennité des variétés. Pour cela, le rendement en troisième année de production est un caractère efficace. Il traduit le fait que le couvert soit encore dense et que les plantes soient vigoureuses. Sur ce point, les notations lors de l’inscription au catalogue officiel permettent de constater des notes plus élevées pour les variétés les plus récentes.

En ce qui concerne les rendements, les tolérances aux différents parasites apportées par les nouvelles variétés limitent les pertes. Par ailleurs, les progrès sur le potentiel de rendement sont plus lents que pour des légumineuses annuelles pour plusieurs raisons :

  • la longueur du cycle de sélection de cette plante pérenne (le sélectionneur a besoin de trois ans pour tester une population),

  • le potentiel de rendement concerne la production de biomasse de la plante entière (moins facilement modulable que la proportion d’un seul compartiment comme dans le cas des légumineuses à graines),

  • une structure génétique complexe qui ne permet pas de créer des variétés lignées ou hybrides,

  • la croissance pluriannuelle qui ne permet pas de jouer sur la durée et le positionnement du cycle de la plante face aux stress climatiques récurrents.

Les progrès apportés par les sélectionneurs, bien que moins spectaculaires sur le potentiel de rendement, n’en demeurent pas moins réels. Les tolérances aux différents parasites permettent de sécuriser le rendement pour l’agriculteur, et l’amélioration de la valeur d’usage de la récolte apporte également un avantage pour la filière de la déshydratation.

Le renouvellement des variétés est assez rapide au cours du temps (387 variétés en Europe dont 61 en France) (Julier et al., 2014) et il est largement dynamisé par la filière de la déshydratation. Dans ce secteur bien structuré, une grande attention est donnée aux améliorations apportées par les nouvelles variétés. En Champagne-Ardenne, zone principale de la luzerne en culture pure, on dénombrait une dizaine de variétés présentes en 2010[17], dont 2 occupaient 50 % de la superficie récoltée (cette configuration est assez récurrente au cours du temps).

Au niveau international, il existe des variétés génétiquement modifiées, en particulier pour être résistantes à un herbicide (glyphosate) ou pour une modification de la composition biochimique pour améliorer la valeur alimentaire. Aucune luzerne génétiquement modifiée n’est inscrite au catalogue national ou européen.

Pour la luzerne comme pour les autres légumineuses, les études conduites depuis une vingtaine d’années sur la génomique de l’espèce modèle Medicago truncatula a permis d’acquérir de nombreuses connaissances sur le génome des espèces cultivées, la mise au point de marqueurs moléculaires permettant la description de la diversité génétique et l’étude du déterminisme génétique des caractères d’intérêt agronomique. En ce qui concerne la luzerne et l’ensemble des légumineuses fourragères, malgré la proximité phylogénétique avec M. truncatula, ces connaissances ne se traduisent pas encore vraiment dans les programmes de sélection.

Trèfles (Trifolium spp)

Parmi les nombreuses espèces de trèfle, trois seront décrites ici : le trèfle blanc et le trèfle violet utilisés en fourrage, et le trèfle incarnat utilisé en fourrage et en culture intermédiaire.

Le trèfle blanc (Trifolium repens) est originaire de la région méditerranéenne et s’est dispersé naturellement en Europe et en Asie occidentale. Il a ensuite été introduit pour être cultivé dans les autres régions tempérées du monde où il s’est naturalisé. Le trèfle blanc est allotétraploïde, et deux espèces ancestrales diploïdes, T. occidentale et T. nigrescens ou T. pallescens, seraient ses progéniteurs. Il aurait été domestiqué dans les Flandres au xvie siècle, d’où il aurait été exporté dans d’autres régions d’Europe. Les variétés se distinguent traditionnellement par la taille des feuilles, petites, moyennes ou grandes. Les types à petites feuilles (ou nains) sont prostrés, très stolonifères avec des stolons[18] fins et ramifiés. Les types à grandes feuilles ont des pétioles[19] longs, des stolons moins nombreux mais plus épais et un système racinaire plus robuste. Ces types géants sont subdivisés en deux catégories : les géants riches en acide cyanhydrique (qui protègerait les plantes contre certains parasites), et les Ladino, originaires d’Italie, qui en sont dépourvus. Les types intermédiaires, aussi appelés hollandicum, sont les plus fréquents au sein des variétés européennes. Ce classement en trois types est difficile à maintenir puisque les variétés actuelles sont issues de programmes ayant puisé dans ces différentes sources de variation, et que des recombinaisons entre la taille des feuilles et les capacités de ramification ont été recherchées (Annicchiarico et al., 2015).

Malgré les surfaces importantes de prairies semées comportant du trèfle blanc, les programmes de sélection du trèfle blanc sont inexistants en France. Les variétés cultivées ont généralement été sélectionnées en Grande-Bretagne, Irlande ou Nouvelle-Zélande avant d’être testées en France.

Le trèfle blanc est toujours cultivé en association avec des graminées fourragères. C’est la légumineuse fourragère la mieux adaptée au pâturage, lequel génère chez le trèfle blanc une défoliation sans que les tiges soient sectionnées. En conséquence, le pâturage laisse une importante population de bourgeons dont de nouveaux stolons peuvent émerger. Il est très important de choisir judicieusement la paire « variété de trèfle blanc/variété et espèce de graminée », en tenant compte du milieu et du mode d’exploitation (fauche, pâturage…) qui favorisent parfois l’une des espèces au détriment de l’autre (voir chapitre 3).

Le trèfle violet (Trifolium pratense) existe à l’état sauvage en Europe, en Afrique du Nord et dans l’Ouest de l’Asie. Sa forme cultivée aurait été introduite par les Espagnols au xvie siècle dans le Nord de l’Europe (Belgique, Pays-Bas) et en Europe centrale où il existe aujourd’hui des populations naturelles (Mattenklee en Suisse). Au cours de cette diversification, le type atlantique du Nord de l’Europe, précoce, aurait gardé la sensibilité au froid issu du matériel espagnol, alors qu’en Europe centrale, des formes plus tardives et plus résistantes au froid auraient émergé (Mousset-Declas, 1995). Le trèfle violet a été récemment introduit en Amérique, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La culture du trèfle violet a réellement débuté à la fin du xviiie siècle, où il a été apprécié pour son rôle sur la fertilité azotée du sol et pour la production d’un fourrage riche en protéines. Avec ses tiges érigées et sa racine principale pivotante, il est, comme la luzerne, adapté à une récolte en fauche mais incapable d’expansion horizontale. Il est cultivé pur ou en association, et parfois pâturé. Il est plus tolérant aux sols acides que la luzerne, s’accommodant de sols allant jusqu’à des pH de 5,5. Des programmes de tétraploïdisation ont été engagés dès les années 1940 en Europe et ont montré les avantages agronomiques des variétés tétraploïdes pour les composantes du rendement et pour la valeur alimentaire. Le développement de ces variétés tétraploïdes est limité par leur moindre production de semences. De façon intrinsèque, et en raison de sa morphogenèse (les nouvelles tiges se développent à l’extérieur de la couronne, laissant le centre vide), le trèfle violet est peu pérenne (2 à 3 ans) mais ce critère fait l’objet de sélection (Annicchiarico et al., 2015). En France, le rendement en 3e année d’essai est fortement pris en compte lors de l’inscription pour favoriser les variétés plus pérennes. Cette pérennité est aussi compromise par des ravageurs. C’est la raison pour laquelle les caractères de résistance à différentes maladies, dont Sclerotinia trifoliorum, et au nématode des tiges (Ditylenchus dipsaci) ont été inclus dans les programmes d’amélioration. Les variétés sont aussi évaluées pour leur résistance à la verse. Au 1er septembre 2014, il y a 34 variétés au Catalogue officiel français, dont deux sont tétraploïdes.

Le trèfle incarnat (Trifolium incarnatum) est une espèce annuelle à port relativement érigé et à inflorescences terminales dressées de couleur rouge incarnat. Il est originaire d’Europe du Sud où il est traditionnellement cultivé comme fourrage annuel. Facile à implanter, il est semé en été et récolté ou pâturé en fin d’hiver. Sa culture en association avec le ray-grass italien semble fréquente, même si le choix du ray-grass hybride, graminée moins gourmande en azote, est plus pertinent agronomiquement. Depuis quelques années, il connaît un intérêt comme culture intermédiaire, semé en été après la récolte d’une culture annuelle (céréales, colza, maïs) et récolté ou détruit avant le semis d’une culture de printemps (maïs, tournesol). En effet, il enrichit le sol en azote comme toute légumineuse, le couvre bien pour lutter contre les adventices, et en améliore la structure. Sa relative sensibilité au froid peut être considérée, dans cet usage, comme un avantage qui évite un travail de destruction de la culture. Il y a 35 variétés de trèfle incarnat au Catalogue européen des variétés, la plupart inscrites en Italie, quelques-unes inscrites dans des pays d’Europe centrale. Une seule variété, Carmina, est inscrite en France depuis 2003.

Autres

Le sainfoin ou esparcette (Onobrychis viciifolia) est originaire d’Europe centrale et du Sud, ainsi que de l’Asie du Sud-Ouest. Il tolère les sols très alcalins (pH = 9) et s’adapte mieux aux sols acides que la luzerne. En conditions favorables, le sainfoin produit moins de fourrage que la luzerne ou le trèfle violet et il est moins pérenne. En revanche, dans les sols calcaires à pH élevé, il montre des avantages certains dès l’implantation et, ensuite, pour la production fourragère. Il est résistant à la sécheresse et au froid, pouvant être cultivé en zone de moyenne montagne. Il produit un fourrage de grande qualité (riche en protéines et en sucres solubles, avec présence de tanins condensés). La présence de sucres solubles dans les organes végétatifs du sainfoin est unique parmi toutes les légumineuses fourragères et permettrait de le conserver facilement sous forme d’ensilage. La régression drastique de sa culture — plus de 700 000 ha avant 1940, quelques milliers d’ha actuellement (statistiques indisponibles) — est liée à la faible production de semences, ce qui aggrave le fait que son intérêt soit réservé à des zones défavorisées, où un prix élevé des semences est difficile à absorber. Les productions de semences fermières représentent une part importante des semences utilisées. Dans cette situation, la création variétale est minimale (seulement deux variétés inscrites en France) et cette espèce connaît donc peu d’amélioration génétique actuellement malgré des études européennes de diversité en cours et démontrant un grand potentiel pour l’amélioration. Le catalogue européen comprend 22 variétés (dont certaines inscriptions de 2010 et 2011).

Le lotier (Lotus corniculatus) est une espèce assez érigée, tétraploïde, originaire d’Europe de l’Ouest et d’Afrique du Nord. Des populations spontanées, à port parfois prostré, sont présentes dans ces régions. Il est secondairement distribué en Amérique, en Europe centrale et en Asie. Comme le sainfoin, son potentiel de rendement en zone favorable est inférieur à celui de la luzerne et du trèfle violet. Il garde un intérêt pour des zones séchantes, mais aussi pour des sols hydromorphes à pH très bas. Il est principalement cultivé en association avec des espèces peu agressives. Les semences sont principalement produites en Uruguay et au Canada, et leur prix peut être élevé. Dans cette situation, les programmes de sélection sont peu actifs : il n’existe que 29 variétés au Catalogue européen, mais plus aucune n’est inscrite en France.

Le lotier, comme le sainfoin, produit un fourrage riche en tanins condensés (voir chapitre 3). Ces composés secondaires présentent des avantages pour la valorisation des protéines de la ration des ruminants. En effet, chez les légumineuses fourragères, les protéines végétales crues, très solubles, sont largement dégradées dans le rumen et une partie des produits azotés issus de la dégradation est excrétée par voie urinaire, générant une pollution azotée et nécessitant de fournir davantage de protéines dans la ration. Les tanins limitent cette dégradation ruminale. En outre, du fait de la présence de tanins, le sainfoin n’est pas météorisant, au contraire de la luzerne et des trèfles. Enfin, les tanins condensés interviennent pour limiter le parasitisme des ruminants au pâturage (Hoste et al., 2006). Cet effet est particulièrement apprécié pour les ovins et les caprins. La prise en compte de ces effets positifs des tanins condensés pourrait favoriser un certain développement du sainfoin et du lotier.

Les gesses (Lathyrus spp) sont très rares en France et en Europe et n’ont pas de catalogue européen. Les graines sont riches en composés secondaires antinutritionnels, et peuvent générer du lathyrisme (maladie neurologique). En tant qu’espèce fourragère, l’implantation est lente et limite considérablement l’intérêt des espèces ayant le plus grand développement (Lathyrus sativus). En prairies permanentes, sur milieux peu fertiles, on rencontre certaines gesses, comme la gesse des prés (Lathyrus pratensis).

Le fenugrec (Trigonella foenum-graecum), aussi appelé Trigonelle ou Sénégrain, est une plante annuelle à fleurs d’un blanc jaunâtre et à graines anguleuses de couleur brun clair et à odeur forte spécifique. Utilisée comme fourrage dans l’Antiquité (et encore aujourd’hui en Inde), cette plante est utilisée de nos jours principalement comme plante médicinale et condimentaire. Cependant, le fenugrec est aussi utilisé en agriculture biologique comme engrais vert et, depuis peu, il apparaît fréquemment dans les mélanges d’espèces semés en interculture dans les systèmes céréaliers.

Pour toutes les espèces fourragères cultivées pour produire de la biomasse végétative, la question des progrès génétiques et agronomiques pour la production de semences est cruciale car elle détermine le prix des semences. Luzerne, trèfle blanc et trèfle violet ont fait l’objet de programmes d’amélioration génétique, même si ce caractère n’est pas pris en compte lors de l’inscription au Catalogue officiel des variétés, et de mises au point techniques pour la gestion des parcelles de production de semences (Boelt et al., 2015). On notera que la France est un acteur majeur de la production de semences de luzerne dans le monde, et ceci grâce aux conditions pédoclimatiques favorables, à la structure morcelée des paysages agricoles et à la technicité des agriculteurs-multiplicateurs de semences.

Recherche et développement

L’existence de grands programmes publics et privés de recherche et de sélection au niveau international sur luzerne et sur trèfles bénéficie au marché français et conduit à de nombreux partenariats et collaborations avec les entreprises et les laboratoires de recherche français sur les légumineuses fourragères. De même, les légumineuses à graines connaissent une forte dynamique internationale en recherche et développement du fait de l’importance du soja mais également des légumineuses alimentaires des pays moins développés (programmes de l’Icarda et de l’Icrisat) et des protéagineux dans les pays exportateurs (Chine et Russie dans les années 1970 et actuellement Canada et Australie).

La structuration de la collaboration européenne sur les légumineuses a été initiée dans les années 1990 via la mise en place de l’AEP (Association européenne de recherche sur les légumineuses à graines) assurant échanges et concertation au sein des différents pays, secteurs d’activités et disciplines scientifiques[20]. De 1992 à 2008, l’AEP a permis la mise en place d’une trentaine de projets de recherche de dimension européenne, en lien étroit avec la profession agricole, et la coordination avec les acteurs et programmes internationaux (échanges avec l’IFLRC, l’Icarda et l’Icrisat notamment). Cette dynamique de fond a établi un riche et solide partenariat. Depuis 2012, une nouvelle entité (International Legume Society) a pris le relais pour accompagner la coordination entre chercheurs.

En France, l’Inra est l’institut de recherche européen qui a investi le plus en matière de recherche sur les protéagineux, en étroite collaboration avec l’Unip (Interprofession des plantes riches en protéines), et a développé un partenariat fort avec tous les partenaires professionnels (Unip-Arvalis-Institut du végétal-Fnams-CTPS, Cetiom, Rad-Civam, Chambres d’agriculture, sélectionneurs). Les actions collectives ont permis d’orienter la recherche vers les priorités de la filière et de valider et transférer les solutions proposées[21].

Récemment, un soutien national significatif via le programme Investissement d’Avenir PeaMUST[22] (2012-2018) apporte un nouvel élan prometteur de grande ampleur. Ce programme vise à développer de nouvelles variétés de pois et d’optimiser leurs interactions pour stabiliser le rendement et la qualité des graines de pois (et de féverole), dans le contexte du changement climatique et de la réduction de l’utilisation des pesticides . PeaMUST mettra à profit les technologies de séquençage, génotypage et phénotypage à haut débit pour aborder le défi de l’augmentation de la tolérance aux stress multiples (conjugaison de contraintes responsables de l’instabilité des rendements). Ce soutien à la recherche reste toutefois à consolider avec des programmes complémentaires ciblés sur les systèmes de production et sur le développement agricole.

À retenir. Des filières jeunes et des investissements relativement modestes en amélioration variétale.

Ce n’est que depuis une trentaine d’années que les filières de production des légumineuses à graines s’organisent en Europe, la France en étant un acteur important. La taille réduite et la relative jeunesse des programmes de sélection privés limitent la force du levier d’amélioration génétique pour accroître les performances de ces espèces. Les actions publiques nationales ou européennes tendent à corriger cette faiblesse (cas des protéagineux et, dans une moindre mesure, du soja en France) mais le volume global d’investissement reste modeste par rapport à celui des autres grandes cultures. La mise en place récente d’un programme national sur le pois va contribuer à doter la sélection française de ressources génomiques essentielles. La dynamique en recherche et développement sur les légumineuses au niveau international est forte du fait de l’importance du soja mais également des légumineuses alimentaires des pays moins développés (programmes de l’Icarda et de l’Icrisat) et des pays exportateurs comme le Canada et l’Australie. La collaboration européenne sur les légumineuses a été structurée et stimulée dans les années 1990 avec le support de l’AEP jusqu’en 2007.

Les légumineuses fourragères, bien qu’ayant plus d’« ancienneté » que les légumineuses annuelles en France, sont également des filières dans lesquelles l’investissement en amélioration variétale est relativement jeune et restreint, à l’exception de la filière luzerne. L’existence de grands programmes publics et privés de recherche et de sélection au niveau international sur luzerne et sur trèfles bénéficie au marché français et conduit à des nombreux partenariats et collaborations impliquant les équipes françaises.

Par ailleurs, les cultures dites « mineures », c’est-à-dire avec peu de surfaces, ce qui est le cas de nombreuses légumineuses, ont un environnement technique restreint (réduction des compétences et conseil techniques, limites sur l’homologation de produits phytosanitaires), alors que la maîtrise des pressions biotiques et abiotiques s’avère cruciale pour que ces cultures expriment pleinement leur potentiel. Il y a un fort besoin d’expertise individuelle locale, et de disponibilité d’outils de pilotage afin de faciliter leur conduite par l’agriculteur.

Production des légumineuses à graines

Après avoir rappelé la situation internationale, nous détaillerons la production française des différentes espèces de légumineuses à graines. Cet ouvrage traite des légumineuses selon leur mode d’insertion dans les systèmes (tableau 1.2) mais les statistiques disponibles sur les productions reprennent les catégories relatives à des réglementations qui peuvent différer entre les échelons national, européen et international (encadré 1.3).

Encadré 1.3. Des règlementations différentes selon les espèces de légumineuses.

Au niveau de l’Union européenne :

  • protéagineux (CEE n°1765/92) : pois, fève, féverole, lupin doux ;

  • oléagineux (CEE n°1765/92) : soja ;

  • légumineuses à graines (CEE n°1577/96) : lentille, pois chiche, vesce ;

  • légumineuses fourragères (CEE n°1251/99) : luzerne, trèfle, sainfoin ;

  • prairies (indirectement pour les légumineuses contribuant aux prairies permanentes) : BCAE (Bonnes conditions agricoles et environnementales) n°VI « Gestion des surfaces en herbe ».

En France, le ministère en charge de l’agriculture a désigné en 2009 sous le terme de légumineuses (TERCIA, 2007) un groupe d’espèces « formé des légumes secs et protéagineux incluant fèves, féveroles, haricots secs, lentilles, lupin, mélange de légumes secs, mélange de céréales et légumes secs, pois chiche, pois fourrager et vesce velue, pois sec et vesce ». Le soja est intégré dans cet ensemble en 2013. En 2014, une impulsion politique est engagée sur les légumineuses avec notamment la mise en place d’un plan protéines et le programme d’agroécologie proposé pour l’agriculture française (voir Le nouveau contexte et chapitre 7).

Paysage international

Situation mondiale

La production mondiale des légumineuses à graines est estimée à 334 millions de tonnes (Mt) par an en moyenne entre 2008 et 2012, avec le soja comme espèce cultivée majoritaire (78 % avec 262 Mt), les autres légumineuses à graines étant évaluées à 72,5 Mt (figure 1.5).

Cette production mondiale des légumineuses à graines représente 12,5 % de la production mondiale des céréales en 2012. Ce chiffre était de 7 % dans les années 1970 : la production mondiale de légumineuses à graines a progressé deux fois plus vite que celle des céréales (du fait du soja essentiellement), c’est-à-dire avec une évolution de + 325 % entre 1964 et 2012 contre + 150 % pour les céréales. Rappelons que les céréales majoritaires sont le maïs (34 % de la production mondiale des céréales sur 2008-2011), le riz (30 %) et le blé (26 %).

Figure 1.5. Répartition de la production mondiale des légumineuses à graines en moyenne annuelle entre 2008 et 2012. Sources : Eurostat et Unip pour les productions européennes de certaines espèces, et FAO pour le reste.

Les légumineuses à graines hors soja ont connu plus de 50 % d’augmentation en 30 ans (entre 1980 et 2010). Le pois représente 10,5 Mt et la féverole, 6 Mt en 2010.

Le soja est la culture dominante des légumineuses à graines, représentant 75 % de la production mondiale avec 240 Mt en 2012 (augmentation de 215 % en 30 ans de 1975 à 2005, puis de 30 % entre 2005 et 2015). C’est également l’espèce prépondérante avec 70-75 % de la production de l’ensemble des principales graines riches en huile (oléagineux), dont 90 Mt de colza et de tournesol. Historiquement, le soja est cultivé prioritairement pour sa richesse en huile (teneur de 18 à 20 %) et ensuite pour les co-produits de l’extraction de l’huile, les tourteaux, valorisés en alimentation animale. Ce qui était surtout un « résidu » auparavant est maintenant parfois le premier produit visé (« l’or vert » dans certains pays).

Le développement du soja a été particulièrement fort entre les années 1970 et 2000. Sa production est à 80 % détenue par 3 pays (moyenne entre 2008 et 2012) : États-Unis (33 %), Brésil (25 %) et Argentine (17 %), avec une progression spectaculaire des volumes de production de ces producteurs du continent américain. Ensuite viennent la Chine (6 %), l’Inde (4 %), le Paraguay (2 %), le Canada (1 %) et l’Ukraine (1 %) (figure 1.6).

Figure 1.6. Production mondiale de graines de soja. Source : Unip-Onidol, d’après OilWord et USDA.

Depuis la fin des années 1990, l’extension continue des surfaces en culture de soja OGM (organisme génétiquement modifié) dans le monde, et en particulier aux États-Unis (93 % des surfaces selon un rapport de l’USDA) et en Argentine, a conduit à une segmentation du marché, notamment dans l’UE. Des filières d’approvisionnement de soja dites « OGM-free » ou « PCR négatif », ainsi que des filières IP (Identity Preserved) se sont mises en place, dans un premier temps à partir du Brésil, puis à partir d’autres pays comme le Canada.

Depuis 2005-2006, les importations de tourteaux de soja par la Chine grossissent rapidement car la production de soja y reste stable alors que les besoins augmentent fortement. Cela crée une tension croissante et durable sur les marchés internationaux (voir Flux commerciaux et tensions sur la demande en protéines au niveau mondial ).

La lentille est un exemple de légumineuses plus minoritaires. Jusque dans les années 2000, l’Inde produisait les deux tiers de la production mondiale de lentille qui était de l’ordre de 8 Mt dans les années 1990. Le Canada est ensuite devenu le deuxième acteur majeur. De nos jours, ces deux pays produisent 60 % de la production mondiale de lentilles (près de 5 Mt) tous types confondus. Les autres producteurs sont la Turquie, les États-Unis, l’Australie, l’Éthiopie et le Népal. L’UE produit moins du tiers de ses besoins avec 60 000 t — produites principalement en Espagne (près de 50 % en moyenne mais avec de fortes fluctuations interannuelles liées aux variations de rendement) et en France — et importait près de 190 000 t de lentilles dans les années 2010.

Situation européenne

L’Union européenne à 27 (UE-27) produit moins de 2 % de la production mondiale de légumineuses à graines (0,5 % pour le soja et 9 % pour les autres espèces). Toutes espèces confondues, les légumineuses à graines de l’UE représentent annuellement, en moyenne entre 2008 et 2012, une surface de 1,7 million ha (dont 35 % de pois) et une production de 4 Mt (figure 1.7), avec 37 % de pois et 30 % de féveroles. La France est le plus gros producteur avec 29 % de la production de l’UE, devant l’Italie (17 %) le Royaume-Uni (15 %) et l’Espagne (8 %).

Les débouchés de la production européenne sont majoritairement constitués par l’alimentation animale (environ 80 % dans les années 1980 et actuellement 50 %), avec l’expansion de certains débouchés comme les exportations pour l’alimentation humaine et les débouchés de niche en tant qu’ingrédients agroalimentaires (voir Diversité d’utilisation des produits de récolte ).

Figure 1.7. Production de légumineuses à graines en Union européenne : répartition par espèce et par pays (moyenne 2008-2012). Sources : Unip-Eurostat-FAO.

En Europe, la production de légumineuses à graines a connu une rapide extension dans les années 1980 grâce au premier plan protéines (figure 1.8). Ce plan a été mis en place par l’UE suite à l’embargo américain sur le soja en 1973, embargo qui a privé l’UE de sa source de protéines pour les animaux (forte dépendance des élevages européens au tourteau de soja importé). L’espèce dont les surfaces ont le plus augmenté est le pois protéagineux, espèce pour laquelle la France est un acteur majeur.

La production européenne des protéagineux (pois, lupins, féverole) a atteint un plafond entre 1988 et 2003, avec une série de variations interannuelles. Après le développement des surfaces dans les années 1980, la production oscille autour de 5,2 Mt dans les années 1990 (4,2 pour le pois). Le pic des emblavements est atteint en 1998 avec 1 453 000 ha (et 5 795 000 t) et une augmentation des cultures de pois (très majoritaire) aux dépens de la féverole. À partir de 2005, les surfaces européennes des protéagineux connaissent un déclin prononcé malgré un sursaut en 2010 (figure 1.8). Les facteurs socio-économiques expliquant ces évolutions, dont l’influence des politiques publiques (Thomas et al., 2013), ont été analysés au niveau européen par un groupe d’experts dans un projet « Eurocrop » (Schneider, 2007 ; Collective, 2008), et sont détaillés pour le cas français dans le chapitre 7 (voir Rétrospective historique ).

Figure 1.8. Évolution des surfaces de protéagineux dans l’Union européenne (UE à 12 puis à 15 jusqu’en 2003, à 25 jusqu’en 2006 puis à 27). Source : Unip.

Concernant le soja, la production européenne a atteint un pic en 1989, puis à nouveau en 1998. Depuis, les surfaces ont décliné pour les mêmes raisons qu’en France (comme développé dans le chapitre 7). L’Italie est le premier producteur (environ 50 % de la production), suivie de la Roumanie depuis son intégration à l’UE. La France occupe la 2e ou 3e position selon les années.

Globalement, la place des légumineuses à graines reste mineure au sein des grandes cultures, en Europe comme en France. La part des surfaces de légumineuses à graines dans la sole « grandes cultures » est de 1,8 % en moyenne entre 2008 et 2012 (figure 1.9), avec des variations selon les États membres (de 0,3 % à 5,2 % hors Malte) et les années (de 0,3 % à 7 %), ce qui est faible par rapport à la moyenne en Amérique du Nord ou en Asie (entre 10 et 25 %).

Figure 1.9. Part relative des surfaces de légumineuses à graines par rapport aux principales grandes cultures dans les pays de l’UE-27 en moyenne pour la période 2008-2012. Source : Unip sur la base des données Eurostat et ajustements avec sources nationales pour certaines espèces et pays.

Bien qu’un accompagnement technique et scientifique se soit développé lors de l’essor des surfaces de légumineuses à graines, l’amélioration génétique, l’expertise scientifique et technique et l’organisation de cette filière sont relativement récentes et restreintes par rapport aux autres cultures telles que les céréales (comme le blé, grande culture dominante) ou même les oléagineux (colza et tournesol). Ces derniers ont connu un essor plus récemment mais avec davantage de moyens du fait de l’existence du débouché des huiles (débouchés alimentaire et biocarburants) (voir chapitre 7).

À retenir. Production mondiale.

En ce qui concerne les légumineuses prairiales et fourragères, la luzerne est la principale espèce de légumineuse fourragère en culture monospécifique au niveau mondial, tandis que le trèfle blanc occupe les surfaces les plus importantes en prairie multi-spécifique.

Pour les légumineuses à graines, le soja représente les ¾ de la production mondiale (principalement Brésil, États-Unis et Argentine, avec essentiellement du soja OGM), mais est minoritaire en France et en Europe. Si l’Europe produit très peu de soja, elle représente en revanche environ 20 % de la production mondiale de protéagineux. En dehors de l’Europe, les principales zones de production sont, pour le pois, le Canada et la Fédération de Russie, pour la féverole, la Chine, l’Afrique du Nord et l’Australie, pour les lupins, la Nouvelle-Zélande et l’Amérique du Sud.

Production de protéagineux et de soja en France

Les protéagineux (pois, féverole et lupins doux d’après la réglementation européenne) et le soja représentent 94 % des surfaces françaises de légumineuses à graines ces dernières années (figure 1.10), le reste correspondant aux légumes secs.

Figure 1.10. Surfaces de légumineuses à graines (toutes espèces) en France en moyenne par an entre 2008-2012 Source : Unip.

Évolutions mouvementées

En France en 2012, les protéagineux occupent seulement 197 000 ha, c’est-à-dire 1,65 % de la surface en céréales, oléagineux et protéagineux (SCOP) après avoir connu un développement atteignant 753 750 ha en 1993 (dont 737 500 ha de pois). Les surfaces de soja ont aussi fluctué avec deux pics historiques en 1989 (134 000 ha) et 2001 (120 000 hectares) puis ont régressé jusqu’à occuper 38 000 ha. Depuis une quinzaine d’années en France, les surfaces de pois (et en conséquence de protéagineux et de légumineuses à graines) observent un recul très net (figure 1.11).

Les facteurs explicatifs de ce recul sont multiples et dominés par des évolutions réglementaires, ainsi que par la dégradation de la compétitivité relative par rapport à d’autres cultures en termes de prix et de rendement. Une analyse de la filière des protéagineux (Boutin et al., 2008) avait proposé des éléments sur les défis auxquels elle est confrontée et des synthèses plus récentes reviennent sur les éléments marquants (Thomas et al., 2013 ; Voisin et al., 2014). Une analyse plus détaillée des facteurs socio-économiques des évolutions de l’ensemble des légumineuses est reprise par le chapitre 7 (Rétrospective historique ).

Figure 1.11. Évolution des surfaces de protéagineux et de soja en France. Source : Unip-Onidol.

Depuis quelques années, les surfaces de légumineuses à graines en agriculture biologique (AB) augmentent de façon significative même si ce mode de production reste minoritaire (figure 1.12). Les légumineuses représentent alors un élément clé pour ce mode de production en offrant une voie d’entrée d’azote dans le système, alternative aux engrais de synthèse, en plus de la source de diversification qui permet une lutte non chimique contre les adventices. La présence ou non d’une tête de rotation pluriannuelle comportant une ou des légumineuses est même un fait marquant qui permet de guider une partie de la typologie des rotations et assolements en AB[23]. La gestion de la nutrition azotée passe par l’introduction en proportions suffisantes de légumineuses dans la rotation (30 à 60 %, ce qui est très supérieur aux systèmes conventionnels) (voir Légumineuses en agriculture biologique ).

Figure 1.12. Évolution des surfaces de légumineuses à graines production biologique en France. Source : Unip d’après Agence Bio.

Sont comptabilisées ici les parcelles certifiées biologiques (conduites depuis plus de 2 ans en culture bio) ainsi que les parcelles en conversion (parcelles en 2e année de conduite en agriculture bio et parcelles en 1re année de conversion, celles-ci n’étant pas valorisables en alimentation animale bio et ne peuvent être destinées qu’au secteur conventionnel). Les données associations sont des statistiques à partir de 2011 et des estimations pour les années précédentes (cherchant à rectifier le chevauchement des catégories « associations céréales-légumineuses » et « mélanges céréaliers »[24]).

Dans le paysage agricole actuel, les protéagineux et le soja sont très majoritairement cultivés en culture monospécifique. Récemment cependant, les associations céréales-protéagineux réapparaissent dans les systèmes céréaliers spécialisés en AB (figure 1.12) mais aussi en production conventionnelle, pour mieux gérer les adventices notamment. Ces pratiques étaient largement présentes en France et Europe jusqu’au milieu des années 1950 mais étaient devenues très marginales, surtout en conventionnel (figure 1.13), et prioritairement affiliées à la production de fourrages (méteils) en systèmes de polyculture-élevage. Depuis une dizaine d’années et progressivement, les associations céréales-protéagineux se redéveloppent. Elles sont cultivées dans les zones d’élevage pour être récoltées soit en fourrage sous forme d’ensilage de mélanges immatures, soit en grains pour l’autoconsommation à la ferme. Elles réapparaissent aussi dans les secteurs céréaliers pour des systèmes à moindres intrants visant prioritairement la production soit de céréales, soit de protéagineux, en pilotant des éléments de l’itinéraire technique (voir chapitre 3) et notamment les pourcentages et densités des espèces au semis.

Figure 1.13. Surfaces estimées de mélange pois-céréales en France (toutes utilisations finales confondues), sur la base des ventes de semences certifiées de pois fourragers en France (base 25 kg/ha). Source : Unip.

D’après l’Agence Bio, on dénombrait en 2013 plus de 28 000 ha d’associations céréales-pois et environ 3 000 ha de « mélanges céréaliers » conduits en AB (encadré 1.4).

Encadré 1.4. Terminologie pour les associations de culture dans la pratique agricole française.

Dans la pratique, les cultures en association de céréales et de protéagineux sont souvent appelées « mélanges céréaliers », mais ce terme porte à confusion. Un « mélange » désigne aussi la culture associée de plusieurs variétés au sein d’une même espèce (par exemple mélange de variétés de blé), alors qu’une « association » concerne plusieurs espèces (voir lexique ).

Dans les catégories utilisées pour la PAC (grilles sur les formulaires de déclarations des agriculteurs), les associations céréales-protéagineux sont considérées comme des céréales si elles contiennent une majorité de céréales, et comme des protéagineux si les protéagineux (pois, féveroles ou lupins doux) « prédominent dans le mélange » (dans ce cas, et si elles sont récoltées après le stade « grains laiteux », elles peuvent bénéficier de l’aide couplée aux protéagineux).

Les associations céréales-protéagineux peuvent être binaires (2 espèces), ternaires (3 espèces) ou complexes (plus de quatre espèces).

Nous proposons d’utiliser le terme d’« association de cultures » (ou « cultures associées ») uniquement dans le cas où les produits des deux cultures sont récoltés (culture de rente ).

À retenir. Les légumineuses, incontournables en agriculture biologique.

Les légumineuses sont cruciales dans les modes de production en agriculture biologique (AB), c’est-à-dire sans intrants de synthèse, modes pour lesquels la fertilité des sols et la maîtrise de la flore adventice sont les principales préoccupations agronomiques (systèmes céréaliers) et la recherche de l’autonomie alimentaire (systèmes en polyculture-élevage), un facteur de durabilité. Les légumineuses sont très présentes dans les rotations des cultures pratiquées en grandes cultures en AB (légumineuses à graines ou fourragères, cultures intermédiaires), de l’ordre de 30 à 55 %, soit bien plus qu’en agriculture conventionnelle. Ceci s’explique par l’entrée d’azote dans le système que permettent ces cultures (fixation d’azote symbiotique), dans un contexte où les engrais organiques se font rares et chers, mais aussi par les services agronomiques rendus en diversifiant la rotation (contrôle des adventices, structure du sol…). Les analyses des performances des rotations dans des systèmes sans élevage montrent, pour les rotations courtes (3/4 ans), un avantage économique à l’hectare mais une plus faible durabilité (enherbement problématique et dépendance aux intrants exogènes), tandis que les rotations longues (plus de 7 ans, démarrant par une prairie temporaire à base de légumineuses), souvent dans des sols à potentiels inférieurs, sont plus performantes sur le plan agronomique et environnemental, et sont plus résilientes. Concernant les légumineuses à graines, les surfaces restent modestes en AB, notamment en lien avec les difficultés de maîtrise des bioagresseurs (pois, féverole). On observe néanmoins une augmentation soutenue des surfaces de légumineuses à graines en AB depuis le début des années 2010, à lier au nombre croissant de conversions à l’AB et à la demande pour ces cultures (soja en alimentation humaine et animale, féverole et pois en alimentation animale). Si les débouchés en alimentation humaine restent actuellement plus attractifs, les forts besoins en protéines en alimentation animale contribuent à l’augmentation des surfaces et à l’évolution des pratiques des collecteurs en AB, de plus en plus ouverts au tri et à la valorisation des associations de culture (obligation d’une alimentation 100 % bio pour les monogastriques en AB d’ici 2018).

Un panel de quatre espèces pour des adaptations territoriales

Les différentes légumineuses à graines cultivées en France montrent des complémentarités territoriales intéressantes pour répondre aux différents besoins selon les conditions pédoclimatiques, les spécificités de l’espèce (type hiver ou printemps, adaptée aux systèmes secs ou irrigués, etc.) et les demandes des marchés locaux : le pois dans les systèmes céréaliers de la partie nord de la France, la féverole en production conventionnelle dans le Nord ou en bio dans le Sud-Ouest, le soja en systèmes irrigués ou bien alimentés en eau du Sud et de l’Est, et enfin le lupin dans les régions de polyculture élevage ou pour des contrats en agroalimentaire (figure 1.14).

La culture du pois a investi rapidement les surfaces en protéagineux lors du plan protéines des années 1980 en s’installant principalement dans les systèmes céréaliers du grand Bassin parisien et des régions Centre et Nord de la France.

La culture de soja s’est réellement implantée à partir des années 1980 dans deux principales zones favorables sur le plan pédoclimatique : le Sud-Ouest (Aquitaine et Midi-Pyrénées) et l’Est (de Rhône-Alpes jusqu’à l’Alsace). Aujourd’hui encore, ces deux zones représentent plus de 90 % des surfaces totales de soja en France.

Figure 1.14. Répartition des surfaces de pois, féverole, soja et lupin par département en France en 2014. Source : Unip et Onidol, à partir des données SSP (Service de la statistique et de la prospective, au sein du ministère français en charge de l’Agriculture).

Des facteurs explicatifs différents

Après le pic des années 1992-1993, les protéagineux sont maintenant redevenus une part mineure des terres labourables en conservant les mêmes grandes zones de production, mais ce sont surtout les zones à fort potentiel agronomique (nord et nord-ouest) qui ont connu un recul drastique des surfaces (figure 1.15).

Figure 1.15. Évolution de la part des protéagineux (pois, féverole et lupin) dans les terres labourables entre 1993 (pic de production) et 2012 (situation actuelle). Source : Unip-Inra Mirecourt sur la base des surfaces agricoles annuelles.

Les rendements des protéagineux (pois et féverole) sont perçus comme variables par les producteurs. Cependant, l’analyse des rendements observés, en moyenne nationale, au cours des dernières années souligne surtout l’augmentation de l’écart entre le pois et le blé (et le maïs), liée à une tendance à la stagnation ou à la baisse (selon les régions) de la moyenne des rendements du pois, pour partie du fait du déplacement des zones de cultures. Par exemple, le rapport du rendement national moyen de blé sur celui du pois est de 1,4 en 1982 (53 et 38,4 q/ha) et de 1,6 en 2012 (72,7 et 44 q/ha) (figure 1.16).

Une analyse de la variabilité (pédoclimatique et pluriannuelle) des rendements de légumineuses à graines est reprise en détail dans le chapitre 3. Les producteurs[25] considèrent le soja comme une culture au rendement globalement régulier et sans surprise, même si ce rendement est relativement faible (inférieur à 30 q/ha). Cette perception est confirmée par les rendements moyens qui montrent une bonne stabilité, hormis les années à événement climatique exceptionnel : pluies excessives de l’automne 1992 et sécheresse extrême de 2003. L’irrigation qui concerne la moitié des surfaces y contribue en partie.

Figure 1.16. Évolution des rendements moyens des principales légumineuses à graines et autres cultures annuelles en France. Source : Eurostat, SCEES, Unip.

La production en forte baisse (ou la moindre disponibilité pour certains débouchés) des protéagineux et du soja a des effets de masse critique sur l’aval :

  • si le volume en graines (protéagineux, soja extrudé) n’est pas suffisant et régulier, ces matières premières risquent d’être « délaissées » pour l’incorporation en alimentation animale comme pour l’approvisionnement pour l’alimentation humaine ;

  • les usines françaises dédiées au fractionnement des protéagineux sont obligées de se tourner vers l’importation de protéagineux souvent non européens ;

  • la filière française de transformation de la graine de soja a vu l’arrêt de la trituration industrielle des graines françaises en raison d’un volume trop faible, entraînant une sous-utilisation et une maintenance minimale des unités de traitement de la graine (extrudeurs). La mise en œuvre de nouvelles unités de transformation dans les bassins de production sera donc nécessaire à la réussite de la relance de cette culture en France.

Le chapitre 7 reviendra sur l’analyse des dynamiques passées et présentes et sur les leviers à envisager (technologiques ou organisationnels).

La production française de lentilles, pois chiches et haricots

En 2013, les surfaces de légumes secs en France sont d’environ 14 300 ha de lentilles, près de 8 500 ha de pois chiches (avec une forte progression des surfaces depuis 2 ans), auxquels il faut ajouter un peu plus de 4 000 ha de haricots secs et une estimation[26] à 5 000 ha de pois secs destinés à la casserie. Notons au passage que cette dernière catégorie, « pois de casserie », n’est en fait qu’une petite fraction des pois protéagineux (en général de couleur verte) vendue spécifiquement pour cette industrie (sans autre différence que la couleur entre les pois verts et les pois jaunes, les deux types étant des pois protéagineux comptabilisés ensemble dans les données des déclarations PAC des agriculteurs).

On peut souligner que les cultures de légumes secs sont spécialement développées en mode de production biologique. D’après l’Agence Bio, en 2013, près de 20 % de la surface nationale des lentilles et pois chiches était cultivée en bio (environ 5 000 ha, dont 4 000 ha de lentilles et 1 000 ha de pois chiche).

La production de légumes secs en France est très morcelée géographiquement, avec une grande variété de situations agricoles, et environ 2 000 producteurs (0,3 % des agriculteurs) par noyaux localisés de production (A.N.D., 2000). Il existe des bassins privilégiés de production pour certaines espèces (figure 1.17), d’ailleurs avec une certaine complémentarité par rapport à la production de protéagineux et de soja.

Figure 1.17. Répartition départementale des surfaces de lentilles, pois chiches et haricots en France. Source : Unip.

Les signes officiels de qualité et d’origine associés aux légumes secs français vendus en graines entières sont nombreux et on estime qu’ils concernent près du tiers de la production française. Celle-ci s’est positionnée sur ces segments haut de gamme pour se différencier des produits importés majoritairement utilisés après première transformation en conserverie, puis en plats préparés, surgelés ou déshydratés après deuxième transformation.

On estime la collecte nationale autour de 20 000 tonnes par an en 2010-2011 et pratiquement 40 000 tonnes en 2013 (tableau 1.5), mais les importations sont importantes. En 2011, près de 28 000 t de lentilles ont été importées principalement de Chine (dont 13 000 t de lentilles blondes), du Canada (12 000 tonnes de lentilles vertes) et de Turquie. Toujours en 2011, 6 850 t de pois chiches ont été importés essentiellement d’Inde et d’Australie.

Tableau 1.5. Surfaces, rendement et production de lentilles, de haricots et de pois de casserie en France. Les rendements estimés ne prennent en compte que la partie commercialisée. Source : Agreste.

Surfaces (ha)Rendement (q/ha)Production (tonnes)
20122 0132012201320122013
Lentilles15 06514 086171625 19522 725
Haricots secs3 5924 07421197 3957 545
Pois secs (casserie) (note 26)5 2775 98417188 87410 671

Alors que le Puy dominait la production jusqu’en 2009, la production nationale de lentilles (principalement de lentilles vertes) provient essentiellement de trois régions en proportion équivalente depuis 2012 :

  • le Centre (Berry) avec le Label rouge « lentille verte du Berry »,

  • la région du Puy en Auvergne, avec l’AOC « lentilles verte du Puy »,

  • et la Champagne avec la marque « lentillon rosé de Champagne », d’une lentille rose issue de la Champagne-Ardenne.

Soulignons que l’augmentation des surfaces ne concerne pas les surfaces sous signes officiels de qualité qui restent stables (3 000 t de lentilles vertes du Puy et 570 t de lentilles vertes du Berry) alors que les surfaces sans signe officiel de qualité augmentent dans les régions de grandes cultures (Centre et Champagne).

Pour les haricots et les pois chiches, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon sont les principales zones de production française. En haricots, il existe également des AOC (coco de Paimpol) ou des IGP (haricot tarbais, Lingot du Nord, Mogette de Vendée), avec une dynamique plus récente que les lentilles et donc encore en progression.

De façon récente, on observe une augmentation des surfaces de lentilles et de pois chiches (figure 1.18) car :

  • la production de lentilles est plus compétitive avec la PAC de 2006 à 2014 (DPU suite au découplage total) ; en effet, l’aide antérieure couplée « légumes secs » n’était pas suffisamment incitative ;

  • les pois chiches, cultivés dans les zones à blé dur, apparaissaient, aux yeux de l’agriculteur, moins compétitifs que ce dernier qui bénéficiait d’une aide couplée spécifique ; aujourd’hui, suite au découplage total, on observe une remontée des surfaces de pois chiches dans le sud de la France : de 3 000 ha en 2010 à près de 7 000 ha en 2012. L’essentiel de la production est tourné vers l’exportation.

Figure 1.18. Évolution des surfaces de légumes secs en France et comparaison avec les haricots demi-secs. Source : Agreste, Déclarations PAC pour le pois chiche.

Les données Agreste sur le pois de casserie sont entâchées de beaucoup d’incertitudes (voir note 26).

Production des légumineuses fourragères

Historiquement en France, les légumineuses fourragères étaient principalement cultivées pour la production de fourrages. Elles étaient insérées dans les systèmes de polyculture-élevage en raison de leur rôle agronomique comme tête de rotation, de leur fonction fixatrice d’azote et pour la fourniture de fourrage à la force de traction animale.

Le fonctionnement et le suivi de leur production seront développés dans le chapitre 3 et font l’objet d’un ouvrage récent (Huyghe et Delaby, 2013), et les performances zootechniques seront traitées en chapitre 4. Soulignons cependant trois principaux points d’attention de la production des légumineuses fourragères, pour lesquels les pratiques ont évolué :

Encadré 1.5. Classement des légumineuses fourragères selon les statistiques françaises des surfaces fourragères.

Rappelons que les surfaces fourragères regroupent, selon la statistique agricole du ministère de l’Agriculture, les cinq catégories suivantes :

  • les racines et tubercules fourragers (comme les betteraves fourragères) ;

  • les fourrages annuels dont le maïs fourrage, le trèfle incarnat (Trifolium incarnatum L.) et le ray-grass d’Italie (Lolium multiflorum Lam.) dont le cycle est inférieur à un an ;

  • les prairies artificielles (1 à 5 ans) ensemencées exclusivement en légumineuses fourragères : luzerne (Medicago sativa L.), trèfle violet (Trifolium pratense L.), sainfoin (Onobrychis viciifolia Scop.), et de façon plus rare, minette (Medicago lupulina L.), lotier (Lotus corniculatus L.) ;

  • les prairies temporaires (1 à 5 ans) ensemencées en graminées fourragères pures ou mélangées à des légumineuses ;

  • les surfaces toujours en herbe (STH), appelées aussi prairies permanentes, composées de plantes fourragères herbacées vivaces : il s’agit de prairies semées de longue durée (c’est-à-dire de 6 à 10 ans) et de prairies naturelles (c’est-à-dire non semées ou semées depuis plus de 10 ans) dont la production annuelle est d’au moins 1 500 unités fourragères[27]. Quand la production est inférieure à ce seuil, on parle alors de STH peu productives. C’est le cas notamment des estives et des alpages.

Ainsi les légumineuses fourragères peuvent être annuelles ou pérennes, et sont utilisées soit après une fauche (avec différentes méthodes de conservation : foin, ensilage, déshydratation), soit directement par pâturage des animaux sur la parcelle. Elles sont cultivées pures (prairies artificielles) ou en association (prairies temporaires ou permanentes).

Une quantification difficile à préciser

Rappelons qu’au sein des prairies françaises, les surfaces toujours en herbe (STH) sont largement majoritaires — quasiment 80 % (figure 1.19).

Figure 1.19. Évolution des surfaces (millions d’ha) de prairies en France et répartition (pourcentages de 2013). Source : Agreste, Statistique agricole annuelle 1989-2013.

STH, surfaces toujours en herbe, y compris surfaces hors exploitation.

Actuellement il y a environ 300 000 ha de prairies artificielles avec légumineuses (culture monospécifique), l’équivalent[28] de 600 000 ha de légumineuses au sein des prairies temporaires et l’équivalent d’environ 800 000 ha de légumineuses au sein de STH (tableau 1.6) : soit environ 1,7 M d’équivalent en hectares de légumineuses.

Tableau 1.6. Part des légumineuses dans les différents types de prairies. D’après Agreste, 2013.

Surfaces (× 1 000 ha)% légumineuse (estimation biomasse récoltée)Équivalent en surfaces de légumineuses seules (× 1 000 ha)Productivité
(t MS/ha)
STH7 600107606
STH peu productive1 4002282
Prairies temporaires3 000206009
Prairies artificielles30010030012

MS, matière sèche ; STH : surface toujours en herbe.

Les surfaces concernées par des légumineuses fourragères étaient largement supérieures au début du xxe siècle du fait de l’importance du cheptel à alimenter et des ressources protéiques. La mécanisation de l’agriculture a modifié la proportion d’animaux concernés et ensuite la révolution fourragère des années 1960 a renforcé la réduction des surfaces fourragères. On a ainsi observé une réduction combinée à une spécialisation des régions productrices au cours du temps. Les figures 1.20 et 1.21 montrent comment les STH ont disparu du Bassin parisien (et de la Bretagne) et ont augmenté en zones plus montagneuses (Centre et Est de la France), les prairies temporaires ont migré vers les régions Ouest et Sud de la France et les cultures monospécifiques de légumineuses fourragères se sont considérablement réduites (facteur 10 entre 1960 et 2010) dans quelques bassins de production dont la Champagne.

Figure 1.20. Évolution des surfaces de STH (A), de prairies temporaires (B), de cultures fourragères annuelles (C) entre 1960 et 2005 dans les différents départements français (en % de 1960 ; les départements en gris foncé sont ceux où les surfaces se sont maintenues, voire ont augmenté). Source : Huyghe, 2009.

Figure 1.21. Évolution des surfaces des prairies artificielles (en % par rapport au recensement effectué 10 ans plus tôt). Source : Unip-Inra Mirecourt- recensements agricoles 1970, 1979, 1988, 2000, et 2010.

L’analyse de la contribution des légumineuses des prairies permanentes à la production de biomasse est très difficile, car il existe une grande variation en fonction du milieu et des pratiques culturales. La synthèse proposée par Launay en 2011 sur l’analyse de plusieurs centaines de prairies permanentes montre l’ampleur de la variation du degré d’abondance des légumineuses dans les flores. Cette synthèse souligne aussi le lien entre la présence des légumineuses et la qualité du fourrage récolté.

Il existe une voie indirecte pour estimer, au sein des prairies temporaires et cultures fourragères, l’équivalent en surfaces composées uniquement de légumineuses. Il s’agit d’utiliser les ventes de semences, et de prendre en compte la durée de vie moyenne de l’espèce considérée ou du couvert dans lequel elle est implantée, et la densité moyenne de semis (en kg/ha).

La figure 1.22 illustre la prédominance de la culture du trèfle blanc et de la luzerne. Elle montre également que les surfaces en équivalent luzerne dépassent largement les surfaces déclarées en culture monospécifique. Avec en moyenne 1,5 Mha, les légumineuses fourragères peuvent constituer une ressource considérable pour l’entrée d’azote dans les systèmes cultivés et pour la fourniture de protéines. Toutefois, ceci suppose que la conduite mise en œuvre permette aux légumineuses de se développer de façon satisfaisante.

Figure 1.22. Estimation de la part des différentes espèces au sein des surfaces de prairies européennes. Source : Huyghe, 2013 ; Projet européen Multisward.

Les légumineuses dans les associations prairiales

En évolution historique, l’utilisation des légumineuses semble se maintenir dans les associations prairiales et se développer au cours des dernières années, selon les enquêtes auprès des agriculteurs. Étant donné qu’il n’existe pas de statistique officielle annuelle sur ce type de culture fourragère, seules les anciennes enquêtes prairies de 1982 et de 1998, l’enquête pratiques culturales de 2006, et les ventes annuelles de semences permettent d’estimer la part des prairies temporaires conduites en association. En 1982, les associations graminées-légumineuses représentaient 20 à 30 % des prairies temporaires soit près de 700 000 ha. Les ventes de semences montrent qu’actuellement ces associations représentent environ 40 à 50 % des prairies temporaires (GNIS). Les prairies temporaires sont ensemencées avec au moins 20 % de légumineuses mais la part des légumineuses est plus importante dans les prairies de 3 et 4 ans (Enquête « pratiques culturales » de 2006). L’enquête « pratiques culturales » de 2006 révèle que 34 % des surfaces de prairies temporaires contiennent plus de 20 % de légumineuses, et que 10 % des prairies présentent un taux supérieur à 40 %. La conduite en agriculture biologique concerne 3 % des surfaces de prairies temporaires.

Encadré 1.6. Réglementation et maintien des prairies permanentes.

Un des volets de la conditionnalité de la PAC de l’UE (décliné ensuite par les États membres) porte sur le maintien des prairies permanentes, dont la surface ne doit pas décroître de manière significative au niveau de l’État membre. L’obligation porte sur le maintien d’un ratio de référence entre la surface en prairies permanentes et la surface agricole totale, dans la limite de 10 % de diminution de ce ratio.

Il a en effet été constaté une chute du ratio des prairies permanentes (-2,4 % en 2010 par rapport à 2005 ou 2009) et une baisse de la surface brute nationale de surfaces toujours en herbe (prairies permanentes + prairies semées de plus de 5 ans) de 156 000 ha. Le dispositif introduit en 2010 (et toujours d’actualité à ce jour) classe les surfaces en herbe selon deux exigences mesurées au niveau de l’exploitation :

  • les prairies temporaires : maintien de 50 % de la surface de référence de l’année 2010 ;

  • les STH (prairies permanentes + prairies temporaires de plus de cinq ans) : maintien de 100 % de la surface de référence.

Les légumineuses fourragères en tant que cultures monospécifiques

La culture monospécifique de légumineuse est une prairie semée avec une seule espèce de légumineuses (culture dite « pure »). La réglementation, en reprenant un terme ancien utilisé depuis le milieu de xviiie siècle, a nommé ce type de culture les « prairies artificielles ».

Évolution liée à la révolution fourragère

Au cours des années 1960, on observe une forte chute des surfaces de légumineuses fourragères pures, résultant de la révolution fourragère (figure 1.23).

Figure 1.23. Évolution des surfaces françaises de légumineuses fourragères monospécifiques de 1960 à 2007. Source : Étude relance des légumineuses CGDD 2009, d’après les données Agreste.

En effet, dans les années 1960, la révolution fourragère a pour objectif de répondre rapidement à la forte demande de l’après-guerre en produits agricoles et en particulier en produits carnés. Elle est soutenue par la recherche agronomique qui prône le développement de la prairie monospécifique abondamment fertilisée. Au début des années 1960, les surfaces de légumineuses fourragères en culture pure atteignent 3,3 millions d’hectares environ et représentent 17 % des terres arables. La disponibilité croissante des engrais minéraux azotés à des prix attractifs et la difficulté de récolter ces grandes légumineuses fourragères (elles sont difficiles à ensiler) conduisent à oublier le rôle agronomique des légumineuses. En 10 ans, de 1960 à 1970, les surfaces en prairies artificielles sont divisées par plus de deux et les surfaces en prairies temporaires sont multipliées par 1,5.

Au cours des années 1970, l’augmentation de la productivité (par hectare et par animal) se poursuit et le modèle d’alimentation des bovins basé sur l’utilisation du maïs ensilage complémenté par des tourteaux s’impose progressivement, s’ajoutant au développement d’ateliers d’élevages hors-sol de porcs et de volailles (Thiébeau et al., 2003). Ce modèle nécessite une importante complémentation en concentré protéique, et réduit le rôle des fourrages (hors maïs ensilage) au seul apport de fibres. Alors que la récolte mécanisée des légumineuses fourragères soulève des problèmes techniques, le recours au maïs ensilage, à la valeur énergétique élevée, offre à l’éleveur une qualité et une sécurité fourragère tout en permettant de réduire les charges de travail. De plus, à cette époque, le contexte de prix des matières premières de l’alimentation animale est fortement défavorable aux rations hivernales à base de foin de légumineuses complété par des céréales. Alors que le tourteau de soja entre sans droit de douane dans l’Union européenne, l’Organisation commune de marché (OCM) des céréales combine la garantie d’un prix minimum à la production et une forte protection aux frontières. Il en résulte un rapport du prix du tourteau de soja sur celui du blé très faible, proche de 1, qui est jusqu’à deux fois moins élevé que sur le marché mondial. Cela a pour double conséquence de favoriser, d’une part, une incorporation croissante du tourteau de soja en tant que concentré dans les rations des vaches laitières au détriment des céréales, et d’autre part de réduire l’intérêt des fourrages riches en protéines (Relance des légumineuses CGDD, 2009). Ceci explique en partie qu’il y ait aujourd’hui peu de références techniques concernant les légumineuses. À titre d’exemple, les tables Inra 2007 sur la valeur des aliments pour les ruminants ne fournissaient aucune donnée concernant les fourrages d’association graminées-légumineuses. Cette situation a été corrigée dans les éditions suivantes.

Les caractéristiques des légumineuses ne correspondaient pas aux évolutions techniques qui se sont mises en place à partir du début des années 1970. Le développement de l’ensilage exigeait de disposer d’espèces ayant une forte teneur en sucres solubles, afin d’obtenir via la fermentation lactique un abaissement rapide du pH et en conséquence une bonne conservation. Les légumineuses fourragères sont dépourvues de ces sucres, à l’exception notable du sainfoin qui en contient beaucoup. Mais ceci est passé totalement inaperçu à cette époque-là. La conservation en ensilage « classique » de légumineuses ne peut se faire qu’avec un apport massif d’acide formique ou propionique. Le développement plus récent de l’enrubannage change légèrement cette perspective. En effet, le besoin d’acidification est plus faible lorsque la teneur en matière sèche augmente. La production de balles rondes avec du fourrage ayant une teneur en matière sèche comprise entre 45 et 55 % et la pose d’un film plastique étanche générant l’anaérobiose permettent une acidification suffisante pour obtenir la conservation du fourrage. Cette récolte par enrubannage est particulièrement adaptée à la récolte de la première coupe, alors que les coupes suivantes, qui se produisent au cours des mois d’été peuvent être faites en foin, sans qu’il y ait de risque de pertes excessives de feuilles, parties les plus riches en protéines. Ceci conduit à identifier une autre caractéristique des espèces prairiales, à savoir la multiplicité des récoltes annuelles, ce qui signifie une charge de travail potentiellement plus importante que pour des fourrages à récolte unique comme le maïs ensilage.

Ainsi, dans les années 1970, les légumineuses prairiales sont progressivement remplacées par le maïs ensilage et les graminées prairiales. Elles ont fortement décliné au cours des 40 années suivantes. Au total, la production de légumineuses fourragères en monospécifique (prairies artificielles) a chuté pour se stabiliser aujourd’hui à environ 370 000 hectares. Le sainfoin et le trèfle violet en culture pure ont quasiment disparu du paysage. Les surfaces en luzerne déshydratée semblent atteindre un plancher à environ 80 000 ha représentant 30 % environ du total des prairies artificielles (Agreste).

Le cas spécifique des fourrages déshydratés

La déshydratation des fourrages utilisant des processus artificiels de séchage repose sur des équipements industriels lourds, qui mobilisent de l’énergie pour extraire l’eau contenue dans les fourrages frais ou pré-séchés. L’extraction rapide de l’eau permet de limiter l’exposition du fourrage récolté aux conditions extérieures, de préserver l’ensemble des qualités nutritionnelles des fourrages, et d’assurer un stockage long et sans évolution de la matière première. La déshydratation est pratiquée dans différents pays du monde soit sur la luzerne, soit sur des graminées fourragères. En Europe, la déshydratation concerne soit la luzerne (en France, Espagne et Italie), soit des graminées fourragères (dans les pays d’Europe du Nord).

Encadré 1.7. La réglementation sur les fourrages séchés.

L’Organisation commune de marché (OCM) sur les fourrages séchés (Règlement CEE n°1067/74) a été instaurée en 1974, suite à l’embargo américain sur le tourteau de soja. Une aide à la tonne produite était alors accordée aux entreprises de déshydratation. En 1978, l’OCM a été élargie aux fourrages séchés (Règlement CEE n°1117/78). Entre 1995 et 2005, le montant de cette aide s’élevait à 63,83 écus/tonne de fourrage déshydraté et 38,64 écus/tonne de fourrage séché avec des quotas par pays très limités. Cette mesure doit être considérée comme une aide à l’équipement industriel plus qu’à la culture de légumineuse fourragère. Cette OCM a été réformée en 2003 (Règlement CE n° 1786/2003). Elle a accordé ensuite un montant d’aide de 33 €/t aux fourrages après transformation. Ce dispositif est limité par une quantité maximale garantie (QMG) fixée à 4,96 Mt de fourrages déshydratés ou séchés au soleil, quantité qui n’a jamais été atteinte. L’enveloppe communautaire payée en moyenne pour les campagnes 2005-2006 et 2006-2007 s’élevait à 132,7 millions d’euros.

Suite au bilan de santé de la PAC, cette aide couplée à la transformation a été supprimée en 2012 et intégrée dans le régime de paiement unique (Règlement CE n°73/2009). En matière réglementaire, le soutien de 33 €/t versé aux transformateurs est arrivé à échéance avec la récolte 2011, pour être intégré au régime de paiement unique (DPU). Cette évolution est un sujet de préoccupation pour la filière des fourrages déshydratés.

Au niveau français, le plan « protéines » s’est traduit en 2012 par une aide de 125 €/ha de luzerne avec un budget national de 8 millions d’euros. La PAC 2015-2020 donne de nouvelles perspectives (voir Le nouveau contexte ).

En assurant le séchage par un processus industriel, la déshydratation apporte une réponse à deux difficultés essentielles identifiées plus haut pour les légumineuses en cultures pures, à savoir la difficulté de conservation et de risque de dégradation de la qualité et la charge de travail. Ceci explique l’attractivité pour ce processus (augmentation de la production). Cependant, cela se fait au prix d’un coût énergétique élevé.

Le processus industriel, avec des équipements lourds et donc des exigences de surfaces importantes à proximité, explique que la déshydratation se soit particulièrement développée en France dans les régions de grandes cultures, la luzerne s’insérant dans les rotations d’espèces annuelles. De plus, l’équipement de déshydratation peut alors être partagé avec la déshydratation des pulpes de betterave sucrière, espèce elle aussi produite dans ces mêmes régions.

La luzerne cultivée pour la déshydratation représente environ 30 % des surfaces de prairies artificielles depuis 2007, et suit une diminution progressive : 95 127 ha en 2007 et 71 545 ha en 2013. La luzerne déshydratée représente 865 000 tonnes en 2011/2012, 755 000 tonnes en France en 2012-2013, et 694 000 tonnes en 2013-2014 (figure 1.24).

Les tendances récentes à la baisse pourraient traduire une difficulté structurelle liée à un coût de l’énergie croissant. Le contexte énergétique actuel et à venir peut être une menace de décroissance, même si des évolutions dans les technologies de récolte avec la généralisation du pré-séchage à plat au champ permettent une réduction très importante de la consommation énergétique, d’environ 50 %.

Figure 1.24. Évolution de la production de luzerne déshydratée depuis 1970. Sources : Commission UE (tonnages primés jusqu’en 2011/2012) et CIDE/Coop de France Déshydratation (estimation 2012/2013).

Pour l’Union européenne, la production a atteint 3 472 000 tonnes en 2009/2010, soit une hausse de 321 000 tonnes par rapport à la campagne précédente. En 2010/2011, contrairement à la France, la production est stable dans la plupart des pays, et la production de l’UE est estimée à 3 386 000 tonnes, en baisse de 2 %.

Au sein de l’UE, l’Espagne est le premier producteur de fourrages déshydratés, la France se plaçant en seconde position avant l’Italie (figure 1.25). La production européenne semble se stabiliser au seuil actuel, nonobstant les aléas climatiques de chaque année de récolte.

Figure 1.25. Production de fourrages séchés selon les principaux pays d'Europe.

La production espagnole a progressé, avec 1 590 000 tonnes en 2009/2010 contre 1 318 000 tonnes l’année précédente. L’Italie augmente légèrement son tonnage, avec une progression de 5 % à 480 000 tonnes. L’Allemagne a produit 243 000 tonnes, contre 257 000 tonnes la campagne précédente.

À retenir. La production française.

Les légumineuses ont une place importante dans les prairies, mais une place mineure dans les systèmes de grandes cultures. En France, les légumineuses fourragères et prairiales représentent aujourd’hui l’équivalent de 1,7 million ha (Mha) en évaluant la surface équivalente en culture monospécifique. Les surfaces fourragères représentent 12 Mha avec en moyenne 20 % de légumineuses associées à des graminées dans les prairies temporaires et 5 à 10 % dans les prairies permanentes et 100 % sur les prairies artificielles (luzerne pure). La révolution fourragère explique largement la réduction des surfaces de légumineuses fourragères en culture pure en France, de 66 % dans les années 1960 (de 3,4 Mha à 1,5 Mha) puis de 30 % au cours des 30 dernières années (moins de 1 % de la SAU). A priori, les associations prairiales maintiennent leur superficie en prairies temporaires (800 000 ha équivalent) et en prairies permanentes (600 000 ha équivalent).

Les légumineuses à graines, avec 0,27 Mha en culture pure en 2012, occupent moins de 2 % des surfaces de cultures arables françaises, contre 10 à 25 % dans la plupart des autres grands pays producteurs. Elles produisent 1 Mt de graines. Elles représentent une gamme variée et complémentaire d’espèces qui sont majoritairement cultivées en cultures pures annuelles. Bien que contingentées par la priorité initiale donnée par la Communauté européenne à la production céréalière, elles ont été très réactives aux incitations de la PAC avec un développement des surfaces très rapide dans les années 1980, de 150 000 ha en 1982 à environ 820 000 ha en 1993 en France (presque 1 Mha et 4 Mt de graines en Europe) avec une dominance du pois protéagineux, mais aussi au frein imposé par les stabilisateurs budgétaires à partir de 1986-1988. Après leur apogée en 1993, elles ont été impactées par la diminution progressive du niveau de soutien public avec une tendance continue à la réduction de leurs surfaces (environ 200 000 ha en 2013). À côté de la réduction des incitations publiques, la dégradation de la compétitivité économique des légumineuses à graines par rapport à d’autres cultures est aussi invoquée par les agriculteurs et organismes collecteurs comme facteur explicatif de leur repli. Cependant, un redressement des surfaces a été amorcé en 2014 et pourrait se prolonger en 2015 pour plusieurs raisons dont le soutien politique aux protéines et légumineuses en Europe (PAC 2015-2020) et en France.

Diversité d’utilisation des produits de récolte

L’apport significatif et concomitant en protéines, amidon et cellulose est une des caractéristiques de la majorité des légumineuses (graines ou plante entière) et constitue la base de leur bonne valeur nutritionnelle et leur intérêt techno-fonctionnel pour une panoplie de débouchés.

Pour les débouchés en alimentation animale, les graines de légumineuses permettent de satisfaire les besoins nutritionnels de différentes espèces animales (monogastriques ou ruminants), en combinaison avec d’autres matières premières. Par exemple, la composition de la graine du pois et de la féverole en fait des matières riches à la fois en énergie et en protéines, ce qui leur donne un positionnement intermédiaire entre les céréales (source d’amidon, donc apport d’énergie, mais peu de protéines) et les tourteaux (très concentrés en protéines après extraction de l’huile des graines d’oléagineux et des graines de soja). Leur utilisation est facile car ne nécessite pas de transformation préalable poussée (peu d’huile et peu de facteurs antinutritionnels), contrairement aux graines de colza ou soja qui doivent être triturées. Les légumineuses fourragères sont pratiquement exclusivement dédiées à l’alimentation des ruminants (avec plus ou moins de transformation de la biomasse végétale). Le chapitre 4 détaillera les conséquences zootechniques de l’utilisation des différentes légumineuses pour différentes espèces d’animaux.

L’alimentation humaine constitue un autre débouché des légumineuses à graines : les produits sont soit les graines entières (« légumes secs » en France et exportations vers l’étranger, notamment vers l’Égypte pour la féverole ou vers l’Inde pour le pois), soit des préparations à partir de graines entières (assimilées souvent aux soyfoods pour « aliments au soja »), soit des ingrédients extraits des graines pour des applications agroalimentaires. Les graines sont alors valorisées pour leurs atouts nutritionnels et santé (protéines, micro-nutriments, fibres et prévention de maladies chroniques) ou pour les différentes propriétés fonctionnelles des composants des graines (protéines, amidon, fibres) en produits plus ou moins purifiés (de la farine à l’isolat). Même si aujourd’hui le débouché relatif à l’alimentation humaine reste secondaire pour plusieurs légumineuses à graines, ce secteur génère une demande croissante sur le marché intérieur et international. Une analyse des différentes facettes concernant les légumineuses en alimentation humaine est détaillée dans le chapitre 5 et une analyse socio-économique du secteur des légumes secs est couverte en chapitre 7.

Le non-alimentaire pourrait également être un débouché pour ces graines, mais il n’est pratiquement pas utilisé à l’heure actuelle malgré quelques pistes (notamment pour des matériaux biodégradables : films souples, pots de fleurs ou tableaux de bord de voiture, etc.).

Composition et valeur nutritionnelle des graines de légumineuses

On distingue deux grandes catégories (figure 1.26), différenciées par le fait que le carbone est stocké sous forme d’amidon ou de lipides, ce qui se traduit par la présence ou non d’amidon et par une proportion de matières grasses plus ou moins importante :

  • les graines riches en protéines et en amidon : pois, féveroles, vesces, pois chiches, lentilles, haricots ;

  • les graines riches en protéines et en huile : soja et lupins.

Figure 1.26. Composition moyenne des graines récoltées à maturité des légumineuses. Source : AEP.

Les protéines des graines de légumineuses contiennent tous les acides aminés indispensables et sont considérées comme digestibles à très digestibles selon les espèces et les animaux. Les graines de légumineuses sont riches en lysine et donc très complémentaires des céréales et des graines d’oléagineux qui en sont peu pourvues. Cependant, la faiblesse en acides aminés soufrés, tels que la méthionine, doit souvent être corrigée.

Les variétés actuelles de pois et féverole sont pauvres en facteurs antinutritionnels. Les facteurs anti-trypsiques de la graine de soja doivent être éliminés par traitement technologique. Certaines espèces comme la vesce contiennent des facteurs antinutritionnels qui restreignent leur utilisation par les monogastriques ou pour l’alimentation humaine. La présence importante de vitamines, minéraux et fibres dans les graines de légumineuses est un atout nutritionnel et diététique pour l’alimentation humaine.

Répartition des utilisations de protéagineux et de soja

En France, sur toutes les espèces, exception faite du lupin blanc, l’utilisation en alimentation animale reste dominante, en quantité et en chiffre d’affaires, malgré le recul de la production ces dernières années. On observe toutefois depuis dix ans le développement de nouveaux débouchés à plus forte valeur ajoutée :

  • des exportations significatives de pois et de féveroles (en alimentation animale et humaine),

  • des débouchés en alimentation humaine en hausse : en utilisation domestique, avec pois de casserie (volume modeste mais stable), soja (soyfoods, c’est-à-dire aliments au soja), ingrédients (pois et lupin) ; et à l’export, pois à grains jaunes vers le sous-continent indien, et féveroles vers l’Égypte.

Le cas du pois illustre l’évolution des parts respectives des types d’utilisation (figure 1.27). Le débouché de l’alimentation animale a été divisé pratiquement par 10 en 5 ans du fait de la réduction des volumes disponibles (baisse des surfaces françaises). Il reste cependant le principal débouché pour le pois français. En effet, même avec une croissance dynamique ces dernières années, l’alimentation humaine en France ne représente que 160 000 t de capacité industrielle. L’exportation vers les pays tiers augmente ces dernières années grâce à l’importation de pois par la Norvège comme aliment aquacole depuis 2004. Le sous-continent indien importe une quantité très volatile de pois français (entre 20 et 500 000 tonnes entre 2004 et 2014), quantité qui dépend fortement du marché international. La consommation à la ferme du pois reste relativement constante.

Figure 1.27. Évolution des débouchés de la production française de pois et féveroles (semences incluses) de 1983 à 2013. Source : Unip.

Il existe d’autres débouchés pour le pois concernant des volumes limités : d’une part le pois de casserie exigeant des grains verts (10 000 t/an en France, et un potentiel à l’exportation), et l’oisellerie d’autre part, avec des petits grains verts ou des grains marbrés (issus de variétés à fleurs colorées).

Depuis que la féverole a commencé à se développer en France en 2002, l’export vers l’Égypte représente le débouché principal en tonnage (avec deux autres concurrents seulement sur le marché mondial : le Royaume-Uni et l’Australie) (figure 1.27). Par ailleurs, il existe des marchés de « niche » : farine de fève et oisellerie (variétés à petites graines et prix particuliers). Pour les utilisations en alimentation animale, il s’agit principalement d’autoconsommation (essentiellement pour les ruminants dans l’Ouest et dans le Sud-Ouest). Même si le potentiel de la féverole en aliments composés industriels est réel (notamment pour les volailles, les porcs et les poissons), le marché est en construction. Il existe différents types de qualité des féveroles, selon la présence de facteurs antinutritionnels (tanins et vicine-convicine) et selon la richesse en protéines.

En France, le tourteau de soja reste la première source de protéines (de façon moins aiguë que dans l’UE — encadré 1.9) avec en moyenne 3,5 à 4 Mt consommées et issues de l’importation (graines et tourteaux, ces derniers étant majoritaires). Seules de très faibles quantités de graines de soja issues de la production française (120 000 à 130 000 tonnes/an jusqu’en 2013) sont triturées dans les circuits d’agriculture biologique et le reste est ventilé entre :

  • l’alimentation humaine (fabricants d’aliments au soja) sur le territoire pour environ 25 000 tonnes de graines par an (source : enquêtes Onidol) ;

  • l’alimentation animale pour environ 70 000 tonnes/an sous forme de graines entières extrudées ou toastées. Ce débouché est en forte baisse suite à la chute des surfaces et à la difficulté des opérateurs pour faire tourner leur installation ;

  • les exportations autour de 20 000 tonnes, dont une partie est probablement destinée à l’alimentation humaine.

Deux points sont à souligner pour le soja :

  • une demande en hausse sensible pour le soja biologique dans les deux secteurs de l’alimentation humaine et animale ;

  • une augmentation de la quantité de graines françaises utilisées pour l’alimentation humaine en lien avec la croissance du marché des aliments au soja (avant à 10-12 %, récemment à 8 %).

Encadré 1.8. Les chiffres clefs de la filière des protéagineux en 2010.

Près de 400 000 ha de cultures, dans presque toutes les régions, toujours en rotation avec d’autres cultures.

Près de 35 000 producteurs, principalement producteurs de céréales à paille et d’oléagineux.

Près de 500 organismes collecteurs (coopératives et négoces).

Près de 300 usines de fabrication d’aliments du bétail, principalement en Bretagne et dans les Pays de la Loire, et des milliers d’éleveurs qui achètent ces aliments composés.

Quelques exportateurs (vers l’Égypte et l’Inde en alimentation humaine ou vers la Norvège pour la pisciculture) et quelques usines de fabrication d’ingrédients agroalimentaires (surtout en Picardie, Champagne et Pays de la Loire).

Encadré 1.9. Usages du soja au niveau mondial et européen.

À l’échelle mondiale, le soja est avant tout une matière première de l’industrie de la trituration où l’huile est extraite de la graine avec pour co-produit principal le tourteau. Ce dernier contient entre 45 et 50 % de la matière brute en protéines. Les usages en graines entières existent, en alimentation animale à 80-85 % environ et humaine à 10-15 %, dans ce dernier cas, il s’agit principalement d’aliments au soja (soyfoods, à savoir produits fermentés, jus de soja ou tonyu, tofu, etc.).

En Europe, toutes les transformations de la graine sont mises en œuvre à l’échelle industrielle, à l’exception des procédés de fermentation peu adaptés aux goûts européens. La trituration se place en tête des procédés utilisés.

En termes de consommation, le soja reste la principale source de protéines pour l’alimentation animale avec en moyenne 30 Mt de tourteaux consommés annuellement dans l’UE (période 2011-2013).

Compte tenu du faible niveau de production de soja dans l’UE, le taux de dépendance aux importations de soja sous forme de graines ou de tourteau reste très élevé. La combinaison de cette prédominance du soja comme source protéique et de la forte dépendance au soja importé génère au niveau de l’UE un déficit élevé en matières riches en protéines qui se situe entre 65 et 70 %. Le déficit en tourteau de soja est lui de 98 % (figure 1.28).

La consommation d’huile de soja dans l’UE-28 est significative avec environ 1 (période 2011-2013) à 2 Mt/an, soit 4 à 5 % du total de l’huile de soja consommée au niveau mondial. Les usages en alimentation humaine se sont accrus depuis l’an 2000, notamment sous forme de boissons au soja (ou lait de soja) avec un taux de croissance à deux chiffres. On estime à plus de 100 000 tonnes de graines les besoins actuels des fabricants d’aliments au soja (soyfoods) en Europe. Les prévisions les portent à 250 000 tonnes en 2020. À l’heure actuelle, la production européenne des ingrédients (de la farine à la protéine texturée) d’environ 200 000 t (source Frost et sullivan 2009) utilise près de 35 000 t de graines de soja (estimation Onidol-GEPV). En alimentation humaine, malgré l’absence de statistique dédiée, il semble qu’une part importante des besoins soit couverte par des importations extra-communautaires, même si cette part tend à baisser.

Figure 1.28. Bilan pour les différents produits du soja dans l’Union européenne en 2012. Source : Onidol, Oil World décembre 2013.

Débouchés des graines de légumineuses en alimentation animale

Un potentiel d’utilisation plus élevé que les volumes utilisés

Les élevages de porcs français consomment plus de 8 Mt d’aliments (y compris les fabrications fermières). Avec un taux d’incorporation moyen de 20 % de pois, le potentiel d’utilisation par les élevages de porcs français s’élèverait à 1,6 million de tonnes de pois. Pour l’UE-27, le potentiel serait de 12 Mt (Pressenda et Lapierre, 2008).

Le prix du pois protéagineux est en grande partie directement lié aux prix de deux matières premières utilisées également en alimentation animale : d’abord le blé (ou autres céréales majeures comme le maïs ou l’orge) et également le tourteau de soja, y compris lorsque les prix de marché des matières premières varient beaucoup.

Sur le marché mondial, la France peut également avoir des débouchés même si elle fait déjà partie, depuis quelques années, des principaux pays exportateurs de pois, de féveroles et de lupins, avec le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie.

Les protéagineux et le soja font partie des matières riches en protéines (MRP), c’est-à-dire des matières premières agricoles dont la matière azotée totale (MAT) est supérieure à 15 % (tourteaux d’oléagineux, protéagineux, drèches, farines de poisson et de viande, luzerne déshydratée…). Les tourteaux d’oléagineux et les protéagineux sont indispensables pour compléter les apports de céréales et ils sont complémentaires entre eux pour la fourniture d’acides aminés.

En France, 40 à 50 % des MRP sont importées malgré le développement des tourteaux d’oléagineux (colza, tournesol) (figure 1.29) soit plus de 3,5 Mt de tourteaux de soja importés par an. L’Union européenne importe quant à elle plus de 70 % de ses besoins en MRP soit 20 à 25 Mt de tourteaux, auxquels s’ajoutent 15 Mt de graines de soja chaque année.

Figure 1.29. Bilan des matières riches en protéines (MRP) en France. Source : Unip/Onidol.

* Données non disponibles avant 2009/2010. P, production ; C, consommation.

Face au principal compétiteur qu’est le tourteau de soja importé (pour la richesse en protéines), les légumineuses produites en Europe sont à valoriser pour leurs atouts de proximité (traçabilité, autonomie, spécificités régionales, développement local, possibilité de valorisation en production sous label, etc.), leur caractère non OGM et pour les bénéfices spécifiques pour l’environnement (chapitre 6) ou pour la santé (chapitre 5). Vis-à-vis des autres matières premières domestiques utilisées dans les aliments composés, l’utilisation des protéagineux doit se réfléchir en complémentarité d’une part des céréales (compétiteurs pour l’apport à la fois d’amidon et de protéines, mais complémentaires pour les profils des acides aminés notamment), et d’autre part des tourteaux d’oléagineux et des drèches de céréales, sous-produits en augmentation sur le marché et plus ou moins complémentaires selon les formules et les espèces animales. Une analyse détaillée des dynamiques du secteur des aliments composés est reprise en chapitre 7.

Types de débouchés en alimentation animale

L’utilisation du soja en alimentation animale se fait essentiellement sous forme de tourteaux déshuilés ou de graines traitées thermiquement. En effet, les graines crues renferment des facteurs antitrypsiques (FAT) qui diminuent notablement la digestibilité des protéines chez les animaux monogastriques et limitent leur incorporation dans les rations. Les FAT sont présents à des niveaux moyens compris entre 40 et 50 UTI/mg (unité trypsine inhibée) (AFZ et Céréopa, 2010), mais leur sensibilité à la chaleur fait que les procédés industriels peuvent facilement les éliminer des graines (toastage, extrusion) ou des tourteaux pendant leur désolvatation en usine de trituration. Les volailles sont de loin les premières consommatrices de soja devant les vaches laitières et les porcs.

Des procédés d’extraction et de concentration des protéines ont aussi été développés dans le monde pour conduire à des jus concentrés ou des isolats (plus de 90 % de protéines), valorisés dans l’alimentation humaine (ou, plus rarement vu le coût, en alimentation animale).

Les protéagineux utilisés en alimentation animale correspondent majoritairement aux pois incorporés dans les aliments composés pour les porcs (figure 1.30).

Figure 1.30. Utilisation du pois protéagineux (en kt) dans l’industrie des aliments composés selon le type de production animale en France. Source : Céréopa-Unip.

Les pois verts (une dizaine de tonnes) sont destinés à l’oisellerie (aliments pour pigeons) avec des prix attractifs, et un taux d’incorporation qui s’élève à 50 %.

Enfin, les exportations françaises de graines de pois et de féveroles sont commercialisées vers l’UE (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie…) pour l’alimentation animale essentiellement, et spécialement vers la Norvège pour la pisciculture, avec des volumes en expansion.

Ce dernier point souligne l’intérêt des graines de protéagineux (dont le décorticage, renforçant la teneur en protéines de la matière première, en renforce l’attractivité) pour le secteur aquacole qui représente un débouché à fort potentiel (encadré 1.10 et Valeur nutritionnelle et potentialités d’utilisation chez les poissons ).

Encadré 1.10. Importance grandissante de l’aquaculture au niveau mondial.

Depuis 1960, l’aquaculture a augmenté à un rythme supérieur à la croissance démographique mondiale. En 2013, la production aquacole mondiale a atteint le niveau de la production de viande bovine (un peu plus de 67 Mt). Cette tendance est appelée à se prolonger, du fait d’une part de la stagnation de la consommation des viandes de ruminants dans les pays développés, et d’autre part de l’augmentation des élevages de poissons pour répondre à la demande de consommation que les captures de pêche (poissons sauvages), maintenues stables, ne peuvent plus couvrir.

Depuis 1990, la production de poissons de mer et d’eau douce, de crustacés et de coquillages augmente à un rythme de 9 % par an et a quasiment été multipliée par deux depuis 2001.

Figure 1.31. Évolution, entre 1980 et 2011, des captures de pêche pour l’alimentation humaine et animale et des produits de l’aquaculture (hors plantes et mollusques). Source : Inra à partir des données FAO 2012.

Flux commerciaux et tensions sur la demande en protéines au niveau mondial

La graine de soja ou ses produits dérivés, tourteaux et huile, sont soumis à des échanges internationaux intenses entre un bloc américain globalement exportateur (notamment Amérique du Sud) et deux blocs importateurs, Chine et Europe (30 à 35 % des produits du soja échangés en 2009).

La Chine se caractérise par la progression rapide de son utilisation de tourteau de soja alors que les autres pays ont des consommations beaucoup plus stables, voire en régression (figure 1.32). Ce changement de la place de la Chine sur le marché mondial constitue une composante essentielle du paysage international qu’il convient ici de mieux préciser, car elle va peser sur la situation européenne au cours des prochaines décennies.

Figure 1.32. Évolution de la consommation de tourteau de soja dans le monde (en ktonnes selon Oilworld).

La production de soja en Chine reste stable aux environs de 12 Mt, alors que la consommation de tourteau de soja affiche une progression annuelle de plus de 9 % au cours des 10 dernières années, en lien direct avec l’augmentation de sa production et consommation de viande (figure 1.33) (due à l’augmentation du niveau de vie). Le déficit (figure 1.34) s’accroît donc, pour atteindre plus de 60 Mt de graines qui sont importées et triturées en Chine où la capacité de trituration s’élève à plus de 100 Mt.

Figure 1.33. Évolution de la production de viande en Chine. Source China Statistical Yearbook 2013. D’après Guo Jia Hua à Black Sea Grains Conference, Kiev, 2013.

Figure 1.34. Évolution du déficit chinois en graines de soja (barres pour le déficit, points rouges pour la production, carrés bleus pour la consommation). Source : USDA.

À retenir. La tension sur les échanges internationaux des protéines.

La demande mondiale en protéines est actuellement tirée par les pays émergents et tout particulièrement la Chine. La convergence des revenus et des régimes alimentaires à l’occidentale conduit à une demande croissante de viande (blanche surtout) et par conséquent de protéines végétales pour nourrir les animaux. La Chine développe actuellement fortement ses élevages et importe les deux tiers des échanges mondiaux de graines de soja (soit 80 Mt sur les 100 Mt échangés dans le monde). La tension des prix dépendant de flux commerciaux croissants risque de maintenir l’augmentation des prix à l’avenir.

Débouchés en alimentation humaine

Les produits finis utilisés par le consommateur sont soit des produits ne contenant que des légumineuses, avec des traitements technologiques plus ou moins poussés (graines de pois chiche en vrac, purée de pois cassés, lentilles pré-cuites, lait de soja ou autres produits types soyfoods), soit des produits dans lesquels la légumineuse représente une fraction très marginale (produits contenant des ingrédients de légumineuses, utilisés pour leurs qualités techno-fonctionnelles).

En graines entières avec notamment les légumes secs

Dans les pays développés, la consommation de légumes secs, en particulier de pois cassés et de févette, bien que très nutritifs et bon marché, est tombée à un très bas niveau au profit de la consommation de viandes et de produits laitiers comme source de protéines (voir chapitre 5, Apports nutritionnels et effets santé des légumes secs et produits agroalimentaires issus des légumineuses ).

Les vertus nutritionnelles des légumes secs sont aujourd’hui remises en valeur par les nutritionnistes : protéines de qualité, faible teneur en matières grasses, richesse en fibres, amidon à faible indice glycémique, indispensables dans les régimes végétariens, recommandés par certains pour les sports d’endurance. Ils pourraient reprendre une part plus importante dans les pays développés, s’il se met en place une offre de produits transformés les utilisant tout en répondant aux attentes et aux modes de consommation des sociétés dites modernes.

En France, la collecte est estimée à environ 20 000 tonnes et le solde importations-exportations est estimé à 80 000 t (soit 100 000 t en brut). Ainsi, le marché français peut être estimé à un niveau moyen minimum de 92 000 t en net consommable. Par conséquent, le marché des légumes secs français se caractérise par une importation majeure (nécessaire et réactive), des productions et des filières morcelées et disparates.

Le marché final des légumes secs est très éclaté (AND-Onidol, 2001). Le marché intérieur global est de l’ordre de 200 000 t en équivalent net égoutté (le coefficient de transformation entre sec et net égoutté varie couramment entre 2,2 et 2,4 selon l’espèce, la qualité et les traitements industriels ou ménagers). Le marché intérieur est dominé par la grande distribution, qui monopolise les ventes de produits transformés. La restauration hors foyer (RHF), dominante en produits secs épicerie, où elle fait jeu égal avec les grandes et moyennes surfaces (GMS), est en revanche moins consommatrice de produits transformés. La consommation directe par les ménages est de l’ordre de 26 000 t avec un rôle central des GMS pour les lentilles (10 000 t sur les 12 000 t de lentilles en épicerie) et de l’importance des circuits ethniques pour les autres légumes secs. La RHF représente 20 000 t de légumes secs. Ce secteur est gros consommateur de haricots et de pois. En poids relatif, il représente 50 % du marché sec épicerie total pour les pois chiches, 47 % pour les pois, 43 % pour les haricots et 28 % pour les lentilles et les fèves. Les utilisations industrielles de légumes secs représentent en moyenne 50 000 t.

Par ailleurs, il y a des exportations françaises de graines entières de légumineuses pour l’alimentation humaine :

  • de pois vers la Belgique (ingrédients) ;

  • de pois vers le sous-continent indien, Inde, Bangladesh et Pakistan (en graine entière ou farine, souvent mélangé avec la farine de pois chiche) ;

  • de féverole vers l’Égypte (consommation traditionnelle).

Produits issus du fractionnement des graines de légumineuses

Rappelons qu’au niveau mondial, la production de protéines en tant qu’ingrédients est estimée à 4,2 Mt en 2013 avec un marché de 18 millards de dollars. La part de protéines végétales est de 34 % en valeur soit 6,2 milliards d’euros. On observe actuellement une croissance du marché mondial des protéines végétales, qui devrait atteindre 8,6 millards d’euros d’ici à 2018, soit une progression de 57 % (source USDEC 2013).

Dans le cas des légumineuses, les marchés liés aux différentes fractions de leurs graines sont encore confidentiels sauf pour le soja. La graine de soja se consomme traditionnellement en alimentation humaine sous forme d’aliments au soja, ce qui regroupe diverses préparations à partir de graines entières et d’ingrédients naturels (produits fermentés, jus de soja ou tonyu, tofu…) (voir chapitre 5, Ingrédients fonctionnels issus de légumineuses ).

L’huile de soja est fluide. Sa composition en acides gras est dominée par l’acide linoléique (environ 58 %), suivi de l’acide oléique (environ 20 %), et d’un acide gras saturé : l’acide palmitique (environ 10 %). Elle est très utilisée dans le monde pour la consommation humaine directe, ou après transformation en agroalimentaire (huile de soja hydrogénée par exemple). En France, cette huile n’est pas consommée en direct, tandis qu’en Italie elle est bien présente dans les rayons. L’huile de soja constitue aussi une matière première rentrant en oléochimie, ainsi que dans la fabrication d’ester méthylique à destination des biocarburants (États-Unis et Argentine).

Par ailleurs, le soja est aussi fractionné pour exploiter séparément chaque ingrédient, de même que les protéagineux. Les ingrédients de protéagineux et de soja (amidon, fibres micronisées, concentrés de protéines, etc.) sont utilisés pour leurs propriétés fonctionnelles et nutritionnelles en industrie agroalimentaire :

  • fonctionnelles : émulsifiant, moussant (ovoremplaceur), exhausteur de goût, agent de texture, etc. ;

  • nutritionnelles : apport de protéines, fibres, oméga-3, source de nombreux vitamines et minéraux (dont le fer et le calcium) ; bien adaptées aux applications diététiques ou aliments à forte densité nutritionnelle en adéquation avec le Programme national nutrition santé ;

  • techniques : rétention d’eau grâce à sa richesse en fibres (pour des produits moelleux à la cuisson, couleur dorée appétissante naturelle…).

Après un échec dans les années 1975 pour tenter de remplacer les protéines de soja dans le marché de l’alimentation humaine, la France a développé des procédés technologiques pour produire des protéines à partir des légumineuses à graines métropolitaines avec le lupin, puis la féverole historiquement utilisée en meunerie, et plus récemment avec le pois.

L’unique opérateur de lupin blanc au monde est français, sur un marché essentiellement pourvu par des transformateurs de lupin bleu. La farine de lupin blanc est utilisée dans les produits de panification ou dans la fabrication de produits carnés pour ses propriétés de texture et de coloration. On produit notamment de la boisson végétale de lupin (« lait de lupin ») apprécié en mélange avec le « lait de soja » pour en diminuer l’amertume, mais aussi des ingrédients utilisés, comme ceux du pois, pour leurs propriétés techno-fonctionnelles en industrie agroalimentaire. Les protéines de lupin sont utilisées notamment dans les aliments sans gluten (produits de panification, cakes, biscuits, pâtes alimentaires…).

Depuis longtemps, la farine de féverole est utilisée traditionnellement en meunerie à hauteur de 1 à 2 % en alternative à la farine de soja comme agent de blanchiment, et de tenue de la mie. Cet usage tend à reculer en France et représente aujourd’hui moins de 10 000 t, mais il se maintient dans d’autres pays. D’autres ingrédients agroalimentaires sont également produits à partir de féverole, comme les concentrés protéiques turboséparés et les fibres.

Pour le pois, le débouché des ingrédients agroalimentaires absorbe environ 160 000 t en France. Ce débouché est exigeant en qualité de la matière première (absence de grains de blé, de poussière de terre) et utilise des grains jaunes. Il recouvre différents produits :

  • les protéines de pois, sous différentes formes : farines traditionnelles, farine extrudée et micronisée, farine concentrée, concentrés de pois, isolats de pois (micronisé ou non), protéine texturée, pour différents secteurs (boulangerie, pâtisserie, charcuterie, pâtes et pizzas, boissons fonctionnelles, produits végétariens, nutrition des jeunes animaux, aquaculture) ;

  • les fibres de pois (environ 20 000 tonnes en France) : fibres externes (broyées ou micronisées) ou fibres internes pour leurs propriétés de rétention d’eau, d’émulsifiant ou de gélifiant pour les industries des produits alimentaires (boulangerie, industrie de la viande, plats cuisinés, produits diététiques) et pour des produits pour les animaux (fibres diététiques pour les veaux, porcelets ou chats) ;

  • l’amidon de pois : notamment pour des applications alimentaires (propriétés gélifiantes en confiserie et nouilles asiatiques transparentes, formation de film pour des snacks et des produits enrobés), pour des applications industrielles (papier, carton), en alimentation animale ou en industrie pharmaceutique.

Par ailleurs, les utilisations non alimentaires sont peu développées, mais des travaux de R&D dans les années 1990 avaient souligné le fort potentiel des ingrédients de protéagineux (amidon, protéines) pour la fabrication de matériaux biodégradables (films plastiques, matériaux composites types plastiques ou type poterie, etc.).

Débouchés des légumineuses fourragères

L’utilisation essentielle des légumineuses fourragères se fait en auto-consommation, pour alimenter les élevages d’herbivores (chapitre 4), l’utilisation en culture intermédiaire ou en espèce compagne dans les productions végétales étant plus récente (chapitre 3). L’usage essentiel est déterminé par la qualité du fourrage récolté et du couvert pâturé et la composition biochimique, notamment la teneur en protéines, la digestibilité et la présence de fibres digestibles.

Le marché des légumineuses fourragères au niveau national et européen est limité, avec d’une part la luzerne déshydratée (et ce malgré de fortes demandes en Europe, Afrique du Nord, Moyen-Orient et Extrême-Orient) et d’autre part un commerce de foins, réduit en volume, avec un cas d’AOC (le foin de Crau).

Valeurs nutritionnelles des fourrages

Les cultures fourragères sont des plantes en croissance dont la composition et la valeur alimentaire dépendent donc grandement du stade de récolte. La date de récolte est importante mais aussi le matériel agricole : une faucheuse conditionneuse à rouleaux (et non à fléaux) permet de mieux préserver les feuilles et d’écraser les tiges ce qui favorise la perte d’eau par évaporation. Par rapport aux graminées et au ray-grass anglais, les légumineuses fourragères sont plus riches en matières azotées totales et en minéraux (notamment calcium) mais moins riches en sucres (sauf cas du sainfoin).

En élevage ruminant, elles permettent de trouver l’équilibre de la ration alimentaire basée sur les graminées riches en énergie. Leur intérêt nutritionnel est alors double : concentration de la ration en azote grâce à leur richesse en protéines, et rôle dans l’ingestion et la sécurisation de la ration grâce à la teneur en fibres digestibles.

Le mode de conservation a des conséquences sur la conservation des protéines et sur les pertes possibles. Il existe trois modes différents :

  • le foin permet de conserver les protéines en l’état, mais peut induire des pertes de feuilles au cours des processus de séchage au sol ; le retournement des andains est nécessaire si la biomasse récoltée est importante ;

  • la déshydratation consiste à sécher très rapidement un fourrage en le passant dans un courant d’air très chaud. Ce traitement va entraîner une coagulation des protéines, et ainsi améliorer leur valorisation par les ruminants. Le processus étant très consommateur en énergie, il faut que le fourrage à l’entrée du four ait une teneur en matière sèche (MS) aussi élevée que possible. En conséquence, la pratique courante aujourd’hui consiste à faire un fauchage à plat, à assurer un pré-séchage au sol pendant 24 heures pour atteindre 30 % MS, puis un andainage sans perte de feuilles ;

  • la conservation par voie humide (ensilage) est délicate sur la plupart des légumineuses, en raison de la faible teneur en sucres solubles, ce qui réduit les possibilités d’acidification rapide par production anaérobie d’acide lactique à partir des sucres. Seul le sainfoin est riche en sucres solubles et serait adapté à un tel mode de conservation. Les possibilités consistent alors à apporter des acides organiques ou à augmenter la teneur en MS car les besoins d’acidification pour une bonne conservation diminuent avec l’augmentation de la teneur en MS. On recherche alors des fourrages à 45-50 % MS, avec un séchage au sol de plusieurs jours. Aux États-Unis, cette approche est courante et elle est effectuée grâce à la conservation dans des silos tours sous forme de « haylage ». En Europe, c’est sous forme de balles rondes enrubannées que l’on obtient la meilleure conservation. Elles permettent une distribution facile, bien adaptée aux troupeaux de petits ruminants (brebis, chèvres), particulièrement friands de ce type d’alimentation.

Le chapitre 4 détaillera les principaux éléments de connaissances sur les valeurs nutritionnelles des fourrages pour les différentes espèces animales.

Organisation des marchés
Cas de la luzerne déshydratée

La segmentation du marché de la luzerne déshydratée est la suivante :

  • granulés à différents taux de protéines : 66 % du marché (en volume), pour les herbivores bovins lait et viande, ovins, caprins, chevaux et lapins ;

  • balles de fibres longues pour 33 % du marché en fort développement : ruminants en conduite intensive et équins, ainsi que pour les animaux de compagnie (petfood) ;

  • concentrés protéiques de luzerne pour 1 % : pigments pour la coloration des jaunes d’œufs et de la chair des « poulets jaunes » ainsi que la filière « oméga-3 ».

Les concentrés protéiques de luzerne (ou extraits foliaires de luzerne) bénéficient depuis octobre 2009 d’une autorisation de mise sur le marché en tant que nouvel ingrédient alimentaire en application du règlement CE n° 258/97 du Parlement et du Conseil. Ils permettent de combler les déficits protéiques des populations malnutries et peuvent être valorisés sur le marché des compléments alimentaires.

Autres fourrages

Le commerce de foin est aujourd’hui limité, même s’il existe entre exploitations au sein des territoires agricoles. Les données statistiques sont limitées car il n’y a pas de marché économique organisé. Il y a aussi des échanges de résidus de cultures (pailles) entre céréaliers et éleveurs, comme pour le cas des pailles de cultures annuelles (dont les légumineuses à graines).

Il existe une exception notable qui concerne le foin de Crau. Essentiellement composé de luzerne, ce foin bénéficie d’une AOC et il est commercialisé, avec valeur marchande élevée, pour une utilisation essentielle dans les élevages équins, notamment les chevaux de course et de sport. Ceci s’explique en particulier par la faible présence de poussières dans ces foins, permettant ainsi de limiter les maladies respiratoires qui affectent fréquemment ces animaux et réduisent leurs performances sportives.

À retenir. Les légumineuses connaissent une palette variée d’utilisations.

Les utilisations des légumineuses françaises sont multiples mais jusqu’alors majoritairement liées à l’alimentation animale en termes de quantités. Dans le cas des légumineuses à graines, leur intérêt relève autant de leur apport énergétique que de leur apport protéique. Ce sont des débouchés « de masse » pour lesquels les matières premières sélectionnées sont, à l’heure actuelle, celles dont la combinaison offre le coût le plus bas pour une valeur nutritionnelle donnée de la formule de l’aliment composé ou de la ration fourragère. Mis à part les fourrages déshydratés, vendus hors région de production, les légumineuses fourragères sont plus majoritairement liées à de l’autoconsommation par les troupeaux d’herbivores.

Les débouchés des légumineuses à graines en alimentation humaine représentent moins de volumes et une valeur ajoutée plus élevée, et certains sont en augmentation. Ils peuvent relever de leurs différentes facettes : richesse en protéines, index glycémique bas, présence de fibres, propriétés techno-fonctionnelles, etc. Certaines espèces sont dévolues uniquement à l’alimentation humaine (lentilles, haricots, pois chiches). D’autres espèces accèdent à des marchés mondiaux de l’alimentation humaine (féverole vers l’Égypte, pois vers le sous-continent indien) ou aux débouchés des ingrédients (de la farine à l’isolat) et du segment « laits végétaux et aliments au soja » en agroalimentaire pour les protéagineux et le soja.

Il existe enfin des marchés de niche locaux (oisellerie ou santé) ou de débouchés non alimentaires qui concernent de petits volumes.

Le nouveau contexte

Le cadre réglementaire de la PAC 2015-2020

Dans le premier pilier de la PAC 2015-2020, qui représente l’essentiel des soutiens européens à l’agriculture, les États membres ont la possibilité de maintenir des aides couplées à certaines productions, dans une limite de 17 % dont 2 % au maximum spécifiquement destinés aux cultures riches en protéines végétales (pour réduire la dépendance des élevages aux matières riches en protéines importées). Chaque état membre en décide l’affectation et la France a confirmé en 2014 son choix de répartir les 151 M€ d’aides correspondant à ces 2 % des aides du premier pilier de la façon suivante[29] :

  • 35 M€ pour les protéagineux (pois sec, féverole, lupin doux et associations céréales-protéagineux récoltées à maturité dont la proportion de protéagineux dans le mélange dépasse 50 %) : avec un niveau d’aide par hectare qui ne dépassera pas 200 €/ha (même si la surface totale était inférieure à 175 000 ha) et ne sera pas inférieur à 100 €/ha pour les premiers hectares de chaque exploitation avec un plafond de surface éligible (si la surface nationale dépasse 350 000 ha). Pour les aides couplées, une clause de rendez-vous est prévue en 2017 pour vérifier qu’il y aura eu une hausse des utilisations en alimentation animale avant de poursuivre ce soutien jusqu’en 2020 ;

  • 6 M€ pour le soja : avec une fourchette de l’aide entre 100 et 200 €/ha et une surface maximale garantie (SMG) fixée au niveau de l’UE ;

  • 8 M€ pour la luzerne déshydratée (et autres légumineuses fourragères déshydratées) : avec une fourchette de l’aide entre 100 et 150 €/ha ;

  • 4 M€ pour les semences de légumineuses fourragères (et 0,50 M€ pour l’aide couplée pour la production de semences de graminées, pour permettre les mélanges nécessaires à l’implantation des prairies) ;

  • 98 M€ représentant entre 100 et 150 €/ha d’aide aux éleveurs comptant au moins 5 UGB (unité de gros bétail) (herbivores et monogastriques) et implantant des surfaces en légumineuses fourragères, pures ou en mélange avec au moins 50 % de légumineuses à l’implantation.

De plus, le « verdissement » de la PAC impose des règles d’éco-conditionnalité pour le paiement de ces aides. C’est-à-dire que 30 % des aides du premier pilier sont conditionnées à la mise en œuvre de plusieurs pratiques favorables à l’environnement, dont :

  • une clause de diversité des assolements qui impose 3 cultures minimum sur les exploitations de plus de 30 ha, la première ne pouvant dépasser 75 % de la surface totale de terres arables et les 2 premières, 95 % ;

  • un minimum de la SAU de l’exploitation de 5 % (peut-être 7 % en 2017) doit être des surfaces d’intérêt écologique (SIE). En France, ces SIE pourront comprendre des « cultures fixant l’azote » (avec un coefficient de pondération de 0,7), donc les légumineuses, en culture principale, sans contrainte spécifique.

Par ailleurs, au sein du deuxième pilier, des mesures volontaires et contractuelles sont à disposition pour indemniser les exploitations qui s’engagent de façon plus poussée dans des pratiques respectueuses de l’environnement. Deux d’entre elles sont deux mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC) qui sont spécifiques aux grandes cultures :

  • une MAEC Systèmes grandes cultures visant à accompagner les changements de pratiques dans les exploitations ;

  • en zones intermédiaires, là où les potentiels agronomiques sont les plus faibles, une MAEC Grandes cultures en zone intermédiaire moins contraignante en termes de conduites des cultures. Vingt-deux départements sont concernés.

Pour ces deux MAEC Grandes cultures, les conditions à remplir reposent sur la diversité des cultures (dans l’assolement mais aussi dans le temps), l’obligation d’introduire au moins 5 % de légumineuses (ou plus dans certains cas), la limitation des traitements phyto et une gestion économe des intrants.

En marche vers la seconde transition alimentaire mondiale

Selon le rapport Agrimonde (Inra/Cirad, 2009 ; Paillard et al., 2011), l’agriculture ne pourra nourrir les 9 milliards d’habitants de la planète en 2050 que si la consommation individuelle des produits d’origine animale ne dépasse pas 500 kcal/j, alors que la consommation de l’Europe de l’Ouest est déjà supérieure à 1 000 kcal/pers/j. L’augmentation de la consommation des produits d’origine végétale peut être un des leviers, ce que soulignent plusieurs études prospectives en cours (figure 1.35) (chapitre 7). Or, la consommation de protéines végétales progresse depuis le début des années 2000, et, en 2012, 30 % des protéines consommées sont d’origine végétale, soit 1,7 Mt (Source Frost et Sullivan, 2013, Market overview of the global protein ingredient market).

Figure 1.35. Les transitions nutritionnelles protéiques. Source : étude BIPE 2014 d’après FAO.

Les pays européens et les États-Unis avaient déjà opéré leur première transition alimentaire, c’est-à-dire que leur consommation en protéines animales avait dépassé la consommation de protéines végétales. Aujourd’hui, alors que les pays émergents devraient connaître la même transition d’ici 2030 et que l’Afrique s’en rapproche progressivement mais plus lentement, on constate l’amorce d’une tendance inverse dans les pays développés : la consommation des protéines animales ne progresse plus aux États-Unis et commence à diminuer dans certains pays de l’Union européenne comme la France. Il s’agit d’une deuxième transition qui tend à ré-inverser les courbes de consommation des deux grandes familles de protéines, et qui sera effective pour toute l’UE après 2030 (figure 1.35). Ces tendances vont demander une offre en protéines végétales d’autant plus importante à l’avenir, ce à quoi les légumineuses pourraient en partie répondre (voir Quelles perspectives pour les légumineuses à graines dans la transition alimentaire de régimes occidentaux ? et Débouchés pour l’alimentation humaine : des marchés de niche à fort potentiel de développement ).

Encadré 1.11. Les enjeux auxquels les légumineuses pourraient contribuer.

En apportant azote symbiotique et diversité fonctionnelle, les légumineuses peuvent contribuer à deux enjeux de taille pour la France et pour l’Europe.

Améliorer la durabilité de l’agriculture

Les professionnels agricoles sont confrontés à des impasses techniques sur les productions agricoles majoritaires (notamment céréales, maïs et oléagineux) du fait de leurs assolements basés sur un nombre réduit d’espèces : apparition de résistances aux herbicides ou de nouveaux bioagresseurs, diminution de la fertilité des sols. La compétitivité économique agricole est pénalisée par la dépendance des systèmes de culture aux intrants (dont l’azote) et par la dépendance des élevages aux achats d’aliments (souvent importés par ailleurs). De plus, la demande sociétale d’une agriculture durable est de plus en plus forte face à la montée des problématiques environnementales et de la santé publique : réduction de l’utilisation des pesticides, amélioration de la qualité de l’eau et de l’air, réduction des émissions de GES, préservation de la biodiversité, production d’aliments de bonne valeur nutritionnelle.

Améliorer l’autonomie protéique des systèmes alimentaires

Les légumineuses sont utiles pour :

  • relever la teneur en protéines des rations alimentaires de base des animaux,

  • augmenter la production française de matières riches en protéines pour nourrir les animaux, car actuellement 1/3 des besoins de la France et 3/4 au niveau européen sont couverts par des importations (graines et tourteaux de soja),

  • augmenter et diversifier la production de protéines végétales pour l’alimentation humaine, afin de réduire la dépendance aux importations pour 70-80 % des légumes secs consommés, et contribuer à l’évolution (recommandée) des systèmes alimentaires vers plus de protéines végétales et moins de protéines animales.

Conclusion

Le rôle des légumineuses s’est largement réduit ces dernières décennies dans le paysage agricole français, même si les ressorts sont différents selon les espèces et débouchés. Sur la base de la photographie établie dans ce chapitre, l’analyse des dynamiques sous-jacentes aux évolutions historiques est reprise en détail en chapitre 7, afin d’en tirer des enseignements utiles même si les contextes à venir encore inconnus peuvent changer la donne.

Face aux défis actuels et à venir, il s’agit aujourd’hui de prendre collégialement la décision, selon les éléments apportés dans les chapitres suivants, de changer ou pas ce rôle mineur des légumineuses dans nos systèmes agricoles et agroalimentaires. Un changement significatif du rôle de ces cultures ne pourra découler que d’un choix bien affirmé. Ensuite, même si certains signaux sont encourageants pour une mobilisation possible en faveur des légumineuses dans le nouveau contexte (2015-2030), le développement conséquent et effectif des légumineuses ne sera possible qu’avec une réflexion plus approfondie pour concevoir des leviers réellement efficaces et durables.

Avec la contribution de : Damien Beillouin, Hacina Benahmed, Dominique Briffaud, Didier Coulmier, Véronique Biarnès, Isabel Duarte, Gérard Duc, Bernadette Julier, Nathalie Harzic, Jean-Paul Lacampagne, Gérard Laurens, Frédéric Muel, Pascal Thiébeau.

5Cette famille, nommée Fabaceae (lato sensu) ou Leguminosae, comprend 18 000 espèces réparties dans trois sous-familles : sous-famille Caesalpinioideae avec une fleur pseudo-papilionacée ; sous-famille Mimosoideae avec une fleur régulière ; sous-famille Faboideae ou Papilionoideae avec une fleur typique en papillon.
6Remarquons que cet ouvrage ne couvre pas les filières des légumineuses qui sont récoltées avant la maturité des graines et qui sont destinées uniquement à l’alimentation humaine (gousses et graines immatures riches en eau) : les pois potagers, les haricots verts, les fèves fraîches, etc. Leur production est soit jardinière (jardins individuels), soit menée en plein champ avec contractualisation industrielle pour les industries de la surgélation ou de la conserverie. Il s’agit des mêmes espèces mais la sélection a donné des variétés inscrites différenciées de leurs homologues en sec et leur culture fait souvent partie de systèmes de production différents.
7Le terme « pois fourrager » est particulièrement ambigu : au niveau de la production, il désigne les pois de grande taille et à fleurs colorées, souvent récoltées en plante entière, par opposition au « pois protéagineux » pour les variétés courtes et à fleurs blanche. Mais au niveau de la commercialisation, les graines de pois protéagineux sont désignées par le terme « pois fourrager » quand elles sont vendues en alimentation animale, par analogie avec « blé fourrager », et par opposition à « pois jaune » ou « pois vert » pour les mêmes graines quand elles sont vendues en alimentation humaine.
8 Le couvert qui est associé à une culture de rente est parfois appelé « culture compagne d’une culture de rente » en traduction littérale du mot anglais companion crop ou alors « plante de service » (c’est en effet sa finalité principale, mais ce terme peut être ambigu car les cultures de rente apportent aussi des services, en premier le service d’approvisionnement, et parfois, notamment dans le cas des légumineuses, d’autres services écosystémiques).
9Métabolites secondaires, dérivés des acides aminés, que l’on trouve principalement chez les végétaux et ayant un caractère toxique ou une activité pharmacologique (analgésique, hypnotique ou anti-cancéreuse).
10 C’est-à-dire à teneur en alcaloïdes réduites (moins de 200 mg/kg) contrairement aux variétés amères.
11Par exemple le pois protéagineux est désigné par le terme « pois fourrager » dans la réglementation européenne sur les variétés, et par le terme « pois sec » dans la nomenclature internationale douanière et de la FAO.
12 QTL pour quantitative trait loci (un « locus de caractères quantitatifs » en français), c’est-à-dire une région plus ou moins grande d’ADN où sont localisés un ou plusieurs gènes à l’origine d’un caractère quantitatif. 
13Affection héréditaire, concernant surtout les individus de sexe masculin porteurs d’une mutation affectant l’activité enzymatique G6PD (glucose-6-phosphate déshydrogénase). La graine de fève-féverole contient deux molécules (vicine et convicine) qui favoriseraient la survenue de l’hémolyse (destruction des globules rouges) par oxydation chez les patients ayant un déficit en G6PD.
14Études Geves, 2004 ; Bagot et Luciani, non publié.
15Les graines des vesces contiennent l’acide aminé toxique, le β-cyano-L-alanine et son γ-L-glutamyl peptide, des glycosides cyanogéniques, vicianine et prunasine, et les toxines qui déclenchent le favisme (voir note 13) sur les personnes génétiquement prédisposées, vicine et convicine.
16La ploïdie d’une cellule caractérise le nombre d’exemplaires de ses chromosomes : cellule haploïde si elle possède n chromosomes, diploïde si elle possède 2n chromosomes organisés en n paires.
17Les performances agronomiques dans les essais CTPS des variétés inscrites depuis 2000 peuvent être consultées sur http://www.herbe-book.org/ .
18 Le stolon est un organe végétal de multiplication asexuée : tige aérienne ou souterraine, avec des feuilles absentes ou réduites à des écailles, donnant naissance à une nouvelle plante au niveau d’un nœud.
19C’est-à-dire le pédoncule d’une feuille, reliant le limbe à la tige.
20L’AEP a assuré cette animation via 300 adhérents individuels et un comité scientifique, 7 conférences plénières de 200 à 500 personnes, plus de 25 séminaires européens et internationaux, plus de 30 projets européens cofinancés par la commission européenne, 54 numéros d’un magazine trimestriel Grain Legumes et un site internet avec 10 000 visites par mois jusqu’en 2009.
21Exemples des actions AIP-Inra-Impact pois d’hiver (2005), PSDR-Profile (2010), de différents projets Casdar et contrats de branche, des structures RMT-SDCi et GIS GC-HP2E.
22Adaptation multi-stress et régulations biologiques pour l’amélioration du rendement et de la stabilité du pois protéagineux.
23Projet Casdar « RotAB » n°7055 (janvier 2008-décembre 2010).
24Avant l’aide complémentaire pour les protéagineux de 2010, beaucoup d’agriculteurs ont déclaré leurs associations céréales-légumineuses en catégorie « mélanges céréaliers ».
25Enquête agriculteurs du Cetiom 2007.
26Le pois sec utilisé en alimentation humaine est inclus dans les statistiques de pois protéagineux (étant donné que c’est la même espèce) et donc difficilement identifiable avec certitude.
27Une unité fourragère est la valeur énergétique contenue dans un kg d’orge, soit 1 855 kcal.
28Les prairies temporaires et les prairies permanentes sont composées d’association de graminées et de légumineuses, à hauteur de 20 % en moyenne de légumineuses pour les prairies temporaires, et de 5 à 10 % de légumineuses pour les prairies permanentes. Pour les prairies temporaires, les taux de composition en cours de production sont en général plus faibles qu’au semis. On en déduit les surfaces équivalentes en prairies composées uniquement de légumineuses.
29À confirmer après validation par la Commission Européenne, et lors de la publication des décrets d’application.