Annexe 9. Impact de l’introduction de luzerne, pois, féveroles et vesces sur le bilan de Gaz à effet de serre (GES) en région de Grandes cultures en Champagne crayeuse
Pascal Thiébeau, Inra Reims
Cette étude[123] a été abordée par l’analyse du cycle de vie (ACV), qui est une approche utilisée pour quantifier les impacts (directs et indirects) de systèmes agricoles dans plusieurs domaines : changement climatique, utilisation d’énergie nonrenouvelable (Haas et al., 2000).
Les ACV ont été réalisées sur des fermes types, issues d’études exploratoires. Une typologie de deux fermes conventionnelles, de région de grandes cultures a été construite. Les assolements des deux fermes ont été établis à partir de données réelles d’exploitations non diversifiées (pas de culture spéciale, pas d’animaux) et betteravières de Champagne crayeuse sur les récoltes de 2005 à 2009 (CDER de la Marne). Le tri de ces exploitations selon leur surface en légumineuses a permis d’identifier deux groupes homogènes de 458 exploitations chacun, un avec une proportion de légumineuses de 5 % (taux bas), et l’autre avec une proportion de 20 % (taux haut).
Figure A9.1. Répartition de l’assolement des deux exploitations de grandes cultures (%) : avec peu de légumineuses (A) ou significativement plus (B).
La surface agricole utile (SAU) des exploitations est pour les légumineuses respectivement de 157,6 ha pour le taux bas et de 169,2 ha pour le taux haut. Leur surface en légumineuses est composée majoritairement de luzerne (80 %), de pois (20 %) sur les exploitations n’ayant que 5 % de légumineuses, de pois, de féverole et de vesce pour 20 % sur les exploitations disposant de 20 % de légumineuses (figure A9.1).
Les catégories d’impact d’intérêt étaient le changement climatique (en kg équivalent CO2) et l’utilisation d’énergie non renouvelable (NR, en MJ), les deux exprimées par ha de surface globale (SG = SAU + surfaces indirectes) de chaque type de ferme. Le calcul des émissions et impacts potentiels pour les fermes de grande culture a été fait avec le logiciel SimaPro 7.2.4 (PRé Consultants, 2008), qui contient une base de données (Inra, UMR SAS de Rennes) sur les itinéraires techniques, les gestions, les rendements, et les émissions de chaque culture en France. Cette base de données fait appel à d’autres bases, telle que ecoinvent 2.0 (Frischknecht et al., 2007), pour estimer les émissions dues à d’autres activités telles que la fabrication d’engrais, la construction de bâtiments, et le transport.
Résultats et discussion
Les données recueillies ne permettent pas de distinguer des charges différenciées entre cultures pour l’un ou l’autre groupe d’exploitation. Les rendements obtenus ont tendance à être plus élevés en situation à plus forte proportion de légumineuses, sans différence significative (données non montrées). Les résultats de l’ACV indiquent une diminution des impacts de changement climatique (- 4 %) et d’utilisation d’énergie non renouvelable (- 5 %) par hectare de SAU pondéré des assolements respectifs, en faveur des exploitations disposant de 20 % de surface occupée par des cultures de légumineuses (tableau A9.1). Ces valeurs peuvent paraître modestes, mais ramenées à l’échelle d’une exploitation disposant de 20 % de surface en légumineuses, cela évite le rejet de plus de 16 400 kg équivalent CO2 et économise 153 500 MJ d’énergie non renouvelable.
Ces résultats sont en accord avec ceux de Nemecek et al. (2008) qui ont réalisé des ACV détaillées de rotations avec légumineuses. Ces auteurs justifient ce résultat par trois facteurs :
les légumineuses n’ont pas besoin d’apport d’engrais azoté pour leur culture, ce qui réduit fortement le poste « fertilisants et nutriments » (seuls des apports de P et K sont nécessaires) ;
les apports d’azote sur la culture suivante sont réduits pour tenir compte de la minéralisation de résidus plus riches en azote qu’une paille de céréale ;
le contexte de la récolte peut conduire à une réduction de travail du sol, en s’affranchissant d’un labour consommateur d’énergie fossile.
Tableau A9.1. Impacts potentiels de changement climatique (CC, kg équivalent CO2) et d’utilisation d’énergie non renouvelable (NR, MJ) par ha de culture (émissions de CO2, N2O, CH4 principalement), et moyenne pondérée de l’assolement respectif de chaque type de ferme de grande culture.
CC (kg éq. CO2) | Énergie NR (MJ) | ||
Céréales | Blé | 2 659 | 17 600 |
Escourgeon | 2 238 | 16 494 | |
Orge | 1 735 | 10 125 | |
Maïs- grain | 3 072 | 18 532 | |
Oléagineux | Colza | 2 849 | 23 263 |
Tournesol | 1 411 | 9 362 | |
Légumineuses | Pois | 1 337 | 12 048 |
Féverole | 1 016 | 9 905 | |
Luzerne | 1 968 | 10 092 | |
Autre | Betterave | 2 099 | 21 457 |
Taux de Légumineuses : | |||
Ferme (pondéré par l’assolement) | Bas | 2 337 | 16 904 |
Haut | 2 240 | 15 997 |
Conclusion
L’introduction de légumineuses dans les assolements français présente de nombreux atouts vis-à-vis des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’agriculteur peut agir sur le niveau d’émission de GES en limitant les apports d’engrais azoté au strict nécessaire (réalisation de bilans d’azote à la parcelle), en mettant en œuvre des techniques culturales limitant la lixiviation d’azote (absorption par des couverts intermédiaires), et en limitant le nombre d’interventions consommatrices d’énergie fossile (remplacement d’un labour par un travail du sol simplifié).
En termes de performance énergétique, l’introduction de légumineuses dans un assolement de grande culture permet d’obtenir une consommation énergétique et une efficience énergétique meilleures que lors d’un assolement comportant exclusivement des cultures de céréales et d’oléagineux. À l’échelle de l’exploitation, une proportion significative (20 %) de légumineuses permet de réduire de 4 % l’impact de l’assolement sur le changement climatique, et de 5 % le bilan énergétique.
L’introduction de légumineuses dans les rotations (pures ou associées à des céréales) est donc un moyen efficace de réduire les émissions de GES par l’agriculture, et d’améliorer l’efficience énergétique des systèmes.
Références
Frischknecht R., Jungbluth N., Althaus H.-J., Doka G., Dones R., Hischier R., Hellweg S., Nemecek T., Rebitzer G., Spielmann M., 2007. Overview and Methodology. Final report ecoinvent data v2.0, No. 1. Swiss Centre for Life Cycle Inventories, Dübendorf, Switzerland.
Haas G., Wetterich F., Geier U., 2000. Life cycle assessment framework in agriculture on the farm level. International Journal of Life Cycle Assessment, 5, 345-348.
Nemecek T., von Richthofen J.S., Dubois G., Casta P., Charles R., Pahl H., 2008. Environmental impacts of introducing grain legumes into European crop rotations. European Journal of Agronomy, 28, 380-393.
PRé Consultants 2008. Introduction to LCA with SimaPro 7. http://www.pre.nl/download/manuals/SimaPro7IntroductionToLCA.pdf (consulté le 20 mai 2015).
Thiébeau P., Lô-Pelzer E., Klumpp K., Corson M., Hénault C., Bloor J., de Chezelles E., Soussana J.-F., Lett J.-M., Jeuffroy M.-H., 2010. Conduite des légumineuses pour améliorer l’efficience énergétique et réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la culture et de l’exploitation. Innovations Agronomiques, 11, 45-58.
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