Chapitre 2

Nutrition azotée et fonctionnement agrophysiologique spécifique des légumineuses

Anne-Sophie Voisin et François Gastal

La nutrition azotée des plantes de la famille des légumineuses (Fabacées) est assurée par deux voies complémentaires : absorption de l’azote minéral du sol par les racines, comme chez tous les végétaux supérieurs, et fixation de l’azote atmosphérique, propre à ces espèces, grâce à une symbiose avec des bactéries du sol. Cette spécificité confère aux cultures de légumineuses une autonomie vis-à-vis de la disponibilité en azote du sol et de l’apport d’engrais azotés, et un rôle clé dans les flux azotés des systèmes de production végétale. La fixation symbiotique de l’azote étant un processus biologique et dynamique, connaître ses déterminants agrophysiologiques permet d’affiner les stratégies de gestion des cultures, pour bénéficier au mieux des aménités liées à l’utilisation de cet azote « écologique ». Après un rappel sur les mécanismes relatifs à la fixation symbiotique des plantes, ce chapitre visera à résumer les connaissances qualitatives et quantitatives sur la dynamique des flux azotés au sein des cultures et de leur environnement.

Par ailleurs, rappelons que d’autres spécificités propres à ces plantes peuvent amener une gestion différente de ces cultures par rapport aux autres cultures et avoir des conséquences sur leur utilisation en agriculture : leur potentiel génétique (ressources génétiques et amélioration variétale actuelle), leur réactivité face à des composantes du milieu (comme la lumière, la température ou l’eau), leur plasticité en termes de composition de produits récoltés (notamment teneur en composants secondaires spécifiques). Ces autres spécificités seront décrites dans ce chapitre si elles ont une interaction avec la nutrition azotée ; sinon elles seront seulement évoquées et renverront aux autres chapitres de l’ouvrage.

Qu’est-ce que la fixation symbiotique de l’azote ?

De même que le carbone (C), l’azote (N) est un des éléments majeurs constituant les composants cellulaires nécessaires à la vie (notamment les acides nucléiques et les protéines indispensables à la reproduction et à la croissance). Seules certaines familles d’êtres vivants peuvent utiliser directement l’azote gazeux qui est présent dans l’air. Le mécanisme en jeu, appelé fixation biologique du diazote N2 (diazotrophie), est le mécanisme principal permettant l’introduction d’azote dans la biosphère. La fixation biologique de l’azote est un processus métabolique exclusivement réalisé par les organismes procaryotes : certaines bactéries et cyanobactéries libres dans le sol ou l’eau, et les bactéries symbiotiques des légumineuses.

Dans le monde végétal, les légumineuses ont la capacité de mettre en place une symbiose avec certaines bactéries naturellement existantes dans le sol et qui convertissent l’azote de l’air (N2), présent dans leur environnement, en une forme intermédiaire (ammonium NH4+) qui est alors assimilable par la plante pour constituer les molécules organiques (notamment les protéines) (figure 2.1). Cette symbiose naturelle permet à la plante d’utiliser directement l’azote de l’air environnant pour sa croissance. On parle de plantes fixatrices d’azote et de fixation symbiotique (en anglais symbiotic nitrogen fixation, ou biological nitrogen fixation, BNF). Ainsi, à de rares exceptions près comme la culture de haricots, il n’est pas nécessaire de fertiliser les cultures de légumineuses (pois protéagineux, féverole, lupin, lentille, luzerne, trèfle, soja, etc.).

L’atmosphère terrestre est très riche en azote (79 % de N2, 21 % d’O2) mais la structure de cette molécule N2 est très difficile à casser chimiquement. Elle doit être d’abord associée à de l’oxygène ou de l’hydrogène au sein de composants tels que l’ammonium (NH3, NH4+), ou les oxydes d’azote dont en particulier le nitrate (NO3-). Cette conversion de l’azote atmosphérique est une réaction chimique réductrice (N2 + 3H2 + énergie → 2NH3), appelée fixation azotée, qui peut se faire soit par voie chimique soit par voie biologique. Dans le cas de la fixation azotée chimique, l’énergie utilisée par l’industrie est généralement de l’énergie fossile, alors que dans le cas de la fixation azotée biologique, l’énergie est issue de la photosynthèse, sous forme d’ATP[30] provenant de l’oxydation des substrats carbonés. Une mole d’azote atmosphérique donne 2 moles d’ammonium avec une dépense énergétique de 16 moles d’ATP et la production d’électrons et de protons (ions hydrogène). Cette réaction est catalysée par une enzyme, la nitrogénase, présente chez certains micro-organismes (procaryotes). La symbiose que peuvent établir certaines plantes eucaryotes avec des bactéries fixatrices d’azote spécifiques leur permet de bénéficier de cette réaction. Une particularité métabolique des Fabacées est la présence d’une hémoprotéine fixatrice de dioxygène, la leghémoglobine (ou LegHb), très proche de l’hémoglobine. Cette protéine se trouve dans les nodules des racines et permet de fixer l’oxygène pour former un milieu anaérobie favorable à la fixation du N2 par le rhizobium.

Les estimations des quantités d’azote symbiotique des cultures agricoles sont de l’ordre de 50 Mt par an au niveau mondial et de 0,50 Mt par an en France (encadré 1.1). À titre de comparaison, la fixation azotée industrielle réalisée pour la fabrication d’engrais azotés (par le procédé Haber-Bosch) produit environ 87 Mt « d’azote chimique » par an dans le monde et 2,1 Mt en France (Peoples et al., 2009 ; Duc et al., 2010).

Mécanismes de reconnaissance entre les bactéries du genre Rhizobium et les légumineuses

Les bactéries fixatrices d’azote vivent soit de façon libre, soit en association avec des organismes plus complexes (végétaux ou animaux). Le cas de l’association des légumineuses avec les bactéries du genre Rhizobium (ou parfois Bradyrhizobium) est le cas le plus important pour l’agriculture. Les Rhizobia sont des bactéries (de forme ovale et Gram-) vivant librement dans les sols où des légumineuses ont été cultivées, mais qui ne fixent l’azote qu’une fois associées à la légumineuse spécifique avec laquelle elles sont compatibles. La spécificité de la symbiose est plus ou moins large, une souche bactérienne donnée étant capable de s’associer avec seulement quelques espèces légumineuses (cas de R. meliloti), ou quelques dizaines de genres (cas des Vicia), voire plus de 70 genres dans le cas extrême de Rhizobium sp. NGR234 (Rosenberg, 1997). La plupart des espèces de légumineuses cultivées en France n’ont pas besoin d’inoculation car les sols contiennent un inoculum indigène qui leur est adapté, sauf dans le cas du soja pour lequel l’inoculation est requise au moins pour la première implantation, et dans le cas de situations pédologiques spécifiques (pH élevé pour le lupin blanc ou pH acide pour la luzerne) où une inoculation par des Rhizobia est nécessaire (voir Variation du taux de fixation entre espèces ).

L’établissement de l’association implique des mécanismes de reconnaissance spécifique, qui sont orchestrés dans un véritable dialogue en plusieurs étapes entre la bactérie et la plante hôte. Des signaux moléculaires associés à une synchronisation de l’expression de nombreux gènes sont ainsi mis en jeu chez les deux partenaires. Les premiers signaux émis par la plante hôte sont des flavonoïdes. Ces molécules agissent sur la transcription des gènes Nod chez la bactérie. Les facteurs Nod produits sont impliqués dans la reconnaissance de la plante hôte ; ils se lient à des récepteurs spécifiques, situés sur l’épiderme de la racine, puis déclenchent ensuite les réactions qui vont conduire à l’infection des racines par les bactéries fixatrices symbiotiques (dédifférenciation des cellules du cortex interne de la racine pour préfigurer la formation du primordium nodulaire, et production de nodulines, protéines spécifiquement associées à la fixation symbiotique).

Formation et fonctionnement des nodosités

Suite à l’infection, les bactéries agrégées à l’extrémité des poils absorbants induisent leur courbure en « crosse de berger », puis leur déformation en excroissances à la surface de la racine, similaires à des tumeurs, appelées nodosités (nodules en anglais). Dans les nodosités, les bactéries sont intégrées au cytoplasme des cellules hôtes du cortex des racines pour évoluer en bactéroïdes, encerclés par une membrane de type plasmique, l’ensemble formant un symbiosome. Une cellule infectée peut contenir un nombre variable de symbiosomes, pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’unités.

Les bactéroïdes communiquent avec le système vasculaire de la plante par le xylème et le phloème pour établir une relation symbiotique avec la plante hôte (figure 2.1) : à partir de l’air contenu dans le sol, et grâce aux micronutriments et à l’énergie apportée par la plante (sucres issus de la photosynthèse), la bactérie fixe l’azote atmosphérique et produit de l’ammonium (NH4+), libéré dans le cytoplasme des cellules infectées. Cet ammonium est alors disponible pour la plante hôte, qui l’utilise pour la synthèse des molécules azotées nécessaires à son métabolisme (acides aminés, protéines et autres macromolécules comme les acides nucléiques). La présence d’oxygène est indispensable dans l’environnement bactérien pour générer l’énergie (ATP issu de la respiration) nécessaire à la fixation azotée, mais un excès d’oxygène inactive la nitrogénase, enzyme clé de la fixation. Il existe donc des processus de limitation de la pression partielle de l’oxygène dans la zone centrale où sont situés les bactéroïdes (« barrière de diffusion à l’oxygène »). L’oxygène est transporté jusqu’aux bactéroïdes par une hémoprotéine, la leghémoglobine, qui possède une très grande affinité pour l’oxygène, et qui confère aux nodosités actives leur couleur rosée.

Figure 2.1. La symbiose : des échanges réciproques de nutriments entre la plante et le rhizobium hébergé et transformé en bactéroïde dans le nodule.

On peut distinguer trois phases au cours de la vie des nodosités : une phase de mise en place des structures suite à l’infection par le partenaire bactérien (petites nodosités blanches), suivie par une période de croissance rapide et d’activité intense de fixation de N2 (nodosités roses). Puis l’activité des nodosités cesse (nodosités vertes), leur biomasse stagne et finit par chuter sous l’action de phénomènes de sénescence. Une semaine après l’infection, les petites nodosités sont visibles à l’œil nu ; elles prennent une couleur rosée environ une semaine plus tard. Dans l’exemple du pois, elles sont visibles au champ environ trois semaines après le semis, avec des variations selon les conditions de germination. La durée d’activité d’une nodosité est d’environ cinq semaines.

La morphologie des nodosités dépend de la nature de leur méristème et varie selon les espèces : les nodosités de type déterminé, associées aux légumineuses tropicales (Glycine, Phaseolus), sont sphériques et ont un méristème à durée de vie limitée ; les nodosités de type indéterminé, caractéristiques des légumineuses tempérées (Pisum, Vicia, Medicago), ont une forme allongée et possèdent une activité méristématique continue. Les nodosités indéterminées présentent donc à maturité des tissus d’âges différents, alors que les nodosités déterminées sont constituées des cellules d’âge sensiblement égal.

Selon la nature des composés organiques azotés majoritairement exportés dans le xylème, deux groupes de légumineuses peuvent être distingués : les légumineuses tempérées et l’arachide synthétisent majoritairement des « amides », alors que les autres légumineuses tropicales synthétisent des « uréides ». Les calculs théoriques montrent un coût en énergie inférieur pour la synthèse des uréides par rapport à celle des amides. De plus, le transport de l’azote sous forme d’uréides est moins coûteux en carbone que le transport sous forme d’amides (rapports C/N respectivement égaux à 1 et 2). Cependant, l’impact de ces différences sur la croissance des plantes et le rendement reste encore incertain.

Des plantes fixatrices de N2 : quel coût pour la plante ?

L’azote fixé par les légumineuses est puisé dans une ressource abondante : le substrat azoté N2. Cet azote, disponible dans l’air ambiant, est régénéré naturellement au cours du cycle de l’azote. Il est fixé par les plantes grâce à l’énergie renouvelable issue de la photosynthèse végétale, puis régénéré par d’autres réactions biologiques à d’autres étapes du cycle de l’azote. Néanmoins, la fixation d’azote atmosphérique a un coût en carbone à l’échelle de la plante. Les nodosités constituent en effet un puits majeur pour le carbone. Au sein des nodosités, le carbone est utilisé pour la production de substrats énergétiques et de squelettes carbonés impliqués dans la synthèse et la maintenance des tissus des nodosités, ainsi que pour leur activité fixatrice de N2 (incluant les réactions associées à la réduction de N2 au sein des bactéroïdes, l’assimilation du NH3 produit dans le cytoplasme de la cellule hôte et l’exportation de composés organiques azotés hors des nodosités). Les assimilats carbonés nécessaires sont fournis par la plante hôte et proviennent directement de la photosynthèse. Ces assimilats carbonés sont fournis aux nodosités aux dépens des autres organes, principalement les racines, et dans une moindre mesure également aux dépens des parties aériennes.

Quelles conséquences cela a-t-il sur la croissance de la plante ? Des calculs théoriques montrent que le coût en carbone associé à l’activité de fixation de N2 est similaire au coût associé à l’assimilation du nitrate (Munier-Jolain et Salon, 2005 ; Andrews, 2009), et l’estimation souvent utilisée pour le coût de l’assimilation de l’azote (que ce soit à partir de N2 ou de nitrate) est une valeur moyenne de 4,5 g de carbone par g d’azote (Vertregt, 1987). Le surcoût en carbone induit par une nutrition azotée reposant sur la fixation symbiotique est donc essentiellement lié à la formation des nodosités, organes « supplémentaires » hébergeant la symbiose (Voisin et al., 2003c), ayant de surcroît des coûts de synthèse et de maintenance élevés (Voisin et al., 2003). Les légumineuses ont généralement une efficience de croissance (biomasse produite par unité de rayonnement intercepté, ou Radiation Use Efficiency chez les Anglo-Saxons) un peu plus faible que des espèces non fixatrices (Gosse et al., 1986). Ainsi, des plantes de pois reposant exclusivement sur l’absorption d’azote minéral montrent une production de biomasse environ 20 % supérieure à celles reposant exclusivement sur la fixation symbiotique (Jensen et al., 1997 ; Voisin et al., 2002a). Néanmoins, ces expériences au champ ont également montré que ces plantes assimilatrices de nitrates avaient un indice de récolte plus faible, le supplément d’accumulation de biomasse bénéficiant essentiellement aux racines et dans une moindre mesure aux parties végétatives aériennes (cosses, tiges et feuilles). De ce fait, dans les conditions de culture en champ de nos essais, les plantes de pois avaient des rendements en graines similaires, quelle que soit la source de l’azote accumulé (assimilation de nitrates et/ou fixation d’azote atmosphérique) (Voisin et al., 2002b).

Limitation de la fixation symbiotique par une teneur élevée en azote minéral dans le sol

La fixation symbiotique étant un processus biologique coûteux pour la plante, ce processus est régulé par la plante : les légumineuses prélèvent en premier lieu l’azote minéral disponible dans le sol, et la fixation symbiotique prend le relais quand l’azote minéral se raréfie. De façon générale, la présence de nitrate dans la solution du sol limite la fixation symbiotique. Les légumineuses ont une grande adaptabilité pour utiliser la fixation de l’azote de l’air ou l’absorption de l’azote minéral du sol, selon les sources d’azote disponibles.

Les effets du nitrate sur la fixation symbiotique sont illustrés ici sur l’exemple du pois (figure 2.2A) et du trèfle blanc (figure 2.2B). Des précisions sont données dans Dynamique d’acquisition et d'allocation de l’azote en fonction de la disponibilité en nitrate .

Chez le pois, à l’échelle du cycle de culture, une relation générale a été établie entre le pourcentage de fixation symbiotique sur l’ensemble du cycle de la plante et la teneur en azote minéral disponible dans la couche labourée au semis, en conditions sanitaires, de nutrition minérale et d’alimentation hydrique non limitantes (figure 2.2A). La relation indique que la fixation symbiotique est inhibée de façon proportionnelle à la quantité de nitrates disponible et devient nulle pour une disponibilité en azote minéral au semis supérieure à 380 kg/ha. Chez le trèfle, l’effet quantitatif des nitrates disponibles dans le sol sur la diminution de la quantité d’azote fixé a été modélisé selon une réponse exponentielle décroissante à la concentration en nitrates du sol (figure 2.2B).

Au niveau physiologique, on considère que la nodulation a lieu suite à la perception d’un signal de « carence en N » provenant des parties aériennes (Jeudy et al., 2010), lorsque la disponibilité en azote minéral dans le sol est trop faible pour subvenir aux besoins de la plante (Voisin et al., 2002b). Lorsque la nodulation a lieu, le nombre de nodosités est proportionnel aux besoins en azote de la plante pour sa croissance (qui est fonction essentiellement de la surface foliaire en place et du niveau de rayonnement) (Voisin et al., 2010). En absence ou à faible disponibilité en nitrate, la régulation du nombre de nodosités est donc la principale composante d’ajustement de la fixation de N2 aux autres facteurs de l’environnement, adaptant ainsi précisément l’offre en azote par la fixation symbiotique à la demande en azote pour la croissance.

Figure 2.2. Réponse de la fixation symbiotique au nitrate chez le pois (A) et le trèfle blanc (B).

A. Contribution de la fixation symbiotique à l’acquisition totale d’azote par le peuplement de pois sur la totalité du cycle de la plante, en fonction de la disponibilité en azote minéral (nitrate + ammonium) dans la couche labourée mesurée au semis (expérimentation au champ Inra Dijon). D’après Voisin et al., 2002b. B. Courbe de réponse de la quantité d’azote fixée par le trèfle blanc à la disponibilité en azote minéral du sol, dans les modèles SOILN (ronds noirs) et de Schwinning (ronds blancs), en faisant l’hypothèse que les nodosités sont situées dans les 40 premiers cm de sol. D’après Liu et al., 2011.

En cours de culture, une augmentation brutale de la disponibilité en nitrate sur un système fixateur en place (donc adapté à des conditions de disponibilité en nitrate plus faibles) affecte l’appareil fixateur au travers de ses composantes fonctionnelles et structurales (Naudin et al., 2011, chez le pois), via une diminution de l’activité fixatrice des nodosités et via des modifications structurales des nodosités (diminution ou arrêt de croissance des nodosités aux stades végétatifs et floraison, et destruction des nodosités au stade de remplissage des graines). Une fois l’application de nitrate levée, la capacité de la plante à restaurer l’appareil fixateur et son activité de fixation dépend du stade de développement. Chez le pois et autres légumineuses annuelles, une réversibilité de la fixation symbiotique est possible en début de cycle, jusqu’à la floraison, puis diminue au cours du cycle de la plante pour être nulle en fin de cycle. Chez le trèfle blanc, cultivé en association avec du ray-grass et pâturé, une baisse puis une reprise de la fixation symbiotique suite à l’apport d’azote minéral par les pissats ont été observées (Vertes et al., 1997 ; figure 2.3). Dans ce cas, comme dans le cas des associations légumineuses-céréales (Naudin et al., 2010), la réversibilité de la fixation symbiotique est en partie liée à la diminution rapide de l’azote minéral du sol du fait du prélèvement par la graminée associée.

Figure 2.3. Effet d’un apport d’urine sur la fixation symbiotique du trèfle en pâturage ray-grass–trèfle blanc. D’après Vertès et al., 1997.

Des plantes riches en protéines : quelles conséquences pour le potentiel de rendement ?

Les légumineuses ont la particularité de produire des graines ou du fourrage riches en protéines. La teneur en protéines d’un fourrage de luzerne ou de trèfles est généralement plus élevée que celle d’un fourrage de graminées normalement fertilisées, et peut atteindre jusqu’à 35 % de la matière sèche. La teneur moyenne en protéines des graines de légumineuses protéagineuses varie entre 23 % et 42 % de la matière sèche (du pois et du soja respectivement), alors qu’elle est de l’ordre de 10 % à 15 % pour les céréales comme le blé, même bien fertilisées en azote. Ceci constitue l’un des atouts majeurs des légumineuses et la spécificité des filières associées. Grâce à des efforts importants d’amélioration génétique, le rendement des légumineuses à graines (notamment celui du pois) a augmenté de façon significative depuis les années 1960. Même si le rendement en matière sèche des protéines du pois et d’autres légumineuses à graines a encore aujourd’hui un niveau nettement inférieur à celui des céréales, il reste plus élevé que celui d’un blé ou d’autres céréales fertilisées.

Au moins la moitié du différentiel de rendement entre céréales et légumineuses pourrait provenir d’une limitation intrinsèque des performances de ces cultures (figure 2.4 ; Munier-Jolain et Salon, 2005), du fait de la richesse en protéines de leurs graines. En effet, la synthèse des protéines a un coût énergétique plus élevé pour la plante que la synthèse d’amidon.

Les coûts énergétiques théoriques pour la production de graines peuvent être calculés comme la somme du prélèvement et de l’assimilation de l’azote, de la synthèse des composés de stockage dans les graines (protéines, amidon, lipides…) et de la translocation de ces composés de leur site de synthèse vers les graines (5 % du coût de leur synthèse). Les coûts énergétiques théoriques associés à la production de 1 g de graine ont ainsi été estimés 15 % supérieurs pour le pois que pour le blé (Munier-Jolain et Salon, 2005). Sachant que le coût du prélèvement et de l’assimilation de l’azote ont été considérés comme identiques chez le pois et le blé (c’est-à-dire identiques pour la fixation symbiotique et l’absorption de l’azote minéral), ce différentiel de 15 % entre les deux espèces est probablement sous-estimé, car les coûts de synthèse des nodosités n’ont pas été pris en compte dans ces calculs.

Une comparaison plurispécifique a été menée en mettant en relation le rendement potentiel de 18 espèces en fonction du coût énergétique de la synthèse de leurs graines (figure 2.4). Ainsi, les rendements les plus élevés sont obtenus chez les espèces riches en amidon (maïs, blé, riz), les rendements les plus faibles chez les espèces riches en huile (soja, colza, tournesol), les espèces riches en protéines (pois, lupin, féverole) présentant des niveaux de rendement intermédiaires. Cependant, à l’intérieur de chacun de ces groupes, des différences de performances existent entre espèces. Elles peuvent être en partie expliquées par les teneurs en protéines et en huile, et par l’intensité de la sélection. En effet, les espèces faisant l’objet d’une sélection avancée (par exemple maïs et blé) ont des niveaux de rendement et d’indice de récolte que l’on peut considérer plus proches de leur maximum que des espèces du même groupe moins améliorées génétiquement à ce jour (sorgho et blé dur par exemple).

Figure 2.4. Potentiel de rendement en fonction de la composition de la graine. Relation entre le coût en carbone de la production de graines en fonction de leur composition (donnée par les Tables de nutrition animale ; Sauvant et al., 2002) et leur potentiel de rendement en Europe (A), avec le rendement maximum enregistré parmi les principaux pays producteurs sur la période 1994-2004 (données FAO et Eurostat ; Munier-Jolain et Salon, 2005) et en France (B), avec la moyenne annuelle française la plus élevée sur la période 1994-2012 (sources : Eurostat, SCEES, Unip).

Pour pouvoir comparer les performances de production des espèces, des courbes d’iso-production (IP) ont été tracées, chacune représentant une valeur constante du produit du coût énergétique de 1 g de graine par le rendement.

De même, pour une espèce donnée, il existe une relation négative entre le rendement et la teneur en protéines (pour des situations environnementales où la nutrition N n’est pas limitante). En prenant en compte les coûts de synthèse des différents composés, des simulations chez le pois ont montré qu’une augmentation de la teneur en protéines de 10 % (compensée par une baisse de la teneur en amidon ; Bastianelli et al., 1998) s’accompagnerait d’une baisse du rendement de 3 % (Munier-Jolain et Salon, 2005). La différence de rentabilité pour l’agriculteur pourrait être compensée si cette augmentation de teneur en protéines s’accompagnait d’une augmentation du prix du pois sur le marché de 2 à 4 %. Néanmoins, pour ces espèces pour lesquelles la sélection est récente, il n’est pas exclu que l’amélioration de la teneur en protéines et celle du rendement se fassent conjointement, ainsi que l’illustrent des travaux conduits chez le pois (Burstin et al., 2007) et le soja (Cober et Voldeng, 2000).

À retenir. Le processus de la fixation azotée symbiotique.

La fixation azotée symbiotique est le processus biologique vital qui permet de convertir l’azote de l’air ambiant (N2) en azote minéral intermédiaire (azote ammoniacal, NH3) qui est alors assimilable par les organismes vivants pour constituer les molécules organiques (notamment les protéines).

Chez les légumineuses, cette symbiose s’effectue avec certaines bactéries (Rhizobium ou Bradyrhizobium) présentes dans le sol, au sein d’excroissances spécifiques des racines, les nodosités. On parle de plantes fixatrices d’azote et de fixation symbiotique. La symbiose est à bénéfices réciproques : via une enzyme spécifique (la nitrogénase), la bactérie fournit à la plante le N2 fixé ; en retour, la plante apporte l’énergie nécessaire à la synthèse des nodosités et à leur fonctionnement (figure 2.1).

La fixation symbiotique de N2 est un processus biologique, étroitement régulé par la plante en fonction de la teneur en azote minéral du sol. Ainsi, le taux de fixation (par rapport au prélèvement total d’azote par la plante) est fortement réduit si la disponibilité en nitrates du sol est élevée. En effet, les légumineuses prélèvent en premier lieu l’azote minéral du sol disponible et la fixation symbiotique prend le relais quand l’azote minéral se raréfie. Les légumineuses ont donc une grande adaptabilité pour utiliser la fixation de l’azote de l’air ou l’absorption de l’azote minéral du sol, selon les sources d’azote disponibles.

La relation entre fixation symbiotique et disponibilité en azote minéral du sol est linéaire pour les légumineuses annuelles à graines et plus variable pour les légumineuses fourragères, en particulier lorsqu’elles sont cultivées en association, les espèces non fixatrices associées modifiant rapidement la teneur en azote minéral du sol. Les légumineuses prairiales soumises à la présence d’animaux ont un moindre taux d’azote fixé symbiotiquement du fait des déjections, en particulier urinaires, qui augmentent la disponibilité en azote minéral dans le milieu.

Produire des protéines mobilise davantage de ressources énergétiques pour la plante que produire de l’amidon. Le rendement en protéines du pois et d’autres légumineuses à graines est plus élevé que celui d’un blé ou d’autres céréales fertilisées. Ainsi, le potentiel de rendement en matière sèche atteignable par les légumineuses à graines est en théorie inférieur à celui des céréales. Il existe cependant une marge de progrès importante pour augmenter conjointement les rendements et la teneur en protéines des protéagineux européens, car leur sélection variétale est plus récente que celle des céréales.

Dynamique d’acquisition et d’allocation de l’azote en fonction de la disponibilité en nitrate

Depuis les années 1980, le fonctionnement écophysiologique de cultures de protéagineux et de légumineuses prairiales est étudié et modélisé de manière détaillée. Le pois a notamment constitué une plante modèle pour décrire le développement, la croissance et l’accumulation d’azote des protéagineux sous contraintes biotiques et abiotiques, l’ensemble de ces mécanismes déterminant l’élaboration du rendement et la qualité (Munier-Jolain et al., 2005, 2010). Ce chapitre résume spécifiquement les mécanismes conduisant à l’acquisition de l’azote par les légumineuses, en interaction avec la croissance de la plante.

Dynamique globale de croissance sur l’ensemble du cycle

Les légumineuses sont généralement des plantes à croissance indéterminée et à floraison étalée (contrairement au blé). Les légumineuses à graines annuelles se caractérisent souvent par une phase de reproduction étalée dans le temps, qui démarre avant l’arrêt de la croissance végétative. Les légumineuses pérennes, fourragères ou prairiales, présentent un compartiment graine de taille limitée et se caractérisent par des mécanismes physiologiques permettant d’assurer leur pérennité. Ces caractéristiques sont à prendre en compte pour comprendre le fonctionnement et la dynamique de la mise en place des racines, des nodosités et de la nutrition N dont découle leur fonctionnement. Dans tous les cas, l’accumulation de la biomasse dans les différents organes n’est pas synchrone au cours du temps, du fait de leur production séquentielle.

Dans le cas des légumineuses à graines annuelles, la croissance répond aux règles suivantes (Jeuffroy et al., 2005) :

  • de la levée au début de la floraison (période végétative) : c’est la période de mise en place des structures de captation des ressources ; les trois compartiments végétatifs (tiges, feuilles, racines) présentent une croissance nette positive ;

  • à floraison : la biomasse racinaire est proche de son maximum et la surface foliaire établie permet d’intercepter au moins 80 % du rayonnement incident ;

  • du début de la floraison au début du remplissage des graines, la vitesse de croissance est maximale ; son niveau détermine le nombre de graines qui sera récolté (fixé à la fin du franchissement du stade limite d’avortement), selon une relation de proportionnalité valide dans de nombreuses conditions environnementales (Guilioni et al., 2003). Le nombre de cellules cotylédonaires des graines, atteint à la fin de cette phase et qui va déterminer la vitesse de leur remplissage en carbone, est déterminé génétiquement (maximum qui dépend du génotype), mais peut être affecté par des conditions environnementales défavorables. Le soja présente une très grande sensibilité aux faibles températures durant la phase floraison-début formation des gousses, entraînant la coulure des fleurs et l’avortement des jeunes gousses, du fait d’un transfert d’assimilats réduit dans ces conditions thermiques (Planchon, 1986). L’avortement des fleurs du soja est obtenu dès 13 à 15 °C pour les groupes 0, I, II, et dès 8 à 9 °C pour les groupes plus précoces (Rollier, 1989) ;

  • du début du remplissage des graines à la récolte : la croissance des feuilles, des tiges et des racines ralentit considérablement, voire s’arrête, alors que les graines commencent à accumuler massivement des réserves, à une vitesse fixée par le nombre de cellules cotylédonaires. En effet, les graines en remplissage constituent un puits prioritaire pour les assimilats (Munier-Jolain et al., 1998), et sous l’effet de la compétition pour les assimilats, leur croissance entraîne l’arrêt de la production et de la croissance de nouveaux phytomères (Turc et Lecoeur, 1997). Du franchissement du stade limite d’avortement à la maturité physiologique, les graines constituent l’unique puits représentant un bilan net positif pour la biomasse, les autres puits ayant arrêté de croître. Du carbone est cependant alloué à ces organes pour leur respiration, mais leur biomasse diminue du fait des pertes de CO2 associées à la respiration, et de la remobilisation de constituants vers les graines, ces processus conduisant à des pertes de matière sèche par sénescence. Le remplissage des graines s’arrête soit parce que leur poids maximal est atteint, soit parce que l’activité photosynthétique de la plante s’arrête. La teneur en carbone des différents compartiments est très stable au cours du temps et entre espèces, avec une très faible remobilisation du carbone entre compartiments dans la plante (Warembourg et al., 1984).

Chez les légumineuses fourragères pérennes, le développement des structures de captation des ressources aériennes et souterraines (feuilles, racines), lors de la phase d’installation de la culture, est généralement plus lent que chez les légumineuses annuelles. Même si le développement racinaire est proportionnellement plus important que le développement aérien lors de la phase d’installation de la culture (Lemaire et al., 1991), l’installation du système racinaire se fait souvent sur plus d’une année. Lorsque les légumineuses fourragères pérennes atteignent un stade reproductif (notamment en production de semences), les graines ne représentent qu’une faible proportion de la biomasse aérienne. Elles constituent un puits pour les assimilats azotés et carbonés plus réduit que chez les légumineuses annuelles, de sorte que la croissance des organes végétatifs (feuilles, tiges, racines) reste importante durant les phases de floraison-remplissage, assurant ainsi la pérennité de la plante.

Croissance des racines et des nodosités en interaction avec les autres organes

Mise en place du système racinaire

Comparé à celui des céréales, le système racinaire de certaines espèces de légumineuses annuelles est globalement peu développé ; c’est le cas notamment du pois. À tous les stades de développement, la majorité des racines (70 à 90 %) est située dans l’horizon superficiel. À maturité, à biomasse aérienne égale, la longueur totale des racines des légumineuses annuelles atteint seulement la moitié de celle des céréales (Greenwood et al., 1982 ; Hamblin et Hamblin, 1985 ; Hamblin et Tennant, 1987 ; Voisin et al., 2002a). Le système racinaire des légumineuses fourragères peut atteindre des profondeurs plus importantes que les légumineuses annuelles, mais avec de grandes variabilités selon les espèces et les conditions pédoclimatiques.

Chez le pois

Le système racinaire du pois est de type pivotant, composé d’une racine principale (ou pivot) et de racines latérales primaires et secondaires qui apparaissent de manière acropète sur la racine principale. Pendant la période végétative des parties aériennes, la racine principale connaît une élongation rapide, accompagnée par un développement horizontal et superficiel des racines latérales de premier ordre. À partir de la fin de la phase végétative, une forte croissance de la biomasse racinaire est associée au développement des racines latérales de second ordre, et se traduit par une pénétration plus en profondeur du système racinaire. Puis, au cours du remplissage des graines, on observe un ralentissement de l’accumulation de biomasse et l’émission des dernières racines latérales. Selon les génotypes et les conditions environnementales, la profondeur d’enracinement est maximale entre la floraison et le début du remplissage des graines, et varie de 50 cm à 1 m (Mitchell et Russel, 1971 ; Hamblin et Hamblin, 1985 ; Armstrong et Pate, 1994 ; Thorup-Kristensen, 1998 ; Voisin et al., 2002a ; Vocanson et al., 2006a ; Bourion et al., 2007), avec un effet fort du génotype. Par ailleurs, chez le pois, un des facteurs de l’environnement qui affecte le plus le système racinaire est la qualité de l’état structural du sol. En présence d’états structuraux dégradés (compaction), la dynamique de colonisation et la répartition des racines sont fortement modifiées (Vocanson et al., 2005, 2006b). On connaît une forte variabilité génétique du profil racinaire, encore relativement peu explorée (seuls les hyper-nodulants ont été précisément analysés).

Chez les autres protéagineux

La féverole a également un système racinaire pivotant avec une capacité d’enracinement similaire au pois et une racine principale plus importante en relatif aux racines latérales par rapport au cas du pois ; ses racines de large diamètre possèdent une bonne capacité de structuration du sol (Gregory et al., 1988 ; Kopke et Nemecek, 2010). Le lupin possède un enracinement profond (jusqu’à plus de 2 m ; Hamblin et Tenant, 1987) ; il a de plus la capacité de former des racines en cluster en cas de faible disponibilité en éléments minéraux (phosphore en particulier). Le pois chiche a également une forte capacité d’enracinement, avec des racines pouvant explorer les sols jusqu’à 1,80 m, comme le sorgho ou le millet (Gregory et al., 1988).

Chez le soja, le système racinaire, également de type pivotant, possède en surface de nombreuses ramifications et de fines radicelles plagiotropes. Trois autres caractéristiques marquent l’enracinement du soja. Tout d’abord, un bon potentiel de croissance et de développement, tant en profondeur que dans les horizons superficiels, permet une bonne exploitation des réserves hydriques du profil en sol profond et une bonne alimentation minérale. Toutefois, l’irrigation a un effet négatif sur le développement racinaire (voir plus loin ). Par ailleurs, le système racinaire du soja est très sensible à la texture du sol et à sa résistance mécanique, engendrée en particulier par la dessiccation du sol. Enfin, il existe une très forte variabilité génétique des potentiels de développement racinaire et de morphologie des racines, variabilité qui interagit aussi avec le milieu. Ces caractéristiques pourraient permettre d’envisager la sélection de variétés présentant une meilleure adaptation au milieu et à la sécheresse (Maertens, 1986), mais de tels travaux n’ont pas été menés en France.

Les espèces fourragères et prairiales ont un système racinaire qui peut être plus développé que celui de certaines légumineuses annuelles, mais une variabilité importante de potentiel d’exploration du sol existe. Selon les espèces, le pivot qui se forme dans la phase d’installation des plantes peut ultérieurement se développer de manière plus ou moins importante en profondeur, présenter une longévité plus ou moins importante, ou supporter un réseau de racines secondaires plus ou moins dense et long. Ce réseau peut être complété par un développement de racines adventives (c’est-à-dire poussant sur tige ou rhizome) plus ou moins important (Frame, 2005). Ainsi, la luzerne, le trèfle violet, le sainfoin et le lotier développent un pivot racinaire profond, si le sol le permet. Celui de la luzerne peut atteindre une profondeur de plusieurs mètres, et explorer des horizons de sol plus profonds que le système racinaire de la majorité des autres légumineuses et graminées fourragères et prairiales. Ce pivot profond permet à la luzerne d’accéder à une réserve hydrique importante et de maintenir une meilleure capacité de croissance lors des épisodes de sécheresse (Thiébeau et al., 2003). Le système racinaire pivotant qui se développe chez le trèfle violet dans les deux premières années régresse et laisse place à un système racinaire adventif et plus superficiel ensuite. Chez le trèfle blanc, le pivot racinaire qui se développe après la germination disparaît rapidement et est remplacé par le développement d’un système racinaire adventif à partir des entre-nœuds des stolons (tiges rampantes), permettant malgré tout à cette espèce de disposer d’un système racinaire moyennement profond, selon les génotypes (Caradus et al., 1990). Le développement de ces racines adventives étant limité en cas de compaction superficielle des sols, fréquente en parcelles pâturées dans de mauvaises conditions de portance des sols (Vertès et al., 1988), le trèfle blanc peut présenter une sensibilité accrue à la sécheresse.

Mise en place des nodosités selon un ajustement précis aux besoins en azote

Pour les légumineuses annuelles, à l’échelle du système racinaire, l’apparition des nodosités s’effectue par vagues échelonnées dans le temps. Leur densité est maximale à la base du pivot puis diminue en direction de la zone apicale pour laisser place à une zone sans nodosités. La proportion de racines latérales portant des nodosités est maximale (70 à 90 %) à la base du pivot, puis elle décroît rapidement à mesure que l’on s’éloigne de la base (Tricot, 1993). Par conséquent, les nodosités sont localisées majoritairement sur la partie supérieure du système racinaire. Après l’apparition des premières nodosités, la biomasse des nodosités de la plante augmente très rapidement pour atteindre un maximum au début de la floraison. Puis, en général, elle stagne jusqu’à la fin du franchissement du stade limite d’avortement des graines avant de chuter fortement en fin de cycle (Voisins et al., 2005 ; Bourion et al., 2007 ; Voisin et al., 2010). Le nombre de nodosités est principalement régulé par la nutrition azotée, la nodulation ayant lieu si et seulement si la disponibilité en nitrate est trop faible pour subvenir aux besoins de la plante.

La formation des nodosités ayant globalement lieu au détriment de la croissance des racines, plus la disponibilité en nitrate est élevée, plus la fixation symbiotique et la biomasse des nodosités sont faibles, et plus le prélèvement du nitrate et la biomasse racinaire sont élevés (essentiellement dans la couche labourée). Mais la présence de nitrate n’a d’incidence ni sur le profil de répartition des racines, ni sur la profondeur maximale d’enracinement qui reste une caractéristique de l’espèce.

Chez les légumineuses fourragères pérennes, la mise en place de l’ensemble des nodosités et le développement du potentiel de fixation symbiotique nécessitent souvent plus d’une année pour atteindre leur efficacité maximale (Heichel et al., 1991). Ceci est déterminé d’une part par le développement général relativement lent des plantules dans la phase d’installation de la culture chez la majorité de ces espèces, et en conséquence par le développement progressif du système racinaire et des nodosités, et d’autre part, par le fait que ces plantes ont une croissance indéterminée. Chez la luzerne, le système racinaire croît et accumule toujours plus de biomasse jusqu’à la destruction de la culture, même s’il perd jusqu’à 30 % de ses réserves carbonées par respiration pendant la phase de repos végétatif en hiver (Justes et al., 2002). Cette croissance racinaire importante assure une circulation d’air en profondeur qui facilite le développement des bactéries symbiotiques sur des racines plus profondes que la seule épaisseur de sol travaillé (Li et al., 2012). Ainsi chez la luzerne, les nodosités se développent dans les horizons superficiels du sol en première année, puis dans les horizons progressivement plus profonds ensuite (Li et al., 2012). Lors de la phase d’installation de la culture, les reliquats d’azote minéral dans le sol peuvent être relativement importants par rapport aux besoins de la plante et contribuer à ralentir la mise en place de sa capacité de fixation symbiotique, sans pour autant affecter la croissance de la plante, ni sa production (Thiébeau et al., 2011). En phase d’implantation de la luzerne, la biomasse racinaire se situe majoritairement dans l’horizon superficiel. Mais la proportion de la biomasse racinaire dans l’horizon superficiel va très rapidement décroître à la suite de l’extension du pivot aux horizons sous-jacents. Thiébeau et al. (2011) ont proposé une relation qui permet d’estimer la biomasse racinaire totale à partir de mesures réalisées dans l’horizon de surface.

Dynamique d’absorption de l’azote au cours de la croissance de la plante

Les deux voies d’acquisition de l’azote contribuent au prélèvement de l’azote de manière différente dans l’espace et dans le temps.

Chez les légumineuses à graines
En début de cycle

En conditions agricoles, lorsque les reliquats azotés sont élevés, l’assimilation racinaire du nitrate peut contribuer à l’acquisition de l’azote par le peuplement en début de cycle. L’assimilation racinaire diminue ensuite, en conjonction avec l’épuisement de l’azote minéral dans le sol, et l’inhibition de la fixation symbiotique est alors levée (figure 2.5). D’après des expériences réalisées au champ chez le pois (Voisin et al., 2002b), en l’absence de fertilisation azotée (avec des reliquats azotés de l’ordre de 30 kg N/ha dans la couche labourée), l’activité fixatrice démarre après un délai de 235 degrés-jours environ depuis la levée, délai correspondant au prélèvement des reliquats azotés du sol et à la mise en place progressive des nodosités et de leur fonctionnement. Ce délai augmente en présence d’azote minéral car la fixation symbiotique reste nulle tant que la disponibilité en azote dans la couche labourée reste supérieure à un seuil de 56 kg N/ha. Au cours du cycle, lorsque la disponibilité en azote minéral passe en dessous de ce seuil (du fait de l’épuisement de l’azote minéral du sol), l’inhibition de la mise en place des nodosités est levée. Chez les légumineuses annuelles, la mise en place de la fixation symbiotique est impossible après le début du remplissage des graines.

Lorsque les plantes, cultivées en l’absence d’azote minéral, reposent uniquement sur la fixation symbiotique, une légère carence en azote temporaire peut s’établir durant la période de formation des nodosités, entre le moment où les réserves de la semence sont épuisées et celui où les nodosités nouvellement formées deviennent actives. L’intensité et la durée de la période de carence dépendent de la rapidité de l’installation de l’appareil fixateur, qui est conditionnée par la capacité de la plante à allouer du carbone à la formation des nodosités durant cette période. Cette capacité dépend de la taille de la plante et de son appareil photosynthétique au moment de la transition entre hétérotrophie et autotrophie (fonction de la taille de la semence) ; elle dépend également du type de germination, qui influe sur la proximité des sources (semence) et des puits (appareil aérien et appareil racinaire), et donc sur l’allocation préférentielle des réserves de la semence aux puits aériens ou racinaires (Sprent et Thomas, 1984). Ainsi, cette carence temporaire sera plus faible chez des plantes à grosses graines et à germination hypogée par rapport à des plantes à petites graines et à germination épigée. Chez le pois (à germination hypogée), les reliquats azotés du sol suffisent à compenser cette période de carence temporaire. Chez le soja, à germination épigée, la nutrition azotée peut s’avérer limitante en l’absence de fertilisation azotée au semis et l’apport d’une faible dose d’azote au semis peut être favorable ; cependant, ce potentiel effet « starter » positif (Crozat et al., 1994 ; Starling et al., 1998) n’est pas toujours avéré (Hardarson et al., 1984 ; Ying et al., 1992) et, dans la pratique, l’apport d’engrais azoté au semis n’est donc pas conseillé.

Figure 2.5. Évolution, au cours du cycle de la plante, de l’azote provenant de la fixation symbiotique (A), de l’assimilation racinaire (B) et de la semence (C), pour des expériences réalisées en champ, avec des apports d’azote minéral au semis variant entre 0 et 400 kg N/ha. D’après Voisin et al., 2005.

En cours de cycle

Une fois les nodosités établies, la fixation symbiotique permet à la plante d’accumuler de l’azote de manière substantielle, mais l’assimilation de l’azote minéral est aussi possible si celui-ci est disponible (Vessey, 1992 ; Bergersen et al., 1992). Une fois la fixation symbiotique initiée, la vitesse de fixation augmente, au fur et à mesure de la mise en place des nodosités (figure 2.6A), jusqu’à ce que la biomasse maximale des nodosités soit atteinte. La vitesse de fixation est ensuite essentiellement liée à la vitesse de croissance du peuplement. Au moins jusqu’au début du remplissage des graines, les plantes reposant sur des modes de nutrition azotée différents ont des taux de croissance et de prélèvement de l’azote similaires (figure 2.6). Le pois continue à accumuler de l’azote tardivement durant son cycle, bien que les quantités incorporées varient selon les conditions environnementales (Jensen, 1986 ; Salon et al., 2001).

Figure 2.6. Évolution au cours du cycle de la plante, de la vitesse de fixation symbiotique (A), de la croissance du peuplement (B) pour des expériences réalisées en champ, avec des apports d’azote minéral au semis variant entre 0 et 200 kg N/ha. D’après Voisin et al., 2002b.

Pour obtenir la vitesse en kg/ha/jour, il faut multiplier la vitesse en mg N/m²/jour par la température moyenne journalière et diviser par 100. Ainsi, la valeur maximale observée de 40 mg N/m²/jour correspond à une température journalière de 20 °C à 8 kg N/ha/jour.

En fin de cycle

Pour la plupart des légumineuses annuelles, la fixation symbiotique diminue fortement pendant la phase de remplissage des graines (figure 2.6A), à la fois à cause de la compétition pour les assimilats avec les graines en croissance et du vieillissement des nodosités, qui affecte leur efficience. De plus, des facteurs environnementaux défavorables, comme la sécheresse ou les fortes températures, affectent souvent la fixation symbiotique à ce stade. Des situations où la disponibilité en azote minéral augmente en fin de cycle montrent une diminution de la contribution de la fixation symbiotique.

Chez les légumineuses fourragères pérennes

La mise en place de la capacité de fixation symbiotique est souvent relativement longue, du fait du développement lent des plantes dans la phase d’installation de la culture. Comme pour les légumineuses annuelles, lors de la phase d’installation de la culture, si les reliquats d’azote minéral du sol sont relativement importants par rapport aux besoins de la plante, ils contribuent à ralentir la mise en place de sa capacité de fixation symbiotique. Les légumineuses fourragères en peuplement monospécifique (luzerne) peuvent assimiler l’azote du sol et fixer l’azote atmosphérique durant une même repousse (Thiebeau et al., 2004 ; Rasmussen et al., 2012). Sur un pas de temps plus court, à l’échelle du cycle défoliation-repousse, la fixation symbiotique est relativement plus réduite après la défoliation que l’absorption d’azote minéral (Gordon et Kessler, 1990 ; Kim et al., 1993). Ainsi, la défoliation liée à l’exploitation de la culture entraîne un ralentissement temporaire important de la fixation symbiotique. La croissance de la plante devient alors dépendante de l’azote endogène accumulé préalablement dans les organes de réserve de la plante (Justes et al., 2002), et de l’absorption d’azote minéral, qui est moins affectée par la défoliation que la fixation symbiotique.

Dynamique d’accumulation d’azote dans les organes : impact sur la qualité

Quel que soit le mode de nutrition azotée, le prélèvement d’azote est piloté par la demande en azote de la culture, définie par sa vitesse de croissance, selon la courbe critique de dilution de l’azote (Ney et al., 1997 ; Lemaire et Salette, 1984). En l’absence d’apport d’engrais minéral, les reliquats azotés et la fixation symbiotique peuvent assurer la totalité des besoins en azote de la plante ; mais lorsque la plante repose uniquement sur l’assimilation d’azote minéral, on observe des situations de « sur-satisfaction » des besoins en azote.

Variation importante de la teneur en azote au cours du cycle

De la levée au début du remplissage des graines, la quantité d’azote augmente dans tous les organes végétatifs, en relation avec la croissance, mais de manière proportionnellement inférieure à l’accumulation de biomasse, ce qui conduit à une diminution de la teneur en azote de la plante par phénomène apparent de dilution au cours du temps (Lemaire et Gastal, 1997 ; Vocanson et al., 2005). En effet, la teneur en azote de chacun des organes est élevée (> 7 %) durant la phase de division cellulaire, puis diminue au fur et à mesure de la maturation de l’organe. Les feuilles les plus âgées, qui sont souvent les plus ombrées car situées dans le bas du couvert, transfèrent l’azote qu’elles contiennent vers les tiges, afin de le remobiliser dans les strates éclairées du couvert (Lemaire et al., 1991). Cette stratégie permet de maximiser la photosynthèse (Hirose et Werger, 1987). Lorsque le couvert est fermé, les organes de soutien (tiges), moins riches en azote, poursuivent leur développement jusqu’à représenter une proportion plus importante que la masse de feuilles. L’augmentation du rapport entre la masse de tiges et la masse de feuilles contribue donc aussi à la dilution de la teneur en azote de la plante entière.

Chez les légumineuses à grosses graines, à partir de la fin du franchissement du stade limite d’avortement, la demande en azote pour la synthèse des réserves protéiques dans les graines est très forte. Ainsi, la remobilisation de l’azote des autres organes vers les graines représente 60 à 90 % de l’azote des graines à maturité, l’accumulation d’azote exogène pendant le remplissage ne représentant que 10 à 40 % du total (Larmure et Munier-Jolain, 2005 ; Schiltz et al., 2005). Durant cette phase, l’accumulation d’azote dans des organes reproducteurs riches en protéines compense la diminution de la teneur en azote des organes végétatifs et, par conséquent, la teneur moyenne en azote de la plante reste à peu près stable.

Les différences d’importance du compartiment graines entre légumineuses conduisent à des variations de dynamique de dilution de l’azote entre espèces (Vocanson et al., 2005). Pour la luzerne (Lemaire et Allirand, 1993), la teneur en azote de la plante diminue rapidement avec l’accumulation de biomasse, de la même manière que les céréales et les autres cultures fourragères. Chez le trèfle blanc, espèce qui ne développe pas de tiges dressées mais des stolons qui échappent en partie à la récolte, la dilution de l’azote est moins prononcée. Dans le cas du lupin (Duthion et Pigeaire, 1991) et du soja (Ney et al., 1997), la teneur en azote des plantes entières reste constante pendant la période comprise entre le début de la floraison et le début du remplissage des graines. Le pois présente un comportement intermédiaire entre la luzerne et le soja.

Pour une espèce donnée, le déterminisme de la teneur en protéines des graines (en moyenne 24 % chez le pois, soit 3,8 % N) est complexe : il est fonction du rapport entre l’accumulation d’azote et l’accumulation de matière sèche dans les graines, déterminé par des mécanismes indépendants (Larmure et Munier-Jolain, 2005). La variabilité de la teneur en protéines des graines de pois est importante, aussi bien entre années qu’entre lots collectés sur une année donnée. Cette variabilité peut avoir des origines génétiques, mais les conditions environnementales expliquent la plus grande partie des fluctuations.

Remobilisation clé de l’azote en fin de cycle pour le remplissage des graines chez les légumineuses à graines

La destruction de l’appareil photosynthétique à la suite de la remobilisation de l’azote vers les graines entraîne l’arrêt du remplissage des graines (Sinclair et de Wit, 1976). La capacité des légumineuses à accumuler de l’azote au cours du remplissage des graines semble être liée à l’utilisation du carbone au sein de la plante. Le remplissage des graines s’arrête soit parce que la taille potentielle des puits « graines » est atteinte (cas du pois ; Munier-Jolain et al., 1996), soit parce que les sources sont limitantes (cas du soja). Ainsi, toute contrainte biotique ou abiotique ayant un effet sur l’activité photosynthétique du couvert est susceptible de limiter la durée du remplissage des graines et donc leur poids spécifique. Par ailleurs, le coût énergétique de synthèse des composés de réserve varie en fonction de l’espèce, selon la composition relative des graines en huile, protéines et amidon (du plus au moins coûteux).

Mise en réserve et remobilisation de l’azote chez les légumineuses fourragères

Les légumineuses fourragères pérennes et prairiales présentent la particularité d’être exploitées par récoltes successives de la majeure partie des organes aériens (défoliation), à des fréquences variables et avec des modes de prélèvement divers (fauche, pâturage tournant, pâturage continu). La récolte des organes aériens se traduit en particulier par une suppression plus ou moins importante des surfaces foliaires et conduit la plante dans un premier temps à mobiliser une partie de ses réserves pour redévelopper une surface foliaire et restaurer une bonne interception du rayonnement, et dans un second temps à reconstituer les réserves mobilisées pour faire face à la défoliation suivante. Si les réserves carbonées (amidon chez les dicotylédones, de différents types chez les graminées) ont pendant longtemps été considérées comme jouant le rôle de réserve principale, les recherches relativement récentes ont montré que les réserves azotées peuvent jouer un rôle tout aussi important (Avice et al., 1996, 2001 ; Justes et al., 2002), voire plus déterminant. Chez plusieurs légumineuses pérennes, ces réserves azotées sont dans une large mesure accumulées sous forme de protéines de réserve (vegetative storage proteins). Ces protéines de réserve sont préférentiellement stockées dans les stolons chez le trèfle blanc (Corre et al., 1996), ou dans le pivot racinaire chez la luzerne (Avice et al., 1996 ; Justes et al., 2002). Chez la luzerne, la contribution des réserves C et N accumulées dans la tige peut également jouer un rôle significatif selon la hauteur de défoliation (Meuriot et al., 2005). Lors d’une défoliation de la majeure partie du système aérien (exploitation de type fauche), la remobilisation des réserves azotées et carbonées se fait sur une durée de 5 à 10 jours selon les conditions de croissance (Avice et al., 1996, 2001 ; Thiébeau et al., 2011). En absence de fauche, la reconstitution des réserves azotées et carbonées est généralement plus lente et se réalise sur quelques semaines, selon les conditions de croissance et selon les espèces. La récolte des organes aériens conduit également à l’ablation de différents types d’organes selon les espèces, et notamment des bourgeons ou méristèmes à partir desquels se réalise la croissance post-défoliation. Si les méristèmes des graminées pérennes sont généralement près du sol et protégés de la défoliation, ce qui en fait des espèces bien adaptées à la pâture ou à la fauche, il en va différemment des légumineuses. Le caractère rampant des stolons du trèfle blanc permet à cette espèce de préserver la majorité de ses bourgeons. En revanche, chez une espèce à port érigé comme la luzerne, la défoliation conduit à l’ablation d’une proportion importante des méristèmes apicaux et des bourgeons axillaires, nécessitant le démarrage de bourgeons latents et pénalisant la vitesse de redémarrage. L’ensemble de ces processus (mobilisation et restockage des réserves C et N, ablation plus ou moins importante des bourgeons et des méristèmes) explique la variabilité de sensibilité des différentes légumineuses fourragères ou prairiales aux modalités d’exploitation. Chez certaines espèces comme la luzerne, le rythme de défoliation conditionne de manière importante la pérennité. Lemaire et Allirand (1993) ont montré qu’un rythme de 5 coupes par an conduisait à un épuisement des pivots racinaires, mais permettait de récolter un fourrage de meilleure qualité protéique. En Champagne-Ardenne, l’industrie de la déshydratation exploite les luzernières à raison de 4 coupes par an (42 à 45 jours entre deux coupes), sans pénaliser le rendement en matière sèche à l’hectare (Thiébeau et al., 2004), le rythme de 5 coupes étant réservé aux parcelles en dernière année de production.

Élaboration de la qualité (et valeur alimentaire) des légumineuses fourragères

Le fourrage récolté est majoritairement composé par la biomasse aérienne végétative, mais selon le stade de récolte, des fleurs, voire des gousses peuvent aussi être présentes. La valeur alimentaire du fourrage est déterminée par sa composition biochimique : teneur en protéines et teneur en fibres (Goering et Van Soest, 1970). Ces teneurs renseignent sur la proportion et la composition des parois cellulaires. La teneur en fibres est fortement et négativement corrélée à la digestibilité du fourrage. Les protéines sont principalement contenues dans les feuilles, et la teneur en protéines des feuilles est peu variable à l’échelle de la plante entière (25 à 30 %) (Mowat et al., 1965). En revanche, la proportion de feuilles, souvent mesurée par le rapport feuilles/tiges, diminue au cours de la croissance et de l’accumulation de biomasse aérienne par la plante. En effet, au début de la repousse, de nombreuses feuilles sont émises alors que les entre-nœuds n’ont pas encore commencé à s’allonger. Ensuite, même si l’émission des feuilles se poursuit, l’allongement des tiges, qui ont une teneur en protéines environ 10 points plus faible que les feuilles, conduit à une diminution de la teneur en protéines de la plante (Lemaire et al., 1985). Comme pour la teneur en protéines, les feuilles ont des valeurs de digestibilité élevées et relativement stables (Terry et Tilley, 1964 ; Mowat et al., 1965 ; Albrecht et al., 1987). En revanche, les jeunes tiges, dont les vaisseaux conducteurs sont peu lignifiés, ont une digestibilité élevée, mais au cours de leur croissance, les tissus secondaires se développent et se lignifient fortement (Vallet et al., 1998 ; Engels et Jung, 1998 ; Julier et al., 2008), contribuant à détériorer leur digestibilité. À l’échelle de la plante, ce sont les effets conjugués de la diminution de la proportion de feuilles de la plante et la diminution de la digestibilité des tiges qui expliquent la réduction de la digestibilité du fourrage avec l’accumulation de la biomasse aérienne. Au total, la digestibilité du fourrage est fortement pilotée par l’évolution du rapport feuilles/tiges ou de la proportion de feuilles dans la biomasse aérienne (figure 2.7) (Lemaire et Allirand, 1993).

Figure 2.7. Relation entre la digestibilité ou la teneur en fibres ADF (Acid Detergent Fiber, méthode van Soest) de la luzerne et la proportion de feuilles dans la biomasse aérienne. D’après Lemaire et Allirand, 1993.

Il faut noter que les mécanismes de réduction de la teneur en protéines et de la digestibilité au cours de la croissance sont pour partie différents selon l’espèce végétale. Chez le trèfle blanc, dont les tiges sont majoritairement rampantes, le fourrage récolté est principalement composé de feuilles (folioles et pétioles), ce qui lui confère une valeur alimentaire forte et stable dans le temps. Chez la luzerne, la relation physiologique négative entre les deux critères majeurs de cette culture — production de biomasse et valeur alimentaire — conduit à piloter la date de récolte pour un compromis qui corresponde aux besoins de l’éleveur. Cependant, une part de variabilité génétique a été mise en évidence, en particulier pour la digestibilité, et ceci à même niveau de rendement en biomasse (Julier et al., 2003b). Plusieurs facteurs contribuent à cette variabilité :

  • modification de la proportion de feuilles par l’intermédiaire d’un changement de la hauteur des tiges (Kephart et al., 1990 ; Lemaire et Allirand, 1993) ou par l’intermédiaire de l’introduction du caractère de feuilles multifoliolées (Juan et al., 1993) ;

  • modification de la digestibilité des tiges avec des variations sur la proportion de xylème secondaire dans la tige (Guines et al., 2003).

Avec la mise au point de méthodes de détermination de la valeur alimentaire à haut débit (spectrométrie dans le proche infra-rouge, SPIR) et l’identification d’une importante variabilité entre génotypes individuels au sein des populations de luzerne (Julier et al., 2000), les sélectionneurs parviennent désormais à améliorer ce caractère sans réduire la production fourragère. Pour les élevages, tout progrès sur la digestibilité permet un gain de production sans coût supplémentaire (cas du lait : Emile et al., 1997). Le chapitre 4 développe les valeurs alimentaires des fourrages selon les espèces animales.

Azote des parties souterraines et rhizodéposition

L’azote des parties souterraines d’une culture est la somme de l’azote contenu dans son système racinaire et de la libération de composés azotés dans le sol au voisinage de ses racines (la rhizodéposition ). Des études au champ montrent que la partie souterraine de l’azote d’une culture représenterait une part conséquente de l’azote de la plante entière, alors qu’elle a longtemps été négligée (Dubach et Russelle, 1994 ; Peoples et al., 1995 ; Russell et Fillery, 1996 ; Rochester et al., 1998 ; Khan et al., 2002 ; Fustec et al., 2010). L’azote souterrain, des légumineuses mais aussi des autres cultures, a donc une valeur déterminante pour une gestion adéquate de l’équilibre azoté à l’échelle de la rotation culturale.

La rhizodéposition est le phénomène général par lequel des composés carbonés et azotés sont libérés par les racines dans le sol pendant la croissance de la plante (Fustec et al., 2010). Les différents mécanismes par lesquels les rhizodépôts majeurs sont libérés dans le sol sont :

  • la sénescence et la décomposition des racines et des nodosités ;

  • l’exsudation de composés solubles par les racines ;

  • le renouvellement des cellules de la coiffe racinaire ;

  • la sécrétion de mucilage.

Cependant, la majorité de l’azote rhizodéposé provient de la sénescence et de l’exsudation racinaire. Les principaux composés azotés exsudés par les racines de légumineuses sont l’ammonium, les acides aminés et les uréides, mais il existe également une large gamme d’autres composés azotés. La rhizodéposition est difficile à mesurer mais un effort significatif a été réalisé au début des années 2000 pour développer des méthodes permettant une quantification au champ. Ainsi, il a été montré que la rhizodéposition augmente avec l’âge de la plante et sa teneur en azote (Mahieu et al., 2007). Les rhizodépôts constituent une source de carbone et d’azote pour la microflore du sol et pour les plantes voisines ou les cultures suivantes. Les fonctions écologiques des rhizodépôts sont diverses et restent encore mal connues. La rhizodéposition n’est pas spécifique des légumineuses : légumineuses ou pas, les espèces cultivées en grandes cultures auraient de l’ordre de 30 % de leur azote total situé dans les parties souterraines. Néanmoins, les quantités sont plus importantes chez les légumineuses car elles accumulent plus d’azote. La part de chaque mécanisme de rhizodéposition est variable selon les espèces : l’exsudation représente jusqu’à 20 % de l’azote rhizodéposé pour le trèfle blanc, mais moins de 5 % pour la luzerne.

À retenir. Dynamique de la nutrition azotée au cours du cycle de croissance.

Chez les légumineuses à graines annuelles

En culture monospécifique, le prélèvement d’azote se divise en 3 étapes (figure 2.8) et cette dynamique, qui a été quantifiée sur le pois, est transposable à toutes les légumineuses à graines.

1. En début de cycle d’une culture comme le pois, les besoins en azote nécessaires à la mise en place de la plantule sont assurés par la semence, l’autonomie étant proportionnelle à la taille de la graine.

2. De la levée au début de remplissage des graines : à partir de la levée, l’absorption de nitrates provenant de l’azote minéral dans le sol prend le relais puis diminue au fur et à mesure de l’épuisement de l’azote minéral du sol. La fixation symbiotique démarre dès que les réserves de la graine et les reliquats azotés ne permettent plus de subvenir aux besoins en azote, soit au bout d’environ 235 degrés-jours après le semis chez le pois. Les premières nodosités du pois sont visibles dès le stade 3-4 feuilles. Leur mise en place a lieu au détriment des racines. Les reliquats azotés du sol au semis favorisent le démarrage de la croissance, permettant une disponibilité en nutriments suffisante pour une mise en place rapide des nodosités. Des niveaux d’azote minéral supérieurs à 50 kg/ha environ retardent la mise en place des nodosités et limitent la fixation symbiotique. La fixation symbiotique augmente au cours de la phase végétative au fur et à mesure de la diminution de la disponibilité en azote minéral du sol et de la mise en place des nodosités, pour devenir majoritaire dès la fin de la phase végétative. Ensuite, la légumineuse a la capacité de basculer d’une voie à l’autre, en fonction des variations de l’azote minéral du sol et des besoins azotés de la plante, sauf si le fonctionnement des nodosités a été longtemps inhibé.

3. À partir du début du remplissage des graines, la fixation symbiotique décroît : cette baisse est interprétée comme une conséquence de la compétition pour les nutriments carbonés issus de la photosynthèse qui est exercée par les gousses au cours de leur remplissage aux dépens des nodosités (dont l’efficience est par ailleurs diminuée par leur vieillissement). En plus de ce facteur intrinsèque majeur, des facteurs environnementaux défavorables peuvent contribuer à accélérer la diminution de la fixation symbiotique en fin de cycle. La couleur rose des nodosités indique qu’elles sont fonctionnelles, alors qu’une couleur vert-marron indique la sénescence de leurs structures et donc l’arrêt de la fixation symbiotique. La teneur en protéines des graines (en moyenne 24 % chez le pois, soit 3,8 % N) est fonction du rapport entre l’accumulation d’azote et l’accumulation de matière sèche dans les graines, déterminées par des mécanismes indépendants. La variabilité de la teneur en protéines des graines de pois est importante, aussi bien entre années qu’entre lots collectés une année donnée. Si cette variabilité peut avoir des origines génétiques, les conditions environnementales expliquent la plus grande partie des fluctuations.

Une partie de l’azote absorbé se retrouve dans la rhizodéposition qui reste difficile à quantifier.

Figure 2.8. Quantité d’azote accumulée (kg N/ha) dans la biomasse totale et des différents organes de la plante au cours du cycle du pois protéagineux (données Inra Dijon, Voisin, 2002). La quantité d’azote rhizodéposé n’est pas incluse ici.

F, floraison ; DRG, début de remplissage des graines ; MP, maturité physiologique.

Chez les légumineuses fourragères pérennes

La production fourragère est limitée durant la phase d’installation des légumineuses pérennes, comme souvent chez les espèces pérennes. Il est ainsi préférable d’éviter l’exploitation au cours de cette phase, sous peine de compromettre la productivité et la pérennité ultérieures de la culture. La durée de la phase d’installation varie selon les espèces et les conditions de semis (notamment la période de semis, printemps ou automne). Ultérieurement à cette phase, le fonctionnement azoté de ces légumineuses fourragères s’inscrit dans une succession de cycles de défoliation et de repousses.

Selon les modalités d’exploitation et les situations, les défoliations peuvent conduire à l’ablation de la grande majorité du système foliaire (en général situation d’une exploitation par fauche), ou être moins sévères (généralement cas des défoliations en pâturage continu). En fonction de sa sévérité, la défoliation conduit à un ralentissement de la fixation symbiotique et de l’absorption d’azote, voire à un arrêt temporaire durant les jours suivants. De ce fait, l’allocation d’azote pour la reconstitution du système foliaire dépend des réserves azotées accumulées préalablement dans la plante, les racines, les pivots, les tiges et/ou les stolons, selon les espèces. L’impact de la défoliation sur la dynamique de la remobilisation des réserves et de la repousse dépend également de la position des bourgeons (apicaux, axillaires ou latents) et de leur exposition à la défoliation, ce qui varie notablement selon les espèces (point particulièrement critique pour la luzerne par exemple).

Ultérieurement à leur phase de remobilisation consécutive à la coupe, la reconstitution des réserves azotées est un élément déterminant pour la pérennité des légumineuses fourragères. À titre d’exemple, la reconstitution des réserves dans les pivots de la luzerne se fait sur plusieurs semaines et commence une douzaine de jours après la défoliation. Si le rythme d’exploitation ne permet pas aux plantes d’assurer une reconstitution suffisante de ces réserves, la repousse dans les cycles d’exploitation suivants est pénalisée et à terme la pérennité de la culture peut en être significativement réduite.

Du fait de la variabilité des conditions d’exploitation des légumineuses pérennes (exploitations par fauche, pâturage tournant, pâturage continu), les situations de disponibilité en azote minéral du sol peuvent être particulièrement variables ou fluctuantes, ce qui entraîne une variabilité des situations d’équilibre fixation symbiotique/absorption d’azote minéral du sol, puisque cet équilibre est dépendant de la disponibilité en azote minéral du sol chez les légumineuses pérennes comme chez toutes les autres légumineuses. Notamment, les situations de fertilisation en N minéral et organique, ainsi que les situations de pâturage qui génèrent des restitutions de N sous forme d’urine et de fèces, pénalisent la fixation symbiotique au détriment de l’absorption de l’azote du sol.

Relations interspécifiques et nutrition azotée des légumineuses cultivées en association végétale

Les associations entre espèces permettent de mieux valoriser les ressources du milieu, en exploitant les complémentarités entre groupes fonctionnels, une espèce pouvant faciliter l’accès à une ressource par une autre espèce. C’est le cas des associations entre espèces de légumineuses et de graminées par rapport à l’azote minéral du sol : puisqu’elles ont la spécificité de fixer l’azote atmosphérique de l’air, les légumineuses rendent la quasi-totalité de l’azote minéral disponible pour les plantes associées. Toutefois, le fonctionnement de l’association est la résultante d’effets de facilitation et de compétition entre les espèces (Louarn et al., 2010 ; Justes et al., 2014).

L’effet de la disponibilité en N du sol sur les flux d’azote fixé peut s’analyser en prenant en compte deux composantes principales : son effet direct sur le taux de fixation, et son effet indirect sur la croissance de la légumineuse, en compétition avec des plantes dont la capacité de croissance en réponse à l’azote peut être supérieure à celle de la légumineuse. En effet, la quantité fixée est proportionnelle à la biomasse aérienne (figure 2.9 pour le cas du pois) et dépend de la compétition exercée par la non-légumineuse associée, en particulier pour la lumière (Jensen, 1996 ; Corre-Hellou et al., 2006a ; Naudin et al., 2010).

Figure 2.9. Relation entre la quantité d’azote fixé et la biomasse aérienne de pois cultivés en association avec du blé dans 3 expériences différentes, avec ou sans fertilisation azotée. D’après Naudin et al., 2010.

Cas d’associations annuelles céréale-légumineuse

La forte compétitivité de la céréale pour l’azote du sol force la légumineuse à assurer son alimentation azotée principalement par la fixation symbiotique pour couvrir ses besoins. Par rapport à une culture monospécifique de pois, une augmentation de la contribution de la fixation de N2 à l’accumulation d’azote est le plus souvent observée en cas d’association avec une graminée, c’est-à-dire que de fortes valeurs de % Ndfa sont obtenues (sauf dans le cas de fertilisation tardive) (Naudin et al., 2010).

Compétition et complémentarité pour l’azote

Au début du cycle, les deux espèces reposent pour leur nutrition azotée sur l’azote minéral du sol, avant que la fixation symbiotique ne se mette en place. Dans cette phase, la céréale est plus compétitive que la légumineuse en raison d’un enracinement plus dense et d’une installation plus rapide, ainsi que d’une demande en N plus élevée, liée à une plus forte vitesse de croissance en début de cycle (Corre-Hellou et al., 2007). Néanmoins, cette phase de compétition au départ contribue dans un deuxième temps à stimuler la voie de la fixation symbiotique pour la nutrition N de la légumineuse. Les espèces sont complémentaires pour l’utilisation de l’azote en utilisant deux sources : l’azote minéral du sol et l’azote atmosphérique, et permettent une meilleure acquisition d’azote que si elles étaient cultivées séparément. Cette complémentarité se manifeste davantage encore lorsque la disponibilité en nitrate est faible. Quand la disponibilité en nitrate dans le milieu est forte, même si le % Ndfa est toujours élevé, la quantité fixée est généralement réduite par augmentation de la compétition exercée par la céréale pour la lumière qui entraîne une diminution de la biomasse du pois (Corre-Hellou et al., 2006a ; Naudin et al., 2010).

Les transferts directs d’azote de la légumineuse à la céréale sont faibles et ne contribuent pas significativement à l’amélioration de la nutrition azotée de la céréale. En effet, même si la rhizodéposition azotée de la légumineuse peut être importante à long terme, ces transferts sont bidirectionnels et le bilan est quasiment nul à l’échelle annuelle.

Impact sur le rendement et la qualité

Les associations céréale-légumineuse sont des moyens efficaces de produire en général plus, et a minima autant, que la moyenne des cultures monospécifiques, avec moins d’engrais azotés (Bedoussac et Justes, 2010 ; Naudin et al., 2010). Elles offrent la possibilité de produire des grains de céréales riches en protéines, avec peu ou pas d’engrais azotés (Naudin, 2009), et de produire des grains de protéagineux, sans les inconvénients fréquemment rencontrés en culture pure comme la verse, les adventices, les maladies (Corre-Hellou et al., 2010).

Cas d’associations en grande culture entre légumineuse annuelle et légumineuse pérenne

Elles sont peu fréquentes, mais la technique existe. Elle permet d’associer une culture de pois et l’implantation d’une luzerne, avec un seul travail du sol.

Compétition pour l’azote

Comme dans le cas des associations céréale-légumineuse, au début du cycle, les deux espèces reposent pour leur nutrition azotée sur l’azote minéral du sol, avant que la fixation symbiotique se mette en place rapidement, à cause de la compétition exercée pour l’exploitation des ressources du sol, mais aussi pour l’accès à la lumière. Cela joue donc également un rôle de stimulation de la fixation symbiotique.

Transfert d’azote entre légumineuse annuelle et légumineuse pérenne

Le transfert essentiel se réalise au moment de la sénescence du système racinaire de la légumineuse annuelle. La luzerne, privilégiant l’absorption d’azote minéral, sera suffisamment enracinée au moment de la maturité du pois pour absorber l’azote que celui-ci va libérer, limitant, de facto, tout risque de pertes de nitrate post-récolte.

Impact sur le rendement et la qualité

L’impact de cette association sur le rendement du pois est de 5 à 10 % de grains en moins à la récolte par rapport à une culture de pois pur. La luzerne joue le rôle de tuteur pour le pois, ce qui facilite sa moisson. La paille de l’association est enrichie en azote, du fait de la présence de la luzerne, ce qui peut être valorisé par des animaux. La luzerne en place est ensuite conduite comme une culture fourragère pure, sans incidence sur son potentiel de production, ni sa pérennité.

Cas des associations prairiales pluriannuelles

De manière générale, dans le cas des cultures associées pérennes légumineuse-graminée, la graminée tend à réduire la quantité d’azote minéral du sol, ce qui active la fixation de l’azote atmosphérique par la légumineuse, conduisant à une plus grande quantité d’azote fixée par une légumineuse associée que par une légumineuse pure (Nyfeler et al., 2011). Les légumineuses prairiales, qui doivent fréquemment partager les ressources du milieu avec une ou plusieurs espèces non fixatrices, ont la capacité d’être autonomes pour leur nutrition azotée, avec des taux de fixation généralement compris entre 80 et 100 % (Liu et al., 2011 ; Rasmussen et al., 2012).

Compétition et complémentarité pour N

Les taux de fixation sont plus élevés en condition de fauche que de pâturage (Vertès et al., 1995, Hutchings et al., 2007), car les animaux génèrent des apports d’azote localisés très élevés par leurs déjections, en particulier urinaires. À court terme, la fixation du trèfle blanc s’avère très sensible à un apport élevé d’azote urinaire (ou minéral) (figure 2.3), mais cette inhibition de la fixation symbiotique est réversible. À l’échelle de l’année, l’effet moyen des pissats conduit à une réduction de la fixation d’environ 20 % par rapport aux zones pâturées sans pissat (Vertès et al., 1995). Dans ce cas, le retour du potentiel de fixation de la légumineuse est accéléré par le prélèvement de l’azote minéral réalisé par la graminée associée.

Dans les associations prairiales, des transferts directs et indirects d’azote de la légumineuse à la graminée peuvent se combiner aux effets de complémentarité de niche pour améliorer la nutrition azotée et la croissance de la graminée associée. Ces transferts proviennent essentiellement de la rhizodéposition azotée de la légumineuse. Ainsi, la part de l’azote de la graminée issue de la légumineuse peut atteindre 50 % pour les associations ray-grass–trèfle blanc (Hogh-Jensen et Schjoerring, 2000). Le transfert d’azote de la légumineuse vers les autres compartiments du sol se fait de manière différente selon les espèces (Fustec et al., 2010). Le transfert de l’azote à partir de la sénescence et du renouvellement des nodosités semble relativement plus important chez le lotier, tandis que le transfert de l’azote semble plus lié à la sénescence et au renouvellement des racines en elles-mêmes chez la luzerne (Dubach et Russelle, 1994). Chez le trèfle blanc, la rhizodéposition directe semble proportionnellement plus importante. En conséquence, le transfert de l’azote vers le sol et sa mise à disposition aux graminées associées semblent se mettre en place rapidement chez le trèfle blanc, et de manière plus lente et surtout avec une moindre ampleur chez la luzerne (Heichel et al., 1991 ; Tomm, 1993).

Impact sur le rendement et la qualité

Les associations graminée-légumineuse dans les prairies permettent d’améliorer la stabilité des rendements, en quantité et qualité, en combinant les qualités des deux partenaires : valeur énergétique des graminées et teneur en protéines des légumineuses. En particulier, les graminées associées permettent une conservation des fourrages par ensilage. Ce mode de conservation est impossible chez des fourrages de légumineuses seules car, du fait de leur faible teneur en sucres solubles, l’acidification du fourrage ensilé est trop lente, engendrant une mauvaise conservation et une forte dégradation de leurs protéines (voir Des fourrages plus ingestibles que les graminées ).

À retenir. Fonctionnement des associations graminées-légumineuses vis-à-vis de l’azote.

Les associations graminées-légumineuses représentent un moyen efficace de produire autant de biomasse aérienne que la moyenne des cultures cultivées pures, avec moins d’engrais azotés.

Ces associations valorisent en effet des voies de nutrition azotée complémentaires entre les espèces. De façon générale, les légumineuses, ayant la spécificité de fixer l’azote atmosphérique de l’air, rendent la quasi-totalité de l’azote minéral disponible dans le sol pour l’alimentation des graminées. Les transferts directs d’azote de la légumineuse à la culture non fixatrice associée sont généralement plus faibles, et éventuellement compensés par des transferts de la culture non fixatrice vers la légumineuse sauf pour les associations pluriannuelles.

Cas des associations annuelles céréales-légumineuses en grandes cultures

Dans les premières phases du cycle, la céréale possède une croissance aérienne et racinaire plus rapide que la légumineuse ; elle présente de ce fait une meilleure compétitivité pour l’azote du sol que la légumineuse, ce qui force la légumineuse à reposer principalement sur la fixation symbiotique pour assurer ses besoins azotés.

Ainsi, par rapport à une culture monospécifique de pois, l’association d’une légumineuse avec une graminée (pois-céréale par exemple) augmente la part d’azote issu de la fixation symbiotique de N2 même en situation fertilisée. La quantité de N2 fixée est proportionnelle à la biomasse aérienne produite, et dépend de la compétition exercée par chacune des espèces associées, en particulier pour la lumière.

À l’échelle annuelle, les transferts directs d’azote (par rhizodéposition) entre les parties racinaires de deux espèces sont faibles, ou existent dans les deux sens, et contribuent donc peu à la nutrition azotée de l’espèce non-légumineuse dans les associations annuelles.

Les associations céréales-légumineuses offrent la possibilité de produire des grains de céréales riches en protéines, avec peu ou pas d’engrais azotés, et de produire des grains de protéagineux, sans les inconvénients fréquemment rencontrés en culture pure (verse, pression d’adventices).

Cas des associations pluriannuelles graminées-légumineuses fourragères des prairies

Comme pour les cultures annuelles, l’association de légumineuses fourragères pérennes avec les graminées prairiales permet de réduire les besoins en intrants azotés de ces dernières. La graminée prélève et donc réduit la quantité d’azote minéral du sol, ce qui active la fixation et conduit à une plus grande quantité d’azote fixée par une légumineuse associée comparée à une légumineuse en culture monospécifique.

À cet effet majeur s’ajoutent à une échelle pluriannuelle les transferts d’azote de la légumineuse à la graminée, par exsudation racinaire (transfert direct) ou par turnover racinaire et dépôt de litière (transfert indirect). Ces transferts peuvent ainsi contribuer à la nutrition azotée et à la croissance de la graminée associée mais restent difficiles à quantifier. Néanmoins, ils sont susceptibles d’être supérieurs à ceux observés en cultures annuelles car ils prennent leur effet sur plusieurs années. Le type de transfert (direct ou indirect) et son efficacité sont variables selon l’âge de l’association et selon les espèces de légumineuses : par exemple, transfert lent pour la luzerne (transfert indirect, par rhizodéposition, avec un turnover racinaire lent), et rapide pour le trèfle blanc (principalement par transfert direct). À ces flux azotés s’ajoutent les déjections animales pour les cas d’associations pâturées.

En plus de l’économie de fertilisant azoté qu’elles permettent, les associations graminées-légumineuses prairiales présentent également l’intérêt de produire un fourrage de composition et de valeur alimentaire mieux équilibrées pour les ruminants que les légumineuses ou les graminées pures, en combinant les qualités des deux partenaires : valeur énergétique des graminées et teneur en protéines des légumineuses.

Facteurs de variation de la fixation symbiotique autres que les nitrates

La quantité d’azote fixée par une légumineuse peut largement varier sous l’influence de plusieurs facteurs : l’espèce et la variété, la souche bactérienne associée et son efficacité, le pH du sol et ses teneurs en nutriments (P, K, Mg, Ca, Fe, Mo, Cu, B), les techniques culturales et le climat.

Facteurs environnementaux limitant la fixation symbiotique

Une sensibilité aux stress

De nombreux facteurs de l’environnement modifient la croissance de la plante et ont un effet indirect sur le niveau de fixation symbiotique, par l’intermédiaire d’une modification de la nutrition carbonée et de la croissance de la plante qui en découle. D’autres facteurs environnementaux, biotiques ou abiotiques, ont une action directe et spécifique sur la fixation symbiotique. La fixation symbiotique peut être ainsi limitée par un déficit hydrique, un excès d’eau, une alimentation minérale déficiente en P et K, un état structural du sol dégradé (du lit de semences et/ou de la couche labourée) ou des maladies et ravageurs. En effet, tous ces facteurs affectent l’installation des nodosités et/ou leur fonctionnement, avec des conséquences sur la fixation symbiotique d’azote. Une limitation de l’absorption d’azote minéral par les racines peut également avoir lieu, du fait d’un système racinaire peu développé, conséquence par exemple d’un état structural dégradé et/ou de la présence de maladies racinaires comme Aphanomyces euteiches chez le pois, ou du fait d’une faible disponibilité en nitrate du sol (faible minéralisation, manque d’eau…). Dans ces conditions, l’absorption d’azote minéral ne permet pas de compenser la déficience de la fixation symbiotique, conduisant ainsi à une nutrition azotée limitante. Ainsi, malgré la complémentarité potentielle entre les deux voies d’acquisition de l’azote au cours du temps, les cultures de légumineuses présentent fréquemment des carences azotées en situations agricoles. Un stress azoté prolongé diminue la production de matière sèche avec des effets immédiats sur la production fourragère et la teneur en protéines du fourrage. Il agit aussi in fine sur le rendement en graines des légumineuses annuelles, essentiellement sur le nombre de graines au m², et leur teneur en protéines (Doré et al., 1998).

Par ailleurs, la fixation symbiotique est beaucoup plus sensible aux facteurs du milieu que l’assimilation racinaire (Sprent et al., 1988). En effet, des études en serre ont montré que les légumineuses résistent en général mieux aux stress dans les conditions où leur alimentation azotée repose sur l’assimilation de l’azote minéral ou sur un mode de nutrition azotée mixte que lorsque leur alimentation azotée repose uniquement sur la fixation symbiotique (c’est-à-dire en l’absence d’azote minéral dans le milieu).

Une faible réactivité pour adapter son appareil fixateur selon l’environnement

Au niveau physiologique, la fixation symbiotique a une faible réactivité à une perturbation induisant subitement une carence en azote. En effet, le nombre et la biomasse des nodosités sont précisément ajustés aux besoins en azote de la plante, au travers de régulations faisant intervenir le statut azoté de la plante. La contrepartie à cet ajustement est une plus faible réactivité de la fixation symbiotique à une perturbation subite du milieu induisant une carence en azote, contrairement à une alimentation par la voie minérale (Jeudy et al., 2010). Ainsi, une privation locale de nitrates ou d’ammonium sur une partie du système racinaire induit sur le court terme une augmentation de l’activité de prélèvement d’azote des racines restant exposées à la ressource (par dé-répression des transporteurs membranaires), permettant de maintenir le niveau d’accumulation d’azote à l’échelle de la plante. À l’inverse, lorsqu’une partie du système fixateur devient inefficiente (par privation de N2 par exemple), l’activité de fixation des nodosités restant efficientes n’est pas augmentée (car elle était déjà maximale). La réponse de l’appareil fixateur à une carence locale en N2 (ou déficience locale de la fixation) met en œuvre une plasticité à long terme avec, dans un premier temps, une augmentation de la biomasse des nodosités existantes, puis l’apparition de nouvelles nodosités. Toutefois, le délai d’une quinzaine de jours nécessaire à leur apparition et à leur fonctionnement induit une carence temporaire en azote qui s’accompagne généralement d’une diminution de croissance.

Une proportion moindre d’azote fixé si le potentiel de rendement n’est pas atteint

On peut estimer le pourcentage de fixation symbiotique en utilisant la relation linéaire établie entre le pourcentage de fixation symbiotique et la disponibilité en azote minéral au semis (figure 2.2). Néanmoins, cette estimation n’est valable que lorsque la fixation n’est pas limitée par d’autres facteurs que les nitrates et donc seulement pour des rendements proches du potentiel climatique. Or, les situations agricoles présentent généralement des niveaux de rendement inférieurs au potentiel, souvent associés à des déficits de prélèvement de N. Dans ces situations, on peut faire l’hypothèse que le déficit du prélèvement en N est majoritairement imputable à un déficit de fixation symbiotique : parce que la fixation symbiotique est plus sensible au milieu que l’assimilation des nitrates, et parce que l’assimilation des nitrates a lieu en début de cycle, lorsque les conditions environnementales sont plus favorables, car elle correspond à l’utilisation des reliquats N du sol, avant la mise en place de la fixation symbiotique. Pour un niveau de disponibilité en nitrate donné au semis, on peut recalculer un pourcentage de fixation minimal pour des niveaux de rendement inférieurs au potentiel. Ainsi, sur la figure 2.10, des courbes de réponse de la fixation symbiotique du pois à la disponibilité en nitrate du sol ont été calculées pour des niveaux de rendements azotés diminués par rapport à un rendement de référence.

Figure 2.10. Simulation du pourcentage de fixation sur l’ensemble du cycle de culture du pois en fonction du niveau d’azote minéral au semis (dans le sol Inra Dijon) et du niveau de rendement N relatif (par rapport au potentiel climatique, de l’ordre de 70 q/ha ici) sur la part d’azote symbiotique (données Inra Dijon). À titre de comparaison, la valeur moyenne interannuelle des rendements agricoles français sur la période 1983-2012 est de 45 q/ha, soit une réduction de 36 % par rapport au potentiel génétique de 70 q/ha.

On peut noter que le % de fixation symbiotique ne dépend pas seulement de la quantité de reliquats N au semis mais de la quantité totale de N minéral disponible sur l’ensemble du cycle de culture. Ces relations sont donc valides pour le sol dans lequel elles ont été établies (Inra Dijon). Des travaux sont en cours pour proposer des relations en fonction des fournitures totales en N du sol, qui seront a priori valides pour un plus grand nombre de situations.

En conditions habituelles en France, on estime que 50 à 70 % des besoins azotés d’une culture de pois sont fournis par la fixation symbiotique (Unip-ESA). Lorsque le sol est très riche en azote minéral au moment de la croissance (reliquat à la récolte de la culture précédente de 60 à 120 kg N/ha, en cas d’apports importants d’effluents d’élevage dans la rotation par exemple), ce ratio peut être inversé avec les deux tiers issus de l’azote du sol. À l’inverse, dans les sols pauvres en nitrates, tels que les sols sableux peu fertilisés, le taux de fixation peut dépasser 80 %. En étudiant une trentaine de situations françaises de 1997 à 2003, Carrouée et al. (2006b) ont mesuré chez le pois un taux d’azote fixé moyen de 58 %, avec des valeurs variant entre 40 et 80 %.

Les simulations concordent avec ces observations car elles montrent que des niveaux de fixation entre 50 et 70 % correspondent à des niveaux de rendement moyens (inférieurs au potentiel de 15 à 30 %) et/ou à des niveaux de reliquats azotés « moyens » (de 30 à 90 kg N/ha). Les niveaux de fixation très élevés (supérieurs à 80 %) correspondent aux niveaux de rendements élevés associés à de faibles reliquats azotés (moins de 30 kg N/ha). Les niveaux de fixation faibles (inférieurs à 60 %) correspondent à de très forts niveaux de reliquats en azote minéral pour des niveaux de rendements élevés ou bien aux niveaux de rendements très faibles, quels que soient les niveaux de ces reliquats.

Effets des principaux facteurs limitant la fixation symbiotique
Disponibilité en eau

Un déficit hydrique limite la survie des bactéries dans le sol (Hungria et Vargas, 2000). Aussi, l’amplitude de la réponse à un déficit hydrique va dépendre des souches bactériennes qui peuvent être plus ou moins sensibles à ce déficit (Djedidi et al., 2011). Au niveau de la plante, il affecte à la fois la nodulation (Pena-Cabriales et Castellanos, 1993) et l’activité de fixation symbiotique des nodosités (Guérin et al., 1990 ; Serraj et al., 1999 ; King et Purcell, 2001 ; Streeter, 2003). Ainsi, par son effet négatif sur la fixation symbiotique, un déficit hydrique peut conduire à une réduction très significative de l’état de nutrition azotée des légumineuses (Durand et al., 1987). Alors qu’un déficit sévère provoque un arrêt irréversible de la fixation (Guérin et al., 1991), un manque d’eau temporaire est rapidement réversible (Sprent et al., 1988). L’alimentation en eau des nodosités peut de plus avoir lieu par l’intermédiaire des racines ayant puisé de l’eau dans des zones plus humides (Pate, 1976, 1977). Tout comme un déficit hydrique, un excès d’eau peut aussi avoir un effet inhibiteur sur la fixation symbiotique en limitant la disponibilité en oxygène pour les bactéries (Marino et al., 2006) et la plante hôte ; les conséquences sur la fixation ont été peu étudiées (Jayasundara et al., 1998), mais on peut anticiper une forte réduction de la fixation lors d’un excès d’eau. Enfin, la disponibilité en eau est l’un des facteurs de croissance qui limitent probablement le plus, et le plus souvent, la fixation, au travers d’une diminution de la croissance globale de la plante (Shubert, 1995).

Dans le cas du soja, l’irrigation a un impact indirect sur l’alimentation azotée via l’impact direct sur le développement racinaire et donc sur l’exploitation du sol par les racines : la profondeur d’enracinement et la masse racinaire par volume de sol sont légèrement moindres en conditions d’irrigation. En l’absence d’irrigation, le système racinaire se développe jusqu’à 90 cm de profondeur afin d’exploiter la réserve hydrique du sol, alors qu’en présence d’irrigation, son développement se limite aux 50 à 60 premiers centimètres de profondeur.

Température

Les températures basses ont pour effet de retarder le démarrage de la fixation symbiotique (Rennie et Kemp, 1980) en augmentant le délai entre l’infection et l’apparition des nodosités (Tricot, 1993). Par la suite, elles peuvent aussi limiter l’activité des nodosités (Rennie et Kemp, 1980). Les températures élevées affectent la survie des bactéries dans le sol (Hungria et Vargas, 2000) et plus généralement l’ensemble des processus physiologiques, dont le fonctionnement de la nitrogénase. L’optimum de fonctionnement de la fixation symbiotique se situe entre 15 et 25 °C pour les légumineuses tempérées (Sprent et al., 1988). Le seuil de température maximal varie chez les légumineuses tropicales entre 27 et 40 °C selon les espèces, mais la tolérance des bactéries symbiotiques pourrait être plus faible (Hungria et Vargas, 2000).

État structural du sol

Un état structural dégradé a globalement un impact négatif sur la fixation symbiotique. En effet, le compactage de la couche labourée a un effet direct sur l’enracinement, en limitant la progression du front d’enracinement, l’exploration latérale du sol et la profondeur maximale d’enracinement. En sol tassé, les nodosités sont ainsi essentiellement localisées dans le lit de semences (10 premiers centimètres de sol), où la porosité est plus favorable. Cette localisation superficielle les rend plus sensibles à d’éventuels dessèchements du sol en surface, qui peuvent conduire à un arrêt précoce de la fixation. Par ailleurs, le tassement réduit l’alimentation hydrique et minérale de la culture, avec des conséquences sur l’accumulation de matière sèche et d’azote par la culture (et donc un effet indirect sur la fixation symbiotique). Au final, un état structural dégradé diminue le rendement (avec un nombre de graines réduit) et la teneur en protéines des graines. Des observations dans les sols de limon ont montré que si plus de 70 % du sol est compacté dans la couche labourée, alors la perte de production est de l’ordre de 20 à 30 %, voire 60 % pour des états structuraux plus dégradés. Toutefois, les effets du tassement sont atténués en présence de stress hydrique et thermique de fin de cycle (Crozat et al., 1992 ; Vocanson et al., 2005, 2006b), car le rendement est affecté en premier lieu par ces stress, rendant les effets du tassement moins perceptibles. En prairie pâturée, le piétinement des animaux peut induire une destruction directe des plantes, des racines, des nodosités et des vers de terre (Cluzeau et al., 1992).

Caractéristiques chimiques du sol

La fixation symbiotique peut être directement limitée par les caractéristiques chimiques du sol (Jayasundara et al., 1998 ; Hungria et Vargas, 2000). Les bactéries symbiontes sont en effet très sensibles à la composition chimique du sol qui peut limiter leur survie et les processus de nodulation (cas des sols acides). Le fonctionnement des nodosités peut aussi être affecté par certains éléments chimiques, soit par une action directe sur la nitrogénase, soit par l’intermédiaire d’effets indirects sur la barrière de diffusion à l’oxygène ou sur la croissance globale de la plante. Ainsi, certaines populations de rhizobia ne tolèrent pas la salinité des sols qui affecte aussi la croissance de la plante (Elboutahiri et al., 2010).

L’acidité des sols (pH < 5) a ainsi un effet inhibiteur sur la fixation symbiotique, lié non seulement aux protons mais aussi à une augmentation de la solubilisation d’ions toxiques (aluminium et manganèse). Par ailleurs, des déficiences en calcium, magnésium, phosphore et molybdène sont en général associées à ces sols. L’alcalinité des sols est due à la présence de carbonates et se traduit par un pH élevé et une forte concentration en ions sodium. Elle affecte négativement la fixation car elle est en général associée à des déficiences en fer et en bore, éléments minéraux indispensables à la synthèse de la nitrogénase (Jayasundara et al., 1998 ; Hungria et Vargas, 2000), et également en phosphore (qui est précipité sous forme de phosphates calciques, ou adsorbé sur les composants argilo-humiques chargés positivement).

Parmi les éléments nutritifs, le phosphore (P) joue un rôle particulier car il est associé au métabolisme énergétique (ATP) et à la synthèse de macromolécules phosphorylées dans les nodosités. En effet, on peut distinguer deux rôles essentiels du phosphore dans la plante :

  • un rôle structural, essentiellement dans les phospholipides membranaires et les acides nucléiques ;

  • et un rôle métabolique comme dans la synthèse des adénylates phosphates riches en énergie (Bieleski, 1973 ; Clarkson et Hanson, 1980) et des ARN messagers (Löffler et al., 1992) ou dans la régulation de réactions enzymatiques impliquant le P inorganique (Pi) (Beck et Ziegle, 1989 ; Theodorou et Plaxton, 1993).

La carence en phosphore affecte d’abord ses formes métaboliques dont le renouvellement est rapide, puis les formes structurales dont le renouvellement est habituellement plus lent.

Les légumineuses répondent généralement positivement à une fertilisation phosphorique. Ainsi, de nombreux exemples de stimulation de la croissance et du rendement des légumineuses par la fertilisation en phosphore ont été rapportés depuis Truesdell (1917), via un effet positif sur la fertilisation phosphatée sur la production de biomasse et/ou sur la fixation symbiotique (pois : Abdel-Wahab, 1985 ; trèfle : Shamsun-Noor et al., 1990). La fertilisation en phosphore permet d’augmenter le rendement de pâturages naturels, en stimulant les légumineuses fourragères et en favorisant leur compétition avec d’autres espèces végétales. Les réponses de biomasse au phosphore indiquent que les légumineuses comme Pisum sativum (Jakobsen, 1985) ou Glycine max (Cassman et al., 1981 ; Israel, 1987) ont généralement une exigence en phosphore plus élevée lorsqu’elles dépendent de la fixation symbiotique de N2 que lorsqu’elles dépendent de l’assimilation de l’azote minéral. Mais ce n’est pas le cas de Stylosanthes spp. (Gates et Wilson, 1974), Vigna unguiculata (Cassman et al., 1980) ou encore Acacia mangium (Sun et al., 1992). Les légumineuses, à l’exception des lupins, établissent aussi au niveau de leurs racines une symbiose mycorhizienne à arbuscules, voie dominante d’acquisition du phosphore, contribuant à l’essentiel de la fourniture du phosphore à la plante (Smith et al., 2003). Il est bien établi que la symbiose mycorhizienne stimule l’activité fixatrice d’azote (Toro et al., 1998) et contribue à la protection de la plante à l’égard des stress biotiques (Cordier et al., 1998).

De façon générale, une carence en phosphore peut avoir trois causes :

  • la faible teneur en P total de sols pauvres en matière organique ou très lessivés ;

  • la complexation du P inorganique (forme majoritaire du P) avec les cations Ca, Al ou Fe ;

  • l’adsorption de P inorganique sur le complexe argilo-humique (Amijee et al., 1991).

En tant que fixatices du N2 atmosphérique, les légumineuses assimilent moins de nitrates (donc d’anions) et ont donc besoin d’extruder des protons pour leur équilibre électrique (Alkama et al., 2010), ce qui a pour effet local de faire baisser le pH rhizosphérique et de provoquer une solubilisation d’ions phosphates non bio-disponibles à la neutralité. Par ailleurs, en réponse à une carence en phosphore, les plantes mettent en œuvre deux stratégies (Föhse et al., 1988), avec des implications et efficacités relatives différentes entre espèces et variétés. La première, dite externe, consiste à développer un système d’acquisition plus efficace du P en augmentant la surface d’échange racinaire (Anuradha et Narayanan, 1991) et en secrétant des acides organiques (Ohwaki et Hirata, 1992) et des phosphatases (Hawkesford et Belcher, 1991) dont le rôle est de dissoudre le P insoluble du sol. Ces processus sont accrus par la symbiose avec des champignons mycorhiziens (Mosse et al., 1976). La seconde stratégie, dite interne, consiste à optimiser l’efficacité métabolique d’utilisation du P en produisant plus de biomasse par unité de P consommée (Siddiqi et al., 1981 ; Israël et Rufty, 1988). De plus, la sélection de symbioses tolérantes à la carence en P pourrait aussi porter sur l’efficacité d’utilisation du P par la fixation de N2 (N fixé/teneur en P nodulaire) (Israel et Rufty, 1988). La sélection variétale pourrait permettre d’améliorer l’expression du potentiel de fixation d’une légumineuse, en situation de carence en phosphore, car on a constaté des différences génotypiques d’efficience significatives chez Glycine max, Vigna radiata (Israël et Rufty, 1988 ; Gunawardena et al., 1993) et Phaseolus vulgaris (Vadez et al., 1999). Ainsi, en serre et culture hydroponique de haricot avec Rhizobium tropici CIAT899 comme inoculant, des génotypes contrastés dans l’utilisation du phosphore pour la fixation ont été observés : malgré une forte variabilité temporelle et spatiale de la nodulation, les génotypes à forte efficience d’utilisation du phosphore ont permis d’améliorer la croissance du haricot dans des sols à faible fourniture en phosphore et sa bio-disponibilité (Tajini et Drevon, 2014). La variabilité de ce critère de sélection dépendrait en partie de l’allocation du P aux nodosités, qui constituent de fait un puits additionnel de P (20 % du P total de la légumineuse) et pourraient limiter la proportion de P allouée aux autres organes, notamment les feuilles. Parmi les légumineuses, on notera l’exception notable de la plupart des espèces de lupins qui, en absence de symbioses mycorhiziennes et grâce à des sécrétions en quantité d’acides organiques, en particulier l’acide citrique, assurent une solubilisation du Pi et couvrent ainsi leurs besoins en P. Toutefois, la conséquence de ce processus est de les rendre sensibles au pH du sol, en particulier en cas de présence de calcium soluble, puisque celui-ci forme avec l’acide citrique du citrate de calcium, qui précipite, sans que la plante ne puisse assurer son alimentation phosphatée, ceci conduisant à un épuisement des ressources énergétiques de la plante.

Pour le soja, les principales caractéristiques physico-chimiques limitantes des sols sont des sols calcaires (pH > 7,5 et présence de calcaire actif) se caractérisant par de faibles disponibilités en fer, mais aussi certains sols limoneux où la nodulation est entravée par des phénomènes d’anoxie et des températures froides, et, enfin, certains sols sableux où les déficits hydriques sont très marqués. Ces facteurs de milieu ont une incidence sur la nécessité ou pas de ré-inoculer une parcelle de soja ayant été inoculée auparavant.

Maladies et ravageurs

La fixation symbiotique peut aussi être limitée, de manière plus ou moins directe, par des agents pathogènes ou des ravageurs comme les larves de sitones qui s’attaquent aux nodosités ou le pathogène Aphanomyces euteiches qui provoque une pourriture du système racinaire chez certaines espèces comme le pois, la lentille ou certaines vesces. Les légumineuses à graines présentent également une faible compétitivité par rapport aux adventices, qui limite la croissance, et donc indirectement la fixation symbiotique (Corre-Hellou et Crozat, 2005a).

Facteurs limitants de la fixation symbiotique les plus fréquents pour les grandes cultures françaises

En l’absence de moyens de lutte efficaces, le pathogène Aphanomyces est un facteur limitant majeur de la fixation symbiotique. Il n’existe actuellement que des moyens de lutte partielle contre ce pathogène vis-à-vis duquel il faut surveiller le potentiel infectieux des sols de la parcelle avant la culture des espèces sensibles (chapitre 3). Les parcelles dont le potentiel infectieux du sol est supérieur à 1,5, sur une échelle de 0 à 5 sont à exclure. Parfois, la culture du pois est remplacée par la féverole, moins sensible à ce pathogène. Dans les ressources génétiques de pois, des résistances partielles à Aphanomyces ont été identifiées et sont en cours d’introduction dans les programmes de sélection. Sur les parcelles non infestées par Aphanomyces, le stress hydrique est le principal facteur limitant de la fixation symbiotique en agriculture conventionnelle. En effet, les nodosités sont sensibles au dessèchement de la couche superficielle du sol ; par ailleurs, le faible développement des racines des légumineuses à graines comme le pois limite leur capacité à prélever l’eau en profondeur et donc à tolérer le stress hydrique. Le tassement du sol, le plus souvent associé à de mauvaises conditions d’implantation, est un autre facteur limitant important de la fixation symbiotique, car la localisation plus superficielle des nodosités qui en résulte les rend plus sensibles à d’éventuels dessèchements du sol en surface. Enfin, en conditions d’agriculture biologique, où les moyens de lutte chimique sont proscrits, les facteurs limitants principaux des cultures de pois sont les sitones, dont les larves se nourrissent de nodosités, et la compétition avec les adventices, le pois présentant une faible compétitivité.

Ainsi, comme le montre la figure 2.11 qui présente un diagnostic de nutrition azotée dans les essais variétés pois de printemps du réseau Arvalis-Unip-Fnams (ayant reçu une protection herbicide, fongicide et insecticide), les facteurs climatiques sont des facteurs limitants fréquents de la nutrition azotée du pois. Sur ce graphique, les points situés en dessous de la courbe reflètent une situation de carence en azote. Au total, parmi les 155 points disponibles, 58 valeurs sont situées en dessous de la courbe de référence et indiquent une carence en azote. À l’inverse, pour certaines années à climat favorable de mars à mai, les points sont situés sur ou au-dessus de la courbe de référence. Ainsi, en 1999, année avec un rayonnement élevé, des températures douces et des pluies régulières tout au long du cycle du pois, avec absence d’accidents liés aux maladies et aux ravageurs, les niveaux de biomasse et de teneurs en azote étaient élevés dans tous les sites étudiés. On observe également une majorité de points au-dessus de la courbe pour les années 1998, 2000, 2002 et 2004. Lors de ces différentes années, les conditions de croissance et d’implantation des pois ont été relativement favorables.

Figure 2.11. Diagnostic de nutrition N à début floraison ou en cours de floraison dans les essais variétés pois de printemps du réseau Arvalis-Unip-Fnams de 1995 à 2012.

La courbe continue représente la courbe critique de dilution de l’azote dans la biomasse des parties aériennes (Ney et al., 1997). Entre 6 et 18 points ont été mesurés chaque année de 1995 à 2007 (avec 1 à 3 points par grande région de production française). À partir de 2008, le nombre de points de mesure est beaucoup plus faible : inférieur ou égal à 3. Les variétés ont évolué au cours du temps. Ainsi les valeurs mesurées portaient sur la variété Solara en 1995 et 1996, sur la variété Baccara de 1997 à 2000, sur la variété Athos de 2001 à 2003, sur les variétés Hardy et Lumina de 2005 à 2007, sur la variété Canyon en Rhône-Alpes en 2007 et 2008 et sur la variété Kayanne en 2012. Les essais ont reçu une protection herbicide, fongicide et insecticide. Ils ont donc été protégés contre une infestation par les adventices ou des attaques de sitones qui auraient pu avoir un impact sur la nutrition azotée.

Parmi les situations qui présentent une nutrition azotée carencée, on peut distinguer différentes situations :

  • quelques accidents, comme en 2011 deux points mesurés sur la station d’Étoile dans la Drôme pour lesquels la croissance a été très faible (à peine plus de 100 g MS/m² à début floraison), suite à une phytotoxicité liée à un herbicide ;

  • des points issus de sites en sol de craie en Champagne (dans ce type de sol, on a toujours constaté une croissance faible des pois) : à Vraux dans la Marne de 1996 à 1998 et de 2000 à 2001, ainsi qu’à Bergnicourt dans les Ardennes en 1998 ;

  • quelques points pour lesquels une forte pluviométrie juste après le semis ou en cours d’installation du couvert a pu perturber le fonctionnement azoté et la croissance de la plante : ainsi à Bignan dans le Morbihan en 2001, où les pois ont reçu 200 mm de pluie après le semis, et également dans trois sites du Centre-Est (Étoile et Lyon en Rhône-Alpes et Cellule en Auvergne) en 2005 qui ont connu de fortes pluies avant début floraison (120 à 130 mm en deux jours mi-avril) ;

  • enfin, de nombreux points pour lesquels il y a eu une sécheresse importante entre le semis et la date de début floraison, ce qui semble être les situations les plus fréquemment rencontrées :

    • dans le Centre-Est (sites de l’Étoile et Lyon en Rhône-Alpes et un site en Auvergne) en 2003, 2007 et 2008,

    • dans le Nord, certaines années à printemps particulièrement sec comme 1997 et 2007 (absence de pluies respectivement de début mars à fin avril et de fin mars à début mai), ce qui a pénalisé la croissance des pois dans les régions Centre et Nord ; en 2002 pour 2 sites du Centre et 1 site en Bourgogne ; en 2005 pour 3 sites du Nord-Ouest,

    • des années à semis tardifs comme 2001 : semis de début à mi-avril dans le Centre-Ouest suivis de sécheresse en mai et juin pour trois sites du Centre-Ouest — Saint-Fort (53), Ouzouer (41) et Bernienville (27).

Facteurs génétiques induisant une variabilité de la fixation symbiotique

Souche de Rhizobium

À chaque espèce de légumineuse correspond une espèce de Rhizobium qui lui est inféodée, mais certaines espèces de Rhizobium peuvent être communes à plusieurs espèces végétales (exemple de R. leguminosarum bv. viciae capable de noduler efficacement les pois, féveroles et vesces). Les souches de Rhizobium associées avec les légumineuses tempérées comme la luzerne, les trèfles, les vesces sont à croissance rapide, alors que les Bradyrhizobium associées aux espèces comme les lupins, le soja et la plupart des espèces tropicales sont à croissance lente. Une plante pourra rencontrer dans le sol une diversité génétique de souches indigènes et la population de nodosités qu’elle construira hébergera un échantillon de cette diversité (une seule souche est hébergée par nodule chez le pois ou la féverole par exemple). La dominance d’un génotype bactérien dans la population des nodules pourra résulter de son abondance dans la population indigène, de sa compétitivité pour la nodulation ou de la préférence du génotype de la plante (Laguerre et al., 2003 ; Bourion et al., 2007). Parfois, la préférence peut être extrême, allant jusqu’à des relations spécifiques comme chez les pois originaires d’Afghanistan, chez qui un gène interdit leur nodulation par les Rhizobium européens alors que celle-ci est possible avec la plupart des souches de leur zone d’origine (Lie, 1978). Dans les situations d’absence de Rhizobium indigènes, l’inoculum apporté, souvent de type mono-souche, établira une situation plus simple combinant un génotype de plante à un génotype de bactérie. L’interaction souche-variété a un effet majeur sur le niveau potentiel de fixation symbiotique : en effet, l’efficacité de la bactérie fixatrice d’azote est variable selon la souche (Laguerre et al., 2007) en déterminant des capacités d’accumulation d’azote variables dans les parties aériennes. Chez le pois, des interactions souches-variétés pour la croissance de la plante ont été rapportées (Hobbs et Mahon, 1983). Une bonne efficience en combinaison avec un ensemble de variétés cultivées est le caractère recherché dans la sélection de souches qui sont utilisées pour l’inoculation.

La plupart des légumineuses cultivées en France trouvent dans les sols un inoculum indigène qui leur est adapté. Toutefois, pour le soja (avec Bradyrhizobium japonicum), ou dans quelques situations de pH élevé pour le lupin blanc (avec Bradyrhizobium lupini) ou de pH acide pour la luzerne (avec Rhizobium meliloti), une inoculation par des Rhizobium adaptés est nécessaire. Pour le lupin et la luzerne, si aucune culture n’a été faite récemment, une inoculation peut être bénéfique, même si les conditions de sol sont idéales. Les résultats concernant les effets de l’inoculation ne sont pas cependant tous clairement tranchés, en particulier dans le cas des légumineuses tropicales. En effet, malgré une adaptation des souches à leur milieu, la durée de survie des bactéries dans le sol peut être limitée par des conditions environnementales généralement plus défavorables (température élevée, pH faible) (Hungria et Vargas, 2000 ; Elboutahiri et al., 2010). En France, pois et féveroles ne sont pas inoculées alors que beaucoup de ces cultures sont inoculées par Rhizobium leguminosarum viciae dans les sols canadiens et australiens, pour sécuriser la nodulation. L’inoculation systématique des pois, féveroles, lentilles, pois chiches et soja contribue à améliorer la stabilité des rendements au Canada. Des travaux sont en cours pour mesurer l’efficacité de l’inoculation des légumineuses en Europe. Pour le soja, Bradyrhizobium japonicum, naturellement absente de tous les sols français, doit être introduite dans les sols. En France, il a été décidé que l’inoculation ne se ferait qu’avec une seule souche préalablement sélectionnée et montrant une bonne efficacité, afin d’éviter des phénomènes de compétition entre souches, préjudiciables à un bon fonctionnement de la fixation. Aux États-Unis, les inoculations de soja par Bradyrhizobium japonicum sont souvent complétées au semis par l’apport de lipo-chito-oligosaccharides, éléments qui favorisent la nodulation.

Certaines bactéries vivant librement dans le sol peuvent promouvoir la fixation symbiotique (Glick, 1995) en améliorant l’approvisionnement de la plante en éléments minéraux et donc indirectement celui des nodosités. Ainsi, les PSB (Phosphate Solubilizing Bacteria) augmentent la disponibilité en phosphore du sol et ont un effet positif sur la fixation (Rodriguez et Fraga, 1999). Les bactéries Azospirillum stimulent la croissance des racines et permettent donc une meilleure prospection du sol (Okon et Vanderleyden, 1997). Cependant, l’immense gamme d’interactions entre la plante et les communautés microbiennes a été peu étudiée dans sa globalité (Mougel et al., 2006 ; Zancarini et al., 2013), et l’impact de ces communautés microbiennes sur le développement, la croissance et la santé des plantes reste à ce jour encore mal connu. En effet, l’établissement des interactions positives avec ces micro-organismes de la rhizosphère a un coût métabolique pour la plante, via la rhizodéposition de composés organiques, servant non seulement de nutriments pour les micro-organismes du sol (principalement hétérotrophes), mais aussi de molécules de communication (Nguyen, 2003 ; Hinsinger et al., 2005 ; Lambert et al., 2009). Dans la mesure où l’établissement de ces interactions représente un coût pour la plante, leur expression est restreinte aux conditions environnementales limitantes pour ces ressources et est donc sanctionnée dans des environnements non limitants (inhibition de la mise en place des symbioses fixatrices d’azote en présence de nitrate et de la symbiose endomycorhizienne en présence de phosphate). Par conséquent, les capacités des plantes cultivées à maintenir ces interactions n’ont pas été prises en compte par les schémas de sélection passés dans des systèmes à forts niveaux d’intrants (voire contre-sélectionnées), ce qui offre des perspectives de les restaurer par l’amélioration génétique (Zancarini et al., 2012).

Génotype végétal

En explorant la variabilité génétique qualitative, de nombreuses mutations spontanées ou induites perturbant les étapes de reconnaissance des Rhizobium ou la construction de nodosités et aboutissant au blocage total de l’activité symbiotique ont été rapportées sur plusieurs espèces de légumineuses, comme le soja (Devine 1984 ; Pracht et al., 1993), le haricot (Pedalino et al., 1993), le pois (Duc et Messager, 1989), la féverole (Duc, 1995), la luzerne (Peterson et Barnes, 1981). Concernant la variation génétique quantitative, parmi les génotypes fixateurs d’une espèce donnée, la variabilité génétique naturelle pour la capacité fixatrice d’azote a rarement été explorée du fait des limites méthodologiques à la mesure de ce caractère. Quelques travaux conduits sur luzerne (Barnes et al., 1981), soja (Ronis et al., 1985), pois (Hobbs et Mahon, 1982), et féverole (Duc et al., 1987) ont identifié une large variabilité génétique pour la proportion d’azote fixé, avec une bonne héritabilité de ce caractère et sa relation souvent positive avec le rendement. La dépendance de l’activité fixatrice d’azote à la fourniture de carbone par la plante contribue à cette relation positive avec la construction d’une bonne capacité photosynthétique par des génotypes à forte croissance, tolérants aux principaux stress biotiques ou abiotiques.

Une analyse plus fine des composantes de cette variabilité a parfois été conduite. Chez la luzerne, Hardarson et al. (1982) ont montré qu’une sélection pour une plus grande capacité à accumuler l’azote d’origine symbiotique est corrélée positivement à une capacité du génotype de la plante à sélectionner les souches de rhizobium plus efficientes. Différentes études ont été conduites chez les légumineuses pour identifier les zones du génome déterminant les caractères liés à la nodulation (Zancarini et al., 2013). L’analyse la plus fine à ce jour a été réalisée chez le pois par Bourion et al. (2010) qui a permis d’identifier neuf régions génomiques contrôlant le développement des nodosités et la croissance de la plante. Sur la population de lignées recombinantes étudiée dans ce travail, une liaison positive a été identifiée entre la construction de nodosités, la croissance racinaire, l’activité fixatrice d’azote et l’accumulation d’azote par la plante. Ces liaisons positives, qui peuvent résulter d’effets pléiotropes (indirects) de gènes ou de liaisons génétiques fortes, restent à élucider. Elles suggèrent que le sélectionneur doit viser un équilibre subtil entre la construction et le fonctionnement des structures racines-nodules-parties aériennes. Cependant, la sélection pour optimiser la nutrition azotée est a priori possible et même facilitée par l’absence d’antagonisme fort entre différents caractères d’intérêt.

Il existerait par ailleurs une variabilité génotypique de la tolérance de la fixation symbiotique à la présence de nitrate (pourcentage de fixation) (Jensen, 1987, chez le pois ; Peoples et al., 1995, chez le soja et le haricot commun), mais cette variabilité reste mal caractérisée. De plus, des génotypes hyper-nodulants ont été créés pour quelques espèces dont le pois (Postma et al., 1988 ; Sagan et Duc, 1996) et le soja (Caroll et al., 1985) : ces mutants présentent un nombre de nodosités plus élevé que la lignée parentale sauvage. Or ces génotypes hyper-nodulants présentent également la particularité d’être « nitrates tolérants » dans la mesure où la nodulation est insensible aux nitrates, contrairement à la lignée sauvage. Ces mutations ont permis d’augmenter le pourcentage de fixation d’azote par voie symbiotique, mais la quantité totale d’azote accumulée dans la plante a été affectée négativement (Salon et al., 2001 ; Bourion et al., 2007), du fait d’une forte limitation de la croissance (aérienne et racinaire), induite par le coût en carbone engendré par la formation de nodosités en nombre excessif (Voisin et al., 2007, 2010, 2013). Néanmoins, l’introgression de gènes d’hypernodulation dans des génotypes à fort développement végétatif pourrait permettre de compenser la diminution de croissance, ce qui offre des perspectives d’augmentation de la fixation symbiotique dans certaines conditions, mais reste encore à tester (Novak et al., 2009 ; Novak, 2010).

Cependant, la variabilité génotypique associée à la fixation symbiotique des variétés cultivées reste faible, car la sélection variétale a porté très peu d’efforts directs sur l’augmentation du potentiel de fixation symbiotique (Herridge et Rose, 2000). Ceci provient principalement de la complexité des liaisons entre les caractères liés à la fixation symbiotique et ceux déterminant le rendement. Par ailleurs, les difficultés méthodologiques liées à la mesure de la fixation symbiotique au champ ont constitué un frein à l’amélioration de la fixation symbiotique par la sélection. Dans de nombreux cas, la sélection variétale pour le rendement, opérée en l’absence de fertilisation azotée, avec un objectif de rendement et de résistance aux principaux stress biotiques ou abiotiques, a préservé un bon niveau d’activité fixatrice d’azote. En revanche, dans certains cas tels que celui du haricot, les conditions de sélection pratiquées à haut niveau de fertilisants (fertilité des sols, présence d’azote minéral) ont entraîné une diminution du potentiel de fixation (van Kessel et Hartley, 2000). Les outils de phénotypage à haut débit et les informations de la génomique aujourd’hui disponibles permettent d’envisager à l’avenir une sélection plus directe sur les gènes liés aux caractères d’efficience d’activité fixatrice de l’azote par le couple génotype végétal × souche bactérienne. Cette sélection doit permettre de contribuer à la stabilité des performances agronomiques des légumineuses dans une diversité d’environnements et de systèmes de culture, et d’améliorer leurs bilans environnementaux liés à l’azote.

Variation du taux de fixation entre espèces

Certaines espèces fixent mieux l’azote que d’autres. Le haricot commun, peu efficace, a une fixation azotée inférieure à ses besoins en azote. D’autres légumineuses à graines — telles que la féverole ou les espèces tropicales comme l’arachide, la cornille ou le soja — sont de bons fixateurs d’azote, couvrant ainsi l’ensemble de leurs besoins non pourvus par l’azote minéral présent dans le sol.

Au niveau des systèmes de culture, l’effet du choix de l’espèce de légumineuse sur le niveau de fixation symbiotique de l’azote atmosphérique reste controversé (Wani et al., 1995) : les différentes espèces auraient des capacités différentes à fixer l’azote, en relation avec la présence de nitrates essentiellement, mais aussi en fonction du type de sol et de l’environnement (pH, précipitations…) (Peoples et al., 1995). Il existe ainsi une variabilité génétique dans la tolérance aux stress. La sensibilité à la présence de nitrates varie par exemple avec l’espèce hôte : le trèfle et le pois sont moins sensibles aux nitrates que le lupin, le pois chiche, le soja ou la luzerne (Harper et Gibson, 1984). Les lupins cultivés sont par ailleurs assez peu sensibles à l’acidité des sols mais très sensibles à une forte alcalinité, qui limite la survie des bactéries symbiontes dans le sol et surtout le prélèvement par la plante de certains minéraux dont le fer, et affecte ainsi la nodulation et la croissance (chlorose ferrique).

Malgré des variations importantes pour chaque espèce entre contextes pédoclimatiques, on observe des différences marquées entre espèces pour les pourcentages moyens d’azote fixé symbiotiquement (% Ndfa). Le haricot se distingue avec un % Ndfa moyen de 40 %. Un groupe constitué de la majorité des légumineuses à graines (pois chiche, lentille, pois, cornille) atteint en moyenne un % Ndfa de 63 %. Le soja et l’arachide atteignent 68 %. La féverole et le lupin se détachent avec un % Ndfa moyen de 75 % (Herridge et al., 2008). Le trèfle et la luzerne ont un taux de fixation moyen de près de 90 %.

La plupart des légumineuses allouent dans les parties aériennes entre 15 et 25 kg de N2 fixé (en moyenne 20) par tonne de matière sèche. En prenant en compte la contribution racinaire, la quantité fixée moyenne par tonne de matière sèche aérienne produite atteint 30 kg. Le haricot est une exception avec 15 kg N2 fixé par tonne de biomasse aérienne. D’autre part, le pois chiche alloue une plus forte part de l’azote total dans les racines et les nodosités que les autres espèces, permettant d’approcher 40 kg de N2 fixé par tonne (Herridge et al., 2008).

À retenir. Variations de la proportion de l’azote issu de la fixation symbiotique.

Variation environnementale

Le pourcentage de fixation symbiotique (par rapport au prélèvement total d’azote) est fortement déterminé par la disponibilité en nitrate du sol : il est plus élevé si celle-ci est faible. La fixation symbiotique est plus sensible aux stress biotiques (pathogènes, ravageurs, adventices) et abiotiques (températures, humidité du sol, etc.), qui affectent le fonctionnement ou l’intégrité des nodosités, que l’assimilation des nitrates. Lorsque les conditions de l’environnement sont défavorables, des pourcentages de fixation plus faibles que ceux prédits par la disponibilité en nitrate peuvent être observés et peuvent conduire à des situations de carence en azote.

Variation génétique

Même s’il existe une variabilité importante pour chaque espèce entre contextes pédoclimatiques, on observe des différences marquées des taux de fixation moyens entre espèces. En France, parmi les légumineuses à graines, le pois, le pois chiche, la lentille et le soja ont des taux de fixation moyens de l’ordre de 60-70 %. Le haricot se distingue par des taux de fixation moyens plus faibles (autour de 40 %) et la féverole et le lupin par des taux moyens plus élevés (autour de 75 %). Les légumineuses fourragères (trèfle, luzerne, prairies) présentent des taux de fixation moyens encore plus élevés, autour de 90 %. La réussite de la fixation est par ailleurs conditionnée à la présence de bactéries symbiotiques efficientes dans le sol. Ainsi, alors que les cultures de légumineuses d’origine tropicale (soja) nécessitent une inoculation au semis, le pois, la féverole, le lupin et les légumineuses fourragères trouvent en général dans les sols français des souches indigènes de bactéries qui leur sont adaptées. Toutefois, pour d’autres espèces (lupin, luzerne), une inoculation peut s’avérer bénéfique dans certaines conditions de pH ou sur des parcelles n’ayant pas hébergé ces cultures depuis longtemps.

Flux azotés engendrés par les cultures de légumineuses

Le rôle agronomique des légumineuses vis-à-vis de l’azote est en grande partie lié à la fixation symbiotique et à son utilisation via l’exportation de produits récoltés (graines et/ou de fourrages), et/ou via l’utilisation par les autres cultures du stock d’azote minéral du sol alimenté en partie par les résidus aériens ou souterrains qui sont riches en azote chez la légumineuse. La quantité d’azote fixé et la quantité d’azote des résidus sont variables selon les espèces et les modes d’exploitation dans les systèmes.

Que l’azote organique soit d’origine symbiotique ou non, la fourniture globale d’azote au sol due à la présence d’une culture de légumineuse doit être appréhendée, afin de pouvoir quantifier et gérer cette fourniture à l’échelle de la rotation. Le calcul théorique de la fourniture d’azote au sol liée à une légumineuse donne un ordre de grandeur et peut être utile pour une première étape d’analyse agronomique sur l’effet de sa présence, sans préjuger ni de l’origine de cet azote (symbiotique ou pas) ni de son devenir dans les flux azotés au sein de l’agrosystème par la suite. Ainsi, la quantité d’azote fournie au sol ne renseigne ni sur la part de cet azote disponible pour l’absorption par les cultures suivantes, ni sur l’efficience des cultures à l’absorber, ni sur les quantités qui vont être perdues dans le milieu sous forme de nitrate (NO3-) ou de protoxyde d’azote (N2O) et qui risquent de créer des pollutions dans les compartiments eau et air de l’environnement, etc. Ces points, ainsi que les effets des cultures de légumineuses sur la culture suivante, seront développés dans les chapitres 3 et 6.

On peut également calculer un solde azoté apparent pour le sol en réalisant un bilan entre les entrées et les sorties en azote du système à l’échelle d’une parcelle, sur une année de culture (figure 2.12) :

Figure 2.12. Solde azoté d’une culture de pois en kg/ha (source : Unip) : moyenne des valeurs observées sur 7 références ESA, Inra, Arvalis (ITCF à l’époque) en France, dans des systèmes conventionnels fertilisés ou avec élevage, excédentaires en azote (2000-2003) (rendement en grain du pois de 55 q/ha, teneur en protéines de 24 %, taux de fixation azotée de 60 %), et estimation de l’azote dans les parties souterraines à 30 % de l’ensemble de la plante (d’après Mahieu et al., 2007).

Ce solde peut aussi être calculé comme la différence entre la quantité d’azote organique potentiellement restituée au sol par la légumineuse (par les parties racinaires et les résidus de culture) et la quantité d’azote minéral du sol absorbée par la culture. Sous réserve de l’absence de pertes gazeuses, la valeur du solde azoté apparent donne un ordre de grandeur de la modification du stock d’azote du sol par une culture donnée. Dans le cas d’une culture de légumineuse, il présente un intérêt environnemental car des valeurs positives reflètent une entrée d’azote dans le système de culture par la voie symbiotique.

Nous proposons ici d’approcher les ordres de grandeur de la quantité d’azote restituée au sol et du solde azoté apparent chez une légumineuse annuelle dont on récolte les graines (pois et soja) et chez une légumineuse pluriannuelle cultivée pour sa biomasse (la luzerne en culture monospécifique). Soulignons que les références présentées ici sont seulement des cas types, à considérer comme des points de repères, qui restent à affiner et qui n’ont aucune valeur de préconisation : ces études de solde azoté apparent alimentent la compréhension systémique des flux azotés.

Cas d’une légumineuse annuelle dont on récolte les graines

Cas du pois
Répartition de l’azote lors de la culture de pois

Pour le pois, même si les estimations sont variables, des mesures au champ ont montré que l’azote souterrain pourrait représenter environ 30 % de l’azote total accumulé par la plante, la biomasse racinaire et la rhizodéposition comptant respectivement chacune pour environ 10 et 90 % de cet azote (Mahieu et al., 2007).

Pour les parties aériennes, à maturité, l’azote prélevé se répartit entre les graines, récoltées, et les parties végétatives (tiges, feuilles) le plus souvent laissées au sol après récolte. Chez le pois, l’indice de récolte de la biomasse, qui représente la fraction de biomasse aérienne des graines, présente une forte variabilité entre situations. Sa valeur est comprise entre 0,30 et 0,9 (moyenne de 0,57 et médiane de 0,58 d’après la compilation de 124 références par l’Unip en 2014), et elle n’est pas corrélée à la biomasse totale de la plante (Lecoeur et Sinclair, 2001a), contrairement à d’autres espèces comme le maïs, le sorgho, l’arachide, le blé, l’orge ou le tournesol. L’indice de récolte de l’azote, qui représente la fraction de l’azote dans les graines, présente en revanche chez le pois une remarquable stabilité pour une large gamme de rendements limités par des facteurs abiotiques (Lecoeur et Sinclair, 2001b). Une valeur moyenne de 0,80 a été déterminée pour une gamme de situations incluant des contraintes hydriques, thermiques et azotées, correspondant à une gamme de rendements compris entre 3,6 et 61,3 q/ha. Les 20 % d’azote restant dans les parties végétatives aériennes correspondent à des pools d’azote structural qui ne peuvent être remobilisés. En revanche, les contraintes biotiques conduisent souvent à une réduction du niveau final de remobilisation de l’azote des parties végétatives. Chez le pois, la quantité d’azote exportée dans les graines est de l’ordre de plus de 230 kg N pour des rendements de 70 q/ha et de l’ordre de 180 kg N pour des rendements de l’ordre de 55 q/ha.

Les résidus aériens du pois protéagineux ont une teneur en azote moyenne de 1,22 ± 0,28 kg N par quintal de matière sèche. Comme pour toute autre culture, la variabilité est liée à de nombreux facteurs dépendants des paramètres de croissance de l’espèce et des conditions pédoclimatiques au cours du cycle cultural (voir chapitre 3). Les références moyennes de teneur en azote des résidus pour les autres grandes cultures sont de l’ordre de 0,6 à 0,9 pour les céréales à paille. Cependant, comme la quantité de biomasse laissée par les résidus aériens de la culture du pois est généralement moins importante que celle des résidus de céréales ou de colza, au champ, on observe des quantités équivalentes d’azote laissé par les résidus aériens de pois ou ceux des autres cultures.

La quantité d’azote organique restituée au sol dépend du niveau de rendement. Des calculs théoriques pour le pois montrent, avec un indice de récolte de l’azote d’environ 0,8, des valeurs de l’ordre de 180 kg N/ha pour des rendements potentiels de 70 q/ha, et de 100 kg N/ha pour des niveaux de rendement de 42 q/ha (c’est-à-dire diminués de 40 % par rapport au potentiel de 70 q/ha). Lorsque des conditions défavorables de fin de cycle conduisent à un indice de récolte moins élevé, la quantité restituée au sol peut être plus élevée.

Le solde azoté apparent du sol est alors estimé par différence entre la restitution de la plante au sol et la quantité d’azote du sol prélevée par la plante.

L’encadré 2.1 illustre concrètement ce type de calcul de répartition de l’azote dans les différents compartiments sur l’exemple du pois.

Encadré 2.1. Exemple de calculs de répartition de l’azote dans les différents compartiments.

Répartition de l’azote accumulé par une culture comme le pois entre les graines, les pailles, et les parties souterraines

Pour une grande culture, on dispose généralement de l’azote contenu dans les graines (= rendement × % N graines = rendement × % protéines/6,25) (pour une utilisation en alimentation animale).

Le calcul des quantités de N des autres compartiments du système sol plante peut être effectué sur la base d’hypothèses sur la répartition de N :

  • l’azote aérien se répartit à la récolte selon un indice de récolte N de 0,8 soit : 80 % dans les graines et 20 % dans les pailles (Lecoeur et Sinclair, 2001b),

  • l’azote des parties souterraines représente 30 % du total (dont 10 dans les racines et des nodosités et 90 % pour la rhizodéposition) (Mahieu et al., 2007).

Par conséquent, on peut faire les calculs suivants (avec NHI, nitrogen harvest index, c’est-à-dire indice de récolte de l’azote) :

  • azote contenu dans les graines à la récolte = rendement × % N des graines ;

  • azote contenu dans les pailles = azote des graines × (1-NHI)/NHI = azote des graines × 0,25 ;

  • azote total prélevé par la plante = azote des graines/(NHI × 0,7) = azote des graines/0,56 ;

  • azote souterrain = azote total × 0,3 = azote des graines/(NHI × 0,7) × 0,3 (= azote des graines × 0,54).

Répartition de l’azote total accumulé selon sa source : semence, fixation symbiotique, assimilation de nitrate

La proportion d’azote qui provient de la semence peut être estimée à 1,5 % de l’azote total = N total × 1,5 % ou alors en faisant le produit : PMG semence × % N semence × densité de semis.

L’azote prélevé dans le milieu est la quantité totale d’azote accumulé par la plante moins la quantité de N provenant de la semence = N total – N semence ou N total (100-1,5) %.

L’azote prélevé dans le milieu provient de la fixation symbiotique et de l’assimilation du nitrate du sol :

  • le pourcentage d’azote issu de l’absorption de nitrate = quantité de N minéral « disponible » dans le sol/N prélevé dans le milieu (c’est-à-dire N total – N semence) ;

  • le pourcentage de fixation symbiotique peut être estimé en fonction de la quantité d’azote minéral disponible au semis et du niveau de rendement selon la courbe de la figure 2.10 ;

  • la connaissance d’un des deux pourcentages (fixation N2, absorption nitrate) suffit, l’autre étant le complémentaire à 100 %.

Estimation du solde azoté apparent après pois

En termes de valeurs, des observations réalisées en France montrent des variations importantes des soldes azotés apparents du pois selon les conditions pédoclimatiques. Par exemple, des observations réalisées dans sept situations agricoles correspondant à des sols riches en azote, et recevant des fertilisations azotées importantes sur les autres cultures que les légumineuses, ont montré un solde azoté après le pois qui serait de +22 kg N/ha, pour une proportion moyenne d’azote fixé de 60 % (mesures ESA Inra Arvalis, figure 2.12). À l’inverse, les observations réalisées dans des systèmes à faibles intrants azotés (ESA Inra Arvalis) ont montré que la fixation symbiotique apporte 80 % de la quantité d’azote fixé, qui est alors plus élevée que la quantité exportée. Sur la base de répartitions dans les différentes parties de la plante similaires à l’exemple précédent, le solde N après pois s’élèverait alors à +87 kg N/ha.

La prise en compte de la variabilité du niveau de rendement peut permettre de préciser par simulation les valeurs du solde azoté apparent du sol après une culture de pois, avec les hypothèses de la répartition de la biomasse décrites dans l’encadré 2.1, et de variations de la fixation symbiotique données dans la figure 2.10 (tableau 2.1).

Tableau 2.1. Simulation du solde azoté d’une culture de pois pour différents niveaux de rendement N et différents niveaux de reliquats N, pour un rendement potentiel de 70 q/ha (à 86 % de matière sèche) et 24 % de teneur en protéines. Estimation de l’indice de récolte de N à 0,8, de l’azote issu de la graine à 1,5 % du total et estimation de l’azote dans les parties souterraines à 30 % de l’ensemble de la plante. D’après Mahieu et al., 2007. À titre de comparaison, la valeur moyenne interannuelle des rendements agricoles français sur la période 1983-2012 est de 45 q/ha, soit une différence de - 36 % par rapport au potentiel génétique de 70 q/ha. Les références présentées sont des cas types, à considérer comme des points de repère qui restent à affiner et qui n’ont pas de valeurs de préconisation.

Estimation du solde N (kg/ha)Niveau de rendement N
Potentiel- 15 %- 30 %- 60 %
70 q/ha59 q/ha50 q/ha28 q/ha
24 % protéines
Reliquats 1511487607
301007347- 6
60724619- 34
904418- 9-61
12016- 10- 37-86

Ces simulations reflètent les variations des soldes azotés en fonction des variations de niveaux de disponibilité en N minéral du sol et des variations de rendement. La figure 2.13 illustre les combinaisons entre ces différentes composantes. Étant donné les hypothèses réalisées, les valeurs ne sont pas à utiliser comme des valeurs de référence mais comme des ordres de grandeur. Néanmoins, ces valeurs sont cohérentes avec les observations réalisées en France (figure 2.12) et donnent des ordres de grandeur de la quantité de N restituée au sol par une culture de légumineuse, qui a un intérêt économique pour la culture suivante, et du solde N apparent du sol, qui présente un intérêt environnemental car il montre dans le cas des légumineuses, non fertilisées, un enrichissement du sol en N, issu de la fixation symbiotique.

Si on prend comme clé d’entrée les valeurs du solde azoté apparent du sol, on peut donc distinguer trois types de situations :

  • des soldes positifs élevés de 60 à 130 kg/ha, si la teneur en azote minéral du sol est faible et les niveaux de rendement N moyens à forts (rendements = 70 % à 100 % du potentiel, c’est-à-dire 50 à 70 q/ha), situations qui correspondent à des niveaux de fixation supérieurs à 70 %) ;

  • des soldes positifs de 10 à 50 kg N pour des niveaux de reliquats N élevés (supérieurs à 60 kg/ha) associés à des rendements élevés, ou bien à des niveaux de reliquats moyens associés à des rendements moyens, ou bien à des reliquats faibles associés à des rendements faibles, situations qui correspondent à des niveaux de fixation moyens, autour de 60 % ;

  • des soldes négatifs ou nuls pour les niveaux de rendement très faibles (40 % du potentiel) quel que soit le niveau de reliquats (sauf reliquats très faibles) ou bien pour les niveaux de reliquats élevés, quel que soit le niveau de rendement, situations qui correspondent à des niveaux de fixation faibles (= de 0 à 50 %).

Figure 2.13. Pois : exemples de répartition de l’azote dans la culture et de solde azoté apparent dans trois types de situations.

A. Situation à fort potentiel de rendement (70 q/ha) et avec une quantité d’azote minéral absorbée « très faible », de l’ordre de 50 kg N/ha absorbé (reliquats 0 N) ; B. Situation à fort potentiel de rendement (70 q/ha) et avec une quantité d’azote minéral absorbée « très élevée » de 160 kg N/ha absorbé (reliquats 110 N) ; C. Situation où la fixation symbiotique et le rendement sont limités à - 40 % (= 42 q/ha), avec une quantité d’azote minéral absorbé modérée (100 kg N/ha absorbé et des reliquats de l’ordre de 50 N).

Cas du soja

La majeure partie (60 %) de l’azote absorbé par la culture de soja est exportée sous forme de protéines dans les graines, avec des ordres de grandeur similaires au pois. Le reste de l’azote absorbé est restitué à la parcelle sous forme d’azote organique dans les résidus de culture, avec une quantité d’azote potentiellement restituée au sol également du même ordre de grandeur que le pois.

Comme pour le pois, le solde azoté apparent de la culture du soja dépend de la contribution de la fixation symbiotique, elle-même dépendant de la qualité de la nodulation et de la disponibilité en nitrate du sol. Deux situations ont été schématisées, en prenant comme base 10 kg d’azote assimilé par quintal de grain produit et 6 kg d’azote exporté par quintal de grain produit (Puech et Bouniols, 1986). En situation optimale pour la fixation symbiotique, on observera un enrichissement du milieu en matière organique non lessivable et un appauvrissement en azote minéral lessivable. En situation où la fixation symbiotique est limitée, comme pour le pois, le rendement le sera généralement aussi. Les exemples de la figure 2.14 fournissent des ordres de grandeur représentatifs pour différents niveaux de fixation symbiotique et d’absorption d’azote minéral.

Figure 2.14. Soja : exemples de répartition de l’azote dans la culture et de solde azoté apparent dans trois types de situations.

A. En situation optimale de fixation symbiotique, dans le cas d’absorption d’azote minéral très faible, c’est-à-dire de 50 kg N/ha absorbé (reliquats 0 N) ; B. En situation optimale de fixation symbiotique, dans le cas d’absorption d’azote minéral très forte, soit 160 kg N/ha absorbé (reliquats 110 N) ; C. En situation limitante de la fixation symbiotique et donc du rendement, ici inférieur à 60 % du potentiel de rendement, avec 100 kg N/ha absorbé (reliquats 0 N).

Ces données prennent mal en compte l’azote racinaire et rhizodéposé, qui n’a pas été mesuré de la même façon que chez le pois. Étant donné les incertitudes sur la mesure de la rhizodéposition sur les 2 espèces, on ne peut pas distinguer le comportement du soja de celui du pois vis-à-vis des flux de N dans le sol. Des travaux sont en cours pour obtenir des mesures comparatives de soldes sur plusieurs espèces de légumineuses aux conditions pédoclimatiques identiques (donc comparables).

Tendances générales pour les légumineuses à graines

Ainsi, de façon générale, le solde azoté apparent du sol après légumineuses à graines annuelles dépend du niveau de fixation et du niveau de rendement. Le niveau du solde azoté dépend fortement du niveau de disponibilité en azote minéral du sol, qui détermine le niveau de fixation symbiotique : plus la disponibilité en azote minéral est faible, plus le pourcentage de fixation est élevé, plus le solde azoté sera élevé. Mais à niveau de disponibilité en azote minéral égal, le solde azoté dépend aussi du niveau de rendement, qui est corrélé positivement à la quantité d’azote fixé. Ainsi, plus le niveau de rendement et la fixation symbiotique sont faibles, plus le solde azoté est faible (voire nul ou même négatif).

Par ailleurs, dans le cas d’une culture où seules les graines sont exportées, le solde N sera d’autant plus élevé que la quantité de paille sera forte. Ainsi, plus l’indice de récolte est faible, plus le solde azoté sera élevé (Carrouée et al., 2006b).

Cas d’une culture pluriannuelle de légumineuse comme la luzerne
Répartition de l’azote pendant la croissance de la plante

Comme mentionné précédemment, une culture de luzerne permet l’assimilation et l’exportation d’une quantité d’azote très élevée, bien au-delà d’autres légumineuses, qu’elles soient annuelles comme le pois protéagineux ou même pérennes comme le trèfle violet (Muller et al., 1993 ; Thiébeau et al., 2003). Les différents organes exportés de la luzerne (feuilles, tiges) sont bien pourvus en azote organique. Son potentiel de croissance est élevé (de 12 à 20 t MS/ha/an) ainsi que son taux de fixation (près de 90 %). Ainsi, la production de 13 t MS/ha/an, à la teneur moyenne de 18 % de protéines (Thiébeau et al., 2003), confère à cette culture une exportation de 375 kg N/ha/an lorsqu’elle est en phase de production complète.

Si on considère une allocation de l’azote de l’ordre de 25 % aux parties racinaires, la somme des exportations d’azote par la matière sèche récoltée et du stock d’azote mobilisé dans la biomasse des organes souterrains correspond à une accumulation annuelle de l’ordre de + 500 kg N/ha/an par un peuplement de luzerne. La majeure partie (90 %) de cet azote provient de la fixation symbiotique, soit 450 kg N/ha/an. Ces estimations correspondent à un contexte moyen pour une culture de luzerne pure en Champagne et des bilans supérieurs ont pu être observés.

La luzerne possède un enracinement profond (> 150 cm quand le sol le permet, ce qui ne correspond pas à la majorité des sols français) qui permet l’absorption de l’azote minéral dans les horizons profonds du sol. Des mesures de stock d’azote minéral du sol réalisées sur 150 cm de profondeur, sous des cultures de luzerne âgées de 1 et 2 ans, montrent une variation négative entre la sortie d’hiver et le milieu de l’automne suivant (période qui couvre toute la phase végétative de la culture) : - 13 à - 24 kg N/ha/an pour une luzerne de 1 an, et - 31 à - 50 kg N/ha/an pour une luzerne en seconde année de production (Thiébeau et al., 2004). Cette variation de stock résulte des différents flux en jeu : l’azote minéralisé par le sol en cours de culture (près de 140 kg N/ha/an ; Justes et al., 2001), l’azote issu de la rhizodéposition (difficile à évaluer mais vraisemblablement plus faible que chez d’autres espèces), ainsi que les apports liés aux pluies (près de 10 kg/ha/an) moins l’azote minéral prélevé par la luzerne. Ces mesures montrent que la luzerne se comporte à court terme comme un piège à nitrates. Soulignons cependant que ces mesures ont été effectuées dans des sols de Limagne et que les ordres de grandeurs ne peuvent être extrapolés à tous les types de sol.

Chez les légumineuses pérennes, la quantité d’azote (minéral + organique) laissée au sol reste difficile à évaluer. Au terme de deux années de culture, une luzernière laisse une biomasse au sol, constituée des pivots racinaires et des collets, qui représente près de 160 kg N/ha/an (Justes et al., 2001). Après retournement, cet azote sera libéré progressivement au cours des saisons suivantes (chapitre 3). En plus de la biomasse des organes souterrains, des quantités d’azote sont déposées au sol par rhizodéposition et par dépôt de litière aérienne tout au long des années de vie de la culture, mais les quantités en jeu restent mal connues et variables entre espèces. Toutefois, si on considère qu’une grande partie de l’azote rhizodéposé est utilisée l’année suivante par la culture elle-même, on peut considérer que le bilan rhizodéposition-transfert est nul sur les n-1 premières années et que l’azote rhizodéposé retrouvé dans le sol en fin de culture est celui de la dernière année. Une expérimentation de rotation a montré que l’effet précédent d’une luzerne de 2 ans pouvait correspondre à une fourniture aux cultures suivantes de l’ordre de 210 kg N/ha au total sur les 4 années suivant son retournement[31]. Si on retire les 160 kg/ha de N contenus dans les parties souterraines, il reste environ 50 kg N/ha imputables à la rhizodéposition. Mais cette valeur sous-estime probablement la quantité totale de N rhizodéposé.

Solde azoté apparent

Les simulations de calcul de stock azoté restitué au sol et de solde azoté apparent sont calculées au terme d’une culture de luzerne de 3 ans en monospécifique (encadré 2.2).

Encadré 2.2. Simulations de calcul de solde N apparent au terme d’une culture de luzerne de 3 ans.

On prend ici comme hypothèse que la quantité d’azote absorbé par une culture de luzerne sur 3 ans se décompose de la manière suivante :

  • azote prélevé dans la biomasse aérienne et exporté par coupe : 13 t de matière sèche/an à 18 % de protéines, soit 375 kg N/an × 3 = 1 125 kg N sur 3 ans ;

  • azote des racines et des collets : 160 kg N ;

  • azote rhizodéposé au sol et par dépôt de litière aérienne :

    • on considère que les quantités déposées les années 1 et 2 sont utilisées par la luzerne les années 2 et 3, avec par conséquent un bilan rhizodéposition-absorption nul les n – 1 premières années,

    • l’azote rhizodéposé disponible en fin de culture de luzerne (n) est celui de la dernière année (50 kg/ha),

    • l’azote restitué par les parties aériennes est éventuellement la quantité d’azote dans une dernière repousse avant retournement (30 kg N).

Sur la totalité de cet azote absorbé, la proportion d’azote provenant de la fixation symbiotique est calculée en considérant que la quantité d’azote minéral absorbé est la totalité de l’azote minéral disponible la première année et donc % fixation = 100 × (N total accumulé – N minéral)/ N total accumulé.

Le solde N du sol sur les n années de culture correspond à la quantité d’azote minéral absorbé moins la quantité d’azote organique restitué.

Figure 2.15. Luzerne : exemples de répartition de l’azote dans la culture et du solde azoté apparent dans trois types de situations.

A. Situation à potentiel de rendement moyen (13 t/ha) et avec des quantités de N minéral absorbées « très faibles » = 50 kg N/ha absorbé (reliquats 0 N) ; B. Situation à potentiel de rendement moyen (13 t/ha) et avec des quantités de N minéral absorbées « très élevées » = 160 kg N/ha absorbé (reliquats 110 N) ; C. Situation où la fixation symbiotique et le rendement sont limités.

Le rendement, réduit de 40 %, s’élève à 13 t, soit 8 t MS/ha/an. Les quantités d’azote dans les racines et la rhizodéposition sont également diminuées de 40 %, l’absorption d’azote minéral est de 100 kg/ha et le taux de fixation à 88 % (100-100/801).

Ces simulations (encadré 2.2) permettent d’estimer les changements théoriques de flux azotés après luzerne dans chaque situation :

  • en situations de croissance de luzerne favorables (cas A-B), le stock azoté restitué au sol post-culture après 3 ans de culture de la luzerne est de 200 à 250 kg N, du fait de l’importante teneur en azote des collets et des pivots racinaires ;

  • en conditions de croissance favorables, le solde N du sol apparent après luzerne serait de 50 à 200 kg N/ha, les valeurs faibles correspondant à des situations où la disponibilité en azote minéral est forte. Toutefois, la disponibilité en azote minéral à l’implantation de la culture aurait moins d’impacts sur la valeur du solde N apparent du sol à la destruction de la culture que pour le pois ou le soja, et cette valeur resterait toujours positive. Cet effet serait dû au fait que la disponibilité en azote minéral du sol affecte peu le % de fixation moyen sur 3 ans : on peut considérer que la luzerne prélève ce stock d’azote minéral la première année (% fixation diminuée) puis repose essentiellement sur la fixation symbiotique les années suivantes ;

  • dans le cas où le niveau de productivité et le niveau de fixation symbiotique sont réduits de 40 %, le stock azoté restitué au sol post-culture reste très conséquent (+ 120 à 150 kg N/ha), avec un solde plus faible (+ 20 à 50 kg N/ha) mais positif.

Comme pour le pois ou le soja, étant donné les hypothèses posées pour les calculs et les incertitudes sur les mesures, les valeurs ne sont pas à considérer comme des valeurs absolues mais comme des ordres de grandeur.

À retenir. Les variations de solde azoté apparent du sol engendrées par les cultures de légumineuses.

Le solde azoté apparent pour le sol est calculé par différence « apports N moins exports N », les apports N étant l’azote issu des engrais ou des déjections animales, de la fixation symbiotique, de la graine semée, et les exports N étant l’azote exporté dans les graines ou la biomasse récoltées. Sans présumer du devenir de ce solde, cette notion peut être utilisée comme un indicateur de l’influence de la contribution de la légumineuse à l’enrichissement du pool azoté (qui pourra, par la suite, être éventuellement disponible pour les cultures suivantes). Les incertitudes sur les parties souterraines et leur teneur en azote pour l’ensemble des cultures posent cependant des difficultés pour la comparaison entre légumineuses et non-légumineuses.

Cas des légumineuses à graines récoltées (comme le pois ou le soja)

Quel que soit le niveau de disponibilité en azote minéral du sol, et quelle que soit la voie utilisée pour la nutrition azotée, les légumineuses à graines qui ont eu un bon rendement laissent au sol des résidus de culture qui sont riches en azote : la biomasse des résidus aériens est généralement plus faible, mais plus riche en azote que les autres grandes cultures non-légumineuses ; et la quantité d’azote restitué via l’azote racinaire (racines et rhizodépôts associés) est plus importante pour les légumineuses, comparées aux céréales.

Dans les sols à forte teneur en azote minéral (fort potentiel de minéralisation de l’azote ou avec apport d’effluents d’élevage), les légumineuses se comportent comme des « pièges à nitrates ». Cependant, dans ces cas-là, le solde azoté apparent pour le sol est nul ou négatif après la récolte des graines, et c’est seulement lorsque les graines ne sont pas récoltées que l’on pourrait observer un solde positif.

À l’inverse, dans les sols pauvres en azote minéral, avec des taux de fixation supérieurs à 70 %, les légumineuses cultivées engendrent un solde azoté apparent positif et élevé et contribuent à enrichir le stock d’azote du sol par voie symbiotique.

De plus et surtout, le solde N apparent est maximal pour des niveaux de fixation forts et pour des rendements élevés. Lorsque les rendements sont faibles, les niveaux de fixation le sont aussi, et le solde N apparent du sol est plus faible, voire nul ou même négatif dans le cas où la disponibilité en N minéral est élevée.

Cas d’une légumineuse fourragère pluriannuelle comme la luzerne

La quantité d’azote restituée au sol post-culture de luzerne est conséquente au bout d’au moins 3 années de culture, du fait d’une biomasse importante et d’un taux de fixation élevé, et donc d’une quantité d’azote importante contenue dans les collets et les pivots racinaires.

La luzerne se comporte également comme un piège à nitrate lorsque la disponibilité en azote minéral est élevée, ce qui est souvent le cas les 2 premières années d’installation de la luzernière. La disponibilité en azote minéral à l’implantation de la culture a moins d’impact sur la valeur du solde azoté apparent à la destruction de la culture que pour des cultures annuelles, car elle affecte peu le pourcentage de fixation moyen sur 3 ans. En conditions de croissance favorables et à partir de la troisième année de la luzernière, le solde azoté apparent après luzerne est positif et il peut être élevé, les valeurs faibles correspondant à des situations où la disponibilité en azote minéral est forte.

Pour toutes les espèces de légumineuses cultivées, la quantité d’azote restitué au sol contribue à l’effet précédent souvent positif d’une légumineuse sur le rendement et le prélèvement d’azote de culture qui lui succède dans la rotation, mais ce n’est pas le seul facteur : on sait que l’amélioration de la structure du sol, et/ou de la qualité sanitaire des racines de la culture suivante et peut-être d’autres composantes biotiques du sol contribue au bénéfice potentiel apporté par la culture de légumineuse, lorsqu’elle précède une non-légumineuse (céréale notamment). Toutefois, ces effets ont été peu quantifiés jusqu’à présent.

Autres spécificités agrophysiologiques des légumineuses (hors azote)

Même si la nutrition azotée est la spécificité principale des légumineuses, sont évoqués ici les autres fonctionnements qui différent des non-légumineuses et qui peuvent nécessiter une gestion différente des cultures et des utilisations dans les systèmes de production agricoles, notamment :

Caractéristiques physiologiques modifiant le peuplement ou le système de production

La diversité des espèces de légumineuses et leur diversité génétique (chapitre 1) offrent une palette d’espèces et variétés très large pour la conception des systèmes de culture (chapitre 3). Certaines caractéristiques physiologiques peuvent être communes. Est soulignée ci-dessous leur réactivité face à certaines composantes du milieu.

Précocité et photopériodisme

Une caractéristique importante du soja est qu’il réagit fortement à la photopériode et se range globalement parmi les espèces de jours courts. Cela veut dire que l’initiation florale se fait, pour la majorité des variétés, d’autant plus tôt après la levée que les jours sont plus courts (Ecochard, 1986). Une combinaison de températures chaudes et de jours courts est favorable à une réduction de la phase végétative ; la combinaison de températures plus froides et de jours longs allonge cette même période (Board et Hall, 1984). Ces caractéristiques expliquent en partie la forte variabilité de la durée de la période végétative et des rendements observés à la suite de semis extrêmement précoces (mi-mars) dans les conditions françaises du Sud-Ouest (Jouffret et Beugniet, 2012).

Chez le pois protéagineux, certains génotypes d’hiver sont très réactifs à la photopériode : sous le contrôle du gène Hr (issu du pois fourrager), leur initiation florale est très réactive à la photopériode, par opposition aux variétés commerciales, dites hr, pour lesquelles l’initiation florale dépend autant de la photopériode que de la température (Lejeune-Hénaut et al., 2004). Ainsi, la date d’initiation florale est très peu variable entre années et pour une large gamme de dates de semis. Ces génotypes auraient une phase de résistance au froid (entre les stades levée et initiation florale) plus longue que les variétés actuelles de pois d’hiver. Cette caractéristique Hr permettrait donc de faire des semis précoces, dès le début du mois d’octobre, ce qui rend cette piste intéressante pour le développement du pois d’hiver (qui ne représente que 20 % des surfaces de pois cultivés pour le moment), même si les rares variétés Hr actuelles ne sont pas encore très performantes du point de vue du rendement.

La luzerne a un comportement différent de répartition des produits de sa photosynthèse selon que les jours sont croissants ou décroissants, avec davantage d’assimilats dirigés vers les pivots racinaires en jours décroissants (Thiébeau et al., 2011).

Photomorphogenèse

La photomorphogenèse est la caractéristique de certaines espèces à produire de nouveaux organes végétatifs et de nouveaux rameaux en fonction de la qualité du rayonnement reçu (Lotscher et Nosberger, 1997). Cette caractéristique adaptative permet de ne pas émettre de rameaux dans les zones ombragées et de favoriser leur développement dans les zones éclairées. Elle contrôle aussi l’élongation des cellules. Ce processus physiologique consiste en une réponse à certaines longueurs d’onde spécifiques, et en particulier au rapport rouge clair/rouge sombre. Les légumineuses montrent une sensibilité très forte à la photomorphogenèse, le trèfle blanc ayant largement été utilisé pour l’étude de ces processus.

Cette caractéristique constitue un trait physiologique essentiel pour le fonctionnement des associations, puisqu’elle permet aux plantes d’adapter leur morphogenèse, et donc l’investissement du carbone et de l’azote aux conditions de rayonnement. En situations ombrées, par exemple sous une graminée ou une céréale associée, il y aura allongement des tiges et des pétioles, mais réduction du nombre de bourgeons en croissance. Ainsi, au printemps, dans des associations avec des graminées en forte croissance grâce à l’azote minéral disponible, le trèfle blanc sera peu visible. En revanche, dès que le trèfle blanc reçoit le soleil incident, il réduit la longueur des pétioles et émet de nombreux stolons pour coloniser l’ensemble de l’espace disponible. L’activité des bourgeons apicaux est influencée par le rapport rouge clair/rouge sombre (Robin et al., 1994) et dans une moindre mesure par la lumière bleue (Gautier et al., 1997).

Caractéristiques modifiant la qualité des produits et leurs utilisations

En matière de qualité sanitaire, le faible taux de mycotoxines est un atout pour les graines de légumineuses par rapport notamment aux céréales, et leur culture dans les systèmes céréaliers permet aussi de réduire les teneurs en mycotoxines des céréales. Pour les protéagineux, en France, aucune des mycotoxines de champ (trichothécènes, fumonisines et zéaralénone) n’est détectée dans les échantillons des enquêtes annuelles sur la qualité des pois et des féveroles (Unip enquêtes qualité 2008-2012 ).

Par ailleurs, les produits issus des légumineuses présentent parfois des composés secondaires spécifiques comme les facteurs antitrypsiques (taux bas chez les protéagineux, taux moyen à élevé chez le soja), tanins (présents dans les graines de féverole et dans les feuilles de certaines légumineuses fourragères, comme le lotier et le sainfoin), vicine-convicine (dans les graines de la plupart des variétés de fève-féverole, sauf les types « Fevita© »), alcaloïdes (présents dans les graines de lupin avant amélioration variétale), isoflavones (composés phénoliques, caractéristiques des légumineuses, qui sont présents en grande quantité dans la graine de soja, avec une forte variabilité entre cultivars).

Ces composés peuvent avoir un impact positif sur la croissance et la résistance au stress des plantes mais aussi un impact négatif sur la qualité : diminution de la digestibilité des graines ou fourrages utilisés pour nourrir les animaux, valeur gustative ou valeur santé en nutrition humaine. L’amélioration variétale et les procédés technologiques sont deux voies qui permettent d’éliminer plus ou moins complètement des composants gênants pour des débouchés en alimentaire (chapitres 4 et 5). En revanche, ces composés peuvent être une source de valorisation pour des utilisations non alimentaires avec des fonctionnalités spécifiques intéressantes pour des matériaux, des usages en pharmacologie. La présence de tanins condensés chez certaines légumineuses fourragères permet de lutter contre certains parasites intestinaux des ruminants et notamment les strongles.

Conclusion

Même si la connaissance de la fixation symbiotique de l’azote atmosphérique, spécificité des légumineuses, est ancienne et a été bien caractérisée sur les plans moléculaire et cellulaire, sa quantification en lien avec la croissance de la plante (et in fine le rendement) et les facteurs de l’environnement est assez récente. Jusqu’à présent, cette quantification a été essentiellement menée sur un nombre restreint d’espèces phares (pois et luzerne notamment). On manque ainsi aujourd’hui de références quantifiées sur la fixation symbiotique d’autres espèces de légumineuses, à graines ou fourragères. Il est également nécessaire de trouver les clés pour piloter ou accompagner ce processus biologique au cours de la production agricole.

Par ailleurs, les progrès génétiques et agronomiques des légumineuses européennes sont encore relativement récents (30 ans) par rapport à d’autres espèces telles que les céréales, et ont essentiellement porté sur le pois protéagineux et la luzerne. Dans le cas du pois protéagineux, les efforts des sélectionneurs ont en premier lieu fait passer la plante d’une architecture fourragère préexistante (plante haute, très sensible à la verse, production grainière indéterminée) à une structure plus courte et ramifiée, afila (les folioles étant remplacées par des vrilles), permettant de résister à la verse et facilitant la récolte mécanique. La culture reste sensible aux maladies surtout dans le nord et l’ouest de la France, où la production végétative importante crée des conditions de milieu favorables à l’expression des maladies fongiques aériennes (notamment l’anthracnose) et aux stress hydriques et thermiques dans les régions plus continentales ou méridionales. Plusieurs pistes sont possibles pour améliorer l’efficacité de la fixation symbiotique azotée par la voie génétique, avec par exemple des souches de rhizobium plus efficaces, des utilisations d’inoculations croisées, une sénescence retardée des nodosités, une architecture du système racinaire plus développée, etc. Leur prise en compte dans les schémas de sélection reste un défi, car elle se heurte à des difficultés méthodologiques et/ou des coûts élevés d’accès aux variables d’intérêt (fixation de N2 par marquages isotopiques, mesures des racines via leur excavation…). Toutefois, le développement actuel de dispositifs de phénotypage innovants offre la perspective d’une meilleure caractérisation de la variabilité génétique associée à ces caractères souterrains et à leur prise en compte dans les schémas de sélection futurs.

Pour améliorer la capacité fixatrice des peuplements de légumineuses, l’enjeu est également de jouer sur les nombreux facteurs limitants de la fixation de N2 via les pratiques culturales, en particulier en veillant à optimiser les apports d’éléments minéraux essentiels à la fixation de N2 (phosphore essentiellement), en évitant les stress hydriques, le tassement du sol, et en limitant les bioagresseurs (sitones, adventices). Dans ce contexte, les associations végétales entre légumineuses et non-légumineuses, parce qu’elles valorisent la complémentarité entre espèces pour leur nutrition azotée (et leur croissance), sont un des moyens de pallier une partie des inconvénients rencontrés en culture pure (verse, adventices). Ces associations permettent également d’améliorer la qualité de la production (de la légumineuse et de l’espèce associée), tout en diminuant le recours aux engrais azotés. Ces associations végétales sont couramment utilisées dans les associations fourragères prairiales, où elles donnent pleinement satisfaction dès lors qu’une proportion équilibrée est obtenue grâce à une conduite adaptée des prairies. Mais leur développement dans les systèmes de grande culture est récent et confidentiel à ce jour, et nécessite encore des recherches pour optimiser leur conduite. Enfin, il existe une marge d’amélioration des performances de la fixation symbiotique des légumineuses, via un meilleur raisonnement du choix des variétés ou des espèces utilisées en culture pure ou en cultures associées, en fonction des facteurs limitants du milieu. Ce raisonnement devrait être à l’avenir mieux guidé, grâce à une meilleure caractérisation des espèces et variétés, et à la prise en compte des facteurs limitants dans les modèles écophysiologiques et agronomiques en cours de développement.

En plus de leur capacité à fixer l’azote atmosphérique, les légumineuses présentent la particularité de fournir au sol une quantité d’azote non négligeable, via des processus de rhizodéposition en cours de culture, et via les résidus laissés dans ou sur le sol après la récolte. Toutefois, la quantification de ces flux racinaires reste difficile, car elle pose des problèmes méthodologiques. On peut donner des ordres de grandeurs de modifications du solde azoté du sol suite à une culture de pois, de soja et de luzerne, mais les valeurs indiquées n’ont pas valeur de référence, car les mesures ont été peu nombreuses, potentiellement soumises à une forte erreur de mesure, et donc avec un domaine de validité restreint.

La connaissance des spécificités de la nutrition azotée des légumineuses et des flux azotés associés est fondamentale pour pouvoir piloter les autres composantes du système de culture de façon à valoriser les propriétés spécifiques des légumineuses en limitant le recours aux engrais N et les fuites d’azote minéral vers l’environnement. La fixation symbiotique sera maximisée si le stock d’azote minéral dans le sol au moment du semis de la légumineuse est faible. Et l’azote laissé au sol après la culture de la légumineuse sera d’autant mieux valorisé que l’interculture et la culture suivante auront été gérées de façon à limiter les fuites azotées dans l’environnement. Ces aspects sont traités dans le chapitre 3.

Par ailleurs, même si la composante « azote » est fondamentale dans l’effet précédent positif lié à une légumineuse et mesuré sur la culture associée ou suivante, cette composante n’est pas la seule : on sait que l’effet précédent d’une légumineuse intervient aussi dans la fertilité des sols et l’efficience des autres cultures à absorber les nutriments (chapitre 3).

Avec la contribution de : Guénaëlle Corre-Hellou, Jean-Jacques Drevon, Gérard Duc, Pierre Jouffret, Eric Justes, Bernadette Julier, Christophe Naudin, Anne Schneider, Pascal Thiébeau, Françoise Vertès.

30Adénosine-5’-triphosphate, molécule biochimique qui permet le stockage et le transport de l’énergie dans les organismes vivants connus ; son hydrolyse fournit l’énergie nécessaire aux réactions chimiques des cellules vivantes.
31E. Triboï, communication personnelle rapportée dans Cultivar, mars 2010, pp. 42-44.