Chapitre 3

Performances agronomiques et gestion des légumineuses dans les systèmes de productions végétales

Marie-Hélène Jeuffroy, Véronique Biarnès, Jean-Pierre Cohan, Guénaëlle Corre-Hellou, François Gastal, Pierre Jouffret, Eric Justes, Nathalie Landé, Gaëtan Louarn, Sylvain Plantureux, Anne Schneider, Pascal Thiébeau, Muriel Valantin-Morison, Françoise Vertès

Ce chapitre concerne ce qui est spécifiquement lié à la présence de légumineuse au sein du système de culture  : spécificités pour la culture de légumineuse et conséquences qu’elle induit sur le reste du système de culture. Rappelons que le système de culture est « l’ensemble des modalités techniques mises en œuvre sur des parcelles traitées de manière identique. Chaque système de culture se définit par (i) la nature des cultures et leur ordre de succession, (ii) les itinéraires techniques appliqués à ces différentes cultures, ce qui inclut le choix des variétés pour les cultures retenues » (Sebillotte, 1990).

L’insertion des légumineuses dans les systèmes de culture doit être réfléchie selon la combinaison de trois éléments : les objectifs visés par l’agriculteur, l’environnement socio-économique dans lequel l’exploitation est insérée et le contexte pédoclimatique des parcelles. Comme précisé dans le chapitre 1, nous considérons les catégories de légumineuses selon la façon dont elles sont exploitées au sein des systèmes agricoles français : légumineuses exploitées pour leurs graines, légumineuses non récoltées dans les systèmes céréaliers, et légumineuses exploitées pour leur biomasse fourragère.

L’évolution historique des surfaces des différentes légumineuses et de leur fréquence par rapport aux terres arables des régions agricoles françaises est détaillée dans le chapitre 1 (Production de protéagineux et de soja en France et Productions des légumineuses fourragères ), les éléments explicatifs de cette évolution seront analysés en chapitre 7 lorsqu’ils relèvent du contexte socio-économique. Sont ici analysés les éléments d’évolution qui relèvent du système de production et du système de culture .

Les légumineuses fourragères et prairiales, qui concernaient une large proportion des surfaces françaises lorsque l’élevage était présent dans toutes les régions, sont devenues plus localisées lors de la spécialisation des territoires dans les années 1960-1970, car strictement liées aux zones d’élevage qui se sont concentrées. Elles sont maintenant majoritairement conduites en association avec des non-légumineuses. Seule la luzerne reste plus indépendante des élevages car sa déshydratation permet son transport et son utilisation dans des zones éloignées de celles de sa production, en particulier en Champagne. Les légumineuses annuelles à graines, historiquement très rares dans les assolements français et réservées à la consommation humaine, sont apparues dans les années 1980 de façon majoritaire dans les systèmes de grande culture mais aussi en zone de polyculture-élevage. La culture des protéagineux s’est essentiellement développée dans les systèmes céréaliers à niveau d’intrants élevé de la moitié nord de la France (70 à 80 % de la culture du pois, espèce majoritaire dans les années 1990, couvrait 27 départements du nord-ouest de la France ; source Unip). Le soja a été plus fortement lié aux systèmes de culture de la moitié sud de la France (systèmes irrigués tout d’abord, puis non irrigués). Le pois chiche est principalement cantonné à des systèmes méditerranéens. Les lentilles et les haricots sont surtout associés à des bassins de production assez localisés (notion de terroir).

Les successions dans lesquelles les légumineuses sont insérées sont variées et ont évolué au cours des trente dernières années. En prenant l’exemple du bassin de la Seine[32], on constate que, durant les années 1980, les légumineuses fourragères (luzerne) faisaient partie de successions longues intégrant 2 ou 3 années de prairies dans le cycle rotationnel. Les cycles duraient de 5 ans pour les plus courts à plus d’une dizaine d’années, avec une longueur généralement comprise entre 6 et 9 ans. Les espèces implantées (ainsi que leur ordre de succession) étaient très variables. Les rotations avec luzerne étaient de type « luzerne – luzerne – luzerne – blé – blé – betterave – orge – colza – blé – orge » et « luzerne – luzerne – blé – maïs – blé – orge ». Les légumineuses à graines, en particulier le pois (majoritaire), se retrouvaient dans des successions de cultures de 5 à 6 ans. On observe que le premier blé, après pois, était suivi d’une céréale secondaire qui a été progressivement remplacée par un deuxième blé. Durant les années 1990, les successions à base de pois se raccourcissent (4 ans), avec la betterave ou le colza en tête de rotation, même si les successions sur 5 ans ou plus restent bien représentées. Enfin, ces dernières ont nettement diminué depuis les années 2000, avec des successions dominantes sur 4 ans, fréquemment de type « betterave ou colza – blé – légumineuse – blé ». Depuis 2003, les surfaces en pois diminuent et le colza est devenu la principale tête de rotation dans l’Est puis dans tout le bassin (sauf dans les régions d’élevage en périphérie). La féverole fait son apparition et s’intègre dans les mêmes successions que le pois qu’elle remplace de plus en plus (colza – blé – féverole – blé). Depuis les années 1980, certaines successions sont sur une base triennale (pois ou féverole – blé – blé, pois ou féverole – blé – orge), mais elles restent minoritaires sur les 35 dernières années dans le bassin de la Seine. Une étude plus précise[33] sur trois régions françaises entre 2006 et 2011 indique que les légumineuses annuelles se retrouvent dans des successions relativement longues (autour de 5-6 ans) en alternance avec une autre tête de rotation devant deux céréales à paille. La tête de rotation est principalement le colza en Bourgogne, le tournesol en Midi-Pyrénées, le maïs ou le colza en Pays de la Loire. On observe également la présence de légumineuse dans des successions de 3-4 ans, placée devant au moins deux céréales à paille.

Actuellement, la majorité des légumineuses annuelles et pluriannuelles, cultivées en monospécifique, font partie des systèmes de grande culture, à base de céréales, conduits majoritairement en conventionnel, alors que les légumineuses fourragères et prairiales de plus de 2 ans sont largement utilisées en mélanges avec des graminées et présentes dans des systèmes de production incluant un atelier d’élevage, avec prédominance de ruminants.

L’importance des légumineuses au sein des assolements est étroitement liée au paradigme de production dans lequel les agriculteurs se placent. Ainsi, les légumineuses se retrouvent en plus forte proportion par rapport aux cultures majoritaires non-légumineuses de l’exploitation et constituent des espèces pivots dans les systèmes performants à bas niveau d’intrants (de Marguerye et al., 2013 ; Petit et al., 2012) et en agriculture biologique (AB) (Fontaine et al., 2012), deux types de systèmes reposant sur des principes agroécologiques , en comparaison aux systèmes conventionnels, davantage dépendants de l’usage d’intrants de synthèse (engrais azotés et pesticides ).

Les effets agronomiques des légumineuses dans les systèmes de culture sont directement liés à leurs spécificités physiologiques (décrites dans le chapitre 2), qui varient selon les espèces concernées et les conditions du milieu. Cependant, ils sont également étroitement dépendants de leur mode de gestion, qui permet une expression plus ou moins forte de ces effets agronomiques, et leur valorisation dans la gestion des systèmes, que ce soit pendant la culture elle-même (éléments de l’itinéraire technique) ou dans les éléments du système dans son ensemble (choix des parcelles et du matériel, gestion des cultures précédentes et suivantes, gestion des résidus après récolte et de l’interculture, etc.). Par ailleurs, ces effets agronomiques peuvent s’exprimer à différents niveaux de l’échelle spatiale : parcelle, assolement, exploitation agricole. En interaction avec les éléments de gestion du système, ils vont ensuite déterminer les flux des polluants émis par les systèmes de production et leurs impacts environnementaux et économiques décrits en chapitres 6 et 7.

Les caractéristiques à prendre en compte pour la gestion des légumineuses au sein du système de culture sont :

Quels que soient l’espèce, le mode d’insertion et la conduite, les effets agronomiques des légumineuses dans les systèmes de culture sont de deux ordres :

L’ensemble de ce chapitre analyse les différents systèmes de culture évoqués et les bonnes pratiques agronomiques associées, pour favoriser les meilleurs compromis entre fonctions de production et services agroécologiques et économiques rendus pour les exploitants agricoles et le milieu.

Systèmes de culture avec légumineuses annuelles à graines

Les légumineuses annuelles à graines ont actuellement une place mineure par rapport aux autres grandes cultures (voir chapitre 1). En France, leurs surfaces représentent moins de 5 % des surfaces des principales grandes cultures (moyenne pluriannuelle 2008-2012). Dans l’Union européenne, ce chiffre varie de 0,3 à 7 % selon les pays, avec une moyenne de 1,82 % (figure 1.9).

Selon les espèces et les zones de culture, les périodes de semis et de récolte sont assez variées (tableau 3.1), ce qui permet un choix des espèces adapté aux spécificités régionales.

Tableau 3.1. Principales périodes de semis et de récolte des différentes espèces de légumineuses annuelles à graines en France, et de leurs performances de production.

EspècesSemis
(période médiane)
Récolte
(période médiane)
Rendement (Rdt) et teneur en protéines (TPi en % matière sèche)
PoisType printemps : février-mars (nord France) ou décembre-janvier (sud France)
Type hiver : novembre
Type printemps : mi-fin juillet (nord France) ; mi-juin – fin juin (sud France)
Type hiver : fin juin-début Juillet (nord France), mi-juin – fin juin (sud France)
Rdt = 25 à 75 q/ha
TPi = 22 à 25 %
FéveroleType printemps : février-mars
Type hiver : octobre à janvier
Août-septembre (type printemps)
Fin juin-juillet (type hiver)
Rdt = 20 à 80 q/ha
TPi = 27 à 30 %
LupinType printemps : février-mars
Type hiver : septembre-octobre
Septembre (type printemps)
Juillet (type hiver)
Rdt = 25 à 45 q/ha
TPi = 33 à 37 %
SojaMi-avril-fin maiSeptembre-octobreRdt = 20 à 45 q/ha
TPi = 38 à 42 %
Pois chichejanvier-mars (principalement sud France)Juillet-aoûtRdt = 10 à 60 q/ha
TPi = 15 à 20 %
LentilleFévrier-avrilJuilletRdt = 10 à 30 q/ha
TPi = 20 à 25 %
HaricotMai-aoûtJuillet-octobreRdt = 15 à 30 q/ha
TPi = 20 à 23 %

Même si cela ne concerne pas la majorité des exploitations, l’évolution récente de l’agriculture conduit à l’émergence d’innovations dans la conception des systèmes, qui concernent en particulier les légumineuses (figure 3.1) avec des rotations plus longues (Dumas et al., 2012 ; de Marguerye et al., 2013), des cultures associées (Cohan et al., 2013 ; Corre-Hellou et al., 2013 ; Pelzer et al., 2014) et des couverts avec de multiples combinaisons telles que couverts d’interculture (Cohan et al., 2012), mais aussi couverts accompagnant une culture de rente ou couverts relais implantés dans la culture précédente (Cohan et al., 2012 ; Valantin-Morison et al., 2014). Historiquement et actuellement, les légumineuses à graines sont très majoritairement cultivées en culture monospécifique. Cependant, on observe une augmentation des cultures de légumineuses à graines en association avec des céréales (Corre-Hellou et al., 2013 ; Pelzer et al., 2014), que ce soit chez des éleveurs (utilisant souvent en direct le mélange des graines des deux cultures, récoltées en même temps à maturité ou immatures en ensilage) ou des céréaliers, en particulier en AB (la récolte étant alors, le plus souvent, soumise à un tri avant son utilisation). On observe aussi quelques couverts de graminées implantés sous culture de légumineuses.

Figure 3.1. Différents modes d’insertion des légumineuses dans les successions et les associations végétales.

En Europe, des systèmes innovants cherchent aussi à valoriser une deuxième culture de rente (graines ou biomasse) au cours de la campagne agricole, et les légumineuses annuelles à cycle court peuvent être des cultures candidates pour ce qui est souvent appelé « cultures dérobées ». Des initiatives sont récemment apparues en France, même si les itinéraires techniques ne sont pas encore au point. Les légumineuses cultivées en 2de culture de l’année sont beaucoup plus développées en Amérique du Sud — Argentine par exemple — grâce au soja à cycle court (Salembier et Meynard, 2013). Dans le sud de la France, la récolte de soja en double culture est également réalisée, sans problème majeur, chez quelques agriculteurs (quelques centaines d’hectares en 2014), après des cultures à cycle court (orge, pois, ail), et pourrait se développer à l’avenir pour des raisons économiques et/ou pour répondre aux exigences de couverture permanente des sols. Elle est permise par la disponibilité de variétés de soja à cycle très court, mais nécessite l’adaptation de la culture précédente pour une libération précoce des terres, l’irrigation pour assurer la levée de la culture, ainsi que l’alimentation en eau de la culture pendant les phases sensibles du cycle. On observe aussi depuis peu quelques semis de pois après récolte des céréales, notamment dans l’est de la France en 2014. Étant donné les conditions climatiques françaises, des secondes cultures pourraient également se développer dans les régions plus septentrionales, mais probablement plutôt dans un objectif de production de biomasse que dans un objectif de production de graines, ce qui limite les risques en termes de conditions de récolte.

Performances, et leur variabilité, des légumineuses à graines annuelles

Cultures monospécifiques

On s’attache ici à analyser le rendement en graines, principal facteur de performance économique chez les légumineuses, même si la qualité des graines, en particulier leur contenu en protéines ou leur couleur, peut jouer sur le niveau de valorisation économique de la culture.

Évolution du rendement national

Le rendement moyen national des légumineuses à graines cultivées est intermédiaire entre ceux du blé et du maïs (supérieurs) et celui des oléagineux (inférieur) (figure 3.2). Au sein des légumineuses à graines, le rendement est plus élevé pour les protéagineux (en général 30 à 50 q/ha pour la féverole et 40 à 55 q/ha pour le pois en moyenne nationale) comparé au lupin, au soja (autour de 25-30 q/ha en moyenne nationale) et aux lentilles, pois chiches et haricots (entre 15 et 25 q/ha).

Ces moyennes du rendement réalisé ne représentent pas le potentiel de rendement des cultures et cachent de nombreuses diversités régionales pour chacune des cultures et pour chaque année. Elles ne rendent pas compte non plus des différences importantes de surfaces concernées. Or, la part représentée par chaque culture dans l’assolement d’une exploitation et les critères de choix de localisation, différents selon les cultures, ont une influence certaine sur leur niveau de production.

Cette production moyenne annuelle nationale des légumineuses à graines a trois spécificités : une faible croissance sur les 30 années de suivi, une forte variabilité interannuelle et une forte variabilité interrégionale.

Figure 3.2. Évolution des rendements réalisés en moyenne en France pour les principales légumineuses à graines et autres cultures annuelles. Sources : Eurostat, Scees, Unip.

Au cours des 30 dernières années, l’augmentation du rendement moyen français chez les légumineuses à graines (en q/ha/an : 0,003 pour le pois, 0,21 pour le soja, et 0,48 pour la féverole) est nettement plus faible que celle des céréales (0,60 q/ha/an pour le blé, et 1,11 q/ha/an pour le maïs grain, culture majoritairement irriguée). Le colza connaît un gain de seulement 0,26 q/ha/an, valeur intermédiaire de celles observées chez les légumineuses.

Le pois apparaît comme la seule grande culture pour laquelle la moyenne des rendements nationaux des 5 dernières années est inférieure à la moyenne établie sur la période plus longue 1993-2012, même s’il existe un gain effectif de rendement potentiel par rapport aux variétés anciennes (voir Espèces de légumineuses et variabilité génétique utilisée ). Cette stagnation apparente contribue à décourager les producteurs. La tendance générale des rendements moyens, en particulier l’écart qui s’est creusé progressivement entre le rendement moyen du blé et celui du pois, semble être une source majeure du désintérêt économique des agriculteurs vis-à-vis de cette culture : l’écart moyen entre les rendements nationaux réalisés pour le blé et pour le pois était de 15 q/ha sur la période 1983-1992 et de 27 q/ha sur la période 2002-2012, soit un rapport de 1,4 en 1982 (53 et 38,4 q/ha) et de 1,6 en 2012 (72,7 et 44,5 q/ha). D’après l’interprofession Unip et plusieurs socio-économistes, le choix de cultures à forte rentabilité annuelle dans les assolements (encouragé par un contexte de prix élevés pour les matières premières agricoles), ainsi que la tendance à la simplification des systèmes de culture (chapitre 7), constituent les facteurs majeurs de la régression des légumineuses dans les zones de grande culture et un frein à leur développement si le contexte ne change pas.

Variabilité des rendements moyens nationaux

La variabilité interannuelle des rendements moyens nationaux, mesurée par le coefficient de variation, n’est pas si différente entre les grandes cultures sur les 30 dernières années (1983-2012) : celles des légumineuses à graines (10 % pour le pois, 16 % pour la féverole, 13 % pour le soja) sont équivalentes à celles du maïs (14 %), du colza (12 %) et du sorgho (15 %), mais supérieure à celle des céréales majeures (9 % pour le blé tendre et l’orge d’hiver) et du tournesol (8 %). Cependant, alors que pour la majorité des grandes cultures, cette variabilité s’est réduite dans les dix dernières années (autour de 6 à 7 %), elle reste élevée, voire s’est accrue, pour le pois et la féverole (10 à 15 %). Par ailleurs, le niveau de production en céréale étant beaucoup plus élevé qu’en légumineuses à graines, les variabilités interannuelles du rendement sont perçues comme étant moins importantes par les producteurs.

Si on s’abstrait de l’évolution tendancielle des rendements sur la période, on peut estimer la variabilité interannuelle résiduelle du rendement moyen national. En considérant les 30 dernières années, elle apparaît plus élevée chez la féverole (écart-type résiduel de 0,10) et le colza (écart-type résiduel de 0,11, en particulier dans les années 1980-2000) que chez le blé (écart-type résiduel de 0,06) ou le pois (écart-type résiduel de 0,09)[34].

À l’échelle européenne, à partir du rendement FAO des principales espèces cultivées (légumineuses, céréales, oléagineuses, tubercules) entre 1961 et 2013, le rendement des légumineuses apparaît significativement plus variable que celui des non-légumineuses (sur la base de l’analyse des écarts-types résiduels). Cette variabilité interannuelle dépend de la grande région considérée et de l’espèce : par exemple, le rendement du soja est moins variable en Europe de l’Est, comparé à l’Europe de l’Ouest et du Sud. La féverole serait l’une des légumineuses les moins variables en Europe (ce qui est peut-être en fait lié à sa localisation plus spécifique). La situation est différente en Amérique ou au Canada où, contrairement à l’Europe, les différences entre légumineuses (majoritairement le soja) et non-légumineuses sont plus faibles sur les 50 dernières années (mais avec des surfaces de soja qui sont conséquentes et en augmentation).

Cependant, ces tendances pour les rendements annuels moyens français par culture sont à analyser en tenant compte des variabilités interrégionales. Même si elles sont du même ordre de grandeur entre le pois et le blé tendre par exemple (entre 15 et 20 % de coefficient de variation en moyenne sur les 30 dernières années dans les deux cas), le rapport des surfaces concernées est très fortement déséquilibré : cette variabilité concerne 0,12 à 0,7 Mha pour le pois et 4,5 à 5 Mha pour le blé. De plus, le blé est toujours cultivé sur l’ensemble du territoire français alors que, dans les 15 dernières années, les aires de culture du pois se sont fortement réduites et déplacées (voir le facteur « aire de culture » ).

Facteurs biotiques et abiotiques explicatifs des tendances observées

Il est délicat d’évaluer la part respective de ces différents facteurs limitants sur la réduction du rendement moyen national et il serait plus pertinent de mener l’analyse à une échelle plus régionalisée, voire locale, c’est-à-dire sous forme de diagnostics agronomiques dans des conditions données en comparaison des données rétrospectives, ce qui n’a pas été réalisé. Les études disponibles à ce jour permettent néanmoins de souligner certains éléments génériques.

Chez le pois de printemps, les facteurs limitants majeurs du rendement sont les stress hydriques et thermiques (fortes températures), la pourriture racinaire due au pathogène Aphanomyces et les tassements du sol. Pour le pois d’hiver, on relève la verse et l’ascochytose, parfois accentués par le gel hivernal.

Par ailleurs, les performances des cultures de printemps (orge de printemps, pois, féverole) ont été plus variables ces dernières années (accidents climatiques problématiques) dans les zones de culture concernées. La réduction de leurs surfaces (en proportion de l’espèce) ainsi que le changement de localisation et de pratiques (forte réduction de l’irrigation en pois) doivent être pris en compte pour expliquer ces variations. Chez la féverole, les conditions climatiques sont également déterminantes du rendement ainsi que des attaques de rouille. Par ailleurs, cette espèce est sensible à des infestations de pucerons, mais également de bruches qui détériorent en particulier la qualité des graines. Chez le soja, le déficit hydrique est le principal facteur limitant, ainsi que certaines caractéristiques physico-chimiques des sols. Ces facteurs du milieu ont aussi une incidence sur la nécessité ou pas de ré-inoculer une parcelle de soja déjà inoculée auparavant. Plante peu couvrante au début de son cycle, le soja est fortement exposé à la concurrence des adventices et le désherbage est quasi systématique en conventionnel, tandis que les maladies (sclérotinia) et les ravageurs sont moins problématiques.

Le climat est un facteur déterminant de la variabilité du rendement des protéagineux et du soja, surtout pour les types printemps, particulièrement affectés par des stress hydriques et thermiques de fin de cycle, induisant des pertes de graines. Or, l’occurrence de ces stress, notamment lors de la formation et du remplissage des graines, s’est accrue ces dernières années (figure 3.3) : stress hydrique intense en 2011 (ayant perturbé le fonctionnement des nodosités et la nutrition azotée, d’où des teneurs en protéines très faibles) ; printemps très humides en 2012 et en 2013 (excès d’eau qui peut aussi avoir un effet négatif sur la nutrition azotée), fortes chaleurs en fin de printemps en 2005 et 2006. Le rendement du pois est très sensible aux fortes températures pendant la phase reproductrice (figure 3.4) ainsi qu’au déficit hydrique. Ainsi, il a été montré que le nombre de graines par plante est proportionnel à la vitesse de croissance de la plante et à l’intensité du déficit hydrique (Guilioni et al., 2003). Le pois étant très sensible au stress hydrique (avec des pertes de rendement dès 25 mm de déficit climatique), des irrigations modérées par rapport aux cultures d’été sont parfois appliquées (sur 10 % maximum de la sole de pois) : 50-90 mm sur pois de printemps (soit 2 à 3 tours d’eau de 25-30 mm) comparé à 140 mm en moyenne pour un soja dans le Sud-Ouest, et 190 mm pour un maïs cultivé dans les mêmes conditions que le soja (Jouffret et al., 1995). Dans ces cas, les effets sur le rendement sont importants. La valorisation de l’eau est en effet de 5 à 8 q/ha pour un apport d’eau de 30 mm. Il est donc possible de gagner jusqu’à 15-20 q/ha avec 2 à 3 tours d’eau bien positionnés par rapport à une culture non irriguée. Cependant, des irrigations tardives ou trop précoces sont parfois néfastes, induisant une concurrence entre la formation et le remplissage des puits et la poursuite du développement végétatif. Le pois de printemps est aujourd’hui majoritairement conduit sans irrigation. Par ailleurs, le changement d’aire de culture du pois a accru l’importance des stress climatiques : les surfaces de pois actuelles se retrouvent en proportion plus importante dans la zone intermédiaire, qui a une plus faible réserve hydrique que la zone nord de la France (zone qui ne représente plus que 50 % des surfaces nationales, contre 80 % il y a 30 ans), ce qui favorise l’apparition précoce de stress hydrique, très préjudiciable pour le rendement du pois. Enfin, les fortes températures de fin de printemps semblent plus fréquentes. Face à ces stress climatiques, les espèces de type hiver montrent leur intérêt, du fait de leur période de formation des graines située entre fin avril et fin mai (selon les dates de semis, les variétés et la région), période pendant laquelle les risques de stress hydriques et thermiques sont plus faibles.

Figure 3.3. Intensité des stress hydriques et thermiques pendant la période de formation des graines en pois de printemps sans irrigation à Chartres (28) entre 1992 et 2012 (sol profond, RU = 150 mm). Source : Unip-Arvalis.

Chez le soja, la conduite de l’irrigation permet en particulier d’influencer la teneur en protéines des graines (Burger, 2001). D’une part, les conduites peu limitantes en eau permettent, outre un bon rendement, d’obtenir des teneurs en protéines élevées. D’autre part, une limitation en eau en début de cycle ne pénalise pas la teneur en protéines et permet de réduire les risques de verse et de sclérotinia. En revanche, une limitation en eau durant la phase de remplissage du grain est généralement néfaste pour la teneur en protéines, même s’il existe des cas où la limitation pendant le remplissage n’a que peu d’effet, une limitation antérieure ayant réduit la taille du puits graines. La culture du soja apparaît moins affectée par ces facteurs limitants climatiques, en partie car elle s’insère plus régulièrement dans des systèmes irrigués que le pois et la féverole. Depuis 30 ans, seulement 2 années ont été caractérisées par des rendements anormalement bas pour le soja : en 1992, en raison d’un automne anormalement pluvieux qui avait conduit à une dégradation des graines mûres sur pied dans le sud-ouest de la France ; en 2003, où la sécheresse excessive avait conduit à des rendements bas du fait d’un manque d’eau pour irriguer suffisamment, et d’une proportion anormalement élevée de cultures conduites en sec en raison d’un système d’aides qui avait favorisé un fort développement des cultures en sec.

En féverole de printemps, le stress hydrique et les fortes températures représentent également les deux facteurs limitants principaux du rendement. L’impact des fortes températures en féverole de printemps a bien été montré, dans plusieurs situations avec irrigation de 2001 à 2003, où une relation négative étroite entre nombre de grains/m² et cumul de températures maximales supérieures à 25 °C entre le début de la floraison et le début du remplissage des grains a été mise en évidence (Metayer, 2004). Par ailleurs, en 2013, le gradient de fortes températures entre la région Centre et la bordure maritime Nord-Ouest a permis d’expliquer les différences de rendement entre ces deux régions (Quoi de Neuf, 2013).

Figure 3.4. Relation entre le rendement du pois et les fortes températures pendant la phase reproductrice entre début floraison (DF) et maturité physiologique (MP) des graines pour différents sites de Bretagne, Normandie, Centre, Rhône-Alpes, Auvergne, Picardie et Pays de la Loire. Sources : Unip-Inra avec les données du réseau variétés Arvalis-Unip-Fnams 2005 et 2006.

Dans les années 1990, un facteur important de la baisse du rendement moyen français a été l’apparition de la pourriture racinaire du pois, maladie due à Aphanomyces euteiches, entraînant des symptômes de nanisme, de jaunissement de la plante, de réduction du nombre de gousses et de graines, pouvant causer jusqu’à 100 % de perte de rendement. La présence de ce « pseudo-champignon » (oomycète) dans une parcelle est principalement liée à la combinaison d’un retour trop fréquent du pois, d’une forte pluviométrie et de températures douces au printemps, d’une sensibilité du sol à l’hydromorphie et d’un tassement du sol. Une enquête en 2011 a montré que, en Eure-et-Loir et en Seine-et-Marne, départements traditionnels de la culture du pois, le pathogène est présent dans 60 à 90 % des parcelles ayant déjà reçu un pois dans les 20 dernières années (source Unip). Toutefois, à part en Brie, la majorité des parcelles a un faible niveau d’infestation. Cette maladie a été un facteur majeur de la disparition de la culture du pois dans des terres historiques et très productives (en région Centre notamment) et la cause de certains rendements moindres qu’espérés dans ces régions (Bonilla, 2013). Peu de moyens de lutte sont disponibles aujourd’hui, à part la gestion des rotations et le changement de date de semis et de type variétal. Les pois d’hiver sont moins affectés par cette maladie que les pois de printemps, du fait du décalage de leur cycle cultural par rapport à celui du pathogène (Quoi de Neuf ?, 2013). Par ailleurs, un test de potentiel infectieux du sol a été mis au point et est recommandé avant implantation, pour caractériser le risque d’une parcelle (Arvalis-Unip, 2010), mais il est faiblement utilisé par les producteurs. Les travaux progressent sur la recherche de résistances à Aphanomyces euteiches. Les espèces de légumineuses peuvent être classées en quatre catégories selon leur réaction vis-à-vis de ce pathogène (Moussart et al., 2008) : les espèces sensibles (lentille, luzerne, haricot) avec un faible niveau de résistance partielle, les espèces incluant des génotypes sensibles et d’autres avec un fort niveau de résistance (vesce, féverole, trèfle), les espèces avec un très haut niveau de résistance (pois chiche), et les espèces ne présentant aucun symptôme (lupin).

L’ascochytose est une maladie aérienne due à un complexe parasitaire composé principalement de deux champignons, Mycosphaerella pinodes et Ascochyta pisi. Par ses attaques plus précoces en pois d’hiver, elle induit généralement des pertes de rendement plus élevées qu’en pois de printemps, pouvant aller jusqu’à 50 % de pertes de rendement. Cette maladie provoque des nécroses des organes aériens de la plante, perturbant l’assimilation carbonée et le transfert des assimilats entre les organes végétatifs et reproducteurs, et donc des réductions du nombre de graines et du poids des graines. Elle est favorisée par un microclimat doux et humide à l’intérieur du couvert végétal, plus fréquent dans des couverts denses, et pour des variétés à architecture compacte et peu aérée. La maladie est généralement contrôlée par l’application de 2 à 4 fongicides en moyenne par parcelle, mais son efficacité n’est pas toujours totale. Des travaux sont en cours pour sélectionner des variétés résistantes.

Le sclérotinia, principale maladie du soja, est assez fréquent, surtout dans les cultures irriguées du sud de la France (Chambert, 2014). Les dégâts peuvent être importants (5 à 10 q/ha) mais sont généralement limités par une protection intégrée faisant appel à une gestion raisonnée de l’irrigation et du peuplement, à la tolérance variétale et à l’utilisation d’un produit de biocontrôle accélérant la destruction naturelle des sclérotes dans le sol.

Les tassements du sol, notamment dans les 20 premiers centimètres, perturbent de manière importante la fixation symbiotique et ont alors des conséquences non négligeables sur la nutrition azotée et le rendement de la culture, ces situations étant assez fréquentes en parcelles agricoles (Doré et al., 1998). La compaction du sol perturbe également le développement du système racinaire (profondeur maximale et densité racinaire), avec des effets plus marqués sur pois de printemps que sur pois d’hiver (Vocanson et al., 2006). Ces effets ont alors des conséquences sur la capacité de la culture à prélever l’eau et l’azote minéral du sol dans les horizons profonds, et donc sur sa production. Le pois est plus sensible à l’état structural que la plupart des céréales : 30 % de réduction du rendement pour le pois en situation tassée par rapport à une situation non tassée, contre 5 à 20 % pour le blé, sorgho ou maïs grain (Déroulède et al., 2013). Le système racinaire et donc les nodosités et l’activité fixatrice sont perturbés. Les conditions d’implantation (sol bien ressuyé et non tassé) sont déterminantes pour les performances des légumineuses et influencées par plusieurs facteurs, notamment le type de travail du sol, la présence de couverts avant semis, la texture du sol de la parcelle et sa qualité de drainage. On observe fréquemment des tassements sous pois de printemps, du fait de dates de semis précoces après hiver (pour tenter d’allonger le cycle cultural du pois), souvent réalisés en conditions de sol non suffisamment ressuyées.

En parcelles agricoles, le rendement peut également être limité par le nombre de tiges par m2 mis en place (Doré et al., 1998). Cette composante résulte d’une part de la densité de plantes semées et levées, mais également de la capacité des plantes levées à ramifier. Le taux de ramification varie en fonction de la profondeur de semis, de l’état structural de la couche superficielle du sol, des conditions climatiques (pluviométrie importante ou sécheresse) et de l’état de nutrition azotée de la culture. Avec les variétés actuelles de pois d’hiver, les densités recommandées sont inférieures à celles du pois de printemps (70-80 grains/m2 contre 90 grains/m2 en limon), mais sont peu respectées par les agriculteurs, ce qui peut générer des densités de tiges élevées favorisant ainsi la verse et l’ascochytose, comme observé dans un réseau de parcelles dans le Berry (Bénézit, 2013).

Modification de l’aire de culture et des conduites de culture

La réduction du rendement moyen national du pois est également liée à des modifications de l’aire de culture et des systèmes dans lesquels sont insérés les protéagineux. Ainsi, une plus grande proportion de parcelles de pois était irriguée dans les années 2000 (environ 17 à 20 % des surfaces de pois étaient irriguées entre 1995 et 2004) que dans les années 2010-2014 (même si les statistiques ne sont plus disponibles). Cette baisse peut s’expliquer par l’augmentation des surfaces en pois d’hiver (moins dépendants de l’irrigation que le pois de printemps), mais aussi par le fait que d’autres cultures sont prioritaires pour les quotas d’irrigation en baisse (ou du fait des changements de régions). Le pois est maintenant conduit majoritairement sans irrigation en région Centre par exemple.

Par ailleurs, la diminution des surfaces de pois en parcelles très productives de certaines régions (à cause de la multiplication des pertes liées à la maladie Aphanomyces) a également joué un rôle dans la réduction du rendement moyen national du pois. Alors que les régions du nord-ouest de la France représentaient plus de 80 % des 730 000 ha de pois en 1993, elles ne représentent actuellement plus que 60 % des 140 000 ha en 2013, tandis que les régions intermédiaires sont passées de 14 % à 35 % dans la même période (figure 3.5).

Les zones privilégiées de la culture ont évolué au cours des années, entraînant une gamme plus contrastée de rendements réalisés (de 6 à 14 q/ha) et une variabilité plus importante du nord au sud (coefficients de variation départementaux de 12, 16 ou 19 % respectivement sur la période 1983-2013). La part des départements du croissant des « zones intermédiaires », allant de Poitou-Charentes à la Lorraine, qui représentait 20 % dans les surfaces annuelles françaises de pois dans les années 1980, a augmenté régulièrement, pour atteindre jusqu’à près de 50 % aujourd’hui. Au contraire, pendant la même période, la part des départements traditionnels du nord de la France, à potentiel de rendement plus élevé de 5 à 10 q/ha en moyenne, est passée de 70-80 %, dans les années 1980, à moins de 50 % aujourd’hui. Ce déplacement de l’aire de culture, associé à la diminution des surfaces totales, explique une partie de la tendance à la baisse du niveau du rendement moyen national observé, en conjugaison avec d’autres facteurs (les parts respectives étant difficiles à quantifier).

Figure 3.5. Évolution des rendements moyens annuels du pois dans trois zones françaises et de la répartition de ces surfaces cultivées entre 1983 et 2013 (source : B. Carrouée, Unip).

Autres facteurs potentiellement limitants

Le rendement peut également être influencé par le fonctionnement de la fixation symbiotique. Comme développé en chapitre 2, ce processus biologique clé pour les légumineuses peut être affecté non seulement à l’implantation lors de la mise en place du potentiel d’activité fixatrice, mais aussi lors des stress biotiques et abiotiques qui pénalisent cette source d’apport azoté. Pour le soja, il est recommandé d’inoculer la parcelle avec des souches bactériennes efficaces pour cette espèce. La présence des bactéries symbiotiques des espèces autres que le soja est souvent considérée non limitante dans les sols français, mais ceci serait à confirmer dans les sols actuels. Des travaux américains (Weese et al., 2015) soulèvent la piste d’un effet de la forte teneur en azote minéral des sols, liée à la fertilisation azotée de l’agriculture depuis les années 1970, sur le fonctionnement même de bactéries symbiotiques qui sont devenues moins efficaces que celles issues de milieux non fertilisés car leur symbiose donne des trèfles à moindre biomasse.

Par ailleurs, la date et donc les conditions de récolte peuvent également être à l’origine de pertes de rendement. Ainsi, des pluies importantes en juillet, au moment des récoltes, ont entraîné une interférence avec les récoltes d’autres cultures (blé, colza) et un décalage des dates de récolte en pois d’hiver en 2000 et 2007 et en pois de printemps en 2014, à l’origine de pertes à la récolte (verse et égrenage), liées à une sur-maturité.

Perspectives

Évolution du climat

Les légumineuses ont un potentiel pour contribuer à l’adaptation des systèmes face au réchauffement climatique à double titre :

  • par leur aptitude à fixer l’azote atmosphérique, elles peuvent mieux bénéficier que les graminées de l’accroissement des teneurs atmosphériques en CO2 pour la photosynthèse (Lüscher et al., 2000) ;

  • l’augmentation attendue de la fréquence et de la sévérité des périodes de sécheresse peut accroître l’intérêt pour les espèces à enracinement profond telles que le trèfle violet, la luzerne, voire le sainfoin ou le lotier dans les prairies, d’autant plus que ces espèces ont des besoins en température supérieurs à ceux des graminées des associations.

Évolution des systèmes de production

L’évolution des systèmes de production est influencée par deux tendances opposées. D’une part, une simplification de la conduite des systèmes est favorisée par plusieurs facteurs : agrandissement des exploitations et des parcelles, mise en commun d’assolements, simplification du travail du sol. D’autre part, l’exigence de préservation de l’environnement joue en faveur de la réduction du recours aux phytosanitaires et aux apports azotés exogènes. Ces évolutions poussent à rechercher des conduites de culture et des types variétaux peu sensibles aux pressions biotiques, faciles à semer, à conduire et à récolter, permettant de grouper ou d’étaler les chantiers de travaux selon les préférences sociales des agriculteurs. Les légumineuses ne répondent pas toujours à ces critères.

Comment améliorer les performances des légumineuses à graines ?

La stabilisation et l’augmentation des rendements sont prioritaires chez les légumineuses annuelles et nécessitent :

  • un renforcement des moyens de conseil sur ces cultures mineures pour assurer une bonne implantation (clé de la réussite de la culture) et une conduite optimisée de la culture jusqu’à la récolte ; privilégier les sols profonds pour le pois et la féverole de printemps, envisager l’irrigation si cela est possible sur l’exploitation ;

  • un progrès technique et génétique plus soutenu pour des performances renforcées pour les différentes espèces, avec moins de variabilités face aux stress biotiques et abiotiques (en tenant compte du changement climatique et du type de sol), via la combinaison de l’amélioration variétale et l’optimisation des itinéraires techniques, et en tenant compte des innovations à imaginer au niveau du système de culture : développement de variétés de pois de printemps résistantes au pathogène Aphanomyces, ou des espèces de type hiver, associations de cultures, couverts qui pourraient être bénéfiques aux protéagineux, techniques de travail du sol dans le système qui améliore l’implantation des protéagineux, etc. ;

  • des innovations à poursuivre en termes de système de culture : associations de culture, couverts sous légumineuses, etc.

Performances des légumineuses associées à des non-légumineuses

Plusieurs types d’associations de légumineuses à graines avec des céréales (pois-blé d’hiver ; pois-orge de printemps ; féverole-blé dur) ont été testés depuis plusieurs années en conditions d’agriculture conventionnelle et biologique. Les rendements de l’association sont quasiment toujours supérieurs à la moyenne des rendements des espèces cultivées pures (figure 3.6 correspondant à la synthèse de 16 essais), l’effet « association » étant plus fort sur blé tendre, suggérant une meilleure efficacité dans l’utilisation des ressources, notamment azotées (Corre-Hellou et al., 2006a, 2013).

Figure 3.6. Comparaison, à doses d’azote apporté équivalentes, du rendement d’une association blé-pois avec la moyenne des rendements des espèces cultivées en pures. L’écart moyen est de +11,9 q/ha en faveur de l’association dans ces 16 essais (d’après Cohan et al., 2013).

En moyenne, il faudrait environ 1,2 ha de cultures pures pour produire un rendement équivalent à 1 ha d’association, cette valeur variant de 0,8 à 1,6 selon les études. Les valeurs les plus élevées sont obtenues pour de faibles disponibilités en azote dans le milieu. Des valeurs supérieures à 1,6 peuvent aussi être obtenues dans le cas de fortes contraintes en cultures pures qui sont minimisées en association (facteurs biotiques et abiotiques). Par ailleurs, la variabilité interparcellaire des rendements est réduite par rapport à celle des cultures monospécifiques, le comportement d’une espèce compensant celui de l’autre face à la diversité des conditions climatiques (Pelzer et al., 2012). Ceci a particulièrement été montré en situation d’agriculture biologique (Bedoussac et al., 2014, 2015).

Les phénomènes de verse, les infestations d’adventices, de maladies et d’insectes sont réduits dans ces systèmes, du fait des effets bénéfiques engendrés par la présence de deux espèces différentes sur la même parcelle, permettant de maintenir des niveaux de production plus stables tout en réduisant l’utilisation d’intrants (Justes et al., 2014 ; Corre-Hellou et al., 2014).

Néanmoins, en cas de conduite intensive de ces associations, les bénéfices attendus — notamment en termes de meilleure valorisation des ressources — sont réduits, voire annulés (Bedoussac et Justes, 2010 ; Pelzer et al., 2012). La densité de chaque espèce et la fertilisation azotée appliquée à l’association peuvent être adaptées selon les objectifs de production visés et la disponibilité attendue d’azote par le milieu, afin de favoriser l’une ou l’autre des cultures dans la récolte (Corre-Hellou et al., 2013) : plus la disponibilité d’azote minéral est élevée, plus la céréale est favorisée au détriment de la légumineuse.

De plus, pour accompagner le développement de ce mode de culture, il est indispensable de prévoir la modification des volumes récoltés par rapport aux assolements existants, car cela demande une adaptation technico-organisationnelle pour l’aval des filières agricoles concernées (chapitre 7).

Légumineuses en agriculture biologique

Les légumineuses présentent un intérêt réel dans les systèmes de grande culture en agriculture biologique (AB), caractérisés par l’interdiction du recours aux engrais azotés de synthèse et donc avec de très faibles niveaux de disponibilité en azote (Casagrande et al., 2009 ; David et al., 2005 ; Valantin-Morison et Meynard, 2008). Pourtant, la culture de légumineuses à graines (féverole, pois) reste relativement modeste dans ces systèmes, bien que leur part y soit plus importante qu’en agriculture conventionnelle, et leurs surfaces en augmentation. Les légumineuses à petites graines sont en revanche très présentes dans les systèmes de polyculture-élevage, dans lesquels les prairies multi-espèces sont très répandues.

Les légumineuses sont cruciales dans les modes de production en AB car la fertilité des sols et la maîtrise de la flore adventice sont les principales préoccupations agronomiques (systèmes céréaliers) dans ces modes de production, et la recherche de l’autonomie alimentaire (systèmes en polyculture-élevage) est un facteur de durabilité. Les légumineuses sont présentes dans les rotations pour 30 à 55 % des cultures pratiquées en grandes cultures en AB (en comptant les légumineuses à graines ou fourragères et les cultures intermédiaires), soit bien plus qu’en agriculture conventionnelle (Fontaine et al., 2012). Dans un contexte où les engrais organiques se font rares et chers, cette entrée d’azote dans le système via la fixation symbiotique de N2 atmosphérique par les légumineuses est attractive, mais ce sont également les services agronomiques rendus par ces cultures en diversifiant la rotation (contrôle des adventices, structure du sol…) qui sont le plus appréciés.

Au sein des grandes cultures en AB, d’après les données 2013 de l’Agence Bio (figure 1.12), la culture de légumineuses bio est représentée par le soja (4,9 % des surfaces de grandes cultures en AB), la féverole (3,5 %), les légumes secs (2,6 %), le pois (2,0 %) et le lupin (0,1 %). Le soja, les lentilles et le pois chiche se démarquent car l’AB concerne près du quart de leur surface nationale respective, en lien avec des prix d’achat élevés en alimentation humaine. Les filières bio de l’alimentation animale ont aussi un besoin croissant en graines de légumineuses issues d’une conduite en AB, en raison de la croissance du secteur des produits finis bio, mais surtout du fait de l’obligation réglementaire d’avoir, à horizon 2018, un aliment 100 % d’origine biologique pour les élevages monogastriques bio (une dérogation fixe actuellement le seuil à 95 % et ce jusqu’en décembre 2017).

La lentille et le pois chiche sont conduits en bio pour 20 % de leurs surfaces. Le soja bio était cultivé en 2013 sur plus de 10 000 ha (source Agence Bio), soit 24 % de la sole nationale en soja (plus de 43 000 ha, source Agreste ; le ratio était de 20 % en 2011), proportion à comparer aux 3,8 % que représentent les surfaces en AB, toutes filières confondues à l’échelle nationale, et aux 1,6 % que représentent les surfaces de grandes cultures en AB au sein de la sole nationale de grandes cultures. L’encouragement politique au développement de l’AB et l’existence pour le soja de débouchés en croissance, tant en alimentation humaine qu’animale, ont déjà conduit depuis 2008 à des augmentations significatives des surfaces en soja qui devraient se poursuivre durant les prochaines années. L’extension de la culture en sec est notamment visée dans les bassins de production de la moitié sud de la France.

Le soja se prête bien à la production biologique car il est bien adapté au désherbage mécanique (faux semis, herse-étrille, binage…) et peu sujet aux maladies et attaques de ravageurs. Il peut atteindre, dès lors qu’il est correctement conduit, des rendements proches de ceux atteints en agriculture conventionnelle. On constate par exemple un rendement moyen bio en France en 2012 (enquêtes pratiques culturales Cetiom) de 28,9 q/ha en irrigué contre 33,7 q/ha en conventionnel irrigué, soit une différence de seulement 14 %. Le soja est très présent dans le Sud-Ouest et le Sud-Est, mais on le trouve aussi sur des surfaces plus limitées, dans d’autres régions de France (Poitou-Charentes, Centre…), où les surfaces sont en croissance. Le soja est intégré dans des rotations plus ou moins longues (1 an sur 3 à 1 an sur 6), avec des céréales (blé, orge maïs), d’autres types de légumineuses (pois, lentilles, féverole, luzerne…) et du tournesol. Dans le Sud-Est, il est présent majoritairement dans des systèmes irrigués à dominante maïs : 85 % des surfaces de soja bio sont irriguées et le maïs est le précédent dominant, représentant 56 % des surfaces. Dans le Sud-Ouest, il est à peu près équitablement réparti entre systèmes sec et irrigué (55 % des surfaces bio sont irriguées), les trois principaux précédents étant céréales d’hiver (36 %), soja (34 %) et maïs (12 %).

La féverole est plus fréquente en AB qu’en conventionnel. Elle se prête particulièrement bien au désherbage mécanique (large écartement de rangs), ce qui explique son développement important, mais elle est sensible à différentes maladies qui peuvent altérer son rendement en conditions AB.

Le pois est moins cultivé en AB car les infestations d’adventices et de sitones sont parfois difficiles à maîtriser en culture seule. C’est pourquoi est parfois préféré le pois cultivé en association avec une céréale (surfaces en hausse). Toutefois, quand le contrôle des adventices est bien maîtrisé, les niveaux de rendement sont proches des rendements obtenus en agriculture conventionnelle (Corre-Hellou et Crozat, 2005a).

En effet, un mode de culture efficace pour produire des légumineuses à graines en AB est, de nouveau, l’association interspécifique graminée-légumineuse. Dans ces conditions, où les facteurs de croissance sont le plus souvent très limitants, les associations présentent le plus grand intérêt (Corre-Hellou et al., 2013). Elles sont appréciées pour réussir à sécuriser la production de protéagineux en limitant les adventices, les maladies et la verse, problèmes majeurs rencontrés en culture pure. Dans cet objectif, l’association semée est principalement composée de protéagineux ; la céréale même à faible densité peut jouer le rôle de tuteur et améliorer la compétitivité vis-à-vis des adventices. D’autres objectifs peuvent être envisagés vis-à-vis de ces cultures associées, par exemple produire du blé plus riche en protéines qu’en culture pure. Face à ces intérêts agronomiques reconnus, certaines coopératives collectent et trient ces associations provenant de l’AB. En fonction des débouchés visés, il faut adapter la conduite (choix des espèces et variétés, choix des proportions au semis…) pour influencer les proportions finales. Des travaux permettent de proposer des règles de décision combinant la proportion au semis en fonction d’une prévision de la disponibilité en azote du milieu (élément déterminant dans l’évolution de la composition du couvert), et la gestion d’une fertilisation azotée d’appoint en cours de culture pour se rapprocher d’une composition récoltée souhaitée (Naudin et al., 2010), même si, en AB, le levier fertilisation est dans les faits peu utilisé. La gamme de variation des proportions finales reste importante mais tout à fait acceptable pour les agriculteurs pratiquant ces associations. C’est essentiellement au niveau des collecteurs que cette variabilité du produit récolté (qui va donner lieu à des proportions variables de graines triées) peut représenter une contrainte supplémentaire même si elle est gérable. De fait, la collecte d’associations graminées-légumineuses est plus développée en AB qu’en conventionnel, malgré les freins liés aux contraintes techniques et économiques de tri et d’allotement.

À retenir. Rendement et conduite.

Le rendement des légumineuses à graines varie selon les conditions climatiques et les pratiques, avec des potentiels qui peuvent être relativement élevés et avec une sensibilité apparente vis-à-vis des facteurs climatiques, biotiques et abiotiques qui peut être plus grande que chez les autres grandes cultures. Le fait que la fixation symbiotique soit plus sensible aux facteurs du milieu (comme excès d’eau ou sécheresse, ou bioagresseurs des racines) constitue un des facteurs explicatifs, alors que les performances des céréales sont largement déterminées par l’application d’intrants. La conduite des protéagineux est relativement simple au sein des systèmes céréaliers. La clé du succès réside essentiellement dans la mise en place du système racinaire correct (semis sur un sol bien ressuyé et non tassé, favorable au développement des nodosités et à un bon enracinement) et dans une bonne fonctionnalité notamment des nodosités aux périodes critiques de l’élaboration du rendement (phases souvent courtes, soumises aux aléas climatiques).

Le rendement des cultures associées céréale-légumineuse à graines est généralement moins variable que la moyenne des cultures pures correspondantes. Il est souvent plus élevé par rapport à la moyenne des rendements des deux cultures en monospécifique, et ce d’autant plus que l’azote minéral disponible dans le sol est faible (20 % d’augmentation et plus), tout en étant moins dépendant des intrants de synthèse (engrais azotés et pesticides). Ce mode de culture est plus robuste face aux aléas climatiques. Il permet de produire des graines de céréales riches en protéines avec peu ou pas d’engrais azotés ainsi que des graines de protéagineux, sans les inconvénients fréquemment rencontrés en culture pure (verse, adventices, maladies). Cependant, la proportion des deux partenaires peut être variable selon la conduite et les conditions de croissance. De plus, la coordination entre les acteurs n’est pas toujours suffisante pour assurer l’organisation adéquate tout au long de la chaîne de collecte et de valorisation des produits (nécessitant souvent un tri à l’heure actuelle, ce qui peut parfois être encore un frein).

En agriculture biologique (AB), les légumineuses à graines sont un peu plus fréquentes qu’en conventionnel dans les systèmes de culture (en % de la SAU), car ces systèmes sont caractérisés par de faibles disponibilités en azote. Les associations céréales-légumineuses à graines se développent davantage, car elles sont moins sensibles que les cultures monospécifiques aux facteurs limitants, fréquents en AB.

Effets de la légumineuse sur les performances de la culture suivante

La présence d’une légumineuse dans la succession culturale modifie les performances agronomiques de la culture qui suit la légumineuse (ou de la non-légumineuse à laquelle elle est associée) : son rendement et la qualité de ses produits récoltés (notamment la teneur en azote) ainsi que les problèmes sanitaires auxquels elle est confrontée et les intrants nécessaires à sa production. En ricochet, sont aussi modifiés la marge (liée notamment au volume des intrants utilisés) et les impacts environnementaux de cette culture suivante, puis de l’ensemble du système de culture. Ces divers effets dépendent aussi de la performance de la légumineuse elle-même ainsi que de son mode d’exploitation et d’insertion dans le système de culture. Une analyse sur les causes du plafonnement des rendements du blé en France, observé depuis 1995, souligne d’ailleurs, en plus du climat, l’importance de la composante « changement de pratiques » avec notamment la réduction de la part de blé avec un précédent pois (Brisson et al., 2010) : ces auteurs estiment que le changement de précédent a engendré 4,2 q/ha de réduction du rendement du blé pour la période 1995-2006, réduction qui serait peut-être en partie limitée par l’augmentation du fractionnement de la fertilisation du blé (avec un troisième apport plus fréquent).

La culture de rente suivant une culture de légumineuse à graines a généralement un rendement supérieur à celui de la même culture suivant un autre précédent, même lorsque tous les facteurs limitants du rendement sont maîtrisés. Ce gain de rendement n’est pas toujours significatif selon les espèces mais il est conséquent sur les blés (tableau 3.2). Sur la base d’estimations réalisées sur une très large base de données françaises, un blé de pois a un rendement en moyenne supérieur de 7,4 q/ha à un blé de blé et de 1,9 q/ha par rapport à un blé de colza (moyenne pluriannuelle sur plusieurs régions, Ballot, 2009 ; Carrouée et al., 2012). Le colza de pois aurait en moyenne un rendement optimal équivalent au colza de blé s’il est fertilisé, et supérieur de 4,3 q/ha s’il ne l’est pas, mais des augmentations jusqu’à + 3 q/ha ont pu être observées (réseau d’essais multi-site de 3 années, Carrouée et al., 2012). Le blé dur cultivé en rotation avec un soja, par rapport à une monoculture de blé dur ayant induit de fortes attaques de piétin échaudage, a un gain de rendement de + 23,4 q/ha (moyenne sur les 3 ans) (Vogrincic, 2007).

Ces gains de rendement sont souvent associés à des baisses de quantités d’intrants azotés à apporter et de produits phytosanitaires à appliquer. Les phénomènes explicatifs sont en partie, mais pas uniquement, liés à l’azote (voir Effets d’une culture de légumineuse sur l’azote des autres cultures ), avec différents facteurs qui se conjuguent : minéralisation de l’azote organique des résidus aériens et souterrains, meilleure répartition de l’accès aux ressources pour les associations, meilleure structure du sol, meilleur état sanitaire du système racinaire avec moins de maladies d’origine tellurique, grâce à l’alternance ou à la diversité des familles botaniques.

Les besoins en fertilisation azotée sont également réduits derrière une légumineuse (tableau 3.2), grâce à la fourniture d’azote par cette dernière mais aussi une amélioration de l’efficience de la culture suivante à utiliser l’azote disponible du fait de la combinaison des facteurs mentionnés ci-dessous.

Les effets précédents des autres légumineuses à graines n’ont pas été aussi précisément quantifiés, les tendances sont similaires mais à nuancer au cas par cas, surtout en différenciant les types selon leur mode de culture (date de semis-récolte, annuelle ou pluriannuelle, exploitées pour les graines ou la biomasse).

Le tableau 3.2 résume l’état des connaissances actuelles sur des valeurs moyennes (quels que soient l’année et le lieu) que l’on peut attribuer a priori à l’effet précédent sur la culture suivante (pour le rendement et les doses azotées à apporter) selon l’espèce de légumineuse, en cherchant la valeur qui représente la tendance la plus solide statistiquement, toutefois sans avoir l’assurance que tous les autres facteurs soient égaux. Ce type de valeur référence est encore à approcher de façon plus homogène et plus solide pour l’ensemble des espèces de légumineuses (avec plusieurs possibilités : analyse statistique en évitant les biais liés à d’autres facteurs, méta-analyse ou essais analytiques). Enfin, il convient d’indiquer que ces valeurs masquent une grande variabilité de réponse entre parcelles et situations.

Tableau 3.2. Moyenne estimée de l’effet précédent de la légumineuse sur la culture suivante (utilisable pour des analyses a priori comme le choix d’assolement).

Légumineuse en précédentPoisSoja
Culture suivanteBléColzacMaïseBléfBlé durg
Gain moyen de rendement de la culture suivante+ 7,4 q/ha
(de + 6 à + 12)
par rapport à un précédent céréalea
de 0 à + 3 q/ha
par rapport à un précédent orge
Augmentation de 0 à 8 q/ha par rapport à un précédent maïsSouvent + 10 % de rendement par rapport à un précédent céréale+ 23,4 q/ha
(de + 15 à + 34)
par rapport à une monoculture de blé dur
Réduction de la fertilisation azotée sur la culture suivante- 20 à - 60 kg N/ha
par rapport à un précédent céréaleb
- 40 kg N/ha
(- 30 à - 60)
par rapport à un précédent céréaled
- 30 à - 40 kg N/ha par rapport à un précédent maïsPas de réduction en généralPas de réduction en général

a moyenne pluriannuelle issue d’une analyse statistique de données de CerFrance de 36 000 parcelles de blé enquêtées sur 9 à 18 années pour 7 petites régions agricoles de l’Aisne, l’Aube, et l’Eure-et-Loir (après avoir écarté notamment les secteurs où la localisation préférentielle du pois sur les meilleures parcelles pouvait biaiser la comparaison par rapport au blé de colza) (Ballot, 2009) ;
b selon préconisations, mais peu d’écarts dans pratiques moyennes sauf pour certaines régions dans les années récentes (données d’enquêtes) ;
c données d’essais sur 3 campagnes du projet Casdar 1-175 (pois-colza-blé) ;
d 31 kg N/ha en moins pour atteindre le rendement maximal en moyenne, et réduction de 50 kg/ha pour la marge azotée maximale du colza ;
e valeurs issues des essais et enquêtes menés dans les conditions françaises de 1996 à 1998 (Lacroix et al., 1998 ; Chollet et al., 1998) ;
f observations rassemblées par le Cetiom ;
g moyenne issue d’un essai de 3 ans (2002 à 2004) dans le sud-est de la France, avec une forte attaque de piétin sur la monoculture de blé dur (Vogrincic, 2007).

Par ailleurs, les précédents légumineuses impactent aussi positivement la qualité des produits de récolte de la culture suivante : moins de mycotoxines (toxines produites par des champignons phytopathogènes souvent de type Fusarium) sur les céréales et une teneur en azote qui peut être améliorée. La teneur en azote des produits récoltés (grains ou biomasse) peut être plus élevée pour une culture de céréale suivant une légumineuse que si elle suit une non-légumineuse (s’il n’y a pas eu de problème de croissance de la légumineuse), avec des différences importantes selon les conditions climatiques de l’année et selon l’espèce de légumineuse. Pour la teneur en protéines du blé, alors que le climat (notamment la pluviométrie) est souvent considéré comme le facteur le plus important, avec un enjeu de 1 à 1,5 point (sur 11 à 12,5 % de MS), la parcelle (type de sol, précédent, matière organique) est le second facteur, avec un enjeu entre 0,5 et 1 point, avant la variété et la fertilisation azotée. Les données expérimentales sont plus nombreuses dans le cas des cultures associées (effet positif) et en mode de production AB. Une expérimentation en AB en Midi-Pyrénées (2004-2005) montrait que le précédent féverole était plus favorable : écart de rendement de 7,1 q/ha et une teneur en protéines plus élevée de 0,6 % pour le blé suivant la féverole par rapport au blé consécutif au soja (Justes et al., 2009).

Du fait des meilleurs rendements et d’un moindre recours aux intrants, la marge brute d’une culture suivant une légumineuse est également plus élevée (Schneider et al., 2009 ; Dumans et al., 2010). L’analyse à la succession culturale est alors nécessaire pour comparer les performances économiques des systèmes de culture (voir Analyses multi-dimensions des systèmes de production incluant des légumineuses en chapitre 7).

Effets d’une culture de légumineuse sur l’azote des autres cultures du système

L’effet précédent des légumineuses sur la disponibilité en azote pour la culture suivante est bien connu mais est rarement géré à son optimum. L’une des raisons est que le surplus d’azote disponible pour la culture suivante, lié à la légumineuse, est délicat à prévoir car il est très variable selon l’espèce, son mode d’exploitation, ses performances, les conditions pédoclimatiques et le mode de gestion de la succession culturale. Il est donc difficile à quantifier. Contrairement à l’application d’engrais minéraux de synthèse, l’azote issu des légumineuses l’est sous forme organique, moins labile : la minéralisation des différents résidus végétaux laissés dans la parcelle, qui rend l’azote disponible sous forme minérale (ammoniacale et nitrique), est un processus biologique dont la dynamique dépend des facteurs du milieu et est moins facile à maîtriser que le pilotage des intrants.

Après une légumineuse, le surplus d’azote disponible pour la culture suivante dépend :

  • de la quantité d’azote présent dans les résidus de la culture de légumineuse (aériens et souterrains), voire de tout le couvert végétal lorsqu’il est restitué au sol (engrais vert, Cipan) ;

  • de la teneur en azote des résidus ou de leur ratio C/N (Justes et al., 2009) ;

  • de la gestion du système après la récolte de la légumineuse : interculture, nature et date de semis de la culture suivante, etc. ;

  • du contexte pédoclimatique de l’année.

Ensuite, la capacité à utiliser cet azote dépend aussi de l’état de fonctionnement de la culture suivante, notamment de la qualité sanitaire du système racinaire, d’où l’interaction avec les effets des légumineuses sur les pressions parasitaires et sur la biologie (et la qualité en général) des sols.

Résidus des cultures : caractérisation selon les espèces

La quantité d’azote contenu dans les résidus des cultures de légumineuses varie en fonction du stade de la culture, de l’espèce, de la biomasse totale accumulée par le couvert végétal, de son état de nutrition azotée, et de sa transformation en graines, le tout étant sous l’influence des conditions pédoclimatiques du cycle cultural. Comme pour toute culture, l’azote contenu dans les résidus souterrains contribue, comme celui contenu dans les résidus aériens, à la fourniture d’azote dans le milieu, après la légumineuse. Dans le cas des légumineuses à graines, la part du souterrain, y compris l’azote issu de la rhizodéposition, est la plus importante (représentant les 2/3 de l’azote des résidus totaux dans le cas du pois par exemple) car la majorité de l’azote aérien est exportée avec les graines (voir Flux azotés engendrés par les cultures de légumineuses ).

Résidus aériens

Pour le pois protéagineux, espèce la plus cultivée des légumineuses à graines en France, la teneur en azote des résidus aériens (après récolte des graines fortement exportatrices d’azote) est en moyenne de 1,22 ± 0,28 kg N par quintal de matière sèche, avec des valeurs variant de 0,8 à 1,8 kg N/qMS (figure 3.7). En comparaison, les références moyennes de teneur en N pour les résidus des céréales sont : 0,6-0,7 pour le blé tendre, 0,7-0,8 pour l’orge de printemps, 0,6-0,8 pour le colza, 0,9-0,95 pour le maïs (Arvalis, 2011). Cependant, comme la quantité de biomasse laissée par le pois est souvent moins importante que celle des résidus de céréales ou de colza, au champ, on observe souvent des quantités équivalentes d’azote laissé par les résidus aériens de pois ou de blé tendre (figure 3.8).

Figure 3.7. Teneur en azote des résidus aériens de pois (88 références, avec répétitions, de 20 combinaisons de 5 lieux expérimentaux et 20 années, de 1991 à 2011, avec différents types d’itinéraires techniques). Source : Unip et Arvalis pour la mise à jour du document Comifer de 2013 « Teneurs en N des organes végétaux récoltés, méthode d’établissement et valeurs de référence ».

Figure 3.8. Quantité d’azote dans les résidus aériens de trois cultures à la récolte, dans les mêmes conditions d’essais. D’après Carrouée et al., 2012.

Résidus souterrains

Il est beaucoup plus difficile de mesurer les résidus souterrains, c’est-à-dire le système racinaire mais aussi les produits de la rhizodéposition (débris racinaires, mucilage et exsudats racinaires), ce qui explique la rareté des données disponibles sur ce compartiment. Les micro-racines trop fines pour être récoltées et les débris racinaires en décomposition représentent la majeure partie de l’azote rhizodéposé (voir chapitre 2). La rhizodéposition est un phénomène qui concerne toutes les espèces botaniques. Différentes techniques de marquage, notamment à l’aide d’isotopes stables, permettent d’estimer la part de l’azote de la plante entière contenue dans la biomasse racinaire et les rhizodépôts : 24 % à 40 % pour la féverole (Khan et al., 2003 ; Rochester et al., 1998), 68 % pour le pois chiche (Khan et al., 2003), 38 à 49 % pour le lupin (McNeill et Fillery, 2008), de 30 % à 40 % pour le pois (Mahieu et al., 2007 ; Wichern et al., 2007). Des valeurs similaires sont également rapportées pour des plantes non légumineuses, par exemple l’azote souterrain de l’orge à maturité représente de l’ordre de 30 % de l’azote total de la plante (Wichern, 2007). Pour l’ensemble de ces espèces, la quantité d’azote contenue dans la partie souterraine d’une culture représenterait une part conséquente de l’azote de la plante entière (environ 30 %), et doit donc être prise en compte dans une gestion optimale de l’azote dans le système de culture.

Dynamique de minéralisation de l’azote issu des résidus de légumineuses

Étant donné leur rapport C/N généralement plus faible que pour la plupart des autres grandes cultures, la décomposition des résidus aériens de légumineuses est plus rapide que celle des graminées, mais induit néanmoins de l’organisation nette d’azote minéral du sol durant les premiers mois après incorporation des résidus, et reste très variable selon les espèces (Valé et Justes, 2004 ; Nicolardot et al., 2001).

Contrairement à ce qui est habituellement supposé, les études expérimentales montrent que l’incorporation de résidus de pois dans un sol nu induit d’abord une organisation nette de l’azote, et non pas une minéralisation nette (Valé et Justes, 2004). Mais cette organisation nette est inférieure à celle observée pour des résidus d’autres espèces (comme les pailles et les racines des céréales), ce qui induit une disponibilité en azote plus élevée dans le sol après légumineuse. Au bout de quelques semaines, on observe une minéralisation nette des résidus de légumineuses. Du fait de sa récolte tardive, la minéralisation des résidus de culture du soja intervient principalement au printemps et en début d’été : la comparaison de la dynamique de minéralisation de l’azote entre une féverole d’hiver et un soja montre bien ce décalage dans le temps entre une légumineuse récoltée tôt comme la féverole d’hiver et une légumineuse récoltée tard comme le soja (Prieur et Justes, 2006).

Effets sur la réduction de fertilisation azotée après légumineuse

Si, dans les outils de raisonnement de la fertilisation azotée (Azobil, Azofert, réglettte azote du colza, etc.), l’effet précédent légumineuse est quantifié à travers un surplus standard de fourniture d’azote de 20 kg N/ha par rapport à un précédent blé pailles enlevées, et 40 kg N/ha par rapport à un précédent blé pailles enfouies, cette fourniture est en réalité très variable et peut monter jusqu’à 80 kg N/ha en parcelles agricoles, valeur mesurée sur des cultures suivantes, blé ou colza, non fertilisées (Doré, 1992 ; Casdar 7-175 Pois-Colza-Blé ; figure 3.9). Cet effet précédent est également variable selon l’espèce de légumineuse cultivée. La méthode des bilans propose de retenir une valeur de fourniture d’azote de 30 kg N/ha derrière une culture de luzerne ou de féverole. Toutefois, la restitution totale d’azote minéral après le retournement d’une luzerne de 3 ans se déroule sur 2 années ; ainsi cette libération a été mesurée entre 96 et 158 kg N/ha, selon le niveau des parties aériennes incorporées, impactant la disponibilité en azote des 2 cultures suivantes (Justes et al., 2001). Les valeurs françaises confirment les valeurs de la littérature, estimées, pour un précédent pois, jusqu’à 40 kg N/ha (Evans et al., 2001 ; Stevendon et Kassel, 1996 ; Engstöm, 2010). Les essais menés dans les conditions françaises de 1996 à 1998 permettent de chiffrer l’économie d’azote à réaliser sur le maïs qui suit un soja (par rapport à un maïs suivant un maïs) à une valeur comprise entre 30 et 40 unités (Lacroix et al., 1998 ; tableau 3.2).

Figure 3.9. Quantité d’azote (kg/ha) accumulé dans les parties aériennes de deux cultures (blé et colza) non fertilisées, selon leur précédent (blé ou pois). Résultats d’un essai de deux années successives (Casdar 7-175).

Cette variabilité d’azote fourni à la culture suivante est en partie expliquée par les performances de la culture de légumineuse, en particulier la contribution de la fixation symbiotique à l’azote total accumulé (% Ndfa) et l’indice de récolte azoté (NHI : ratio de l’azote contenu dans les graines sur l’azote contenu dans les parties aériennes de la plante, à la récolte) de la légumineuse. Le « solde azoté » est la différence entre les entrées, à savoir la quantité fixée incluant la contribution souterraine et l’azote des semences, et les sorties, à savoir l’azote exporté dans les grains. Le chapitre 2 présente des comparaisons de ce paramètre selon les légumineuses (voir Relations interspécifiques et nutrition azotée des légumineuses cultivées en association végétale ). Ce solde azoté apparent du sol est significativement corrélé au ratio % Ndfa/NHI (Hellou, 2012 ; figure 3.10 réalisée en AB mais qui serait similaire en conventionnel) : plus la plante repose sur la fixation symbiotique pour assurer ses besoins, plus elle peut contribuer à l’enrichissement du pool de N du sol ; plus la part d’azote accumulé dans les grains est forte par rapport à l’azote total accumulé par la plante, plus les restitutions au sol seront faibles.

Le solde azoté est donc un indicateur de l’influence de la contribution de la légumineuse à l’enrichissement du pool azoté pour les cultures suivantes. Cependant, il est difficile de prévoir précisément les valeurs de % Ndfa et NHI en parcelle agricole, ce qui limite notre capacité à adapter précisément la fertilisation de la culture suivante aux caractéristiques de la culture de légumineuse précédente. Une mesure du reliquat d’azote minéral du sol en sortie d’hiver reste donc un moyen efficace pour caractériser l’effet net dû au précédent légumineuse et à la décomposition de ses résidus de culture, et ainsi pour éviter des erreurs importantes de calcul de la fertilisation azotée de la culture suivante.

Figure 3.10. Relation entre le ratio % Ndfa/NHI et le solde azoté. Données issues de parcelles en agriculture biologique en Pays de la Loire comparant les trois espèces sur chaque site. D’après Corre-Hellou, 2012.

% Ndfa : % de l’azote total accumulé dans les parties aériennes provenant de la fixation symbiotique ; NHI : indice de récolte azoté ; Régression linéaire : y = 150,8 x – 36,4 (R2 = 0,87).

Par ailleurs, rappelons que l’effet positif de la légumineuse sur le potentiel de rendement de la culture suivante induit une augmentation des besoins en azote de cette dernière. En tenant compte de la double influence d’un précédent légumineuse sur les besoins N de la culture suivante et sur les fournitures en azote dans le sol, les besoins en engrais azoté de la culture suivante restent, en moyenne, inférieurs à ceux de la même culture suivant d’autres précédents. Par exemple, les préconisations d’outils de pilotage recommandent jusqu’à 70 kg N/ha d’engrais azoté de moins sur un blé derrière un pois par rapport à un blé derrière un blé (pailles exportées), 40 kg N/ha de moins que derrière blé pailles enfouies et 20 kg N/ha de moins que derrière un blé de colza (Ballot, 2009 ; moyenne de 2 années de préconisation Farmstar dans l’Aisne). Sur la base de 8 essais comparant un colza derrière un blé ou un pois pour une gamme de doses d’azote apporté, les résultats montrent que le pois protéagineux permet de réduire la fertilisation azotée du colza de 40 kg N/ha en moyenne, dont 15 sont déjà pris en compte par l’azote déjà absorbé à l’ouverture du bilan (Casdar 7-175 : Collectif, 2011). En tenant compte des prix relatifs des intrants et de la récolte, une synthèse d’essais en parcelles agricoles montre qu’on peut réduire la fertilisation N en moyenne de 50 kg N/ha, d’un colza suivant un pois par rapport à un colza suivant une céréale, pour atteindre la même marge brute (Carrouée et al., 2012).

Effets sur l’azote minéral dans le sol après culture de légumineuse à court et moyen termes
Azote minéral du sol après récolte et en entrée hiver après une culture de légumineuse

À la récolte, la valeur du reliquat d’azote minéral dans le sol est généralement supérieure derrière un pois, comparée à d’autres cultures. Ceci est lié :

  • à un arrêt de l’absorption d’azote minéral dans le sol plus précoce chez un pois que chez une céréale, à une période où la minéralisation nette dans le sol est en général toujours très active ;

  • à son système racinaire moins profond (de l’ordre de 60-80 cm, par rapport à 1 m-1,20 m ou plus pour le blé ou le colza).

Une synthèse d’observations dans des successions céréalières comprenant du pois ou du colza issues de 6 dispositifs expérimentaux français (années 1990 et 2000), 2 dispositifs au Danemark (années 1990), et des résultats (2007-2011) du projet Casdar 7-175 (Collectif, 2011) montre que ce reliquat augmente au cours de l’automne, conduisant, en moyenne, à un écart de stock d’azote minéral, après pois et après blé, passant de 0 à + 20 kg N/ha, après récolte, à + 15 à + 30 kg N/ha à l’entrée de l’hiver (Beaudoin et al., 2005 ; Beillouin et al., 2014 ; figure 3.11). Le soja ne semble pas suivre cette règle, du fait de sa date de récolte plus tardive (Justes et al., 2009).

Figure 3.11. Influence de la culture précédente et de la présence d’une culture intermédiaire sur la quantité d’azote minéral dans le sol en entrée hiver, critère d’évaluation du risque de lixiviation nitrique pour la période de drainage suivante.

A. Moyennes issues de l’expérimentation système « bas intrants », Auzeville, 2005-2010 (source : Plaza-Bonilla D., Raffaillac D., Justes E.). B. Moyennes et écarts-types réalisés en parcelles agricoles sur le bassin de la Voulzie de 1991 à 1998 pour des couples de cultures précédent-suivant.

Risques de lixiviation des ions nitrate après une culture de légumineuse

Si la culture de pois n’est pas rapidement suivie d’une autre culture capable d’absorber l’azote minéral, le surplus d’azote nitrique du sol peut contribuer à accroître les risques de lixiviation pendant l’hiver suivant (Beaudoin et al., 2005 ; Francis et al., 1994 ; Jensen et Hauggaard-Nielsen, 2003 ; Maidl et al., 1996). C’est la raison pour laquelle les risques de lixiviation derrière une culture de légumineuse à graines sont généralement plus élevés que derrière une céréale ou un colza (Carrouée et al., 2006). Ainsi, des différences de 15-20 kg N/ha ont été mesurées entre des précédents pois et orge (Jensen et Hauggaard-Nielsen, 2003), et de 10 à 30 kg N/ha entre pois et, respectivement, colza et blé (Beaudoin et al., 2005).

Cependant, ces risques sont maîtrisables grâce à l’implantation rapide après la récolte du pois d’une culture intermédiaire (Aronsson et Tortensson, 1998 ; Constantin et al., 2012 ; Vos et al., 2004 ; Tonitto et al., 2006 ; figure 3.11), ou d’un colza, semé tôt, dont les capacités d’absorption d’azote à l’automne sont très élevées (Dejoux et al., 2003). Après un soja, la minéralisation tardive des résidus permet de limiter le risque de lixiviation d’azote nitrique pendant la période de drainage (automne et hiver en général), avec de moindres émissions de nitrate vers les nappes souterraines, pendant l’interculture, dans les rotations intégrant du soja par rapport aux monocultures de maïs (Reau et al., 1998). La comparaison d’une monoculture de maïs à une rotation maïs-soja sur le site de Parisot dans le Tarn montre, par exemple, sur l’ensemble du cycle (culture et interculture), une baisse de 10 % de la concentration en nitrate et de 20 % de la quantité d’azote nitrique perdue dans les eaux de drainage à l’avantage de la rotation comprenant du soja (Magnaut, 1996).

Réduction du stock d’azote minéral et des pertes d’azote la seconde année qui suit la culture du pois

Si les risques de pertes de nitrate sont supérieurs pendant l’hiver qui suit la récolte d’un pois, les phénomènes s’inversent lors de la campagne suivante. En effet, le stock d’azote minéral dans le sol après la récolte d’un blé de pois a été observé comme étant significativement plus faible que celui d’un blé de blé, pour chacune des trois années d’expérimentation de deux sites expérimentaux : en moyenne pluriannuelle, 24 kg N/ha de moins sur un site et 30 kg N/ha de moins sur le deuxième site pour le précédent pois par rapport au précédent blé fertilisé (figure 3.12). Ces résultats, rarement disponibles, sont confirmés par un autre dispositif comparant des cultures non fertilisées, avec une réduction significative de 7 kg N/ha du stock d’azote minéral après un blé de pois par rapport à un blé de blé (soit environ 25 % de réduction). Le différentiel selon les cultures se maintient pour le stock d’azote minéral à l’entrée de l’hiver : ceux-ci sont en effet significativement plus faibles pour un blé qui suit un pois par rapport à un blé de blé, avec en moyenne une réduction de 18 kg N/ha en entrée hiver.

Cette tendance s’explique en partie par une meilleure efficience d’utilisation de l’azote disponible par la culture suivant le pois, que celle-ci soit un blé ou un colza (Casdar 7-175 ; Beillouin et al., 2014). Les causes de cette meilleure efficience ne sont pas connues, mais peuvent être logiquement liées aux effets bénéfiques d’une diversification des espèces cultivées dans la succession sur la réduction des infestations en bioagresseurs, ou sur l’amélioration de la structure physique du sol (Snapp et al., 2005 ; Bennett et al., 2012) ou sur les composantes biologiques du sol.

L’effet de la culture de pois s’inverse donc au deuxième automne par rapport à une succession blé-blé. Les simulations de pertes nitriques sur 20 ans, réalisées avec le modèle LIXIM à partir de ces observations, confirment cette inversion du risque de lixiviation entre le premier et le second hiver après la culture de pois. Les pertes de nitrate suite à un blé de pois sont réduites en moyenne de 7 kg N/ha par rapport à celles qui suivent un blé de blé, mais cet écart n’est pas significatif au seuil de 5 %. Elles s’élèvent en moyenne à 28 kg N/ha pour le blé de pois et à 35 kg N/ha pour le blé de blé (Beillouin et al., 2014).

En conclusion, à l’échelle d’une succession pluriannuelle, l’introduction de pois dans une rotation céréalière n’augmente pas les risques de lixiviation, en particulier par rapport à des successions incluant des blés de blé, grâce à une compensation des risques de lixiviation entre le premier automne (+ 0 à 10 kg N-NO3 lixivié/ha) et le second automne (- 7 kg N-NO3 lixivié/ha). L’introduction d’un colza permet, quant à elle, de réduire ces risques, même avec une succession blé-blé.

Figure 3.12. Quantité d’azote minéral dans le sol à l’entrée de l’hiver (REH, kg N/ha) en fonction du précédent cultural (A, comparaison après blé et après pois ou colza), ou en fonction de l’anté-précédent cultural (B, comparaison d’un blé de blé avec un blé de pois ou de colza). Données issues de deux sites (Grignon, 78, et Holnon, 02) du projet Casdar 7-175.

Dynamique d’évolution de l’azote dans le sol à moyen terme

À partir d’observations des reliquats azotés sous grandes cultures, des simulations avec LIXIM ont permis d’estimer les risques de lixiviation à l’échelle de 11 successions incluant pois, colza, et blé, sur 20 scénarios climatiques (figure 3.13). Les successions à base de blé uniquement entraînent les plus fortes pertes en azote : 35 kg N/ha/an en moyenne. Une succession triennale avec un pois induit des pertes très légèrement inférieures, mais non significativement différentes : 34 kg N/ha/an en moyenne, attestant de la compensation des risques entre la première et la deuxième année après la culture du pois, observée sur les reliquats. L’introduction d’une culture intermédiaire de type radis juste après récolte du pois permet de significativement baisser les pertes. Enfin, les successions triennales avec un colza induisent des pertes encore plus réduites : 24 kg N/ha/an en moyenne avec un sol nu pendant l’interculture après le colza et 20 kg N/ha/an avec des repousses de colza pendant l’interculture (Beillouin et al., 2014).

Figure 3.13. Quantité d’azote perdue par lixiviation (kg N/ha) à l’échelle de successions culturales incluant du pois, du colza ou du blé. Ces résultats sont issus de simulations sur la base de mesures de reliquats post-récolte et entrée hiver réalisées sur le dispositif de Grignon dans le Casdar 7-175. D’après Beillouin et al., 2014.

B, blé ; P, pois ; C, colza ; CI, culture intermédiaire ; rep, repousses de colza. Les moyennes associées à une même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % suivant le test de Tukey.

Solde cumulatif d’azote dans des rotations avec ou sans pois

À l’échelle d’une succession de cultures, le solde azoté apparent du sol, calculé par la différence entre les entrées et les sorties (entrées = engrais N et fixation symbiotique ; sorties = N exporté par les grains récoltés), dépend étroitement des hypothèses de rhizodéposition, processus difficile à quantifier. Selon l’hypothèse (la plus probable) d’une proportion d’azote retrouvée dans les rhizodépôts et dans les racines du pois représentant 30 % de l’azote total fixé par la culture, les soldes azotés calculés à l’échelle de la succession ne sont en moyenne pas différents avec ou sans pois (figure 3.14).

Figure 3.14. Soldes azotés entrées-sorties cumulés sur 3 ans (entrées = engrais N et fixation symbiotique ; sorties = N exporté par les grains récoltés) calculés à partir des mesures de différentes successions d’un essai pluriannuel (Casdar 7-175 ; Grignon, 78).

Hypothèse : N rhizodéposé + N racinaire = 30 % N total.

Impacts sur les services relatifs à l’azote dans le cas des associations

Comme expliqué dans le chapitre 2, le fonctionnement de l’association d’une culture de légumineuse avec une culture non-légumineuse est principalement basé sur la complémentarité de niche dans l’accès aux ressources : les racines de la céréale, qui progressent plus rapidement dans les horizons successifs du sol, absorbent l’azote minéral disponible et obligent ainsi la légumineuse à reposer, davantage qu’en culture pure, sur la fixation pour sa nutrition azotée, dès lors que les nodosités sont installées. Ce phénomène est accentué par une différence de vitesse de croissance aérienne, en début de cycle, entre les deux espèces : celle de la céréale, plus élevée que celle de la légumineuse, induit un accès plus large aux ressources et une demande en azote plus élevée en début de cycle, deux facteurs déterminants dans la plus grande compétitivité de la céréale pour l’azote (Corre-Hellou et al., 2007). Ainsi, en association, on observe systématiquement une augmentation, par rapport à une culture monospécifique de pois, de la proportion d’azote acquise par la fixation de N2 dans l’accumulation d’azote (% Ndfa). De fortes valeurs de % Ndfa sont obtenues même en situation fertilisée : 85 % en moyenne en association, contre 70 % en culture pure dans les mêmes conditions d’essai (Corre-Hellou et al., 2006a). Toutefois, la quantité d’azote fixée par unité de surface est plus faible en association qu’en culture monospécifique de légumineuse, en raison d’un nombre de plante de légumineuse réduit d’environ deux fois dans ce cas (Bedoussac et al., 2010b ; Justes et al., 2014). Au final, en association, lorsque la compétition entre les deux espèces pour l’azote minéral du sol augmente, c’est-à-dire dans des conditions limitantes en azote (notamment en AB, Bedoussac et al., 2014, 2015), on assiste alors à une augmentation du LER grains, somme des ratios entre le rendement en grains de l’association et le rendement en grains de chaque culture pure (figure 3.15).

Enfin, grâce à leur capacité élevée de prélèvement d’azote dans le milieu, les associations permettent de réduire les reliquats d’azote post-récolte par rapport à une culture pure de pois (Hauggaard-Nielsen et al., 2003 ; Thomsen et Hauggaard-Nielsen, 2008 ; Pelzer et al., 2012), les reliquats après association étant comparables à ceux d’une céréale pure ayant reçu la même fertilisation, réduisant de fait les risques de lixiviation pendant l’automne suivant la culture.

Figure 3.15. Effet de la disponibilité en azote par plante de céréale sur le LER grains. D’après Corre-Hellou, 2012.

LER grains = (rendement pois associé / rendement pois pur) + (rendement céréale associée / rendement céréale pure). Données acquises en station expérimentale en agriculture conventionnelle sur des associations pois-orge de printemps (•) et pois-blé d’hiver (ο).

Un autre effet bénéfique des associations est souvent observé sur la qualité des graines de la culture céréale associée : la teneur en protéines des grains de céréales est généralement accrue pour des niveaux réduits de fertilisation azotée, comme cela a été montré pour le blé dur (Bedoussac et al., 2010a). Dans une synthèse de 11 essais avec blé tendre, l’accroissement était de 1,6 % en moyenne. Cet effet est lié, d’une part à la baisse de rendement de la céréale associée (Cohan et al., 2013 ; figure 3.16), et d’autre part au fait que la majorité de l’azote minéral du sol est disponible pour la céréale, la nutrition azotée de la légumineuse reposant davantage sur la fixation. Ainsi, la fourniture d’azote par grain est plus grande pour la céréale associée que pour la céréale cultivée en pure.

Figure 3.16. Accroissement de teneur en protéines d’un blé cultivé en association par rapport à un blé cultivé en pur en fonction de l’écart de rendement entre les deux blés. D’après Cohan et al., 2013.

Effets des légumineuses sur les systèmes de culture en lien avec les facteurs biotiques et abiotiques

Effets de rupture de cycles pour les maladies et ravageurs des céréales et du colza qui suivent une légumineuse

De nombreux travaux montrent que les cultures insérées dans des rotations courtes ou cultivées en monoculture souffrent de baisses de rendement, en comparaison avec celles insérées dans des rotations longues ou cultivées pour la première fois sur une parcelle. Parmi les nombreux facteurs impliqués, les infestations de pathogènes peuvent, selon les espèces, induire jusqu’à 50 % de baisse de rendement (Bennett et al., 2012). En culture céréalière, la fusariose des épis, le piétin-verse, le piétin-échaudage, la fusariose sont des maladies favorisées par une charge importante en céréale dans la rotation. En colza, le sclérotinia et le phoma sont également favorisés par un retour fréquent du colza dans la parcelle. Les successions incluant des plantes non-hôtes permettent la rupture des cycles des pathogènes, et réduisent ainsi la quantité d’inoculum maintenu dans le sol. Cet effet a été clairement mis en évidence en comparant des blés suivant différentes cultures, hôtes (blé, maïs) ou non-hôtes (légumineuses, colza) du piétin-échaudage et du piétin-verse (Colbach et al., 1996, 1997, 1998).

En France, les rotations basées essentiellement sur céréales et colza sont très fréquentes. L’insertion de légumineuses dans la rotation peut contribuer à réduire les risques de leurs maladies. L’insertion d’une légumineuse dans des rotations céréalières peu diversifiées permet ainsi de bénéficier de cet effet de rupture des cycles des pathogènes et de réduire le recours aux produits phytosanitaires à l’échelle de la succession (de 5 à 15 % d’indice de fréquence de traitement, IFT , en moins, selon les rotations, en incluant du pois ou de la féverole), à condition d’optimiser le contrôle, ce qui n’est pas toujours pratiqué (Carrouée et al., 2012). Dans une monoculture de blé dur, l’introduction du soja a permis une réduction significative des attaques de piétin-échaudage, une présence moins forte de larves de zabre, et un enherbement mieux maîtrisé, conduisant à un écart de rendement moyen sur 3 ans de 23,4 q/ha (soit - 33 %) entre un blé dur en monoculture et un blé dur en rotation avec soja (Vogrincic, 2007). Les bénéfices attendus dépendent des espèces de diversification, de leur conduite, et de la gestion de leurs résidus de culture. Pour espérer avoir un effet sensible sur les bioagresseurs, les méthodes de contrôle cultural sont à mettre en œuvre en amont pour réduire les pressions d’attaques, de manière à ne faire appel à la lutte chimique qu’en dernier recours.

De plus, l’introduction d’espèces de diversification, dont les légumineuses, permet l’alternance des matières actives utilisées sur une même parcelle, ce qui limite le risque d’apparition d’adventices, de maladies ou de ravageurs pouvant acquérir une résistance à une matière active trop souvent employée sur une culture donnée. Cela doit ainsi contribuer, à terme, à limiter les traitements effectués sur l’ensemble de la sole de l’exploitation.

D’une manière générale, l’introduction d’une nouvelle culture dans les successions, suffisamment fréquente à l’échelle d’un territoire, a également pour conséquence de diversifier les assolements. Cette diversification apporte également une diversification de la faune et de la flore sauvages, et donc une diversité de mécanismes de régulation : pollinisateurs, auxiliaires potentiellement prédateurs de bioagresseurs, perturbation visuelle ou olfactive, etc. (voir Effet sur la biodiversité ). Par exemple, la diversité des cultures dans les paysages constitue un moyen de réduire les infestations de ravageurs à dispersion aérienne importante (Rusch et al., 2010). Sur colza par exemple, il existe des corrélations très significatives entre la fréquence de colza et la quantité de produits phytosanitaires utilisés, en particulier d’insecticides, à l’échelle de petites régions agricoles (Schott et al., 2010). L’introduction de légumineuses contribue à réduire la fréquence du colza, et donc l’usage de pesticides .

Ces effets se traduisent par des réductions significatives d’usage de produits phytosanitaires à l’échelle de la rotation et de l’assolement, et donc de pression sur l’environnement. Ceci a été montré dans le cadre de nombreuses expérimentations de systèmes de culture (essais Inra, ou du RMT Systèmes de culture innovants, ou des projets EXPE DEPHY d’Ecophyto). On a par exemple une réduction de 40 à 30 % de l’IFT dans les systèmes avec protéagineux du réseau expérimental du RMT Systèmes de culture innovants (figure 7.3). On observe aussi cette tendance au sein des performances d’agriculteurs innovants utilisant des systèmes diversifiés avec légumineuses dont les légumineuses à graines (groupes d’agriculteurs d’instituts techniques ou de Civam, ou réseaux d’agriculteurs dans les fermes DEPHY Ecophyto) (voir annexes A1 , A2 , A3 , A4 et A5 ). On constate en effet qu’au sein d’exploitations existantes, il est plus facile de réduire l’utilisation des phytos dans les systèmes diversifiés avec légumineuses. Le réseau FermEcophyto 2010 a montré que presque 50 % des rotations sans légumineuses n’étaient pas économes en intrants, alors que la proportion ne dépasse pas 20 % dans les rotations avec protéagineux (voir figure 7.4 et annexe A1). L’encadré 3.1 illustre un autre de ces exemples, avec une comparaison a posteriori d’agriculteurs qui ont des légumineuses dans leur assolement avec ceux qui n’en ont pas.

Encadré 3.1. Une probabilité de réduction des phytos plus forte dans les systèmes avec légumineuses.

Ainsi, dans le réseau DEPHY-In Vivo (annexe A2, Pourcelot et al., 2014), sur 100 à 300 exploitations analysées sur 3 campagnes, les exploitations cultivant des légumineuses présentent, en moyenne, des indices de fréquence de traitement (IFT ) plus faibles que les exploitations sans légumineuses : réduction de l’IFT total de 13 %, 11 % et 7 % respectivement pour les récoltes 2011, 2012 et 2013, de l’IFT herbicides de 5 %, 13 % et 7 %, et de l’IFT hors herbicide de 19 % pour 2011 et 2013, et 13 % en 2012 (figure 3.17). Chaque année, au moins les deux tiers, voire les trois quarts, des exploitations avec légumineuses ont un IFT hors herbicides réduit d’au moins 30 % par rapport à la référence, contre seulement 40 à 56 % pour les « sans légumineuses », et moins de 15 % en ont un supérieur, contre au moins 25 % pour les « sans légumineuses ». De plus, entre les exploitations avec et sans légumineuses, aucune différence significative de productivité et de rentabilité n’a pu être mise en évidence dans l’étude en comparant aux références régionales. Pour les trois campagnes, la productivité des exploitations intégrant des légumineuses est légèrement supérieure à celle des exploitations sans légumineuses (+ 3 % en 2011, + 1 % en 2012 et + 7 % en 2013). Les effets sur les IFT herbicides pourraient sans doute être accrus par la diffusion de stratégies efficaces de gestion chimique des adventices en pois, basées sur de faibles doses d’herbicides de post-levée.

Figure 3.17. Répartition des exploitations agricoles, avec et sans légumineuses, selon leur indice de fréquence de traitement (IFT) hors herbicide par rapport à la référence sur les trois campagnes.

Accroissement possible des risques de certains bioagresseurs

L’augmentation de la part des légumineuses dans la rotation peut avoir des conséquences sur les populations des pathogènes (survie, dispersion, pouvoir pathogène…) effectuant une partie de leur cycle sur ces espèces.

En France, la pourriture racinaire du pois due à Aphanomyces euteiches est apparue à partir des années 1990 (Wicker et al., 2001), suite à l’augmentation des surfaces en pois et plus particulièrement en raison des fréquences de retour trop courtes au sein des rotations. Cette maladie, jusqu’alors inconnue en France et pour laquelle il n’existait aucun moyen de lutte, a causé de très sévères pertes de rendement et a engendré un abandon de la culture par certains producteurs. Les risques de pourriture racinaire, qui affecte le pois mais aussi la lentille et certaines variétés de vesce, pourraient également être accrus du fait de l’augmentation de la présence de plantes hôtes comme certaines légumineuses utilisées en interculture (même si les Cipan et fourrages d’été multiplient beaucoup moins l’inoculum, du fait de leur cycle très court et en sol souvent sec, que lorsqu’elles sont cultivées en culture principale au printemps).

De même, la pression liée aux nématodes de la tige de la féverole (Ditylenchus dipsaci gigas) est plus forte dans les années 2010 qu’auparavant (avec jusqu’à 20 % d’infestation des lots de semences testées par la Fnams). Les facteurs de risque sont le retour fréquent de la féverole et sa culture en sol difficilement ressuyable (très argileux ou mal drainé). La pression forte est aussi associée à des campagnes humides (Quoi de Neuf ?, 2014). Le principal moyen de lutte actuel consiste à ne pas semer de graines infestées.

Le risque de bruche de la féverole (Bruchus rufimanus) s’est également accentué au cours de ces deux dernières campagnes agricoles, et on peut prévoir une augmentation de ce risque pour les campagnes à venir, car les produits autorisés et utilisés aujourd’hui sont moins efficaces que ceux utilisés auparavant mais désormais interdits d’utilisation.

Sur une culture de colza, le sclérotinia n’est a priori pas significativement favorisé par un précédent pois, par rapport à un précédent céréale, ce qui a été constaté dans l’ensemble des expérimentations du segment « pois-colza » réalisées sur les trois années 2008-2010 (Carrouée et al., 2012). Cependant, les conditions de ces campagnes ont été peu favorables à cette maladie, malgré des kits pétales indiquant un niveau de risque élevé, et il serait nécessaire de valider ces tendances dans des situations de forte pression sclérotinia et dans des conditions pédoclimatiques plus variées.

Par ailleurs, les conséquences de l’augmentation de la fréquence de couverts incluant des légumineuses (Cipan ou couverts de service ou associations de cultures) dans les successions culturales doivent être quantifiées et étudiées plus précisément quant aux pressions sanitaires nouvelles que cela peut engendrer.

Effets des associations céréales-légumineuses sur les bioagresseurs (hors adventices)

Peu de résultats sont disponibles pour quantifier l’effet de cultures associées céréales-légumineuses sur le développement des pathogènes dans les cultures suivantes. Un essai réalisé à Grignon pendant 6 ans (2008-2013) a permis de comparer différentes successions de cultures incluant pois et blé, séparés ou associés : pois-blé-blé, association-blé-blé, monoculture de pois, monoculture de blé et monoculture d’association. L’analyse des résultats sur l’ensemble des années montre que, pour le piétin-verse et le piétin-échaudage, le blé est légèrement moins touché en précédent pois qu’en précédent association, mais qu’il n’y a pas de différence entre le blé de blé de pois et le blé de blé d’association. Les niveaux de maladie sont moins élevés pour la monoculture d’association que pour la monoculture de blé. On a également observé des attaques d’ascochytose significativement plus faibles chez le pois associé que chez le pois pur. La maladie Aphanomyces n’est pas apparue sur la parcelle, même sur la monoculture de pois, pendant les 6 années d’essai (Pelzer E., communication personnelle).

L’année même de la culture, d’une manière générale, les effets des associations céréales-légumineuses sur les attaques de ravageurs sont variables. Les associations pois-blé dur sont, par exemple, efficaces pour réduire les infestations de pucerons verts du pois, en comparaison à une culture pure de légumineuse, cet effet ayant été observé dans plusieurs situations pendant trois années (Ndzana et al., 2014). Les associations substitutives sont apparues plus efficaces que les associations additives, suggérant ainsi un effet de la concentration en ressources disponibles pour les insectes ravageurs. Mais les données expérimentales sur ces effets sont encore rares, et les effets ne sont pas toujours positifs. En effet, Corre-Hellou et al. (2004) et Baccar (2007) ont observé un niveau des symptômes dus aux sitones plus important en association. Ceci serait dû à un effet de concentration des ravageurs qui, en se déplaçant, entraînent d’autant plus de dégâts quand la densité de plantes hôtes dans l’association diminue.

Les associations pois-céréales permettent, en revanche, de réduire de manière importante les infestations d’ascochytose (Micospherella pinodes), en particulier sur tiges et gousses (Schoeny et al., 2010). Cet effet s’explique en partie par une modification du microclimat à l’intérieur du couvert végétal, conduisant à une diminution du temps d’humectation des organes sensibles, ainsi que par une réduction de la projection des spores d’une feuille à une autre (effet splashing) de 39 % à 78 %, liée à une diminution de la densité des feuilles des plantes hôtes et à un effet barrière des plantes non-hôtes. Le même effet d’une association féverole-céréale (la céréale étant alors une orge, une avoine, un blé ou un triticale) a été observé, pendant plusieurs années et dans différents lieux, pour réduire la sévérité du botrytis (Botrytis fabae) sur féverole (Fernandez-Aparicio et al., 2011). L’effet est expliqué par une combinaison de la réduction de la densité des tissus sensibles de l’hôte, d’une modification du microclimat du couvert, et de l’effet barrière physique à la dispersion des spores, lié à la présence d’une espèce non-hôte au sein du couvert. Sur les céréales de l’association, on observe également une diminution du niveau d’infestation (oïdium, septoriose, rouilles) par rapport au niveau observé sur un peuplement pur de céréales, aussi bien pour des associations fourragères (association triticale, vesce, avoine par exemple) que pour des associations à vocation de production de graines (blé, pois, orge) (Casdar 431 ; Corre-Hellou et al., 2006b ; Baccar, 2007 ; Biarnès et al., 2008). D’une manière générale, les processus impliqués semblent efficaces pour réduire la plupart des maladies aériennes auxquelles les plantes conduites en association sont sensibles.

Enfin, dans une association céréale-légumineuse, la céréale permet de réduire significativement la verse du pois en fin de cycle (Corre-Hellou et al., 2004), en jouant le rôle de tuteur pour le pois, même à une très faible densité de la céréale (10-15 % de sa densité en pure). Cet effet a même permis, dans certains essais du projet Casdar 431, de récolter sans difficulté l’association, tandis que la culture pure de pois, trop plaquée au sol, a dû être laissée sur place sans être récoltée.

Effet des systèmes de culture incluant des légumineuses annuelles sur la gestion de l’enherbement

Les légumineuses à graines sont des espèces peu compétitrices notamment pour l’azote, ce qui limite leur intérêt direct dans la régulation biologique des adventices, surtout dans les situations à fort niveau d’intrants azotés qui caractérisent la plupart des systèmes actuels de cultures annuelles. Cependant, dans le contexte de limitation des intrants, et selon leur mode d’insertion dans les systèmes de culture, leur rôle de compétiteur pour la lumière (chapitre 2) peut être utilisé pour gérer les adventices. Les pratiques culturales associées à ces espèces ont des impacts directs ou indirects sur la flore adventice, observables à l’échelle de l’itinéraire technique ou du système de culture.

La diversification des rotations, non spécifiques à l’introduction des légumineuses, peut, selon le choix des espèces, provoquer une alternance de cultures qui ont des biologies différentes (dicotylédone-monocotylédone et hivernale-printanière). Les itinéraires techniques associés introduisent une variabilité dans les pratiques appliquées (période de semis, alternance dans les programmes de désherbage, gestion de la fertilisation) qui ont des effets différenciés sur la flore adventice. Cette diversification a pour principaux effets de rompre le cycle des adventices, d’induire une modification de la flore (éventuellement moins nuisible) et de limiter le risque d’apparition de résistances.

Au niveau de la conduite des intercultures, il est difficile d’identifier une spécificité aux légumineuses quant à leur rôle vis-à-vis des adventices par rapport aux autres espèces, cette compétition étant davantage liée au niveau de biomasse produite par la culture intermédiaire qu’à la nature de l’espèce semée.

Au niveau de l’itinéraire technique en culture, le taux de couverture et la vitesse de fermeture du couvert de la légumineuse cultivée peuvent varier selon les espèces (chapitre 2), offrant ainsi un degré variable de compétition vis-à-vis des adventices. L’introduction de légumineuses pérennes (par exemple luzerne) s’accompagne de l’arrêt du travail du sol et de l’introduction de la fauche. Le non-travail du sol évite de solliciter le stock semencier profond et provoque ainsi une décroissance rapide du stock semencier pour les espèces qui ont un taux annuel de décroissance fort (par exemple folle-avoine, vulpin des champs, gaillet gratteron). De plus, les pratiques de fauche contribuent à réduire les populations d’adventices annuelles (fauche avant dispersion des semences : par exemple vulpin, gaillet) et à l’épuisement des ressources racinaires de certaines vivaces (par exemple chardon). Les quelques espèces annuelles, à croissance indéterminée ou qui produisent des semences matures avant la fauche, dispersent leurs graines à la surface du sol, qui doivent germer sur un sol non travaillé. Or la littérature montre que la capacité d’une espèce annuelle à germer et lever à partir d’une semence en surface est réduite par rapport une semence enfouie (Reibel et al., 2010). On peut voir ainsi décroître rapidement les espèces annuelles dans les parcelles implantées en légumineuses pérennes. Cette évolution de la flore adventice dans les rotations céréalières comprenant de la luzerne a été particulièrement bien documentée par Meiss et al. (2010). La diversification des dates de semis dans la rotation, permise par la diversification des cultures et par des modifications de leur conduite (par exemple sur blé), offre la possibilité de réduire l’usage des herbicides (Chikowo et al., 2009), mais ce levier est encore peu mis en œuvre dans les exploitations.

Une meilleure maîtrise des adventices est observée chez les associations d’espèces graminées-légumineuses par rapport à une culture de légumineuse pure, notamment en AB (Corre-Hellou et al., 2011). L’infestation, réduite d’un facteur 2 à 5 par rapport à la culture pure de légumineuse, n’est en revanche pas différente de celle observée chez la céréale pure. Cet effet, observé systématiquement, est probablement en partie expliqué par la capacité de la céréale à prélever l’azote du sol, privant ainsi les mauvaises herbes d’un facteur de croissance essentiel, et permettant à la céréale d’exercer une compétition forte pour la lumière vis-à-vis des adventices. Les associations céréales-légumineuses (associant pois ou féveroles) sont particulièrement efficaces pour réduire les infestations en orobanches (Fernandez-Aparicio et al., 2007). Les observations s’expliqueraient par une inhibition de la germination des graines d’Orobanche crenata par des produits allélopathiques émis par les racines de la céréale. La colonisation par des champignons mycorhiziens à arbuscules semble également efficace pour réduire la germination de l’orobanche dans des cultures de pois (Fernández-Aparicio et al., 2010).

Au niveau du système de culture, une étude menée par simulation avec le modèle AloMySys montre que les rotations diversifiées, avec du pois, du tournesol et dans une moindre mesure de l’orge de printemps, permettent des économies de charges liées à la maîtrise de l’enherbement (charges herbicides et de mécanisation) significatives, allant avec le pois de 15 à 35 €/ha/an en moyenne à l’échelle de l’assolement (Colbach et al., 2010). Cependant, cette étude ne portait que sur le vulpin, faute de modèles disponibles pour d’autres adventices.

Dans les expérimentations des successions pois-colza (Casdar 7-175 : Collectif, 2011), les repousses de céréales ont souvent été nombreuses dans le colza, nécessitant l’application d’un herbicide antigraminées foliaire, tandis que les repousses de pois ont souvent posé moins de problème. On peut donc envisager l’économie d’un herbicide antigraminées foliaire en colza de pois, mais cette possibilité doit être confirmée. Les observations de flore adventice sauvage n’ont pas permis de distinguer de différences entre les précédents culturaux pois et blé. Dans le cas d’une rotation avec la succession pois-colza, l’enherbement est mieux géré à l’échelle de la rotation grâce à un décalage de la date de semis (printemps, ou fin automne pour le pois d’hiver) par rapport aux levées habituelles des adventices et à la succession de deux dicotylédones avant deux céréales (blé et orge). Le fait d’introduire le soja dans les rotations permet aussi de contrôler les adventices difficiles à détruire dans d’autres cultures — comme les graminées vivaces dans le maïs, les cruciféres dans le colza… — et ainsi de réduire les traitements sur ces cultures.

Enfin, en AB, la maîtrise des adventices passe généralement par l’allongement de la rotation avec une légumineuse fourragère de 2 à 3 ans en tête de rotation ou, quand le climat le permet (et/ou que de l’irrigation est disponible), en implantant des cultures sarclées d’été (Fontaine et al., 2012). Une autre technique efficace consiste à implanter une légumineuse fourragère comme culture intermédiaire relais (Amossé et al., 2013). Implantée pendant le cycle de la culture de rente, la légumineuse commence sa croissance sans être très compétitive vis-à-vis de cette dernière. En revanche, couvrant le sol de manière efficace dès la récolte de la culture de rente, son développement permet un bon contrôle des adventices pendant l’automne suivant, réduisant ainsi les infestations dans la culture suivante.

Effet sur l’utilisation des ressources en eau

De façon générale, les légumineuses annuelles valorisent bien l’eau apportée et les systèmes avec légumineuses ont tendance à utiliser moins d’eau que leurs équivalents sans légumineuses (que ce soit en systèmes irrigués ou non irrigués).

Les protéagineux de printemps (pois et féverole) ont des exigences en eau qui restent relativement limitées comparées aux autres espèces de grandes cultures (300 mm pour un pois de rendement 60 q/ha) et valorisent bien l’eau d’irrigation apportée : gain de 5 à 8 q/ha par tour d’eau de 30 mm pour le pois et 4,5 à 6 q/ha par tour d’eau de 30 mm pour la féverole. La période de formation des graines est la plus sensible au déficit hydrique. Elle peut nécessiter un complément d’irrigation. Mais des apports d’eau excessifs avant la floraison peuvent avoir un effet néfaste sur le rendement de la culture, en favorisant un développement important de biomasse foliaire au détriment de la formation des futures gousses. De même, des apports d’eau après la fin de formation des graines ne sont pas valorisés économiquement et augmentent les risques de verse en fin de cycle. Dans le cas où il y a irrigation, ce sont plutôt les pois de printemps qui sont irrigués, du fait de leur cycle reproducteur positionné en fin de printemps, mais le pois d’hiver valorise également bien l’irrigation, avec l’avantage de nécessiter des doses plus faibles et de ne pas concurrencer les cultures estivales, grâce à l’avance de 2 à 3 semaines de son cycle par rapport au pois de printemps.

Le soja est irrigué en France sur une part importante de la sole (54 % des surfaces de soja conventionnel en 2012), avec de fortes variations selon les régions de production. Dans le bassin de production du Sud-Ouest, plus de 78 % des surfaces de soja sont irriguées (Lieven, 2013), alors que 25 % le sont dans le bassin de l’Est. L’alimentation hydrique est le principal facteur limitant de la production du soja. Les hauts rendements (35 q/ha et plus) ne peuvent être atteints qu’avec des disponibilités hydriques (contribution en eau du sol + pluies utiles sur le cycle de la culture + irrigations) d’au moins 450 mm sur tout le cycle, ce qui reste plus faible que les besoins des autres cultures d’été telles que le maïs (500 mm), et représente un ou deux tours d’eau en moins pour le soja (Jouffret et al., 1995 ; Eon et al., 1999). Le soja peut même valoriser des disponibilités hydriques supérieures par des variétés tardives à long cycle de végétation (Merrien, 1994). Son irrigation peut tolérer une certaine souplesse (avec impasse éventuelle pour certains tours d’eau), car il ne connaît pas de phase sensible à la sécheresse (contrairement au maïs ou au sorgho), mais une période de sensibilité maximale comprise entre les stades R1 (premières fleurs) et R6 (grossissement des graines dans la gousse), ce qui atténue les effets d’un stress hydrique durant cette phase pour le soja (Merrien, 1987). De plus, les premiers et derniers apports sont plus tardifs que pour le maïs notamment, ce qui est intéressant pour une gestion de l’eau au niveau de l’exploitation ou du territoire. Le rendement du soja s’accroît quasi linéairement (7 q/ha par 100 mm d’eau apportée) au fur et à mesure qu’augmente le taux de satisfaction des besoins de la culture témoignant de la bonne réponse à l’eau du soja. On constate que l’on atteint des rendements très proches des niveaux les plus élevés dès que l’on satisfait 87 % des besoins de la culture (Merrien, 1994). La conduite de l’irrigation permet également de jouer sur la teneur en protéines des graines, facteur de qualité de plus en plus demandé pour les industriels, particulièrement ceux de l’alimentation humaine. Les études menées sur la variabilité de la teneur en protéines de la graine de soja avec une approche par voie d’enquête et une étude expérimentale en 1998 et 1999 dans le Sud-Ouest (Burger, 2001) montrent que :

  • les conduites peu limitantes en eau permettent, outre un bon rendement, d’obtenir des teneurs en protéines élevées ;

  • une limitation en eau en début de cycle ne pénalise pas la teneur en protéines et permet de réduire les risques de verse et de sclérotinia ;

  • une limitation en eau durant la phase de remplissage du grain est généralement néfaste pour la teneur en protéines, même s’il existe des cas où, une limitation antérieure ayant réduit la taille du puits graines, la limitation pendant le remplissage n’a que peu d’effet.

L’introduction de soja dans les assolements irrigués à base de maïs permet de réduire les quantités d’eau épandues, et, par là même, de mieux maîtriser la ressource en eau au niveau de l’exploitation et du bassin de production. Les besoins en eau d’irrigation pour le soja sont inférieurs de l’ordre de 50 mm à ceux d’un maïs, ce qui est observé à la fois sur des essais systèmes et dans les pratiques des agriculteurs (Jouffret et al., 1995 ; Eon et al., 1999 ; Nolot et Debaeke, 2003). L’introduction du soja permet aussi une meilleure répartition des prélèvements d’eau durant l’été. En effet, la souplesse de la conduite de l’irrigation du soja (Merrien, 1987 ; Bouniols et al., 1985) peut permettre, à certaines époques, lors d’années particulièrement sèches, de diminuer les quantités d’eau apportée, voire de réaliser l’impasse sur un tour d’eau prévu au départ. Cette pratique est particulièrement intéressante durant la période où les besoins en eau du maïs sont extrêmement forts (début juillet au 15 août) et ne peuvent être réduits sous peine de pénaliser fortement les rendements de cette culture.

Effets sur les composantes du sol
État structural

D’une part les légumineuses sont plus sensibles que d’autres cultures à l’état structural du sol (importance de l’installation des nodosités) et d’autre part leur empreinte rhizosphérique, stimulant spécifiquement une activité microbienne active, favorise un sol plus fertile et à structure fine. Cependant, la géométrie du système racinaire permet une amélioration plus ou moins grande, les systèmes pivotants de la féverole et de la luzerne étant plus propices pour un état structural plus fin du sol.

Le système racinaire des légumineuses à graines étant peu ramifié, l’état structural du sol après leur culture est très dépendant de celui existant avant la culture et des conditions de semis (Jeuffroy et al., 2012). Ce phénomène est moins fréquemment observé chez le soja, et l’état structural laissé par un soja est considéré par les producteurs comme excellent, permettant des implantations de céréales dans d’excellentes conditions et souvent avec un nombre de passages réduit par rapport à d’autres précédents (céréales, tournesol, maïs…).

La quantité de résidus de pois étant assez faible, et leur structure étant très friable, ils ne représentent pas un obstacle physique majeur à l’implantation de la culture suivante et autorisent un travail du sol simplifié. Dans le cas des semis de blé, l’absence de labour après le pois est très fréquente en France (en 2006, 75 % des blés après pois, contre 13 % des blés après blé, ont été implantés sans labour, enquête Pratiques culturales du SSP). En réduisant la charge de mécanisation, la consommation d’énergie fossile et les émissions de gaz à effet de serre liées à cette pratique, le précédent pois est aussi un atout pour l’organisation du travail. La culture d’un pois protéagineux avant colza permet également de faciliter l’implantation du colza en technique culturale simplifiée (Carrouée et al., 2012).

Dans les systèmes de culture du nord de la France, l’état structural du sol sous blé est fortement influencé par le précédent cultural, le pois étant classé parmi les précédents les plus favorables (figure 3.18).

Figure 3.18. Effet du précédent cultural (colza, pois, maïs, betterave) sur l’état structural du sol dans plusieurs systèmes.

S2, interventions visant à minimiser le risque de tassement ; S3, interventions visant à maximiser la durée du cycle des cultures : plus la teneur en mottes delta est élevée, plus le sol est compacté (synthèse de 8 années, essai de Mons, Boizard, communication personnelle).

Évolution de la matière organique du sol

Le carbone organique est la composante majoritaire de la matière organique des sols ; sa teneur est un indicateur de la fertilité (physique, chimique et biologique) des sols agricoles. Pour le stockage de carbone, en dehors du changement d’usage des sols, on sait maintenant que, plus que d’autres facteurs parfois mis en avant comme le travail du sol, la quantité de carbone restituée au sol est le facteur explicatif de première importance de l’évolution de la teneur en carbone organique (communication groupe de travail « C, N, GES » du séminaire travail du sol Arvalis-Inra, décembre 2012). Augmenter la matière organique et la conserver en limitant les pertes sont les deux volets des actions favorables au stockage de carbone dans les sols : couverture du sol, apport par Cipan ou agroforesterie, augmentation de la durée de présence des prairies[35].

Dans le cas des systèmes avec légumineuses, il s’agit donc de considérer avant tout la quantité de C restitué au sol, qui est variable au sein de leurs résidus aériens et racinaires selon les espèces en jeu (volumes du système racinaire et de la biomasse végétale) et les modes d’insertion et de culture utilisés (avec différentes longueurs de cycle et différentes exploitations des grains et pailles) ; ainsi les effets pourront être différents entre culture annuelle et culture pérenne. Sous prairie, les organes sénescents (racines, feuilles) et les rhizodépôts (exsudations de molécules organiques riches en C et N) sont plus importants. De plus, il existe également un couplage entre le stockage de carbone et le bilan d’azote d’un agroécosystème.

Les bilans de carbone du sol, qui doivent être analysés à moyen ou long terme, ont été relativement peu étudiés dans les grandes cultures. Les quelques analyses se sont focalisées sur le rôle des cultures intermédiaires (qui peuvent comporter des légumineuses) et rarement sur la famille botanique comme les légumineuses. Pour les légumineuses à graines en culture annuelle, les espèces telles que le pois et le soja produisent moins de biomasses de résidus (restitués au sol) que la majorité des autres grandes cultures comme les céréales : leur insertion fréquente dans des successions peut dans certains cas conduire à une réduction du contenu en carbone organique dans le sol, comme montré dans le cadre d’un essai de l’Inra de Toulouse avec l’introduction d’un pois d’hiver dans des rotations simples blé dur-tournesol. Après 6 ans correspondant à 2 rotations triennales, la quantité de carbone organique du sol a diminué avec une vitesse moyenne d’environ 0,4 t/ha/an (Plaza-Bonilla D., Raffaillac D., Justes E., communication personnelle).

Toutefois, il est important de souligner que dans ces mêmes conditions, l’introduction de cultures intermédiaires durant chaque interculture (avant et/ou après la légumineuse à graines), qui sont détruites avant l’hiver, a permis d’éviter cette perte de carbone dans le sol grâce à l’incorporation de carbone supplémentaire dans le sol. Dans d’autres contextes, cette introduction de cultures intermédiaires a même permis d’augmenter le stock de carbone du sol, allant jusqu’à 0,6 t/ha/an pour des durées de croissance de culture intermédiaire plus longues et permettant une production de biomasse élevée (Kuo et al., 1997). Ainsi, l’introduction combinée de légumineuses à graines et de cultures intermédiaires, répétée dans le temps, permet une séquestration plus importante du carbone et un stockage d’azote à moyen terme, via une augmentation de la biomasse produite dans l’année (plus longue durée de croissance et donc de photosynthèse) et via le recyclage du nitrate dans l’azote organique du sol à l’échelle de la rotation (Constantin et al., 2012 ; Campbell et al., 1991 ; Crews et Peoples, 2003 ; Nezomba et al., 2010 ; Melero et al., 2011).

Bilan phosphore

Le déficit en phosphore est un facteur limitant majeur de la symbiose légumineuse-rhizobium, en particulier dans les sols acides ou calcaires, même s’il y a des marges d’amélioration génétique sur ce critère. De façon générale, même si les légumineuses répondent positivement à la fertilisation phosphatée, elles ont également des stratégies (plus ou moins spécifiques à cette famille) afin de répondre aux situations de carence en phosphore (chapitre 2, voir Caractéristiques chimiques du sol ). De plus, le phénomène local d’acidification par extrusion des protons (Alkama et al., 2010) provoque une baisse de pH rhizosphérique et une solubilisation d’ions phosphates non bio-disponibles à la neutralité. En termes agroécologiques, ce processus (local) pourrait être favorisé via des associations d’espèces céréale-légumineuse dans des systèmes à faibles intrants : la légumineuse « solubiliserait » du phosphore, dont profiterait la céréale et cela ajouterait un avantage à l’association, en plus de l’aspect azote. Cet effet reste toutefois controversé. Mat Hassan et al. (2012) soulignent un effet positif d’une culture de légumineuses sur la culture de céréale suivante, mais un effet plutôt négatif des résidus de légumineuses comme de ceux de céréales. Rehmut et al. (2012) ont observé une amélioration des rendements de blé après une légumineuse, mais pas d’augmentation de l’absorption de phosphore par la céréale.

À l’échelle des systèmes de culture, les besoins en phosphore des légumineuses peuvent nécessiter une fertilisation phosphatée. La recommandation pour la fertilisation des grandes cultures est d’appliquer un raisonnement annuel de la fertilisation PK, en prenant en compte le caractère plus ou moins exigeant de la culture, la disponibilité des réserves en P et K du sol (appréciée par l’analyse de terre), le passé récent de fertilisation, et la restitution ou non des résidus de culture (source Comifer). Par exemple la betterave, le colza, la luzerne et la pomme de terre sont classés dans les grandes cultures à « exigence élevée » en phosphore. Dans les faits, la fertilisation P est souvent gérée avec l’apport potassique sous forme de fertilisants PK, et apportée sur la « tête de rotation », en raisonnant à l’échelle de la rotation, avec comme base la compensation des exports P dans les graines et les exigences des cultures. On observe aussi que la fertilisation PK est souvent gérée en fonction des sols plus que des cultures, et semble très liée aux prix du marché (prix des engrais achetés et prix de vente des récoltes). Dans les pratiques, les volumes mobilisés en un contexte donné (lieu et prix) seraient du même ordre de grandeur dans les différentes successions culturales de grandes cultures des systèmes céréaliers, qu’il y ait des légumineuses ou pas.

Effet sur la biologie des sols

On sait maintenant que les pratiques agricoles ont un effet sur la composante biologique du sol, qui peut être mesuré par la présence et la quantité de la faune des sols : macrofaune (vers de terre, nématodes), mésofaune (nématodes) et microfaune (abondance, diversité et respiration des micro-organismes).

En plus des pratiques de travail du sol, la diversité des espèces cultivées, par leurs familles botaniques mais aussi leurs métabolismes, contribue à la biodiversité des sols qui a un effet d’atténuation des changements globaux. De plus, s’il n’y a pas encore de relation mathématique établie entre l’activité microbienne ou de la mésofaune et la productivité agricole, les présomptions sont fortes et des liens existent sur certaines fonctions des sols liées à la présence et l’activité des faunes de différentes tailles au sein des sols. Ainsi, la biodiversité des sols modifie le cycle de la matière organique et les compétitions bactériennes qui temporisent les infections issues du sol, les processus de dénitrification et donc d’émissions de N2O, la structure du sol et les fuites en nitrate, etc.

Les légumineuses contribuent ainsi à cette diversité de façon générale. Elles favorisent également les conditions pour l’état sanitaire des racines et de la plante suivante ou de la plante associée, via la structure et l’activité biologique des sols. Même si peu d’études y sont consacrées à ce jour, plusieurs pistes ont été ouvertes :

  • fonction de « puits à N2O » par certains rhizobiums associés aux légumineuses, qui font partie des 5 % des micro-organismes du sol avec la capacité à réduire N2O en N2 (Hénault et Revellin, 2011), en cours de confirmation au champ[36] ;

  • empreinte rhizosphérique spécifique des légumineuses et ses conséquences :

    • les exsudats racinaires des légumineuses sont plus riches en azote que ceux des autres plantes (Eisenhauer et al., 2009). Ces exsudats azotés sont riches en protéines, peptides et acides aminés dont les proportions et les rôles vis-à-vis du fonctionnement de la plante et du sol sont encore peu connus, mais pourraient être en lien avec les variations de l’environnement[37] ;

    • une acidification locale temporaire autour de la nodosité en activité pouvant avoir un effet sur les autres cultures (Hinsinger et al., 2011) ;

    • cette acidification, combinée avec le rapport C/N des rhizodépôts des légumineuses, modifie la structure et l’activité des communautés microbiennes avec des effets sur la qualité de la matière organique (Bédoussac et al., 2011) ;

  • effets sur la macro, méso ou microfaune (rhizosphère et plus largement sous et après la culture de légumineuse) : dans la majorité des rotations conventionnelles actuelles (courtes ou peu diversifiées, avec peu de couverts végétaux), les vers de terre sont moins présents. Or, leur activité favorise la décomposition et l’enfouissement des résidus végétaux et donc l’enrichissement du sol en matières organiques. Les études sur vers de terre peuvent être lourdes à mener mais les enkytréides[38] pourraient être un relais fonctionnel intéressant au sein de la macro et mésofaune. Pour la méso et microfaune, on sait que les nématodes libres et les micro-organismes (bactéries, champignons) représentent des bioindicateurs qui peuvent être pertinents sous agrosystèmes ; il a déjà été constaté des différences significatives en termes d’abondance, de diversité ou d’activité dans certains essais de grandes cultures, comprenant parfois des légumineuses à graines. Cependant, une étude spécifique « système avec » versus « système sans légumineuse » serait nécessaire pour approfondir ce sujet.

En plus de l’effet de coupure pour les adventices, ces effets sur la biologie des sols sont vraisemblablement une part significative des dimensions « hors azote » des effets précédents à court, moyen et long terme des légumineuses en général qui expliquent les meilleures performances des cultures suivantes (dont la meilleure valorisation de l’azote en rendement) et la meilleure productivité et robustesse des systèmes diversifiés et avec légumineuses sur le long terme.

À retenir. Les effets agronomiques de l’insertion d’une légumineuse à graine annuelle.

L’insertion d’une culture de pois dans des rotations céréalières permet de réduire la fertilisation azotée de la culture suivante, de l’ordre de 20 à 60 kg N/ha selon les situations, pour des rendements généralement plus élevés. Ce gain de rendement serait lié à un meilleur fonctionnement de la culture suivant le pois, en partie dû à une meilleure qualité sanitaire des cultures suivantes (meilleure structure du sol, moins de maladies, surtout d’origine tellurique, grâce à l’alternance des familles botaniques). Cette réduction des maladies telluriques observée sur le blé suivant est également observée dans le cas d’un précédent association céréales-légumineuses à graines, par rapport à un précédent blé. Après un soja, la fertilisation azotée du maïs peut être réduite de 30 à 40 kg N/ha par rapport à un maïs de maïs. Les effets précédents des différentes légumineuses à graines sur les différentes cultures suivantes n’ont pas tous été quantifiés précisément ou statistiquement. Dans le cas d’une luzerne (âgée de 2-3 années), l’équivalent fertilisant azote peut aller jusqu’à 100-150 kg N/ha pour le maïs suivant la destruction de la luzerne.

Après une culture de légumineuse récoltée en été, comme le pois, les risques de lixiviation durant l’automne suivant existent. Cependant, comme ils dépendent de la gestion du système et surtout de l’interculture, réduire ces risques est possible :

  • en couvrant le sol à l’automne, c’est-à-dire en implantant une culture intermédiaire piège à nitrate (Cipan) ;

  • en implantant une culture de colza après le pois ;

  • en choisissant de cultiver le pois en association avec une céréale, cette pratique réduisant significativement le reliquat d’azote minéral à la récolte par rapport à un pois cultivé en pur.

L’insertion d’une culture de légumineuse (rare dans les assolements actuels) permet la rupture des cycles des pathogènes caractéristiques des grandes cultures dominantes des rotations. Par ailleurs, l’insertion d’une famille botanique différente, l’allongement de la rotation, l’alternance des cycles de cultures de printemps et d’hiver, la couverture du sol permise par les couverts pluriannuels ou non récoltés (Cipan), ainsi que les décalages de dates de semis permis par ces cultures facilitent le contrôle des adventices les plus fréquentes des rotations actuelles (en particulier leur destruction par des faux semis). L’insertion de légumineuses, qu’elles soient annuelles ou pérennes, facilite donc la maîtrise des maladies et des adventices, tout en limitant le recours aux pesticides, à l’échelle de la rotation.

Globalement, la rhizosphère spécifique des légumineuses, grâce à leur symbiose, combinée aux autres caractéristiques de ces cultures, est certainement un élément très influent sur la qualité des sols et donc les conditions des cultures suivantes, mais les processus souterrains restent à investiguer plus largement.

Légumineuses non récoltées

Couvert intermédiaire à base de légumineuses

Effet sur la réduction de la lixiviation

Les couverts intermédiaires, implantés entre deux cultures de rente, contribuent à différents services écosystémiques (engrais vert contribuant à la nutrition azotée de la culture suivante et à la fertilité du milieu via l’incorporation dans l’azote organique du sol, lutte contre l’érosion, culture piège à nitrate, contrôle des adventices…). Le service le plus souvent recherché dans les systèmes de production de grande culture est, jusqu’à présent, le piégeage du nitrate pour le soustraire au phénomène de lixiviation pendant la période de drainage hivernal. La prédominance de cet objectif a été renforcée depuis 2009 par l’obligation réglementaire d’implanter un couvert intermédiaire avant une culture de printemps en zone vulnérable (4e programme d’action de la directive Nitrates). Soulignons qu’en systèmes de culture à bas niveaux d’intrants et en « agriculture de conservation » (abandon du labour, pratique de techniques culturales simplifiées et/ou du semis direct), cette pratique de semis de cultures intermédiaires en mélange à des espèces légumineuses est très répandue, afin notamment de limiter l’achat d’engrais de synthèse car la minéralisation en azote du sol est souvent réduite en situation d’agriculture de conservation. Ainsi, l’insertion de légumineuses en tant que couvert intermédiaire pour, par exemple, augmenter la fourniture d’azote à la culture suivante (fonction d’engrais vert) doit obligatoirement être aussi étudiée sous l’angle de la diminution de la lixiviation du nitrate.

Sur un grand nombre de situations expérimentales, la présence d’un couvert intermédiaire de légumineuses permet de réduire jusqu’à 50 kg N/ha le stock d’azote minéral lixiviable du sol, par rapport à un sol nu (figure 3.19 ; Cohan et al., 2011). En comparaison aux crucifères, dont l’effet Cipan, dans les mêmes situations, peut atteindre 90 kg N/ha, les légumineuses pures en couvert intermédiaire ont un effet Cipan de 1,5 à 2 fois plus faible que celui des crucifères, pour une même quantité d’azote contenue dans les parties aériennes. Les mélanges crucifères-légumineuses se comportent d’une façon très similaire aux crucifères pures. Ces résultats sont confirmés par des dispositifs équipés de bougies poreuses et/ou de lysimètres permettant d’estimer les caractéristiques de l’eau percolée (Beaudouin et al., 2012 ; Justes et al., 2012). Comme précédemment, par rapport à des couverts de non-légumineuses, on constate un effet piège à nitrate moins marqué mais néanmoins non négligeable des couverts de légumineuses. En situation de drainage faible, on peut même observer des effets similaires entre des couverts à base de légumineuses et des couverts de non-légumineuses. Des simulations réalisées avec le modèle de cultures STICS[39] (Brisson et al., 2008) ont confirmé les effets de trois espèces de couverts intermédiaires sur la lixiviation du nitrate lors de l’interculture (Constantin et Justes, 2012) : le couvert de légumineuse pure permet de diminuer la lixiviation du nitrate, mais avec une performance qui est en général deux fois moins importante qu’un couvert de graminées ou de crucifères (figure 3.20).

Figure 3.19. Relation entre la diminution du stock d’azote minéral du sol à l’entrée du drainage par rapport à une situation maintenue en sol nu (effet piège à nitrate) et la quantité d’azote contenue dans les parties aériennes du couvert intermédiaire, pour différentes espèces cultivées en couvert intermédiaire. Sources des données : expérimentations 1991-2010 Arvalis ; ITCF ; CREAS ; CAT 51 ; CT FDGEDA 10 ; Inra. D’après Cohan et al., 2011.

Figure 3.20. Simulation de l’effet de différents modes de gestion de l’interculture sur la lixiviation du nitrate. D’après Constantin et Justes, 2012.

La moindre performance des légumineuses à piéger le nitrate, par rapport à des couverts de graminées ou de crucifères, est probablement principalement liée à la capacité racinaire plus faible de la plupart des légumineuses, au fait qu’une partie de l’azote acquis vient de la fixation symbiotique, ainsi qu’à une croissance plus faible. Les résultats disponibles indiquent que les mélanges de légumineuses avec des non-légumineuses se comportent d’une façon proche de celle des non-légumineuses. Ainsi, il semble tout à fait possible d’implanter des couverts intermédiaires à base de légumineuses tout en gardant des objectifs liés à la réduction de la lixiviation du nitrate, soit en privilégiant l’implantation de légumineuses pures dans des situations à risque de transfert faible à moyen, soit en ayant recours à des mélanges légumineuses–non-légumineuses avec des compositions de mélanges bien choisis. Ces résultats et conclusions viennent d’être confirmés par Tribouillois (2014), indiquant l’intérêt des légumineuses en association bi-spécifique avec une espèce non-légumineuse (crucifère, graminée, hydrophylacée…) pour simultanément produire les deux services de piège à nitrate et d’engrais vert à hauteur de 80 à 90 % du service produit par chaque couvert monospécifique (légumineuse pour l’effet engrais vert et crucifère pour l’effet Cipan). Toutefois, le choix des deux espèces partenaires est un élément clé de succès ; l’association doit être adaptée en fonction du pédoclimat et du compromis recherché entre services (notamment fort effet Cipan recherché ou pas).

Minéralisation des couverts intermédiaires à base de légumineuses

Comme tout phénomène de minéralisation, celle de l’azote organique des résidus de couverts intermédiaires est sous la dépendance des conditions d’humidité et de température de l’horizon de surface du sol. Plus les conditions sont chaudes et humides, plus le phénomène est rapide. Ensuite, le rapport C/N des résidus détermine la vitesse de la minéralisation et la proportion d’azote libéré à court terme (pour la culture suivante), résultat observé aussi bien en incubation de laboratoire (Justes et al., 2009) qu’au champ (Cohan et al., 2011 ; figure 3.21). Le rapport C/N des résidus de légumineuses non récoltées étant plus bas que celui des autres familles botaniques, les couverts à base de légumineuses présentent les taux de minéralisation les plus importants (en % de la quantité d’azote contenue dans les résidus).

Figure 3.21. Cinétiques de minéralisation de l’azote contenu dans les résidus des couverts intermédiaires exprimées en proportion de l’azote contenu dans les parties aériennes à destruction. Cohan et al., 2011.

Gaye(51) 2010 : expérimentation Arvalis/CAT51 ; RF, radis Fourrager ; VCP, vesce commune de printemps ; P, phacélie ; T, tournesol.
Rots(14) 2009 : expérimentation Arvalis ; PH, pois d’hiver ; MB, moutarde blanche. Les étiquettes représentent les rapports C/N des parties aériennes enfouies.

Effets d’un couvert intermédiaire sur la fourniture d’azote à la culture suivante

L’intérêt des légumineuses cultivées en couverts intermédiaires croît (Justes et al., 2013), du fait de l’obligation réglementaire de couverture des sols en automne et de l’accroissement du prix des engrais de synthèse. En effet, les systèmes actuels de grande culture étant principalement basés sur des apports externes d’azote minéral de synthèse, l’entrée d’azote par la fixation symbiotique des légumineuses, cultivées en couverts intermédiaires, est appréciée et de plus en plus recherchée, en particulier si la rotation ne comprend pas de légumineuses à graines en culture de rente. Comme toute source d’azote moins « maîtrisable » que l’azote minéral de synthèse, elle doit néanmoins être raisonnée finement, car certaines cultures suivantes peuvent être pénalisées par un apport d’azote trop important, comme l’orge de printemps brassicole (Cohan et al., 2011c).

Les performances des légumineuses cultivées en cultures intermédiaires dépendent beaucoup de la date de récolte de la culture principale précédente et de leur propre date de semis, qui vont déterminer le temps d’installation (temps nécessaire plus long que d’autres familles botaniques) et de croissance, donc d’accumulation d’azote. Si la date de récolte de la culture principale est tardive, le décalage de la date de semis de la culture intermédiaire peut réduire sensiblement l’intérêt attendu sur la production de biomasse, et donc sur la fourniture d’azote. La quantité d’azote accumulée par une légumineuse cultivée en couvert intermédiaire peut s’élever à 100-150 kg/ha (Cohan et al., 2011). Les mélanges bi-spécifiques composés d’une espèce de légumineuse (fèverole, pois, vesce pourpre, vesce commune, trèfle incarnat…) et d’une crucifère ou d’une graminée peuvent aussi accumuler de fortes quantités d’azote si la culture est installée précocement en fin d’été (Tribouillois, 2014). L’accumulation d’azote peut être accrue par un semis de la légumineuse intermédiaire au cours du cycle de la culture de rente précédente (à début montaison du blé, par exemple ; Amossé et al., 2013), ce qui permet d’allonger la durée d’accumulation d’azote au cours de la période automnale.

La résultante des flux d’absorption d’azote minéral du sol et de minéralisation de l’azote organique des résidus aériens et racinaires après destruction peut modifier la fourniture d’azote à la culture suivante. Un couvert intermédiaire est susceptible d’influencer deux postes de la méthode du bilan de masse prévisionnel de l’azote du sol. En premier lieu, il peut faire varier le stock d’azote minéral disponible dans le sol en sortie d’hiver. Il s’agit de l’« effet RSH » ou « effet Rsemis » (pour reliquat de sortie d’hiver ou reliquat au semis). Si la culture intermédiaire est détruite en fin d’automne, sa décomposition et sa minéralisation vont se produire même avec des températures du sol froides. Si la destruction est au printemps, sans effet de destruction dû au gel, le stock d’azote minéral du sol sera très faible, permettant un effet maximal de réduction des fuites de nitrate. En second lieu, les résidus du couvert intermédiaire permettent une libération supplémentaire d’une partie de l’azote acquis par minéralisation après la mesure du reliquat sortie hiver en cas de destruction de fin d’automne ou vont se minéraliser rapidement en cas de destruction de fin d’hiver. Cela constitue un surplus d’azote disponible sous la culture principale, appelé « MrCI » (pour minéralisation des résidus de la culture intermédiaire). La somme de ces impacts (effet RSH/Rsemis + MrCI) représente l’« effet fertilisant global » du couvert. Par des mesures de quantités d’azote dans le sol et dans les plantes en entrée et en sortie de bilan, il est possible d’estimer ces trois termes dans des expérimentations au champ. À titre d’exemple, la figure 3.22 fournit des références pour la culture de maïs, synthétisant les résultats de différentes légumineuses cultivées en couverts intermédiaires (trèfle, vesce, pois, féverole, lentille ; mélange crucifères + légumineuses ; mélanges graminées + légumineuses).

Figure 3.22. Relation entre les quantités d’azote contenu dans les parties aériennes (QN-CI) des couverts et les termes effet Rsemis, MrCI et effet FERTI sur le maïs suivant. À une même abscisse correspondent les trois termes issus de la même modalité dans la même expérimentation. Certains essais n’ont permis que de calculer le terme effet FERTI. Sources : essais annuels et pluriannuels 1991-2011 Arvalis/ITCF/AGPM-Technique/CRAB/CREAS. D’après Cohan et al., 2012.

Concernant les couverts à base de légumineuses, l’effet fertilisant peut dépasser 100 kg N/ha en cas de fort développement du couvert permis par une implantation précoce et une destruction tardive (cela correspond à une quantité d’azote accumulé par la culture intermédiaire supérieure à 200 kg N/ha). Ce fort effet est lié à deux phénomènes : d’une part la légumineuse pénalise peu ou pas le stock d’azote minéral du sol au semis du maïs, d’autre part les parties aériennes enfouies se minéralisent rapidement et de façon importante car elles contiennent de fortes quantités d’azote avec un rapport C/N faible (généralement de 11 à 14) permis par la fixation symbiotique. Les couverts de non-légumineuses présentent quant à eux des effets fertilisants beaucoup plus variables et en moyenne proches de zéro (figure 3.22). Cette variabilité est fortement liée à leur influence sur le reliquat azoté au semis. Un couvert de non-légumineuse est un piège à nitrate efficace qui ne restitue que partiellement l’azote capté après destruction (généralement pas au-delà de 35-40 %). Deux exemples très contrastés permettent de mieux comprendre les différentes situations rencontrées dans les essais. Dans les situations à forte lixiviation du nitrate (lame drainante importante, stock élevé d’azote minéral dans le sol à l’automne), les pertes en sol nu sont très importantes et supérieures à la quantité d’azote immobilisé par le couvert. L’effet du couvert sur le reliquat au semis est alors positif. Dans les situations inverses à faible lixiviation, les quantités perdues en sol nu sont inférieures aux quantités immobilisées dans le couvert. Ce dernier présente alors un effet négatif sur le reliquat mesuré au semis de la culture suivante (Cohan et al., 2011).

En culture relais de légumineuse fourragère, dans des conditions AB, la quantité d’azote supplémentaire, fournie au maïs suivant par la minette, le trèfle blanc, la luzerne ou le trèfle violet implanté pendant le cycle du blé (au début de la montaison) et laissé en place pendant l’automne jusqu’à la préparation du sol pour la culture suivante, s’est élevée à 46 kg/ha en moyenne, représentant ainsi 50 % de l’azote accumulé par le témoin sans culture intermédiaire relais (Amossé et al., 2013). Dans ce type d’agriculture, la fourniture d’azote par un précédent légumineuse a, d’une manière générale, un poids très important dans la nutrition azotée de la culture suivante, étant donné le faible recours à des engrais azotés organiques.

En conclusion, il apparaît que seuls les couverts intermédiaires à base de légumineuses (cultivées en pure ou en association) peuvent prétendre systématiquement à un effet positif significatif et généralisé à court et à moyen termes sur la fourniture d’azote à la culture suivante (entre 20 et 120 kg N/ha sur l’exemple maïs). À l’exception des situations à fort risque de lixiviation du nitrate, les couverts de non-légumineuses ont un effet globalement neutre sur ce processus dans les 10 à 15 premières années de pratiques.

Autres effets d’un couvert intermédiaire de légumineuses

Grâce à leur effet sur la fourniture d’azote à la culture suivante, l’utilisation de légumineuses, pures, en mélange ou en couverts intermédiaires, conduit fréquemment à une augmentation du rendement de la culture de rente suivante, alors que, en moyenne, les espèces non-légumineuses n’ont pas cet effet (Justes et al., 2012). Ce résultat est moins visible en cas de fertilisation élevée de cette dernière.

Une expérimentation de 13 ans testant l’introduction de cultures intermédiaires non-légumineuses chaque année dans une rotation betterave-pois-blé (annexe A6  ; Arep, 2009), tout en confirmant le fort pouvoir de piège à nitrate (- 50 % de réduction de la teneur en azote des eaux drainantes), a montré, en l’absence d’ajustement des doses apportées aux cultures, le stockage d’azote dans le sol. À moyen terme, on a pu mesurer une augmentation de teneur en N organique de l’horizon labouré, et, après plusieurs années, un surplus de minéralisation, évalué à + 36 kg N/ha/an d’azote au terme des 13 années d’essais (Constantin et al., 2010, 2011).

L’incorporation répétée de résidus de cultures intermédiaires peut entraîner des effets cumulatifs sur le stock de matière organique facilement minéralisable dans le sol et sur leur potentiel de minéralisation ultérieur. Ce dernier s’accroît au prorata des entrées cumulées d’azote organique sous forme de cultures intermédiaires pour atteindre un palier au bout de 20 à 40 ans, qui dépend de la nature et du rapport C/N des résidus de cultures intermédiaires (Constantin et al., 2010, 2011). Ces effets sont toutefois généralement moins forts pour les légumineuses que pour d’autres familles botaniques, du fait de leur plus faible production de biomasse.

La mise en place de couverts intermédiaires en climat tempéré n’induit pas de fortes modifications de la réserve en eau du sol au printemps, ou au semis de la culture principale suivante, sauf si sa destruction intervient très tardivement (par exemple juste avant ce semis). Ce résultat est lié à la reconstitution du stock d’eau du profil grâce aux précipitations entre la destruction de la Cipan et le semis de la culture suivante (Justes et al., 2012).

La réussite de couverts intermédiaires de légumineuses permet un bon contrôle des adventices, d’autant plus important que la biomasse des légumineuses est élevée, ce qui est favorisé par le semis de ce couvert intermédiaire en relais dans la culture de rente précédente (Amossé et al., 2013). Ce phénomène est particulièrement utile en conditions AB, où les adventices constituent un des facteurs limitants majeurs de la production.

Couverts associés à une culture de rente

Plusieurs travaux récents ont permis de préciser les intérêts d’un couvert incluant ou pas des légumineuses, implanté avec un colza d’hiver (couvert gélif) ou semé au printemps dans une culture de blé en place (Valantin-Morison et al., 2014). Dans les deux cas, le couvert associé permet une meilleure gestion des adventices et un gain en azote substantiel pour le système de culture, si le couvert est une légumineuse pure ou en mélange. Le colza valorise directement une partie de cet azote, et dans le cas du blé, c’est la culture suivante qui en bénéficie. Par ailleurs, cette synthèse souligne des intérêts qui ne se limitent pas à l’azote (effet sur les insectes d’automne dans le cas du colza associé). Le choix des espèces et des variétés du couvert et de leur assemblage est primordial, et la gestion de l’itinéraire technique (désherbage, etc.) et du système (fertilisation et autre) doit être adaptée.

Couverts temporaires de légumineuses associés à l’automne au colza d’hiver

Ce n’est que depuis 2009 que des expérimentations ont débuté en France sur les associations crucifères-légumineuses, jusqu’alors très peu étudiées, contrairement aux cultures associées céréales-légumineuses. L’association d’une ou plusieurs espèces de légumineuses au colza d’hiver dès son semis permet de fournir différents services écosystémiques, relevant notamment de l’accroissement de l’autonomie azotée, de l’augmentation de la matière organique et de la porosité des sols, et de la lutte contre les bioagresseurs, mais ce levier partiel doit être combiné à d’autres éléments d’une stratégie globale du système de culture.

Selon le matériel disponible et la taille des graines des légumineuses, le semis du colza et du couvert associé peut être simultané ou effectué en deux temps, sans excéder 24 h entre le semis du couvert puis celui du colza. Le colza et son couvert de légumineuses se développent simultanément durant l’automne. Au printemps, le couvert doit avoir disparu pour ne pas pénaliser la mise en place des composantes de rendement du colza. Cette période de cohabitation automnale détermine le choix des espèces de légumineuses à associer (Landé et Sauzet, 2012). Les principales caractéristiques requises sont :

  • des espèces de printemps pouvant se développer sur une période automnale ;

  • des espèces non concurrentielles du colza ;

  • des espèces gélives pendant l’hiver (ou précoces pour atteindre des stades sensibles aux gelées, tels que la floraison) ou à défaut des espèces à cycle court pour disparaître par sénescence naturelle pendant l’hiver ;

  • des espèces à système racinaire complémentaire de celui du colza.

Les premières expérimentations de criblage menées par le Cetiom et l’Inra de 2010 à 2012 (Casdar Redusol, Casdar Picoblé, Projet Ecophyto Phyto-sol) ont permis de retenir des espèces telles que la lentille, la vesce pourpre, la vesce commune, la féverole, la gesse, le fenugrec et le trèfle d’Alexandrie. Ces travaux se poursuivent en collaboration avec les principaux semenciers pour élargir la gamme des espèces potentielles, et pour sélectionner au sein des espèces retenues des profils variétaux spécifiques à cette conduite culturale : variétés plus précoces, variétés plus sensibles au gel ou variétés avec des PMG (poids de mille graines) plus faibles pour faciliter l’implantation.

Les services rendus par le fait d’associer un couvert de légumineuses au colza d’hiver peuvent être évalués, dans un premier temps, par des critères de concurrence ou de synergie entre le colza et son couvert vis-à-vis des ressources, au travers de la biomasse du colza et de sa teneur en azote. Les résultats de travaux du Cetiom, des chambres d’agriculture et de l’Inra menés de 2009 à 2014 (au moins 20 sites sur 7 régions) montrent que les couverts précédemment cités — implantés seuls ou en combinaison, sur la ligne, en interligne ou en plein — ne sont pas ou peu concurrentiels du colza à l’automne, à l’exception du pois. Vis-à-vis de l’azote, on observe, en tendance, des concentrations en azote plus élevées dans les colzas associés en entrée d’hiver. Les processus expliquant ces résultats (rhizodéposition, exploration racinaire améliorée, structure du sol améliorée…) doivent encore être élucidés, mais on sait d’ores et déjà que, comme pour toutes plantes associées, un des facteurs clés en jeu est la meilleure complémentarité de l’exploitation des ressources du sol (chapitre 2). Dans le cas du colza associé à une féverole, il a été montré en serre que la masse racinaire du colza est de 21 % plus importante qu’en culture pure (et la biomasse foliaire de 30 %). L’étude visuelle des racines en rhizotron a montré que les deux partenaires n’exploitent pas les mêmes horizons, car les racines secondaires du colza explorent le sol plus en profondeur que les racines de la féverole, laissant une compétition moins forte pour l’azote dès les stades précoces, ce qui se renforce avec la mise en place de la fixation symbiotique (Fustec, 2013).

D’autre part, les quantités d’azote contenu dans les parties aériennes des légumineuses testées varient le plus souvent entre 2 et 70 kg N/ha selon les années (moyenne de 15 sites, figure 3.23), avec une valeur moyenne établie autour de 28 kg N/ha (Cadoux et al., 2014). Cette variabilité du contenu en azote s’explique notamment par des conditions climatiques très contrastées et par la diversité des espèces légumineuses testées. Au printemps, au pic d’absorption d’azote (stade G4), les colzas associés ont bénéficié d’un surplus d’azote moyen, par rapport au colza seul, estimé entre 10 et 15 kg N/ha. Là encore, les mécanismes en jeu restent à identifier car cet effet peut provenir d’une minéralisation des résidus (aériens mais aussi souterrains) de couvert associé et/ou d’une amélioration de l’enracinement du colza. L’association du colza avec des légumineuses à l’automne permet, en moyenne, d’atteindre le même rendement qu’un colza seul (la moyenne de + 1,1 q/ha sur les 20 sites n’est pas significative), avec une réduction de doses d’azote de 30, voire 60 kg N/ha dans certaines situations. Par comparaison, la moyenne des écarts de rendements est en revanche de 8,3 q/ha dans le cas des colzas associés à des non-légumineuses. Par ailleurs, soulignons que sur des colzas non fertilisés (production biologique ou expérimentation), le gain est en moyenne de 10 q/ha avec une forte variabilité, voire plus fort si l’hiver est plus rigoureux et si le printemps qui suit est favorable (Valantin-Morison et al., 2014).

Figure 3.23. Matière sèche (MS) et quantité d’azote (QN) des couverts associés au colza d’hiver, mesurées à l’entrée hiver dans 15 sites coordonnés par le Cetiom de 2011 à 2014. Source : Cadoux et al., 2014.

Les services rendus par ces légumineuses ont montré des résultats intéressants vis-à-vis de certains insectes. Sur les 6 essais conduits pendant 3 ans dans le Berry, les couverts associés ont permis une réduction significative des dégâts de charançon du bourgeon terminal (Ceutorhynchus picitarsis) (Cadoux et al., 2014). L’effet des couverts associés semble principalement lié au supplément de biomasse qu’ils permettent d’obtenir, si le colza a levé suffisamment tôt pour avoir atteint une croissance active durant la phase de risque (entre le 15 octobre et le 5 novembre). En effet, une biomasse totale (colza + couvert associé) d’au moins 1,5 kg/m² permet de réduire nettement les dégâts de charançon, ce niveau de biomasse étant plus facile à atteindre avec des colzas associés. L’effet des couverts associés a également été mis en évidence sur la réduction du nombre de larves d’altises dans les colzas. Que ce soit pour le charançon ou l’altise, ce sont les couverts à base de féverole qui ont montré les meilleures efficacités. Les hypothèses explicatives font appel à un effet direct de perturbation des insectes par les couverts associés (dilution ou barrière du colza, perturbation visuelle ou olfactive, etc.). Ces pistes sont très intéressantes face aux problèmes d’efficacité des insecticides actuels sur colza.

Concernant la gestion des adventices, les couverts associés permettent de réduire significativement leur taux de couverture en entrée d’hiver (Landé et Sauzet, 2013 ; Landé et al., 2013 ; Cadoux et al., 2014 ; Valantin-Morison et al., 2014). Comme pour les insectes, cet effet est lié à la biomasse totale colza + couvert associé, particulièrement à partir d’une biomasse de 1,5 kg/m². Ce fonctionnement permet de réduire les applications d’herbicides dans les situations peu problématiques en termes d’adventices. Dans les autres situations, et notamment quand il y a un risque de levées importantes et précoces d’adventices (géranium par exemple), la technique est à proscrire ou à combiner avec des leviers efficaces pour réduire les levées (semis direct).

L’association à l’automne de légumineuses gélives à un colza d’hiver s’annonce comme une conduite alternative prometteuse pour conduire un colza avec moins d’intrants de synthèse en assurant au moins le même rendement. À l’heure actuelle, sont proposés un abattement forfaitaire de 30 kg N/ha pour la fertilisation du colza associé, quelles que soient l’espèce associée et la biomasse entrée hiver, et une réduction et/ou un fractionnement des applications herbicides (en privilégiant des applications post-levée plus sélectives) pour ne pas pénaliser les couverts associés et bénéficier pleinement de leurs services. Par ailleurs, ces associations pourraient permettre d’enrichir la rotation avec des légumineuses dans les contextes où ces espèces ne sont pas assez compétitives avec les cultures de rente et pourraient à terme diversifier la microflore des sols et donc leur fonctionnement.

Autres associations de plantes de service et légumineuses relais

De même que les associations colza-légumineuses en couvert, des associations blé-légumineuses en couvert ont également été testées. Le principe de l’association est similaire : semis simultané, développement du couvert et de la culture de rente à l’automne, destruction de la légumineuse par le gel pendant l’hiver, laissant la culture de rente finir seule son cycle cultural. Le développement de la légumineuse à l’automne permet une accumulation d’azote issu de la fixation symbiotique (jusqu’à 80 kg/ha selon les conditions pédoclimatiques), en partie restituée au blé grâce à la minéralisation printanière de ce couvert. La compétition entre les deux espèces est très variable selon les pratiques (choix d’espèce de légumineuse notamment) et les conditions pédoclimatiques. Les résultats de 14 essais (2008-2010) ont montré que les effets de l’association variaient beaucoup en fonction des conditions d’installation de l’association (Cohan et al., 2012). Ainsi, il n’a pas été rare d’observer une forte compétition du blé sur la légumineuse, qui n’a conduit à aucun effet bénéfique sur les performances du blé. Inversement, la légumineuse a, dans certaines situations, été très compétitive (parfois en lien avec une destruction trop tardive ou partielle), conduisant à une perte de rendement du blé. Enfin, dans les situations où la légumineuse a pu se développer jusqu’au stade 1-2 nœuds du blé, on a généralement observé une augmentation de la teneur en protéines, sans perte de rendement. Les résultats dépendent donc avant tout du niveau de compétition entre les deux espèces, qu’il est difficile de gérer via les pratiques actuellement les plus pratiquées sur le blé conventionnel.

L’introduction de légumineuses fourragères, notamment en plantes de service relais, est une technique qui tend à se développer, en particulier en AB (Amossé et al., 2013a). Semées pendant le cycle de la culture de rente précédente (par exemple en mars pendant le cycle du blé), les cultures relais se développent pendant la fin du cycle de cette culture sans engendrer de compétition pouvant pénaliser ses performances. Suffisamment développée au moment de la récolte de la culture de rente, la culture de légumineuses prend aussitôt le relais, avec une couverture du sol suffisamment importante pour rapidement contribuer efficacement au contrôle des adventices (Amossé et al., 2013b) et à l’amélioration du bilan d’azote, profitable pour la culture suivante (Amossé et al., 2014). Le choix de l’espèce la mieux adaptée pose encore question : elle doit être capable de se développer sous le blé en croissance (et donc ne pas être trop sensible à un faible rayonnement), être capable de couvrir le sol rapidement et de croître même dans des conditions contraignantes (fortes températures, conditions hydriques limitantes), et pouvoir être détruite facilement. En région Rhône-Alpes, le trèfle blanc semble répondre à ces exigences. La présence des couverts a permis de diminuer significativement la densité des adventices, notamment des espèces printanières au moment de la récolte du blé, alors que le couvert n’a eu aucun effet pendant le cycle du blé. Cette diminution a été observée pour les quatre espèces de légumineuses, réduisant en moyenne de 52 % la densité d’adventices observée sur le traitement témoin en blé pur.

Les associations en relais se développent aussi dans le secteur de la production de semences (Deneufbourg, 2010). Semer par exemple du trèfle porte-graines (espèce pluriannuelle) dans une culture de céréale ou de maïs permet de favoriser l’implantation de ces légumineuses à petites graines en conditions plus favorables que si elles étaient semées plus tardivement et d’améliorer et stabiliser le démarrage de leur croissance. Des bénéfices sont aussi observés concernant la gestion d’adventices : après la récolte de la non-légumineuse, des densités moindres d’adventices pour le trèfle issu d’une implantation sous couvert de céréale ou maïs par rapport à une implantation en sol nu sont observées, permettant des réductions du nombre de désherbages. Des impacts positifs sur le temps de travail et sur la marge sont aussi observés en lien avec l’implantation de deux cultures en même temps et l’ajout du revenu associé à la culture de couvert. Des associations sont envisagées aussi en production de semences potagères dans lesquelles cette fois c’est la légumineuse qui joue le rôle de couvert.

À retenir. Les effets agronomiques de l’insertion des légumineuses non récoltées.

Les couverts intermédiaires ont un impact sur les flux d’eau et d’azote pendant leur temps de présence en interculture et en conséquence possiblement sur la culture suivante après leur destruction. Ils permettent de couvrir le sol durant leur présence et de réduire la lixiviation en période de drainage (effet « piège à nitrate »), élément favorable pour préserver la qualité de l’eau. Malgré la moindre efficacité des légumineuses en pièges à nitrate en interculture, les couverts intermédiaires avec légumineuses peuvent être utiles pour réduire les pertes de nitrate, soit en privilégiant l’implantation de légumineuses pures dans des situations à risque de transfert faible à moyen, soit en ayant recours à des mélanges légumineuses–non-légumineuses complémentaires. Ceci permet de valoriser leur effet bénéfique sur les cultures suivantes : les couverts intermédiaires à base de légumineuses apportent également un surplus d’azote pour les cultures suivantes (effet « engrais vert »), induisent une augmentation possible de rendement et contribuent à des systèmes de culture plus autonomes vis-à-vis des engrais azotés.

L’implantation de légumineuses comme couvert associé dans une culture de colza apparaît comme une solution intéressante pour réduire l’utilisation d’intrants dans le colza et le système de culture. Le principe est de valoriser les services rendus par ces plantes grâce à leur fixation d’azote ou leur rôle de régulation des bioagresseurs (contrôle des adventices ou perturbation des comportements de certaines populations d’insectes d’automne du colza), afin de réduire les besoins du colza vis-à-vis des engrais azotés de synthèse, voire des produits phytosanitaires. La pratique d’un couvert relais en légumineuse semé dans le blé se révèle intéressante en agriculture biologique. La diversité des pratiques des couverts, plus ou moins pérennes, est de plus en plus explorée, avec par exemple la culture de céréales sous couvert permanent de légumineuses.

Légumineuses fourragères dans les prairies

Les systèmes fourragers peuvent être basés sur trois types de prairies (chapitre 1). Les prairies permanentes occupent la grande majorité des surfaces françaises en prairies, en général sur des sols non ou difficilement cultivables. La contribution des légumineuses y est variable, rarement très élevée et peu « pilotée ». Elles présentent une large gamme de productivité, faible (3-5 t MS/ha/an) dans les milieux contraints (par exemple climats montagnards ou très séchants, sols peu profonds, sols très acides) à élevée en contexte océanique favorable (jusqu’à 14-16 t MS/ha/an dans les situations les plus favorables).

Les prairies temporaires avec légumineuses sont plus fréquentes dans les plaines cultivables et sont souvent intégrées dans des successions prairies-cultures (leyfarming chez les Anglo-Saxons), à la base des systèmes fourragers des élevages laitiers plus ou moins intensifs d’Europe du Nord-Ouest. Leurs atouts sont :

Les prairies artificielles sont constituées essentiellement par la culture de luzerne pure (rarement du trèfle violet). C’est en particulier le cas en Champagne-Ardenne, région qui n’est plus aujourd’hui une région d’élevage, mais où la luzerne est valorisée par la filière de déshydratation. La luzerne s’insère dans l’assolement comme tête de rotation, du fait de son système racinaire pivotant qui améliore la structure du sol, et de son fort potentiel de fixation symbiotique de l’azote et de restitution aux cultures suivantes (Thiébeau et al., 2003, 2004).

Cette partie présente les diverses combinaisons d’espèces semées en fonction de la diversité des situations (pédoclimat, stratégie générale de conduite alimentaire des troupeaux, pâture et stocks) et les tactiques de gestion intra et interannuelle pour valoriser ces couverts et en assurer la pérennité. Leurs effets sur les flux d’azote (et de carbone) pendant et après destruction de ces prairies seront détaillés.

Une diversité d’espèces pour répondre à des usages agronomiques variés

Les légumineuses fourragères et prairiales recouvrent une gamme diversifiée d’espèces. Cette diversité permet d’adapter le choix des espèces aux objectifs agronomiques attendus des systèmes dans lesquels elles sont insérées, notamment vis-à-vis de leur potentiel de rendement selon le contexte pédoclimatique, de leur valeur alimentaire, de leur longévité, de leur efficacité à acquérir l’azote et à le mettre à disposition pour les cultures suivantes (tableau 3.3[40]).

Les espèces dont l’installation est la plus rapide sont en général relativement peu pérennes (trèfle violet, sainfoin, trèfle incarnat) et conviennent pour des rotations courtes (de 2 à 3 ans). Inversement, les espèces à installation plus lente sont généralement plus pérennes (trèfle blanc, luzerne, lotier) et sont recommandées pour des prairies de plus longue durée. Toutefois, cette distinction n’est pas totalement figée et dépend beaucoup de la période de semis.

Les exigences pédoclimatiques des espèces sont également à prendre en compte pour assurer une bonne efficacité de fixation de l’azote et de croissance : tolérance à l’acidité des sols (faible pour sainfoin, luzerne, minette), tolérance à l’hydromorphie (faible pour luzerne, lotier corniculé, lotier des marais), sensibilité à la sécheresse de certaines espèces (par exemple le trèfle blanc).

Les différentes espèces montrent également une diversité de capacité d’adaptation au mode d’exploitation. Les légumineuses à stratégie de colonisation de l’espace plutôt verticale (luzerne, trèfle violet, sainfoin, lotier) sont des espèces plutôt adaptées à la fauche, tandis que les légumineuses à stratégie de colonisation plutôt horizontale (trèfle blanc, espèce à stolons rampants) sont plus tolérantes au pâturage. Les caractéristiques de composition chimique des organes récoltables peuvent également orienter le choix d’espèces selon les attendus en valeur alimentaire : teneur en protéine élevée (trèfle blanc, trèfle violet, luzerne si elle est récoltée précocement), faible potentiel de météorisation[41] (sainfoin, lotier), et selon les attendus vis-à-vis de la culture suivante : minéralisation plus rapide pour des espèces riches en composés solubles (trèfles), ou plus durable chez les légumineuses plus riches en fibres et accumulant une quantité de matière souterraine importante (luzerne).

Les associations d’espèces permettent aussi d’assurer les stocks de fourrages grâce à leur potentiel de production élevé en fin de printemps/début été et automne[42]. Les intercultures de 4 à 8 mois pourront être valorisées par l’utilisation de cultures dérobées. Par exemple, les associations ray-grass d’Italie + trèfles sont très efficaces pour reconstituer les stocks en quantité (1 à 3 exploitations) et en qualité (UF et PDI), tout en faisant des économies d’azote pour la culture suivante.

Tableau 3.3. Principales caractéristiques agronomiques des légumineuses fourragères les plus communes. Source : Les légumineuses, comment ça marche ?, Arvalis.

Intérêts et pilotage des associations graminées-légumineuses

Les associations graminées-légumineuses représentent environ 70 % des prairies temporaires semées en France, soit près de 2 millions d’ha (Silhol et Debrabant, 2005). Les associations à base de petites légumineuses (trèfle blanc) sont majoritaires dans les zones tempérées humides (approximativement 1,16 Mha en 2006), suppléées dans les régions plus sèches par des associations à base de grandes légumineuses (luzerne, trèfle violet ; environ 0,2 Mha) et des mélanges complexes impliquant plusieurs espèces de légumineuses (environ 0,5 Mha). Dans les systèmes laitiers, les prairies pâturées d’association sont gérées par les éleveurs en vue de fournir une diversité de services écosystémiques (figure 3.24).

Figure 3.24. Vision intégrée des éleveurs sur la place et les rôles des prairies d’association pâturées. Source : Pourquoi-comment développer le pâturage de prairies pérennes basées sur des associations graminées-légumineuse(s). Réseau d'agriculture durable, Civam, décembre 2010.

Les associations peuvent présenter certains avantages par rapport aux prairies monospécifiques, et permettent d’envisager une amélioration de la stabilité des rendements en quantité et qualité, une réduction des coûts de production des fourrages (réductions d’intrants) et une meilleure préservation de l’environnement (Louarn et al., 2010 ; Vertès et al., 2010 ; Thiébeau et al., 2010a, 2010b). À l’échelle européenne (31 sites répartis dans l’UE, 11 associations testées), il a ainsi été démontré que les associations produisaient systématiquement plus que la moyenne des cultures pures en situation bas intrants (> 97 % des cas), et même autant, voire plus, que la meilleure des cultures pures dans 60 % des cas (Finn et al., 2013). Outre les effets sur le rendement, des avantages sur le contrôle des adventices (valeur médiane de la part d’adventices dans le rendement réduite de 32 % à moins de 4 % après 3 ans de culture) et sur l’équilibre de la ration (meilleur rapport entre valeur énergétique et teneur en protéines, meilleure ingestibilité) sont avérés. Enfin, la fixation symbiotique d’azote des légumineuses permet de diminuer les besoins en fertilisants azotés, et donc de réduire un poste à la fois coûteux et polluant pour la production de fourrages. Le pouvoir compétitif des légumineuses associées aux graminées permet de limiter le développement des adventices grâce à un recouvrement important du sol, et varie fortement entre espèces (figure 3.25).

Figure 3.25. Pouvoir compétitif de différentes légumineuses associées aux graminées pour limiter le développement d’adventices (espèces non semées). D’après Les légumineuses comment ça marche ?, Arvalis 2010 (source : Lüscher et al., 2008).

L’atteinte de ces bénéfices est toutefois étroitement liée à la proportion qu’occupent les légumineuses dans les prairies d’associations. En effet, gain de productivité et stabilité dépendent directement de la possibilité pour les partenaires graminée et légumineuse d’être complémentaires dans leur exploitation du milieu (dans le temps et/ou l’espace) et d’assurer une contribution significative au rendement. En outre, les économies d’azote escomptées dépendent de la quantité d’azote fixée par les légumineuses. Or, celle-ci répond en premier lieu aux besoins des légumineuses pour leur propre croissance et est donc directement contrainte par la part qu’occupent les légumineuses dans l’association et la répartition des ressources entre les deux partenaires (légumineuse et non-légumineuse) (voir chapitre 2). À ce jour, la maîtrise de cet équilibre dans différentes conditions d’environnement et de conduite représente toujours une difficulté. La part de légumineuses en associations n’est pas stable dans le temps et fluctue au sein d’une repousse, entre repousses au cours d’une année (effets saisonniers liés à la température et au stress hydrique), et entre années (effets à moyen terme sur la fertilité N des sols). Des leviers existent cependant pour influencer, à la hausse ou à la baisse, la proportion de légumineuses. Ils s’appuient sur la modulation du partage des ressources (lumière, eau, minéraux) en faveur de l’une ou l’autre des composantes de l’association afin de limiter les fronts de compétition et de favoriser les opportunités de complémentarité. Des décisions stratégiques à l’implantation (choix spécifique et variétal, période d’implantation…), puis des décisions tactiques en cours de culture (fréquence et intensité de défoliation, fertilisation…) peuvent être mobilisées comme leviers sur la part de légumineuses dans les associations.

Décisions stratégiques : compatibilités et règles d’assemblage, principes régissant l’équilibre entre espèces

Les décisions stratégiques déterminent pour une grande part la performance future des associations, les caractéristiques propres de chacune des composantes du mélange et leur compatibilité étant fixées pour la durée de la culture. Les choix d’espèces et de variétés doivent tenir compte à la fois des espèces partenaires envisagées, du pédoclimat de la parcelle et des modes d’utilisation souhaités.

La compétition pour la lumière, qui dépend en premier lieu de la surface foliaire et de la hauteur relative des espèces (caractères eux-mêmes fortement liés à la productivité), doit être limitée en choisissant des composantes de stature et vitesse de croissance comparables, ou en présentant des cycles nettement décalés sous peine de disparition des espèces dominées. Dans les associations ray-grass anglais avec trèfle blanc par exemple, la longueur maximale du pétiole et la taille des folioles du trèfle permettent de différencier les variétés adaptées à des graminées de stature importante (type géant ou Ladino, à associer avec des ray-grass tardifs diploïdes) des variétés de trèfle adaptées à des graminées de faible hauteur (type Hollandicum, voire nain, à associer avec des variétés très tardives tétraploïdes).

La compétition pour l’eau et les minéraux du sol dépend principalement de la densité racinaire et de la profondeur d’enracinement des espèces. Les graminées présentent généralement des densités racinaires plus fortes que les légumineuses et ont donc un avantage pour l’acquisition de ces ressources à même profondeur d’enracinement (Haynes, 1980). Certaines légumineuses ont toutefois un système racinaire pivotant puissant (grandes légumineuses telles que luzerne, sainfoin et dans une moindre mesure trèfle violet) qui peut dépasser la profondeur d’enracinement des graminées et offrir des possibilités de complémentarité. C’est le cas par exemple des associations luzerne-dactyle en sol profond (Chamblee et Collins, 1988). De tels choix ne peuvent cependant être pleinement valorisés dans toutes les conditions pédoclimatiques. Les sols superficiels notamment, en limitant le volume de sol prospecté, ne permettent pas à ces complémentarités racinaires de s’établir. Au contraire, ils placent les légumineuses en situation de compétition frontale avec les graminées, limitant particulièrement les possibilités de fixation d’azote et de production de biomasse dès que la disponibilité en eau du sol diminue.

Décisions tactiques : leviers et conséquences pour la gestion et le cycle des nutriments

Après l’installation du couvert, des leviers tactiques permettent d’ajuster l’équilibre entre les constituants de l’association. Le mode d’exploitation des prairies d’associations consiste en une succession de cycles défoliation-repousse visant à récolter et valoriser la biomasse aérienne. La fréquence (intervalle de temps entre deux défoliations successives), l’intensité (pourcentage de prélèvement de la surface foliaire et des points de croissance ; uniformité dans le prélèvement) et l’occurrence de la défoliation vis-à-vis du stade de développement des espèces (concordance avec des stades critiques ; état des réserves azotées et carbonées) peuvent être ajustées pour favoriser l’un ou l’autre des constituants. De manière générale :

  • les intensités fortes de défoliation bénéficient aux graminées et aux légumineuses rampantes (trèfle blanc), au détriment des grandes légumineuses ;

  • les grandes légumineuses érigées (luzerne, trèfle violet…) sont plus exigeantes dans le délai de remise en place de leur potentiel de croissance végétatif après défoliation et requièrent des fréquences plus faibles de récolte (par exemple, un intervalle minimal de 40 jours entre défoliations est recommandé pour la luzerne) ;

  • en système pâturé, outre l’aspect mécanique du prélèvement, il faut également gérer le piétinement (auquel les grandes légumineuses sont très sensibles) et la sélectivité de l’animal en faveur des légumineuses qui tendent à désavantager cette composante de l’association (Haynes, 1980 ; Davies, 2001).

La gestion de la défoliation peut être un moyen de moduler la compétition pour la lumière et d’éviter qu’un constituant reste complètement ombré et improductif pendant une période trop longue. Elle ne constitue cependant pas une remise à l’état initial de la culture. Avice (1996) montre par exemple sur luzerne que la constitution de réserves est reliée à l’accès à la lumière et que les vitesses de redémarrage des plantes dominées (et leur compétitivité pour le cycle suivant) sont réduites lorsque les réserves sont faibles.

La fertilisation est un second levier tactique qui permet de moduler la compétition pour les minéraux du sol (N, P et K) lorsque la disponibilité de l’un ou plusieurs d’entre eux est limitante pour la croissance. Comme évoqué précédemment, la plus forte densité racinaire des graminées leur procure un avantage pour l’acquisition de ces ressources du sol. Toutefois, comme les légumineuses sont fixatrices d’azote atmosphérique et capables d’être autosuffisantes en azote dans les situations favorables à la fixation (présence de rhizobia appropriées, stress hydrique limité, etc. ; chapitre 2), les conséquences de fertilisations N et PK sont très différentes sur l’équilibre de l’association :

  • la fertilisation N favorise les graminées et tend à augmenter leur proportion dans la production. Un faible apport en début de printemps peut améliorer la production printanière de graminées avec des conséquences limitées sur la production de la légumineuse si celle-ci est bien implantée en sortie d’hiver (Frame, 2001 ; Naudin et al., 2010). Il est à noter que l’optimum de rendement azoté et de fixation dépend du type de sol, mais se trouve généralement à des niveaux de fertilisation faibles (50 kg N/ha/an environ) et non en absence totale de fertilisation N (Nyfeler et al., 2011). Une telle fertilisation tend cependant à amoindrir la performance environnementale de la culture associée en raison des coûts énergétiques associés des fertilisants N de synthèse ;

  • la fertilisation PK tend au contraire à favoriser la croissance des légumineuses, moins bonnes compétitrices et donc plus sensibles en situations limitantes (MacLeod, 1965). Des inversions de dominance sont ainsi reportées entre légumineuses et graminées lorsque K est limitant (graminée dominante) ou lorsqu’il ne l’est plus grâce à une fertilisation (légumineuse dominante ; Hunt et Wagner, 1963) ;

  • les fertilisants organiques apportent à la fois NPK. Dans ces conditions, l’effet de la fertilisation N est généralement prépondérant sur les autres éléments et favorise davantage la croissance des graminées (Chamblee et Collins, 1988). Ce point souligne l’importance de gérer le rapport P/N pour pouvoir favoriser la fixation symbiotique en l’augmentant ; certaines pistes seraient à creuser sur des traitements des matières fertilisantes d’origine résiduaire pour augmenter le rapport P/N en vue d’une fertilisation organique favorable à la fixation symbiotique ainsi qu’à la réduction des risques environnementaux liés au lessivage azoté du sol ou à l’émission du CO2 du sol.

Équilibre variable selon les espèces et les systèmes d’exploitation

Au total, l’impact des prairies d’associations sur le cycle de l’azote dépend des capacités de croissance et du rendement des légumineuses implantées, de la proportion d’azote fixée (Ndfa, chapitre 2) et de la quantité et de la qualité des litières et rhizodépôts générés (C/N, teneur en composés solubles, lignine…). La dynamique de l’azote est ainsi très différente entre des associations à base de trèfle blanc et de luzerne par exemple (Louarn et al., 2015). Bien que fixant davantage d’azote atmosphérique, les associations à base de luzerne ont des transferts moins rapides et plus faibles (figure 3.26). Ceci s’explique en partie par des stratégies de survie et d’enracinement différentes (développement d’un pivot à durée de vie longue chez la luzerne/ racines nodales fines chez le trèfle) et par des qualités des matières organiques plus favorables à une minéralisation rapide chez le trèfle.

Figure 3.26. Comparaison des dynamiques de transfert net d’azote à la graminée (A) et de l’efficacité du transfert d’azote (B) entre une association graminée-légumineuse à base de trèfle ou de luzerne. Les récoltes 1 à 3, 4 à 7 et 8 à 11 ont respectivement lieu en année 1, 2 et 3 d’exploitation (Louarn et al., 2015).

Les objectifs de proportion à maintenir entre légumineuses et non-légumineuses dépendent du mode d’exploitation : des optima de fonctionnement à 30-40 % de légumineuses pour les associations pâturées (Thomas, 1992) et de 50 à 70 % pour les associations destinées à la fauche (Nyfeler et al., 2011) sont reportés. La proportion plus élevée en fauche est nécessaire pour compenser le moindre recyclage de l’azote. Exprimées par unité de masse de légumineuse récoltée (pour s’affranchir de l’effet de la proportion de légumineuses), des gammes de fixation d’azote atmosphérique de 24-36 kg N/t/an pour le trèfle violet ou de 30-46 kg N/t/an pour le trèfle blanc sont reportées dans la littérature. Seule une partie de cet azote (racines et résidus aériens à la dernière récolte) participe aux arrière-effets sur les cultures suivantes.

L’encadré 3.2 illustre l’exemple d’un système de polyculture-élevage laitier en agriculture biologique et souligne la nécessité d’une analyse systémique sur plusieurs années pour juger de la productivité des prairies.

Encadré 3.2. Pilotage des prairies dans le cas d’un système biologique en polyculture-élevage laitier.

Dans le système de polyculture-élevage laitier conduit en AB depuis 2004 à Mirecourt, 21 parcelles culturales d’associations luzerne-dactyle ont été semées et valorisées durant 3 ans au sein de successions culturales de 8 ans visant à produire également du blé panifiable (vendu), des céréales fourragères destinées à l’alimentation du troupeau laitier sans omettre la paille de litière. Ces successions ont été conduites sur les sols les plus favorables à la luzerne, de type argilo-limoneux relativement profonds (les moins hydromorphes et asphyxiants du parcellaire cultivé local). La moitié des semis de luzerne était réalisée sous couvert d’une céréale (triticale de printemps ou orge d’hiver), à la volée lors d’un passage de herse étrille en avril, l’autre moitié étant réalisée sur sol nu en août. Seule graminée associée au départ (2004 à 2009) à la luzerne (variété Cannelle), le dactyle (variété Ludovic) a été complété à partir de 2010 par du ray-grass hybride (RGH, variété Bahial) et de la fétuque élevée variété Dulcia afin de rendre la prairie plus réactive à la variabilité intraparcellaire des sols et plus tolérante à un pâturage éventuel. Les doses de semis ont été sensiblement ajustées à partir de 2010 avec 20 kg/ha de luzerne (vs 14-17 auparavant), 4 kg/ha de dactyle (vs 8 avant 2010) et de fétuque, et 7 kg/ha de RGH.

Le mode d’exploitation a varié selon les conditions du semis (printemps vs été), l’accessibilité des parcelles pour les vaches laitières et les circonstances climatiques. Pour 70 % des surfaces, l’exploitation a duré 3 ans (destruction en été la dernière année pour préparer l’installation du blé d’hiver), tandis que 15 % étaient maintenues 2 ans et 15 % 4 ans.

La figure 3.27 rassemble les données de biomasse valorisée à l’échelle parcellaire (récolte et pâturage) pour les différentes années d’exploitation (y compris l’année d’installation s’il y a lieu) et les différentes coupes, le pâturage étant mentionné séparément, pour les seules surfaces qui sont concernées.

Figure 3.27. Distribution de la production du fourrage selon l’année d’exploitation et le numéro de coupe sur les prairies à base de luzerne du système de polyculture-élevage en AB de Mirecourt (2005-2012).

A0 : 29 ha ; A1 et A2 : 51 ha ; A3 : 40 ha.

À l’échelle des 4 campagnes A0-A3 (et sans tenir compte des parcelles conservées seulement 2 années), la biomasse valorisée cumulée a été en moyenne de 22,7 (±5,4) t MS/ha (sachant qu’une parcelle a présenté une biomasse record à 38 t MS/ha). La part de la fauche diminue avec le temps : passant de 3 coupes en années 1 et 2 à 2,4 en année 3, tandis que le pâturage concerne 30 % des surfaces en année 1 puis 60 % en années 2 et 3. La production annuelle moyenne est maximale en année 1 avec 8,6 t MS/ha, puis fléchit sensiblement en année 2 (7,7 t MS/ha) et 3 (4,6 t MS/ha), avec une première coupe plus productive quelle que soit l’année d’exploitation, la seconde restant relativement bonne en année 1 mais décrochant les années suivantes (1,5 t MS/ha), le pâturage permettant de valoriser environ 1 t MS/ha/an. L’implantation sous couvert au printemps permet de gagner 1,6 t MS/ha en moyenne l’année du semis comparé au semis d’été sans récolte possible. Ces données intègrent la campagne 2012 qui a été marquée par un gel intense durant les 15 premiers jours de février qui s’est traduit par une chute de production de 50 % des prairies à base de luzerne et la quasi-disparition de la légumineuse.

Les prairies à base de luzerne ont donc présenté une productivité très intéressante pour le système fourrager, avec 5,6 t MS valorisée en fauche /ha/an sur l’ensemble des parcelles entre 2005 et 2013, à 85 % en foin — 4,7 (3 à 10) jours en moyenne, avec 1,6 (0 à 4) fanages et 0,9 (0 à 4) retournements d’andains (Dion) — et 15 % en enrubannage (le plus souvent en septembre). Cette productivité est assortie d’une certaine variabilité, liée aux conditions climatiques et à la pérennité de la légumineuse dans les associations, qui peut questionner le choix variétal.

Compte tenu des teneurs en azote mesurées, ces prairies ont exporté en moyenne 224 (± 117) kg N/ha et par an, avec 100 (± 20) kg supplémentaires lorsque l’implantation sous couvert permettait une récolte dès l’année du semis. De même, l’exportation moyenne en phosphore s’est élevée à 31 (± 15) kg P/ha/an (+ 12 kg lorsque advient une récolte dès l’année du semis). La forte variabilité est induite essentiellement par le gel intense en 2012.

Performances des prairies pâturées avec légumineuses

De nombreux ouvrages techniques précisant les modalités d’utilisation des associations pâturées sont disponibles, qui insistent sur le respect du rôle moteur de la légumineuse, en général le trèfle blanc : favoriser son accès à la lumière en pratiquant un nettoyage ras au moins en automne (ou en début de printemps), favoriser la reconstitution de ses ressources entre deux exploitations en laissant repousser un peu plus longtemps que pour les graminées pures fertilisées (30 à 50 jours selon la saison, les conditions climatiques et les variétés choisies, au lieu de 18-25 jours), bien gérer le pâturage lors de la période de forte croissance en fermant le silo de maïs, etc.

Gestion des prairies d’association, production et pérennité

Des études menées dans l’ouest de la France dans les années 1980 (Vertès et al., 1989 ; Le Gall et al., 2005) ont permis de préciser les conditions plus ou moins favorables à la pérennité des prairies à base de trèfle blanc, pâturées ou mixtes (c’est-à-dire exploitées en fauche et pâture). La persistance du trèfle autour de 30-40 % de la biomasse prairiale s’avère difficile dans des conditions de sols superficiels séchants ou sur des sols souvent humides à hydromorphes. La probabilité de compaction de ces sols à une profondeur de 10-12 cm, induite par du pâturage en conditions peu portantes, est alors élevée. Au-delà de la destruction directe des plantes lors de piétinements intenses (Vertès et al., 1988), cet horizon compacté limite la profondeur d’enracinement, rendant le trèfle particulièrement vulnérable à la sécheresse. L’infiltration de l’eau est ralentie (Lamandé et al., 2003), et la vie biologique des sols fortement perturbée, comme l’ont montré Cluzeau et al. (1992) pour les vers de terre. Cet ensemble d’impacts du piétinement explique une large part des dégradations de prairies, en particulier lorsqu’ils adviennent en début de printemps, les plages de sol nu étant rapidement colonisées par des adventices annuelles ou pérennes de faible valeur fourragère.

La diminution de la production globale et la réduction des entrées d’azote accompagnant la régression des légumineuses incitent les éleveurs à refaire fréquemment leurs prairies, ce qui est à la fois peu économique, générateur de pertes d’azote et d’autres effets environnementaux (érosion, perturbation de la biodiversité, etc.). Des pratiques de pâturage mieux adaptées et/ou le choix de mélanges complexes plus résistants permettent d’améliorer l’ensemble des performances agronomiques et écologiques des associations pâturées.

Améliorer la pérennité des prairies pâturées ou mixtes reste, malgré quelques travaux de recherche et la mise en commun des connaissances de terrain, un objectif difficile à maîtriser. Il doit en effet s’appuyer sur des interactions complexes au sein de cet écosystème prairie, interactions mal connues entre les états physique et biologique du sol et des plantes, la dynamique de végétation et le rôle des flux d’azote. Selon Pochon (2013), la nutrition P et surtout K pourrait également jouer un rôle dans la pérennité du trèfle blanc. Le problème de la pérennité des prairies pluri-espèces présente un regain d’intérêt actuellement (RMT Prairies demain, projet PRAIPE). Les priorités sont de mieux choisir les combinaisons d’espèces et de variétés à l’implantation de ces prairies et d’améliorer leur gestion pour favoriser la durabilité de la prairie : respecter la reconstitution des réserves des plantes, mieux gérer les périodes difficiles (automne-printemps très pluvieux, été séchant, limiter la compaction du sol, favoriser l’égrenage…).

La place des légumineuses dans les prairies se raisonne non seulement à la parcelle mais surtout au choix du système de production . Pour la production laitière, deux pays ont choisi massivement la production de lait à faible coût (pas de concentrés pour les animaux) basée sur des systèmes herbagers. Comme le système irlandais, avec ou sans trèfle, le système laitier néo-zélandais repose sur le pâturage de prairies permanentes d’associations. Il est très performant en termes de coût de production du lait : basé sur une bonne cohérence entre types d’animaux (petit format, produisant du lait riche en protéines et matières grasses), avec une part du pâturage maximisée permettant de produire tout le lait annuel sans complémentation concentrée. Maximiser le lait produit à l’hectare est l’objectif principal tandis que le lait à l’animal compte peu, animaux et éleveurs s’adaptant sans arrêt à l’herbe et les filières laitières composant avec cette saisonnalité. La productivité herbagère atteint 11-13 t MS/ha dans de tels systèmes. Le contexte pédoclimatique irlandais plus frais étant moins favorable à la croissance du trèfle blanc, les prairies permanentes étaient très dominées par les graminées modérément fertilisées. La tendance actuelle à l’augmentation de la productivité dans les deux pays s’accompagne de l’augmentation de la fertilisation et de prairies de graminées ressemées plus souvent, atteignant des productivités de 14 à 16 t MS/ha (Doole, 2014) et 12 000 à 14 000 l lait/ha, avec l’emploi massif d’engrais azotés (250-350 kg/ha/an) sans légumineuses. Dans les deux cas, les performances environnementales diminuent, avec une augmentation des émissions d’azote (vers l’eau et l’air) et des impacts liés à l’emploi massif d’engrais chimiques.

À l’opposé, basés eux aussi sur l’utilisation intensive de légumineuses, les systèmes laitiers danois reposent sur des prairies temporaires de courte durée (3-4 ans) très productives, à base de ray-grass, trèfle blanc et trèfle violet pour la pâture et dactyle, fétuque, luzerne et trèfle violet pour la fauche. Ces prairies sont en rotation avec 2-3 années de cultures, céréales de printemps pour l’essentiel, avec une part croissante du maïs. Ces prairies très productives (atteignant 12-14 t, voire près de 17 t MS/ha en conditions irriguées ; Rasmussen et al., 2012) sont utilisées (un peu en pâture, beaucoup en fauche) pour des animaux à forte productivité individuelle (en forte complémentation). On se reportera à Pflimlin et Faverdin (2014) pour une description plus détaillée de la diversité des systèmes laitiers.

Les systèmes laitiers français des plaines (prairies temporaires ou permanentes) ayant choisi d’intégrer des légumineuses se situent entre ces extrêmes et se sont parfois inspirés de l’un ou l’autre (Alard et al., 2002). Le développement de l’agroécologie remet en avant les thématiques d’autonomie azotée, d’amélioration des recyclages internes, d’augmentation de l’efficience d’utilisation de l’azote et de réduction des fuites, toutes thématiques pour lesquelles le choix des prairies mixtes est pertinent. La prise en compte des facteurs économiques et sociaux progresse également, intégrée dès le début dans des programmes de recherche, afin de mieux comprendre les intérêts et l’aversion des éleveurs pour ces systèmes (Levain et al., 2014 ; programme Valherb, RMT Prairies demain).

Gestion des prairies d’association et lixiviation de nitrate

Pour des pratiques de fertilisation raisonnée, de très faibles pertes sont observées sous prairies fauchées d’association graminées-trèfle blanc grâce à l’aptitude du couvert permanent à prélever l’azote disponible dans le sol (jusqu’à plus de 400 kg N/ha/an en conditions climatiques favorables). En prairies pâturées, les concentrations locales d’azote minéral sous les pissats peuvent dépasser les capacités de prélèvement des plantes, et sont à l’origine des pertes (Decau et al., 2003 ; Leterme et al., 2003). Le chargement animal est un indicateur du niveau de lixiviation de nitrate sous prairies, avec ou sans légumineuses (Eriksen et al., 2010 ; Simon et al., 1997). À l’échelle de la parcelle et de l’année, une synthèse des données de plusieurs dispositifs expérimentaux européens, où était mesuré l’azote lixivié sous des prairies paturées, avec ou sans légumineuses, selon différentes modalités de conduite (fertilisation, chargement) (Eriksen et al., 2004 ; Ledgard et al., 2009 ; Vertès et al., 1997 ; de Vliegher et al., 2007 ; Wachendorf et al., 2004) a été réalisée. La relation entre quantités totales d’azote apportées au sol (incluant les restitutions au pâturage) et la lixiviation de nitrate ne fait pas apparaître d’effet significatif de la présence de légumineuses (figure 3.28A). La compilation de plusieurs essais européens (figure 3.28B) montre des pertes en nitrate légèrement inférieures sous associations graminées-trèfle, le nombre de jours de pâturage étant le principal facteur explicatif des pertes, avec 510 j/an en moyenne sur association contre 590 j/an en graminées pures fertilisées. Le pouvoir tampon des associations permet une petite réduction des pertes (de 5 à 10 %), expliquée par 3 mécanismes principaux de régulation :

  • deux à court terme, par la rapide diminution de la fixation (Vertès et al., 1995 ; Hutchings et al., 2007 ; Eriksen et al., 2004), et par la capacité de la graminée associée, dont l’indice de nutrition est généralement faible (Cruz et al., 2006 ; Loiseau et al., 2001a), à prélever l’azote des pissats (Vertès et al., 1997) ;

  • un à plus long terme, avec la diminution de la quantité de trèfle, moins compétitif pour l’accès à la lumière que la graminée en cas de niveau de fertilisation élevé. Schwinning et Parsons (1996) ont mis en évidence le rôle des interactions entre taux de trèfle et disponibilité en azote du sol pour expliquer et modéliser l’évolution cyclique du taux de trèfle souvent observée sur 3-4 ans dans les prairies d’association (Loiseau et al., 2001b).

Sous peuplement prairial très dominé par les légumineuses ou sous trèfle blanc, les pertes en nitrate peuvent être élevées. Des résultats issus de mesures en cases lysimétriques (Loiseau et al., 2001a) indiquent, pour des contextes à lame drainante élevée (plus de 400 mm), des pertes de 60 à 90 kg N/ha sous trèfle blanc pur en simulation de pâturage (apports de pissats). Lorsque le trèfle blanc en culture pure est fauché, les pertes sont plus ou moins régulées par la diminution de la fixation, relayée par l’assimilation d’azote minéral du sol (de façon analogue à la luzerne), qui permet à la plante d’immobiliser tout ou partie de l’azote minéral disponible.

Figure 3.28. Lixiviation de nitrate sous graminées pures et sous associations (graminées et trèfle blanc) pâturées.

A. Effet des apports totaux d’azote sur l’azote lixivié sous ray-grass pur fertilisé et sous associations ray-grass–trèfle blanc, fertilisées ou non. D’après Eriksen et al., 2010. B. Comparaison d’un ensemble d’essais européens (F, UK, NZ, DK) où chaque point représente la moyenne de plusieurs années de mesures expérimentales.

Effets N (et C) des prairies avec légumineuses sur les cultures suivantes

La minéralisation de flux importants d’azote lors des destructions de prairies et de légumineuses est connue depuis longtemps et largement utilisée dans les systèmes traditionnels (ley-arable farming anglais du xixe siècle) et dans les systèmes qui n’utilisent pas d’engrais de synthèse (AB). L’équivalent fertilisant en azote est défini empiriquement comme la quantité de fertilisant azoté nécessaire pour obtenir un rendement de la culture suivante identique au rendement observé suite à l’arrière-effet de la prairie. Les valeurs d’équivalent fertilisant azoté disponibles dans la littérature varient très largement suivant la nature des espèces composant la prairie retournée, suivant le mode de retournement adopté et les conditions climatiques des mois suivants. Ainsi les valeurs d’équivalent azote citées peuvent aller de 20-30 kg N/ha à plus de 100-150 kg N/ha (cas du maïs cultivé derrière une luzerne dans certains systèmes américains). De manière plus analytique, des études ont caractérisé et modélisé les cinétiques de minéralisation de l’azote et du carbone pour différents types de couverts, avec ou sans légumineuses, fertilisés ou non, pâturés ou fauchés (Laurent et al., 2004), et proposent des facteurs expliquant les niveaux de minéralisation observés. Ainsi, il est apparu de manière générale que l’effet « destruction de prairie » est majeur et domine largement l’effet de la nature, graminée ou légumineuse, des espèces qui composent la prairie retournée (Vertès et al., 2007b). La quantité et la qualité des résidus affectent néanmoins significativement la cinétique de minéralisation de N et C, et de pertes par lixiviation associées (ouest de la France).

Résidus de culture : caractérisation, dynamique de minéralisation
Composition des résidus de culture : luzerne et associations trèfle blanc-graminée

La quantité de biomasse détruite lors de la mise en culture d’une prairie d’association est généralement inférieure d’environ 20 % à celle d’une prairie de graminées pures (biomasse très élevée des collets, plateau de tallage et racines adventices de ces dernières comparées aux stolons et plus petites racines du trèfle), mais les quantités d’azote restituées au sol ne sont pas significativement différentes, du fait des teneurs en azote plus élevées (tableau 3.5a et b). Le rapport C/N des résidus de légumineuses est en général plus faible que celui des graminées, cette différence se réduisant pour des graminées très fertilisées dont les résidus seront plus dégradables que ceux de traitements peu azotés. La dégradabilité supérieure du trèfle est également pressentie avec les analyses Van Soest, montrant une part plus grande des composés solubles au détriment des composés hémicellulose, la cellulose et la lignine n’étant pas significativement différentes entre espèces (tableau 3.5c).

Tableau 3.5. Caractéristiques de résidus de légumineuses prairiales.

a. Pour la luzerne. D’après Justes et al., 2001b.

OrganesMatière sèche (t/ha)Teneur en C (% MS)Teneur en N (% MS)Ratio C/N
Racines (pivot + racines fines)4,91 + 1,6345,41,5529,3
Collets (partie aérienne < 6 cm de hauteur, non récoltée)3,1044,71,9722,7
Total 1 (luzerne enfouie sans repousse)9,6445,21,6826,9
Matière sèche aérienne (feuilles + tiges > 6 cm de hauteur)1,4945,64,5210,1
Total 2 (luzerne enfouie avec repousse)11,1345,32,0921,7

b. Pour des associations ray-grass–trèfle (Laurent et al., 2004 ; Vertès, non publié) correspondant à une végétation rase détruite en février (RGA, ray-grass anglais ; Ass., association RGA avec trèfle blanc). Les écarts-types des valeurs sont précisés après les moyennes.

Traitements antérieursMS aérienne
(t/ha)
MS racinaire
(t/ha)
% MSTeneur C (% MS)Teneur N (%MS)C/N
Ray-grass non fertilisé3,27,221,538,81,329,2
Ray-grass fertilisé 1,9 (0,6)8,8 (1,8)23,7 (2,5)39,2 (3,6)1,9 (0,3)20,5 (2,3)
Ass. RGA-trèfle blanc1,7 (0,8)5,0 (0,6)20,6 (1,6)37,4 (2,8)2,1 (0,3)18,0 (1,9)

c. Composition biochimique moyenne des résidus par espèce (analyses Van Soest) pour le ray-grass anglais pur ou associé et le trèfle associé. Le nombre de traitements (fertilisation ou site) est indiqué entre parenthèses.

Traitements antérieursLignineHémicelluloseCelluloseSoluble
Ray-grass (pur ou en ass.) (6)9,1 (1,4)32,1 (1,6)29,3 (4)29,5 (2,8)
Trèfle blanc (2)9,217,024,949,0
Cinétiques de minéralisation des résidus de luzerne et de prairies d’association à trèfle blanc

Les travaux réalisés sur la luzerne (Muller et al., 1993 ; Justes et al., 2001b) montrent que 60 % (soit 90 kg N/ha dans le contexte évoqué) de l’azote contenu dans les parties de la plante présentes au moment de la destruction (collets et pivots racinaires notamment) sont libérés progressivement au cours des 18 mois suivants. Par ailleurs, des travaux sur cases lysimétriques avec marquage isotopique 15N des résidus montrent qu’un effet significatif persiste durant les 4 années qui suivent sa destruction, corroborant les travaux conduits à l’Inra de Theix, sur une succession qui insérait 2 années de luzerne dans une rotation céréalière de 6 ans (Waligora, 2009). Après 10 années de luzerne, on constate qu’il subsiste encore une partie de ce 15N dans l’eau de drainage recueillie sous les cases lysimétriques où la culture était présente, ceci étant lié à la minéralisation plus lente des résidus de luzerne qui ont intégré le pool de matière organique du sol. Selon les travaux de Justes et al. (2001a), cette libération lente d’azote pourrait être liée au stock contenu dans les pivots racinaires : en effet, un essai en conditions contrôlées montre que 6 % seulement du stock initial contenu dans les racines sont minéralisés au terme des 18 mois équivalents de l’expérimentation au champ (figure 3.29A). En plus des pivots, les repousses potentielles ont également un effet significatif sur la quantité d’azote minéralisée dans les 18 mois qui suivent le retournement de la luzernière (figure 3.29B).

Figure 3.29. Cinétiques de minéralisation de l’azote provenant de résidus de luzerne après destruction : selon les compartiments considérés (A) ; selon la présence ou pas de repousses de la luzerne, en comparaison à un sol sans résidus végétaux (B).

La cinétique de minéralisation de l’azote des résidus de prairies associées ray-grass anglais-trèfle blanc (aérien + racinaire pour les deux espèces non séparées) apparaît analogue à celle observée pour les parties aériennes de la luzerne pure, avec des taux de minéralisation variant entre 40 et 60 % sans phase d’immobilisation initiale, tandis que le taux de minéralisation des graminées pures (ici comparaison de traitements fertilisés modérément à 200-250 N) est variable mais reste inférieur (20 à 35 %). La différence de minéralisation en azote à court terme est en partie expliquée par le rapport C/N des résidus (Justes et al., 2001a), alors que ce n’est pas le cas pour le carbone, pour lequel les taux de minéralisation varient dans de plus faibles proportions. Ces taux maximums de minéralisation sont atteints en 3 à 6 mois après la destruction pour la plupart des traitements, fournissant de l’azote rapidement disponible à la culture suivante.

L’effet du type de couvert est significatif pour la quantité de carbone restitué au sol (mais pas pour la quantité d’azote), et pour le pourcentage de carbone minéralisé, en proportion de la quantité de carbone du résidu à l’enfouissement (moindre pour l’association) (tableau 3.6). La proportion de l’azote des résidus minéralisée est significativement supérieure pour l’association, ainsi que la contribution de celle-ci à la minéralisation totale. La minéralisation des résidus est rapide et atteint son maximum au bout de 4 à 6 mois (les paliers des cinétiques de minéralisation sont atteints après 100 à 200 jours normalisés, figure 3.30).

Tableau 3.6. Comparaisons de la composition et du devenir des résidus de ray-grass pâturés fertilisés et d’associations ray-grass–trèfle blanc.

Site/plante/fertilisationC sol (t/ha)N sola (t/ha)C des résidus (t/ha)N des résidus (kg/ha)N minéral total, sol + résidus (kg/ha/2 ans)Taux de minéralisation du N des résidusContribution des résidus à la minéralisation totale N (%)Taux minéralisation du C des résidusContribution des résidus à la minéralisation totale C (%)
1a/RGA/200 N10911,13,81805203617,53030
1b/RGA/250 N10610,25,82702802315,84734
2/RGA/250 N756,73,51473003317,62827
1a/Ass/50 N1059,92,71316734019,23724
1b/Ass/50 N1049,92,11322805021,85124
2/Ass/0 N625,52,41123404020,84026
Moyenne RGA96,79,34,420036730,7173530,3
Moyenne Ass90,38,42,412543143,320,642,724,4
Effet plantensns*nsns***ns**

a Les ratios C/N des sols sont de 10,3 et 11,2 pour les sites 1a et b (Quimper-Kerlavic, CRAB Arvalis) et 2 (Quimper-Kerbernez, Inra) respectivement, non affectés par les traitements (d’après Vertès et al., 2007).

Ns, non significatif, * significatif, ** très significatif.

La fourniture d’azote par la minéralisation des résidus est du même ordre de grandeur que celle des ray-grass purs fertilisés et pâturés, tandis qu’elle est moindre pour le ray-grass sans azote ou fertilisé mais fauché (figure 3.30). En revanche, on voit un effet significatif important de la présence de la légumineuse sur les taux de minéralisation d’azote, et un peu moins fort sur ceux du carbone des résidus (où l’interaction avec l’effet site est plus forte).

Comme pour la luzerne, la part des résidus dans la minéralisation totale reste modeste, soit 20-25 % pour l’azote et 25-30 % pour le carbone au bout de 6 mois. Comme constaté pour la luzerne, les rapports C/N expliquent en partie les hiérarchies observées pour l’azote mais moins pour le carbone. Toutefois, la cinétique de minéralisation d’azote est plus rapide que pour la luzerne ou les graminées pures : la composition biochimique des résidus serait un facteur explicatif de la plus forte dégradabilité des légumineuses dont la fraction soluble est significativement supérieure à celle des graminées, à l’inverse de leur fraction hémicellulose.

Figure 3.30. Cinétique de minéralisation des résidus de prairies : ray-grass pur (RGA) ou ray-grass–trèfle blanc (RGA-TB) dans trois sites expérimentaux (1 à 3).

A. Minéralisation nette des résidus. B. Taux de minéralisation de l’azote des résidus. C. Taux de minéralisation du carbone des résidus.

Globalement, comme dans le cas des cultures annuelles, le stockage de carbone dans le sol est principalement lié à la quantité de carbone végétal non récolté et donc laissé dans le système sol-plante, ce qui a été montré en comparant la gestion d’une prairie en fauche par rapport à celle d’une prairie en pâturage (Senapati et al., 2014). L’effet de l’espèce légumineuse sur le stockage du carbone reste encore largement à évaluer.

Effets sur la fertilisation azotée après légumineuses

L’ensemble de ces résultats a abouti à la publication de références au Comifer (2011 réactualisé 2013) pour quantifier l’arrière-effet azote des destructions de prairies dans les calculs de fertilisation. Cet arrière-effet est considéré équivalent pour les deux types de couverts (graminées pures et associations) après prairies pâturées, mais le coefficient réducteur de 0,7 ou 0,4 appliqué en cas de fauche partielle ou totale aux prairies de graminées ne s’applique pas aux associations ray-grass anglais-trèfle blanc (par ailleurs exploitées surtout en pâture, ou fauchées une fois). À partir de l’ensemble des résultats de minéralisation d’azote in situ et en conditions contrôlées pour des prairies de 5-6 ans (Laurent et al., 2004), une quantification de la fourniture d’azote à la culture suivante en fonction de la durée écoulée depuis la destruction de la prairie a pu être proposée (figure 3.31). Dans le cas d’une luzerne (âgée de 2-3 années), l’équivalent fertilisant azote peut aller jusqu’à 100-150 kg N/ha pour le maïs suivant la destruction de la luzerne.

Figure 3.31. Cinétique de minéralisation moyenne (Mhp) due à la destruction de la prairie (synthèse de mesures après prairies de 5-7 ans, avec ou sans trèfle). D’après Vertès et al., in Comifer, 2011.

On notera que la minéralisation des résidus de prairies avec trèfle blanc étant plus rapide que celle de la luzerne, les délais entre destruction et valorisation possible par la culture suivante seront plus courts pour les premières. À l’inverse, le risque de lixiviation après une destruction d’été-automne sera plus difficile à gérer pour les associations comparées à la luzerne. Enfin, il faut signaler que les pédoclimats dans lesquels ont été acquises ces diverses références sont très différents : sols sur calcaires profonds en Champagne pour la luzerne, sols moins profonds et très drainants de l’Ouest pour les prairies d’association, ainsi que les rotations impliquées, ce qui rend moins génériques qu’on ne pourrait le souhaiter les conclusions directes issues des deux types de couverts.

Effets sur la lixiviation après prairie

Les risques de lixiviation après prairies de graminées ou légumineuses en culture pure ou en mélange sont examinés dans le chapitre 6. Nous concluons cette partie sur quelques éléments, basés sur les expérimentations développées ci-dessus. En situation de prairies temporaires de courte durée, avec ou sans légumineuses, Ledgard et al. (2009) ont mesuré des pertes annuelles d’azote modérées : 45 à 60 kg/ha sous orge/pois, blé et betterave succédant à 2,5 années d’association pâturée. En revanche, la destruction de prairies en place depuis plus longtemps (4-7 ans et plus) entraîne une minéralisation d’azote élevée, qui se rajoute à la minéralisation basale de l’humus pour atteindre fréquemment une minéralisation totale de 200 à plus de 400 kg d’azote (Vertès et al., 2007b). Ces quantités d’azote minéralisé sont difficilement valorisées par les cultures suivantes : Morvan et al. (2002) ont montré, par modélisation, l’intérêt de cultures de printemps à fort potentiel de croissance et de prélèvement d’azote (betterave fourragère > céréales > maïs) pour valoriser ces fournitures.

Concernant l’effet « légumineuse », la minéralisation d’azote très élevée après les deux types de couverts (dont celle des résidus illustrée précédemment) est mesurée dans plusieurs dispositifs de lysimètres ou bougies poreuses, en les maintenant en sol nu après la destruction des couverts (Laurent et al., 2004). Ces dispositifs permettent de montrer des pertes équivalentes dans les deux types de couverts, et des pertes également élevées sous trèfle pur (figure 3.32). Les pertes sont apparues significativement inférieures dans un seul cas, où le trèfle était peu abondant.

Figure 3.32. Quantités d’azote lixiviées sous sol nu durant l’hiver suivant la destruction de prairies de ray-grass fertilisé, trèfle et association non fertilisés, sous quatre dispositifs expérimentaux équipés de lysimètres (lysi) ou de bougies poreuses (BP), en Finistère et Loire-Atlantique. D’après Laurent et al., 2004.

Dans une configuration de production en agriculture biologique (AB), des études sur blé ont permis d’analyser les effets des précédents de prairies à base de luzerne et ceux d’un mélange céréales-protéagineux recevant de l’azote organique (encadré 3.3).

Encadré 3.3. Effet d’associations graminées–luzerne sur les cultures suivantes en agriculture biologique.

Dans l’expérimentation-système de Mirecourt, la production de grains de blé d’hiver conduite en AB ainsi que leur teneur en azote ont été comparées pour des blés semés après des prairies de trois ans en luzerne-graminées (rotation de 8 ans) et après un mélange céréales-protéagineux avec fertilisation organique, au cours de la période 2007-2012. Le tableau 3.7 montre une exportation d’azote d’environ 30 % plus élevée après luzerne comparé au précédent céréale-protéagineux, en dépit d’une teneur en azote supérieure de cette seconde modalité (23,7 vs 22,1 %), grâce à une production de grains plus élevée de près de 40 %.

Tableau 3.7. Effet des précédents « prairie » à base de luzerne ou méteil céréale-protéagineux sur la production et la teneur en azote du blé d’hiver à Mirecourt (période 2006-2012).

Production grains (q/ha)Teneur en N (g/kg MS)Exportation/grain (kg N/ha)Nombre de donnéesOrigine
Précédent luzerne2622,14817Parcelle
Précédent céréale-prot1923,73720Parcelle

À l’échelle de la rotation (encadrée 3.2), la fixation d’azote symbiotique par les prairies à base de luzerne constitue sans surprise la première entrée d’azote dans le système de culture avec 146 (± 102) kg N/ha/an, loin devant la fertilisation organique, à + 27 (± 6) kg N/ha pour les parcelles concernées. Le solde azoté cumulé sur la rotation s’établit en moyenne à + 148 kg N/ha, avec une très grande variabilité (de - 254 à + 475 kg N/ha) essentiellement liée au sol : ces deux valeurs extrêmes sont issues de deux placettes d’une même parcelle culturale, l’une sur un sol argileux et l’autre plus limoneux qui permet une production de luzerne bien plus élevée. Les balances azotées par culture sont illustrées sur la figure 3.33, où quatre cultures montrent un bon équilibre de la balance azotée (entre - 50 et + 50 kg N/ha) : le blé d’hiver qui suit la prairie à base de luzerne, la prairie à base de luzerne et les céréales secondaires de printemps et d’automne. Les mélanges céréales-protéagineux et le blé derrière ces mélanges présentent en revanche de forts excédents, sachant que ce sont les seuls couverts qui reçoivent des engrais organiques dans ce système de culture.

Figure 3.33. Bilans annuels d’azote (A) et de phosphore (B) pour les différentes cultures d’une rotation de 8 ans à Mirecourt.

LG, luzerne-graminées ; BH/LG, blé d’hiver derrière luzerne-graminées ; CSH, céréale secondaire d’hiver ; CSP, céréale secondaire de printemps ; CS-P, céréale secondaire-protéagineux ; BH/CS-P, blé d’hiver derrière céréale secondaire-protéagineux.

Le même bilan cumulé pour le phosphore (figure 3.33B) fait apparaître un surplus moyen de 19 (± 48) kg P/ha (variant de - 70 à + 60 kg/ha), ce qui correspond à un faible surplus de 3 kg P/ha/an, le solde variant avec la fréquence des apports de fumure : les prairies à base de luzerne ont un solde négatif (médiane - 30 kg P/ha/an), le blé de luzerne et les céréales de printemps également (- 15 et - 10 kg P/ha respectivement) sans apports fertilisants. En revanche, les trois autres cultures présentent des excédents annuels de P liés aux épandages de fumiers.

Cette expérimentation système montre que les gains azotés liés à la présence de légumineuses peuvent suffire (blé de luzerne) ou pas (blé de mélange CP) à satisfaire les objectifs de production de la céréale. Ce dernier cas impose un apport de fertilisation organique pour atteindre les objectifs de teneurs en protéines du blé.

Autres arrière-effets des prairies : gestion des adventices à l’échelle de la succession

À l’échelle du système de culture, on observe un effet précédent de légumineuse annuelle ou pérenne sur la flore adventice de la culture suivante. Des observations réalisées en parcelles agricoles montrent que la luzerne a un impact fort sur la dynamique des communautés adventices à l’échelle de la rotation (Meiss et al., 2010). Les espèces les plus réduites sont les dicotylédones annuelles à port érigé et grimpant, sensibles à la fauche de la prairie (mercuriale, chénopode blanc, morelle, renouée liseron), y compris des espèces très problématiques en systèmes céréaliers (gaillet). Le vulpin, graminée typique des systèmes céréaliers, est aussi affecté de façon importante par le précédent luzerne. À l’inverse, les espèces en rosette et certaines graminées (ray-grass) sont plus adaptées à ces pratiques. De plus, certaines espèces pérennes (comme le pissenlit ou le rumex) semblent profiter de l’absence de travail du sol pendant la période de la luzerne, alors que le chardon des champs, pourtant pérenne, est peu présent en blé de luzerne, les fauches successives épuisant les réserves souterraines chez cette espèce. Cette étude suggère que l’insertion de prairies temporaires, comme la luzerne, dans des rotations céréalières permet de réduire les abondances d’espèces adventices indésirables dans les cultures annuelles tout en favorisant des espèces moins problématiques. Ces observations ont été confirmées par une expérimentation au champ pluriannuelle pour tester les effets des prairies temporaires et de leur mode de gestion sur les communautés adventices (Meiss, 2010). Le potentiel d’infestation des espèces problématiques en cultures de céréales ou de colza (vulpin, gaillet, brome, ray-grass, géranium) a nettement diminué pendant la période de prairie temporaire, quelles que soient les modalités de gestion (espèce prairiale : luzerne vs dactyle, et fréquence de fauche : 3 vs 5 fauches annuelles). Ces comportements différents des espèces adventices en prairie temporaire sont expliqués par une importante variabilité interspécifique d’aptitude à la reprise de croissance consécutive à une fauche (Meiss et al., 2008), la luzerne étant de loin l’espèce ayant accumulé le plus de biomasse à la 5e fauche. Les espèces suivantes les plus adaptées au régime de fauches répétées sont les graminées. À l’inverse, les espèces dicotylédones à port dressé comme l’amarante et le chénopode blanc présentent une très mauvaise aptitude à la croissance après la fauche, presque 100 % des amarantes ne survivant pas à la fauche. Une espèce en rosette (capselle) et les dicotylédones rampantes (stellaire et véronique de Perse) montrent une aptitude intermédiaire, grâce à la présence de plusieurs bourgeons sous la hauteur de coupe et à une surface foliaire verte résiduelle plus importante que les espèces à port dressé. Ces résultats expliquent en partie pourquoi les précédents luzerne défavorisent plus les espèces à port dressé que les espèces rampantes.

Prairies permanentes de plus de 15 ans

Combien et quelles légumineuses dans les prairies permanentes ?

Si les prairies permanentes sont dominées par les graminées, les légumineuses y sont presque toujours représentées. Elles constituent la deuxième famille botanique composant les prairies permanentes (PP), après les graminées. En s’appuyant sur un échantillon de 4 782 prairies françaises, on observe que la proportion de légumineuses dans la biomasse est en moyenne de 11 % (au pic de production au printemps), pour une contribution de 67 % des graminées (Plantureux et al., 2010, issu de la base eFLORAsys ). La part des légumineuses est très variable selon les prairies (de 0 à 40 % au printemps) et dans le temps, avec une forte augmentation au cours de l’été, les conditions climatiques étant moins favorables aux graminées. La figure 3.34 montre que dans la très grande majorité des prairies permanentes françaises (situation de plaine et de montagne), la proportion de légumineuses au printemps excède très rarement 25 %.

Figure 3.34. Fréquence des prairies selon la proportion de légumineuses qu’elles contiennent, dans un échantillon de 380 prairies permanentes françaises (typologie issue de l’étude Casdar Prairies permanentes, Launay et al., 2011 ; et typologie des prairies du massif vosgien, Collectif, 2006).

Les deux légumineuses les plus fréquentes sont le trèfle blanc (présent dans 80 % des prairies) et le trèfle violet (74 %), en comparaison des espèces moins fréquentes et surtout moins dominantes : lotier corniculé (présent dans 46 % des prairies), gesse des prés (32 %), vesce commune (27 %), minette (19 %), trèfle douteux (17 %), vesce des haies (16 %), trèfle champêtre (15 %), ainsi que des espèces présentes dans moins de 10 % des prairies : vesces cracca et hérissée, hippocrépis à toupet, sainfoin, lotier des marais, trèfle jaunâtre, bugrane épineuse, genêt. La proportion de légumineuses varie beaucoup selon le type de prairies, comme l’a montré le travail de typologie des prairies permanentes françaises (figure 3.35), l’essentiel des variations étant attribuable au trèfle blanc, sauvage ou sursemé.

Figure 3.35. Proportion moyenne de légumineuses (trèfle blanc et autres légumineuses) dans les prairies permanentes françaises (Casdar Prairies permanentes, 190 prairies). Sources : référence typologie nationale ; Baumont et al., 2011.

PA, prairies d’altitude ; PSC, prairies des zones de plaine semi-continentales ; PO, prairies des plaines de l’Ouest ; PL, prairies du littoral atlantique.

Quels sont les facteurs qui influent sur les légumineuses dans les prairies permanentes ?

Le milieu et les pratiques déterminent la nature et la proportion de légumineuses des prairies permanentes. En ce qui concerne la nature des légumineuses, on note une beaucoup plus grande diversité de légumineuses dans les situations peu intensifiées et/ou dont la première exploitation est tardive, tandis que seuls les deux trèfles blanc et violet, plus généralistes, subsistent dans les prairies intensifiées (fertilisation, chargement, précocité d’exploitation). Dans les landes et parcours, incluant des espèces arbustives, certaines légumineuses comme le genêt sont favorisées par le fait qu’elles sont peu ou pas consommées. Le milieu intervient également via le facteur hydrique, qui discrimine des espèces de milieux humides (lotier des marais) d’espèces de milieux sains ou secs (lotier corniculé, sainfoin). La proportion de légumineuses dans une prairie permanente apparaît avant tout liée au niveau de fertilisation azotée (minérale ou organique). La figure 3.36 montre que, au-delà de 150 kg N/ha/an, il est improbable de dépasser 10 % de légumineuses, mais qu’une faible fertilisation ne garantit pas une forte proportion, d’autres facteurs limitants pouvant intervenir.

Figure 3.36. Effet de la fertilisation azotée sur la proportion de légumineuses au pic de production (printemps) dans un échantillon de 380 prairies permanentes (France entière + Vosges).

Il n’apparaît pas de différence de proportion de légumineuses « en moyenne » selon le mode d’exploitation quand on compare les prairies fauchées, pâturées ou mixtes (fauche-pâture). Le chargement global (en nombre de jours UGB/ha/an) n’a pas non plus d’effet significatif, à partir de l’analyse de ce large échantillon de quelque 4 800 prairies permanentes françaises. Ceci s’explique par la substitution de légumineuses très adaptées à la pâture (par exemple trèfle blanc) par celles très adaptées à la fauche (par exemple trèfle violet, lotiers, vesces), mais aussi par le fait que le pâturage favorise le trèfle blanc, mais également des graminées fortement compétitrices. Cependant, des effets significatifs de l’exploitation plus ou moins intensive d’une prairie permanente sur l’évolution de la composition de la prairie ont été observés lors de suivis expérimentaux, pendant huit années, en Auvergne (figure 3.37).

Figure 3.37. Impact de l’intensité d’exploitation sur la composition botanique (contribution à la biomasse) d’une prairie. Essai de longue durée sur le site de Theix (alt. 890 m, Inra-UREP-UR874). Le témoin correspond à une fauche et quatre passages d’animaux au cours de l’année. D’après Louault et al., 2005.

Le milieu intervient également sur la dominance des légumineuses, mais là encore, la diversité des espèces présentes dans les prairies permet de trouver des légumineuses dans des conditions variées. On observe toutefois une plus faible proportion de légumineuses dans les situations très froides (climat continental ou montagnard), très chaudes (climat méditerranéen), et à forte salinité du sol. Les milieux secs et ceux à pH élevé ont généralement une plus forte dominance de légumineuses « toutes choses égales par ailleurs » comme la fertilisation ou le mode d’exploitation.

Légumineuses dans les prairies permanentes et valeur fourragère et agronomique ?

Il n’apparaît pas de relation directe entre la proportion de légumineuses et la production annuelle de matière sèche des prairies (figure 3.38), même en ne considérant que les trèfles blanc et violet, plus productifs que d’autres légumineuses spontanées.

Figure 3.38. Production annuelle de matière sèche des prairies permanentes françaises en fonction de la proportion de légumineuses dans un échantillon de 380 prairies permanentes (France entière + Vosges).

L’impact agronomique des légumineuses se situe en revanche dans la contribution des légumineuses à la valeur alimentaire du fourrage, et dans l’apport d’azote gratuit au système par la fixation symbiotique. Du fait de leur ratio feuilles/tiges plus important que les graminées, la teneur en minéraux et particulièrement en azote est plus élevée chez les légumineuses, et leur concentration en tissus pariétaux est plus faible. Ceci conduit à la production d’un fourrage à digestibilité plus élevée, et dont la chute de digestibilité au fil de la saison est plus faible. L’efficacité de fixation symbiotique d’azote par des légumineuses spontanées des prairies permanentes est encore mal connue. En se basant sur l’échantillon de 380 prairies (France + Massif vosgien), et en considérant une fixation moyenne de 31 kg N/t MS de légumineuses, il apparaît que la fixation d’azote moyenne d’une prairie est de l’ordre de 15 kg N/ha/an. La valeur maximale observée est de 100 kg/ha/an. À l’échelle nationale (9 millions d’ha de PP), ceci représente 135 Mt d’azote fixé, ou de l’ordre de 100 millions d’euros économisés en fertilisation azotée.

Légumineuses dans les prairies permanentes et biodiversité

La diversité des légumineuses d’une prairie permanente est un bon estimateur de la richesse floristique totale d’une prairie. La proportion de légumineuses n’est en revanche aucunement liée à une richesse floristique élevée, ni à la présence d’espèces patrimoniales. Au-delà de leur contribution à la diversité floristique, les légumineuses des prairies permanentes ont un rôle essentiel vis-à-vis de plusieurs autres taxons. Les légumineuses sont très favorables à l’ensemble des insectes pollinisateurs (abeilles sauvages et domestiques, bourdons, syrphes, papillons), comme l’indique la figure 3.39. Elles peuvent même être, dans certaines prairies intensives, les seules plantes à fleurs à côté des renoncules et des pissenlits. Il semblerait que la forte teneur en azote de l’appareil souterrain soit favorable à la biodiversité tellurique, qu’il s’agisse des micro-organismes ou des décomposeurs de la matière organique que sont les vers de terre.

Figure 3.39. Relation entre la proportion de légumineuses et d’espèces favorables aux pollinisateurs au pic de production (printemps). Données Casdar Prairies permanentes (n = 190).

À retenir. Les effets agronomiques de l’insertion des légumineuses fourragères dans les systèmes.

Les légumineuses fourragères recouvrent une gamme diversifiée d’espèces qui permet une adaptation aux conditions pédoclimatiques locales et aux divers usages visés. Dans la majorité des situations, les légumineuses fourragères sont associées à des graminées.

La productivité des prairies d’associations graminées-légumineuses est supérieure ou équivalente à la moyenne de productivité des espèces cultivées en monospécifiques, si le taux de légumineuse est satisfaisant, avec un besoin en fertilisation azotée nettement inférieur. Leur valeur alimentaire est généralement mieux équilibrée en protéines et en énergie, même si elle peut être limitée pour des animaux laitiers à fort niveau de production. La récolte et la conservation du fourrage (en ensilage ou en foin) restent cependant des points délicats dans certains climats. Une maîtrise de l’équilibre légumineuses-graminées et la pérennité de ces associations prairiales sont les deux points cruciaux et délicats à gérer, du fait de la variabilité de comportement des espèces selon les milieux et selon les modes de gestion. Cela exige du savoir-faire de la part de l’éleveur, car les leviers de pilotage sont relativement limités et doivent être actionnés au niveau du système (combinaison de différents types de prairies sur l’assolement, etc.). En prairies permanentes, des modes de gestion adaptés (pâturage tournant notamment) peuvent favoriser la présence de légumineuses et leur diversité, indicateur de valeur pastorale et de qualité fourragère.

De grandes quantités d’azote sont libérées lors de la destruction des prairies, qu’elles soient de graminées pures ou associées avec des légumineuses, et lors de la destruction de luzernières, en rotation avec des cultures fourragères ou de céréales. Si les risques de pertes nitriques sont difficilement évitables, une bonne gestion des rotations les réduit considérablement. La présence de légumineuses dans la prairie ne modifie pas significativement les risques ni le niveau de fourniture d’azote à la culture suivante, mais elle accélère un peu la minéralisation, qui n’est pas sensible (contrairement aux graminées pures) à l’absence de fertilisation antérieure ou à la substitution de pâture par des fauches.

Conclusion

Les légumineuses ont des effets multiples au sein des systèmes de culture, différents selon les espèces, leur mode d’exploitation et leurs performances, mais également selon les interactions avec les espèces et les modes de gestion des autres cultures non-légumineuses du système. L’approche systémique et la dimension temporelle sont deux éléments indispensables pour valoriser les légumineuses dans les systèmes de production végétale. Ceci implique souvent de modifier en amont les stratégies décisionnelles des systèmes avant de moduler les décisions tactiques dans leur gestion. Des innovations sont encore attendues dans la conception des systèmes de culture intégrant des légumineuses afin de bien équilibrer les processus de compétition et de complémentarité, et les bénéfices mutuels (facilitation) entre des composantes légumineuses et non-légumineuses, que ce soit dans le temps (succession) ou dans l’espace (association).

Ce chapitre est une synthèse s’intéressant à tous les types de légumineuses au sein des systèmes de production végétale française. Certaines espèces et systèmes ont été ici plus étudiés que d’autres pour deux raisons : en raison de leur importance en termes de surfaces (comme pois, trèfle et luzerne) et aussi car elles sont utilisées par les chercheurs comme plantes modèles pour étudier certains processus. Cependant, ce n’est qu’une partie des connaissances qui est couverte, et la diversité des espèces et des modes d’insertion nécessite de compléter les références, selon les avancées des connaissances agronomiques nourries par la recherche et par les innovations de certains groupes d’agriculteurs qui se différencient du système dominant actuel.

Cette synthèse a permis de quantifier les ordres de grandeur des fournitures d’azote issu des légumineuses, que ce soit pour les légumineuses de rente en succession culturale, les légumineuses en interculture ou les légumineuses en cultures associées. Mais les mécanismes biologiques en jeu n’ont pas livré tous les secrets de leur complexité. Il apparaît de plus en plus évident que la quantité d’azote issue des précédents culturaux ne suffit pas à définir la quantité qui sera finalement valorisée dans la productivité de la culture suivante, tant les dynamiques souterraines sont souvent sous-estimées. Passer à une analyse systémique (et non analytique) pour mieux appréhender la réalité du système agricole est donc indispensable pour évaluer les légumineuses. Des composantes autres que les flux azotés sont en jeu : maladies, ravageurs et enherbement, mais aussi structure et biologie du sol. La présence de légumineuses dans les systèmes nécessite de mieux tenir compte du compartiment sol et des parties souterraines des cultures dans l’analyse du fonctionnement de la production agricole. Les effets spécifiques des légumineuses sur la biodiversité de l’agrosystème et la qualité des sols (biologie, physique, chimie) font partie des lacunes à combler.

Malgré ces limites, les résultats de différents travaux comparant des systèmes de culture avec et sans légumineuses convergent pour montrer les intérêts agronomiques, mais également économiques, des systèmes avec légumineuses, dès lors que leurs bénéfices agro-environnementaux sont valorisés dans l’adaptation de la conduite des autres cultures du système, ce qui doit constituer un point d’attention majeur dans la réalité agricole d’aujourd’hui et de demain.

Avec la contribution de : Stéphane Cadoux, Benoît Carrouée, Charles Cernay, Stéphane Cordeau, Luc Delaby, Jean-Louis Fiorelli, Laurence Fontaine, Céline Le Guillou, Safia Médiène, Catherine Mignolet, Anne Moussart, Gilles Sauzet.

32Mignolet C., communication personnelle, sur l’analyse de plusieurs bases de données incluant les pratiques culturales (1970-2013).
33Étude menée par Mignolet et al. sur la base de données « enquête pratiques culturales 2011, Grandes cultures » (Agreste), dans le cadre de LEGITIMES-ANR-13-AGRO-0004 et de l’ANR-10-EQPX-17.
34Cernay, communication personnelle.
35Ademe, 2014. Carbone organique des sols : l’énergie de l’agroécologie, une solution pour le climat.
36Travaux de l’Inra d’Orléans, sur le déterminisme des processus biologiques du cycle de N2O, par les propriétés physico-chimiques des sols (projet SOLGES), pour simuler les émissions de N2O par les sols ; créer des techniques d’ingénierie écologique pour réduire les émissions de N2O par les sols (projets SOLGES, PUIGES).
37Une étude 2013-2017 en cours au LEVA de l’ESA d’Angers vise à mieux caractériser l’exsudation nette en acides aminés des légumineuses en lien avec des variations des facteurs de l’environnement (Fustec J., Pari scientifique des Pays de la Loire RHIZOSFER).
38Des vers de terre translucides ou blancs, très petits voire minuscules, parfois presque invisibles, qui constituent la famille Enchytraeidae d’Annélides, oligochètes microdrile.
39STICS est un modèle de fonctionnement des cultures à pas de temps journalier. Son objectif est de simuler les conséquences des variations du milieu et du système de culture sur la production d’une parcelle agricole ou sur l’environnement. Il a aussi été conçu comme un outil de travail, de collaboration et de transfert des connaissances vers des domaines scientifiques connexes.
41Accumulation de gaz dans le rumen des ruminants.