Chapitre 4

Conséquences zootechniques de l’introduction des légumineuses françaises dans les systèmes de productions animales

Jean-Louis Peyraud, Jean-Yves Dourmad, Michel Lessire, Françoise Médale, Corinne Peyronnet

L’utilisation des légumineuses fourragères et à graines a fortement régressé en élevage au niveau français, principalement en raison d’un manque de disponibilité des matières premières (voir chapitre 1, Production des légumineuses à graines et Productions des légumineuses fourragères ).

Dans le cas des graines, ce mouvement est en partie lié au choix des agriculteurs face aux difficultés techniques et aux contextes économiques, mais il est également lié aux évolutions des politiques agricoles, à la simplification générale du système de production dominant et à la concurrence entre matières premières substituables pour les aliments composés (voir chapitre 7). Ainsi, les surfaces en pois sont passées par un maximum de 700 000 ha au début des années 1990 et ne représentent plus que 200 000 ha en 2010 (Unip, 2011).

De leur côté, les surfaces en légumineuses fourragères cultivées en pure ont diminué, notamment au profit du maïs beaucoup plus productif, soutenu par les politiques agricoles, plus facile à produire et très facile à utiliser chez les ruminants avec une complémentation à l’aide de tourteaux d’oléoprotéagineux (soja, colza, tournesol). Les surfaces en luzerne et trèfle violet couvraient 3,0 millions d’ha (Mha) en 1960, mais seulement 0,32 Mha en 2000 en France (Pflimlin et al., 2003), alors que dans le même temps les surfaces en ensilage de maïs passaient de 0,35 à 1,4 Mha. Une exception notable est le trèfle blanc, les prairies d’association graminées-trèfle blanc représentant plus de 60 % des prairies temporaires semées dans l’ouest de la France, cette proportion s’étant régulièrement accrue depuis le milieu des années 1980. La même tendance est aujourd’hui rencontrée pour des associations fourragères à base de luzerne.

En conséquence, les graines de protéagineux ne représentent plus en 2010-2011 qu’une part minime du tonnage des aliments composés des porcs, volailles et bovins (respectivement 3 %, 1,5 % et 1 %), alors que le tourteau de soja en représente 12 %, 19 % et 15 % respectivement (SNIA, 2012), la différence étant assurée par les tourteaux issus de la trituration des oléagineux, et en particulier du colza, dont la production a augmenté depuis les années 2000 pour le débouché agrocarburant. La production de porc charcutier qui a valorisé jusqu’à 2 Mt de pois dans les années 1990 n’en valorise plus que 0,15 à 0,20 Mt en 2010-2011. En revanche, la disponibilité en tourteaux de colza s’est accrue de 0,6 Mt en 2000 à 2,6 Mt en 2010.

Le trèfle violet est surtout utilisé pour l’ensilage et plus occasionnellement au pâturage dans des prairies multi-espèces (Le Gall, 1993). La luzerne est principalement utilisée en foin et fourrage déshydraté, et le trèfle blanc pour le pâturage.

Au final, ces évolutions ont conduit à réduire très fortement le niveau d’autonomie protéique de l’élevage français. Le déficit protéique pour le secteur des aliments composés industriels se situait autour de 40 % dans les années 2010 (soit environ 1 200 kt). Les élevages de ruminants restent liés au sol et valorisent des fourrages, donc leur autonomie protéique est plus élevée que pour les ateliers de monogastriques. Pour autant, si l’autonomie fourragère est quasi atteinte dans la plupart des élevages de ruminants, l’autosuffisance protéique de la complémentation (part des protéines utilisées pour la complémentation de la ration produite sur l’exploitation) n’est que de 20 % en élevage laitier pour les concentrés utilisés (Paccard et al., 2003) et de 27 % en élevage allaitant (Kentzel et Devun, 2004) avec une forte dispersion des résultats. L’analyse de l’autosuffisance protéique à l’échelle de l’ensemble de la ration donne, chez les élevages de ruminants, une image plus favorable puisque la ration de base assurée par les fourrages grossiers assure également un apport massif de protéines. Les importations de soja représentent 47 % (données Unip 2012/2013) des protéines consommées par les animaux dans les aliments composés, ce qui fragilise les filières face à l’augmentation tendancielle et aux fluctuations très importantes du prix du soja, la part des tourteaux d’oléagineux métropolitains (colza, tournesol) étant en augmentation.

Pourtant, les légumineuses peuvent avoir une contribution importante pour la compétitivité et la durabilité des systèmes de production animale. Elles permettent de réduire la dépendance à l’azote et aux protéines importées, la dépendance aux énergies fossiles (via le moindre recours aux engrais azotés) et à la traçabilité des produits animaux.

Après avoir rappelé les grandes caractéristiques des légumineuses sous l’angle des productions animales, ce chapitre fera l’état des connaissances sur l’utilisation des légumineuses à graines et des légumineuses fourragères en alimentation animale, décrira les effets de leur utilisation sur les performances zootechniques des animaux pour les différentes filières et analysera les marges de progrès pour accroître leur utilisation.

Composition des légumineuses à graines

Des graines riches en protéines et pouvant contenir des proportions élevées d’amidon ou de lipides

Les principales caractéristiques chimiques des graines figurent dans les tables Inra-AFZ (2004) mais, comme toute matière première d’origine végétale, la composition et finalement la valeur alimentaire des légumineuses à graines peuvent varier entre lots, échantillons et variétés (Biarnès et al., 2002). Cette variabilité est du même ordre de grandeur que celle des céréales.

Le tableau 4.1 rassemble les données moyennes de composition, utilisées dans les tables de valeur des aliments, pour les graines de pois, féverole à fleurs colorées et à fleurs blanches et lupin blanc (espèces majoritaires de la production française), avec une comparaison avec une céréale de référence (le blé tendre) et des tourteaux de soja et de colza. Les graines de protéagineux sont caractérisées par des teneurs en protéines élevées. Elles peuvent se répartir en deux groupes selon leur composition chimique (Carrouée et al., 2003). Le premier groupe correspond à des graines riches en protéines (24 à 32 %) et amidon (40 à 50 %) et pauvres en matières grasses (1 à 3 %), c’est le groupe le plus important et il rassemble le pois, la féverole, les vesces et gesses, les haricots, le pois chiche et les lentilles. Les graines de ce groupe sont des aliments intermédiaires entre les céréales et les tourteaux. Le second groupe correspond à des graines plus riches en matières grasses et contenant peu d’amidon. Ce groupe rassemble les lupins, le soja et des légumineuses tropicales comme l’arachide. Sa composition est moins homogène que le précédent, les teneurs en huile variant de 6 à 10 % pour les lupins, 18 à 20 % pour le soja avant déshuilage, et 40 % pour l’arachide ; les teneurs en protéines sont toujours élevées (de 35 à 45 %), le reste de la matière sèche étant constitué essentiellement par des constituants pariétaux. Si les protéagineux du premier groupe peuvent être utilisés en l’état en alimentation animale, ceux du second groupe sont trop riches en huile et sont le plus souvent triturés, à l’exception des lupins. Notons que les graines de légumineuses riches en huiles peuvent aussi être distribuées aux animaux après avoir subi des traitements technologiques tels que le toastage ou l’extrusion.

Les protéines de toutes les légumineuses sont riches en lysine (le pois en particulier) comparativement aux céréales, ce qui les rend intéressantes en formulation pour les porcs et les volailles ; en revanche, elles sont relativement pauvres en méthionine et cystéine (acides aminés soufrés) et leurs protéines crues sont très dégradables dans le rumen (Inra-AFZ, 2002), ce dernier point pouvant être une limite en élevage de ruminants.

Tableau 4.1. Composition centésimale des graines de protéagineux, en % de la matière sèche. D’après les tables Inra-AFZ, 2004.

BléPoisFéverole à fleurs blanchesFéverole à fleurs coloréesLupin blancTourteau de soja 48Tourteau de colza
Matière sèche (%)86,886,486,186,588,687,888,7
Protéines12,123,931,129,438,551,638,0
Cellulose brute2,66,08,79,112,86,813,9
NDF14,213,915,916,121,313,931,9
ADF3,66,910,610,615,58,322,1
Matière grasse1,71,21,31,59,52,12,6
Amidon69,851,643,344,20,00,00,0
Lysine (% MAT)3,17,36,46,54,96,15,3
Méthionine (% MAT)1,71,00,70,70,81,42,0
Mét+Cys (% MAT)4,22,32,02,01,62,94,5
Thréonine (% MAT)3,23,83,63,33,73,94,3
Tryptophane (% MAT)1,30,90,80,50,73,32,9

ADF, Acid Detergent Fiber ; MAT, matière azotée totale ; NDF, Neutral Detergent Fiber.

Il existe une variabilité génétique de la teneur en protéines des graines, dont l’ampleur peut varier (Guéguen et Lemarié, 1996) selon les espèces (pois, féverole, lupin, soja), mais aussi en fonction de la composition de ces protéines, notamment le rapport globulines/albumines, ces dernières étant plus riches en lysine et en acides aminés soufrés et moins dégradables que les globulines (Aufrère et al., 2001). Les voies de progrès semblent exister. Ainsi, par sélection classique il a été possible d’accroître la teneur en protéines et dans une moindre mesure de réduire leur solubilité chez des lupins d’hiver (Moss et al., 2001). L’introduction par transgenèse dans le lupin bleu (non cultivé en France) d’un gène codant pour une albumine de tournesol riche en méthionine (protéine SFA8) a aussi contribué à accroître sa teneur en AA soufrés (White et al., 2001).

Des graines qui peuvent contenir des facteurs antinutritionnels

Des tanins sont présents dans les pellicules des graines des variétés de féverole et de pois à fleurs colorées. Ainsi, Bastianelli et al. (1998) pour les pois et Duc et al. (1999) pour les féveroles font état de teneurs moyennes en tanins condensés de 0,07 vs 5,49 mg d’équivalent catéchine/g pour les pois à fleurs blanches et fleurs colorées respectivement, et 0,01 vs 10 mg d’équivalent catéchine/g de matière sèche pour les féveroles à fleurs blanches et fleurs colorées respectivement. Cependant, alors que les pois actuellement cultivés sont tous issus de variétés à fleurs blanches, la grande majorité des graines de féverole sont issues de graines à fleurs colorées. Chez les ruminants, il ne paraît pas justifié de distinguer ces groupes variétaux dans la mesure où ces tanins n’affectent pas la dégradabilité des protéines dans le rumen et, au final, la valeur azotée des graines. Il n’en est pas de même chez les monogastriques, qui présentent toujours des digestibilités des protéines réduites par la présence de tanins (Longstraff et al., 1991 ; Brévault et al., 2003). Par ailleurs, dans les variétés actuellement cultivées, les autres facteurs antinutritionnels potentiels (facteurs antitrypsiques pour le pois, alcaloïdes pour le lupin) sont réduits à un niveau très faible. Ce n’est pas le cas des graines de soja, qui présentent, à l’état cru, des teneurs en facteurs antitrypsiques proches de 50 UTI (unité de trypsine inhibée) par mg de matière sèche comparativement au pois, qui ne dépasse pas les 5 UTI. Cependant, les procédés de trituration ou d’extrusion appliqués au soja permettent de réduire ces valeurs à des niveaux très faibles équivalents à ceux des graines de pois. Enfin, les problèmes d’appétibilité, lorsqu’ils sont mentionnés, ne le sont que de manière fugace ; il faut donc veiller à des transitions progressives lors de l’introduction d’une nouvelle matière première crue dans un régime, pratiques qui ne sont pas spécifiques aux légumineuses à graines. Les types sauvages ou les variétés anciennes de lupin contiennent aussi des alcaloïdes, qui présentent des effets antinutritionnels, mais ces molécules ont été supprimées par la sélection des variétés récentes.

Les pailles, co-produits valorisables en production animale

La paille de pois peut constituer un apport fourrager qui, lorsqu’elle est récoltée dans de bonnes conditions, constitue un fourrage appétible (Unip-ITCF, 1995), à l’inverse des pailles de féverole et de lupin qui sont difficiles à récolter, peu appétibles et de faible valeur nutritionnelle pour les ruminants. La paille de pois a une valeur énergétique plus élevée que celle du blé (0,59 vs 0,42 UFL ; Inra, 2007).

À retenir. Les légumineuses à graines sont des aliments d’intérêt pour les filières animales.

Les légumineuses à graines sont une source de protéines et d’énergie et constituent des aliments d’intérêt dans pratiquement toutes les filières animales. Ce sont aussi pour certaines d’entre elles des sources d’acides gras, de fibres et de minéraux (principalement le Ca).

Les pois et féveroles se situent entre les céréales et le soja car ils contiennent de l’amidon (entre 45 et 50 % de leur matière sèche, MS) et des protéines (de 20 à 35 % de leur MS). Le lupin ne contient pas d’amidon mais contient plus de protéines (35 à 40 % de la MS) ainsi que 6 à 10 % de matières grasses et une forte proportion de fibres (13 à 17 % de cellulose brute/MS). Quant à la graine de soja, elle présente les teneurs en protéines les plus élevées (proches de 40 %/MS), associées à des teneurs en matières grasses supérieures à 20 % de la MS et à l’absence d’amidon.

Les protéines des protéagineux sont naturellement riches en acides aminés indispensables et en particulier en lysine (notamment celles du pois) mais sont relativement pauvres en acides aminés soufrés et en tryptophane.

Les protéines des graines crues sont très solubles et dégradables dans le rumen, ce qui limite leur valeur azotée pour le ruminant. Cette dégradabilité peut être fortement abaissée par des traitements thermiques tels que la trituration, l’extrusion ou le toastage, mais le coût d’application de tels traitements technologiques doit être comparé au gain de prix d’intérêt obtenu en formulation en fonction des conjonctures de prix.

Des facteurs antinutritionnels sont présents dans certaines graines. Les facteurs antitrypsiques contenus dans les graines de soja sont responsables d’une forte réduction de la digestibilité des nutriments chez les animaux monogastriques, ce qui empêche une utilisation des graines crues. Des traitements thermiques pour les inactiver sont alors indispensables pour améliorer la digestibilité des acides aminés.

Par ailleurs, les graines de soja sont très généralement triturées pour en extraire l’huile. Le tourteau de soja qui en résulte est la matière protéique végétale la plus concentrée (près de 50 % de protéines dans la matière sèche) et la plus utilisée dans le monde. Les autres graines de pois, féverole et lupin peuvent être utilisées crues.

Utilisation des légumineuses à graines en alimentation animale

Chez les porcs et les volailles, les céréales constituent la principale source d’énergie du régime, mais du fait de leur faible teneur en protéines, elles doivent être complétées par des sources de protéines permettant de satisfaire les besoins en acides aminés digestibles d’animaux à fort potentiel génétique de croissance ou de ponte. La valeur protéique des matières premières est liée à leurs teneurs en acides aminés digestibles et à l’équilibre entre les différents acides aminés. La teneur en protéines n’est donc importante que dans la mesure où elle affecte la teneur en acides aminés. Le taux d’incorporation des légumineuses dans les rations de monogastriques est influencé à la fois par le prix des différentes matières premières, y compris les acides aminés alimentaires, leurs valeurs nutritionnelles (acides aminés digestibles et valeur énergétique), leurs contraintes maximales d’incorporation et leur disponibilité sur le marché (Dourmad et al., 2006b). Des contraintes spécifiques peuvent également intervenir, par exemple celles relatives aux rejets d’azote ou de phosphore. Chez les ruminants, les céréales représentent une part plus faible du régime qui est majoritairement constitué par des fourrages, mais la complémentation par des sources de protéines est nécessaire et importante, notamment dans les rations à base d’ensilage de maïs. La dégradation des protéines dans le rumen est alors, avec la teneur en protéines, le critère principal de la qualité des sources protéiques.

Valeur nutritionnelle et potentialité d’utilisation des légumineuses à graines chez les porcs

Une bonne valeur énergétique et azotée pour les porcs à l’engrais

La composition nutritionnelle des principaux protéagineux utilisables en alimentation porcine est présentée dans le tableau 4.2, en comparaison avec celle du blé et du tourteau de soja. Alors que les protéagineux présentent des teneurs en énergie métabolisable (EM) voisines de celle du blé, leurs valeurs en énergie nette (EN) sont plus faibles en raison de teneurs plus élevées en protéines et plus faibles en amidon. À l’inverse, la teneur en EN des protéagineux (10,3 à 11,2 MJ EN/kg MS) est plus élevée que celle du tourteau de soja (9,2 MJ EN/kg MS). Ces valeurs énergétiques constituent donc un atout pour l’utilisation des protéagineux chez le porc ; elles le seraient encore plus si elles pouvaient être accrues. Toutefois, le développement important de la production d’acides aminés industriels peut venir en concurrence, en favorisant l’utilisation accrue de céréales.

L’écart de digestibilité de l’énergie entre les céréales et les protéagineux est moindre chez les porcs que chez les volailles, en relation avec une capacité supérieure à digérer l’amidon et les fibres. Les porcs sont en effet moins sensibles que les volailles à la taille des granules d’amidon et à la teneur en amylose. Par ailleurs, la fermentescibilité des graines de légumineuses est plus élevée que celle des céréales (Canibe et Bach Knudsen, 2002), ce qui améliore la digestion fécale des fibres.

La teneur en lysine digestible, exprimée en pourcentage des protéines, est plus élevée dans le pois (6,0 %) que dans le tourteau de soja (5,5 %), la féverole présentant une valeur voisine de celle du tourteau de soja (5,2 %) et le lupin une valeur plus faible (4,0 %). En revanche, les protéagineux contiennent, proportionnellement à leur teneur en protéines, moins d’acides aminés soufrés, de thréonine et de tryptophane que le tourteau de soja, la digestibilité iléale du tryptophane étant particulièrement faible. L’utilisation des protéagineux comme source de protéines alternative au tourteau de soja nécessite donc d’avoir recours à des supplémentations en ces acides aminés (Sève, 2004). L’absence de source industrielle de tryptophane à des prix compétitifs a d’ailleurs longtemps été le principal facteur limitant à l’incorporation de hauts niveaux de pois permettant de remplacer la totalité du tourteau de soja, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le tourteau de colza qui est riche en tryptophane peut aussi constituer une alternative intéressante.

Tableau 4.2. Composition en éléments nutritionnels des graines protéagineuses en regard des besoins des porcs en croissance. D’après les tables Inra-AFZ, 2004.

BléPoisFéverole coloréeLupin blancTourteau de soja 48Tourteau de colzaBesoin (25-50 kg)
MS (%)86,886,486,588,687,888,7
MAT (g/kg MS)121239311385516380< 190
Digest MAT (%)848485848775-
EN (MJ/kg MS)12,111,210,410,39,27,110,9
AA digestible (g/kg MS)
Lysine2,914,416,215,328,415,39,9
Thréonine3,16,98,311,117,412,26,7
Méthionine1,71,91,72,36,76,83,0
Mét+Cys4,34,24,47,013,214,26,0
Tryptophane1,31,51,7-5,93,72,0
Isoleucine3,97,99,815,521,312,05,3
Valine4,68,710,512,222,014,86,4
Leucine7,413,518,723,933,921,09,9
Phénylalanine5,29,010,312,923,512,34,9
Phe+Tyr8,215,017,828,939,321,29,4
P total (g/kg MS)3,74,65,34,37,112,9< 5,5
P digestible (g/kg MS)1,12,22,02,12,34,12,9

AA, acides aminés ; EN, énergie nette ; MAT, matière azotée totale ; MS, matière sèche.

Des limites du fait de la présence possible de tanins ou de facteurs antinutritionnels

La valeur énergétique du pois ou de la féverole est influencée par la présence de tanins, en particulier dans les variétés à fleurs colorées (Pérez et Bourdon, 1992 ; Grosjean et al., 2001). Toutefois, c’est surtout la digestibilité des protéines qui est affectée par la présence de tanins, aussi bien pour la digestibilité fécale (Grosjean et al., 2001) que pour la digestibilité iléale des acides aminés (Jansman et al., 1993). Cet effet est malgré tout un peu moindre chez les porcs que chez les volailles.

Alors que les effets des inhibiteurs trypsiques du pois sont difficilement observables sur la digestibilité fécale des protéines (Grosjean et al., 1998), ces facteurs antinutritionnels affectent de façon marquée la digestibilité iléale des acides aminés, en particulier pour les plus limitants (Leterme et al., 1990 ; Grosjean et al., 1998). Ces observations ont conduit au développement de variétés de pois et de féveroles pauvres en tanins et de variétés de pois pauvres en facteurs antitrypsiques. Dans le cas des féveroles, Grosjean et al. (2001) mesurent, pour les meilleures variétés testées, des digestibilités de l’énergie et des protéines chez le porc assez proches de celles du tourteau de soja. Ils expliquent cette amélioration par la réduction conjointe de la teneur en tanins et en fibres de ces variétés. En revanche, ces digestibilités ne sont pas affectées par les teneurs en vicine et convicine, qui diffèrent également selon les variétés.

Différentes espèces de lupins ont été étudiées en alimentation porcine en France : le lupin blanc suite au développement de variétés à haut rendement, le lupin bleu adapté aux zones sèches et beaucoup produit en Australie, et le lupin jaune surtout produit en Europe de l’Est dans des zones sableuses à pH bas. Le lupin est caractérisé par une teneur élevée en protéines et en glucides non amylacés, alors qu’il contient très peu d’amidon. Il contient des teneurs élevées en oligosaccharides (stachyose, raffinose, verbascose) qui peuvent entraîner des flatulences et réduire la consommation, voire conduire à des désordres digestifs plus graves. Ceci peut contribuer à l’avantage généralement noté chez le porc du lupin bleu, comparativement au lupin blanc aussi bien pour la digestibilité iléale des acides aminés (Mariscal-Landin et al., 2002b) que pour l’énergie nette (King et al., 2000).

De l’intérêt d’utiliser des enzymes ou traitements technologiques

Compte tenu de leur forte teneur en glucides non amylacés, différentes tentatives d’amélioration de la digestibilité par le porc de l’énergie et des protéines des protéagineux ont été envisagées, soit en ajoutant des enzymes, soit par des traitements technologiques. Pour ce qui concerne la supplémentation par des enzymes, les résultats sont mitigés dans le cas du pois (Sève, 2004), même si quelques études notent des effets positifs. En revanche, l’ajout d’α-galactosidase dans des régimes contenant des niveaux élevés de graines de lupin tend à améliorer la digestibilité des acides aminés (Froidmont et al., 2003, 2005).

Les études relatives à l’application de traitements technologiques semblent plus prometteuses. Chez le porc, une mouture fine du pois (220 vs 500 μm) améliore significativement la digestibilité de l’énergie et des acides aminés (Lahaye et al., 2003), avec des effets plus marqués chez le porcelet sevré (Albar et al., 2000). Montoya et Leterme (2011) ont également montré que le broyage fin du pois augmentait la digestibilité de l’amidon et de l’énergie. Les traitements thermiques contribuent à inactiver les facteurs antinutritionnels thermosensibles. Ainsi, Mariscal-Landin et al. (2002) observent chez le porcelet une amélioration de la digestibilité suite à un traitement par extrusion, cet effet étant plus important sur des variétés riches en inhibiteurs trypsiques. Stein et al. (2010) n’observent pas d’effet significatif de l’extrusion d’un lot de pois sur les performances de croissance des porcelets. De la même manière, une simple granulation permet d’améliorer la valeur EM de la féverole (Grosjean et al., 1999).

Utilisation des légumineuses à graines dans les rations pour porcs

Dourmad et al. (2006a) ont montré que des contraintes maximales sur la teneur en protéines de l’aliment, dans un objectif environnemental, limitaient l’incorporation de protéagineux dans les rations, cet effet étant cependant moindre dans le cas d’une alimentation par phase. Certains cahiers des charges visant à favoriser l’autonomie alimentaire des exploitations, souvent dans le cadre de la fabrication d’aliments à la ferme, ou à éviter l’utilisation de tourteau de soja (en particulier OGM), peuvent également favoriser l’incorporation de protéagineux dans les rations. C’est le cas de la production biologique pour laquelle les sources de protéines potentiellement utilisables sont plus limitées. Mais dans ce cas, l’impossibilité d’utiliser les acides aminés industriels pour rééquilibrer les formules conduit à accroître le niveau de protéines de la ration. Les seuils maximaux d’incorporation des légumineuses dans les aliments pour les porcs dépendent du stade physiologique des animaux. Ils sont généralement fixés de manière à permettre des performances de croissance identiques à celles obtenues avec du tourteau de soja. Au-delà de ces niveaux, on peut observer une réduction de l’ingestion d’aliment et des performances.

L’influence de l’incorporation de protéagineux sur la qualité des carcasses et des viandes et la santé a été peu étudiée. Gatta et al. (2013) n’observent pas d’effet de l’incorporation de 20 % de féverole ou de 30 % de pois sur la qualité de la viande mesurée en termes de composition chimique, de couleur, de tendreté et de capacité de rétention.

Chez le porc en croissance, des incorporations de 60 à 70 % de pois ont été testées sans effets négatifs sur les performances ou la santé des animaux (Petersen et Spencer, 2006 ; Stein et al., 2006). À ces niveaux, la totalité du tourteau de soja peut être remplacée par du pois. En accord avec ces résultats, Royer et al. (2004), qui citent les tables Ifip, Arvalis, Unip, Cetiom (2002), n’indiquent pas de limite maximale à l’incorporation de pois pour les porcs en croissance. Chez le porcelet sevré, les limites maximales varient entre 20 % (Stein et al., 2007) et 30 % (Royer et al., 2004) pour l’aliment 2e âge, des niveaux d’incorporation plus élevés pouvant s’accompagner d’une réduction de l’ingestion avec des risques accrus de diarrhées. En revanche, ces deux auteurs recommandent de ne pas incorporer de pois dans les aliments 1er âge. Chez la truie, Stein et al. (2006) fixent des niveaux maximaux de 20 à 30 % en gestation et en lactation alors que Royer et al. (2004) ne fixent pas de limite supérieure. En production biologique, Maupertuis et Ferchaud (2014) fixent des limites maximales d’incorporation du pois de 20 % pour les porcelets, 25 % pour les porcs en croissance et les truies allaitantes et 30 % pour les porcs en finition et les truies gestantes, soit des valeurs un peu plus faibles que celles retenues en production conventionnelle.

Pour la féverole, les données sont moins nombreuses que pour le pois. Royer et al. (2004) recommandent des niveaux maximaux d’incorporation de 15 % pour le porcelet en 2e âge et le porc à l’engraissement et de 10 % pour les truies en gestation et en lactation. En production biologique, Maupertuis et Ferchaud (2014) fixent les mêmes limites d’incorporation pour la féverole que pour le pois.

Les essais expérimentaux menés dans les années 2010 au sein d’une étude anglaise GreenPig[43] (Houdijk et al., 2013) confirment les acquis français des années 1980, et vont plus loin dans les taux d’incorporation. Ainsi ils ont conclu que l’alimentation des porcs en croissance et finition avec un taux d’incorporation de 30 % de pois ou féveroles (sous condition d’équilibre des rations en acides aminés) procure un gain de poids, un indice de consommation et un taux de conversion des aliments similaires aux régimes témoins avec tourteau de soja et, de plus, sans nuire à la rétention d’azote, au taux de scatol dans les tissus adipeux (principal composant à l’origine de l’odeur du verrat) ou à la qualité de la carcasse (critère anglais P2 et pourcentage calculé de maigre) (Smith et al., 2013). Dans cette étude, quatre essais en élevages commerciaux en production conventionnelle ont confirmé que les régimes avec pois ou féveroles aboutissent à des performances de croissance, santé et abattage similaires à celles des régimes de référence avec du tourteau de soja. Par ailleurs, une observation dans un élevage biologique montre que les porcs atteignent les mêmes performances avec des régimes pois ou féveroles (sans tourteau de soja) qu’avec un régime standard.

Pour le lupin blanc, Royer et al. (2004) indiquent des valeurs maximales d’incorporation de 5 % en premier âge et de 10 % pour les autres catégories d’animaux. Cherrière et al. (2003) ont testé des niveaux plus élevés d’incorporation de lupin blanc et bleu chez le porcelet en 2e âge. Avec du lupin bleu, les performances étaient identiques au témoin jusqu’à une incorporation de 15 %. Au-delà, on notait une baisse de la consommation, en particulier pour la variété plus riche en alcaloïdes. Avec le lupin blanc, les performances étaient réduites dès le niveau d’incorporation de 15 %.

Valeur nutritionnelle et potentialité d’utilisation chez les volailles

Une valeur énergétique plus faible que celle des céréales pour l’élevage de volaille

Le tableau 4.3 présente les teneurs en nutriments utilisables chez les volailles, par rapport au blé et au tourteau de soja, matières premières majeures de leur alimentation, et indique également un besoin « moyen » du poulet de chair pour comparaison. Ce tableau fait ressortir les avantages et déficiences en certains nutriments des protéagineux et en particulier leur richesse en lysine et leur déficit en acides aminés soufrés ainsi que leur teneur moyenne en énergie métabolisable expliquée en partie par de faibles concentrations en amidon.

Tableau 4.3. Composition en éléments nutritionnels des graines protéagineuses en regard des besoins des poulets de chair, en % de la matière sèche. D’après les tables Inra-AFZ, 2004.

BléPoisFéverole à fleurs blanchesLupin blancTourteau de soja 48Besoins « moyens » du poulet
Protéines12,123,931,138,551,623
EM coq3 4303 180a3 055a2 5852 6003 300
Lysine digestible0,301,381,821,722,881,2
Méthionine digestible0,170,180,190,270,66
Mét + Cys digestibles0,440,440,470,871,310,9
Thréonine digestible0,310,740,961,341,800,76
Tryptophane digestible0,130,170,210,240,530,23
Phosphore disponible0,210,100,120,100,550,32

a après granulation. EM, énergie métabolisable.

D’une façon générale, la digestibilité de l’amidon des protéagineux chez les volailles est plus faible que celle des céréales, en particulier chez les jeunes animaux (Yutste et al., 1991). Ces différences sont liées à des structures et compositions spécifiques des amidons et à la taille des granules (Wiseman, 2006). Elles s’expliquent aussi par la présence de composés pouvant avoir un effet négatif sur la digestion et in fine les performances, notamment dans le cas de la féverole. Ces effets peuvent être sensiblement atténués par des traitements technologiques adaptés. Notons aussi que les valeurs de digestibilité obtenues sur poulets sont le plus souvent inférieures à celles observées sur coqs, et il convient donc de rechercher en permanence l’adéquation entre la matière première, le traitement technologique et le marché visé.

Des limites par la présence possible de tanins ou de facteurs antinutritionnels

La quantification de la valeur nutritionnelle de la féverole est complexe dans la mesure où la présence de facteurs antinutritionnels (tanins, vicine et convicine) est variable selon les variétés. Les tanins réduisent la digestibilité des protéines et celle de l’énergie et donc l’énergie métabolisable (Vilarino et al., 2009 ; Woyengo et Nyachoti, 2012) et ont également un effet dépressif sur les performances de croissance et l’efficacité alimentaire des poulets (Trevino et al., 1992). Vicine et convicine semblent également réduire la concentration en énergie métabolisable.

La variabilité génétique du lupin est également importante (Gladstones, 1988). Les lupins blancs présentent un plus fort potentiel d’utilisation chez les volailles, et les variétés cultivées sont pratiquement dépourvues d’alcaloïdes. Une variation de composition existe (Nalle et al., 2012), et elle conduit à des valeurs d’énergie métabolisable variables, alors que la digestibilité des acides aminés semble indépendante de la composition.

De l’intérêt d’utiliser des traitements technologiques

Des travaux anciens ont montré la faible valeur de digestibilité de l’amidon du pois et son aptitude à être améliorée par l’énergie mécanique apportée lors du broyage ou de la granulation (Carré et al., 1987, 1998). Al-Marzooqi et al. (2009) ont ensuite confirmé que les procédés technologiques pouvaient modifier la valeur des protéagineux, en particulier les traitements thermomécaniques. Ainsi la digestibilité de l’amidon est améliorée, bien que de façon variable selon les conditions d’extrusion, 70 vs 140 °C, addition d’eau ou non, mais la digestibilité des acides aminés est aussi réduite par le procédé. Nalle et al. (2011) ont également étudié l’effet de l’extrusion du pois à 140 °C et selon deux conditions d’humidité sur les valeurs de digestibilité chez le poulet de chair. Une partie des facteurs antitrypsiques est inactivée avec la plus forte condition d’humidité mais aucune amélioration n’est observée sur la digestibilité des protéines. L’extrusion augmente en revanche la digestibilité de l’amidon jusqu’à des valeurs supérieures à 98 %, mais n’a pas d’effet significatif sur l’énergie métabolisable apparente (EMA) du pois.

Comme pour le pois, les traitements technologiques tels la granulation améliorent la digestibilité de la féverole et finalement les performances des animaux (Gous, 2011). L’article de synthèse de Crépon et al. (2010) reprend de façon exhaustive les différentes données de la bibliographie sur la valeur nutritionnelle de la féverole. Le décorticage de la féverole permet d’éliminer une grande partie des tanins contenus dans les coques et de concentrer les nutriments contenus dans les cotylédons des graines. Le décorticage permet ainsi d’améliorer la digestibilité des protéines, des acides aminés et de l’énergie des graines (Lacassagne et al., 1991 ; Nalle et al., 2010), ces effets étant beaucoup moins marqués sur des graines sans tanins. Par ailleurs, des essais technologiques sont en cours sur le décorticage de la féverole[44] afin de confirmer l’intérêt de ce traitement pour augmenter la teneur en protéines et en énergie de la matière première et renforcer son intérêt économique pour les animaux exigeants en protéines : poulet, pondeuse mais aussi poissons.

Enfin, il faut noter que les protéagineux, en particulier le pois, peuvent être associés à des graines oléagineuses, le colza en particulier, pour subir des traitements technologiques spécifiques tels l’extrusion. Ce process améliore la digestibilité des lipides de la graine oléagineuse et réduit les facteurs antinutritionnels du pois (Golian et al., 2007). Le décorticage permettrait également d’augmenter la digestibilité de l’énergie des graines de lupin (Nalle et al., 2010). L’extrusion du lupin en revanche n’aurait pas d’effet sur les performances des poulets de chair (Diaz et al., 2006).

Utilisation des légumineuses à graines dans les rations pour volailles

De nombreux essais d’utilisation des protéagineux dans l’alimentation des volailles sont recensés dans la littérature. Les résultats sont souvent contradictoires dans la mesure où des auteurs relatent des effets négatifs sur les performances alors que d’autres n’observent aucune différence. Ces différences entre essais peuvent s’expliquer par le fait que les conditions expérimentales changent d’une étude à une autre, notamment en termes de procédés technologiques, mais aussi car beaucoup d’essais relativement anciens ont été réalisés sans tenir compte des déséquilibres en acides aminés des protéagineux.

Ainsi, lorsque ces éléments sont déterminés et lorsque la ration est équilibrée en acides aminés digestibles, le lupin, par exemple, peut être incorporé à des niveaux élevés (20 %) dans les rations pour poulets, sans pénaliser les performances, même si des modifications de la morphométrie du tractus digestif sont notées (Nalle et al., 2012), sans doute dues à la forte proportion de polysaccharides non amylacés présents. Le même niveau d’incorporation est mentionné pour le pois protéagineux (Nalle et al., 2011). Pour la féverole, une incorporation de 25 % semble possible chez le poulet de chair, en particulier lorsque les aliments sont granulés, ce qui est la pratique la plus courante (Gous, 2011). Un taux d’incorporation jusqu’à 25 % de féverole peut s’envisager aussi chez la pondeuse, mais uniquement avec des variétés avec une teneur en vicine et convicine divisée par 10 (Lessire et al., 2005), celles-ci étant responsables d’une diminution du poids des œufs. Cependant, Fru-Nji et al. (2007) conseillent de ne pas dépasser des taux d’incorporation de 20 % de pois et entre 15 et 20 % de féverole dans les rations pour pondeuses. L’utilisation d’enzymes exogènes pourrait également être une voie d’amélioration de la valeur nutritionnelle des protéagineux chez les volailles (Cowieson et al., 2003).

En définitive, des incorporations significatives de graines de protéagineux sont possibles chez les volailles, si leurs caractéristiques nutritionnelles sont bien connues et si leurs déficits en certains acides aminés sont pris en compte dans la formulation des aliments. Cependant, vouloir s’affranchir du tourteau de soja impliquerait d’incorporer simultanément ces protéagineux et des tourteaux de colza et de tournesol. Trop peu d’études ont été réalisées à ce jour pour démontrer l’absence d’interactions entre ces matières premières renfermant différents facteurs antinutritionnels.

Valeur nutritionnelle et potentialité d’utilisation chez les ruminants

Une bonne valeur énergétique mais une valeur azotée limitée

La valeur énergétique des aliments pour ruminants s’exprime par leur teneur en énergie nette dans le système des unités fourragères (UFL, UFV) et leur valeur azotée par leur teneur en protéines digestibles dans l’intestin (PDI) (encadré 4.1).

Le principal facteur de variation de la teneur en énergie nette des aliments est la digestibilité de l’énergie brute qu’ils contiennent et qui est très étroitement liée à la digestibilité de la matière organique (dMO). La présence d’amidon dans le pois et la féverole ou de lipides dans le lupin, qui sont des éléments très digestibles, leur confère des valeurs énergétiques pour ruminants (UFL et UFV) élevées et variant de 1,1 à 1,2 UFL (ou UFV) /kg MS, soit équivalente ou supérieure à celle des céréales.

Ces graines se caractérisent en revanche par une dégradabilité élevée des protéines dans le rumen, liée à leur statut de protéines de réserve dans la graine et donc solubles. La dégradabilité théorique mesurée par la méthode des sachets (Michalet-Doreau et al., 1987 ; Poncet et al., 2003) est de 80 à 90 %. De ce fait, la valeur PDIA et par conséquent la valeur PDIE des légumineuses à graines sont faibles, de l’ordre de grandeur de celles du blé, et au moins deux fois plus faibles que celle des tourteaux de colza et de soja. La valeur PDIN est largement supérieure à la valeur PDIE (tableau 4.4).

Tableau 4.4. Valeur alimentaire des graines de légumineuses et oléoprotéagineux pour les ruminants par comparaison au blé et aux tourteaux oléagineux (adapté des tables Inra-AFZ, 2004).

BléPoisFéverole à fleurs coloréesLupin blancTourteau de soja 48Tourteau de colza
dMO0,880,920,910,900,860,77
UFL (/kg MS)1,181,211,201,331,210,96
UFV (/kg MS)1,181,221,211,331,200,90
DT60,760,900,860,860,630,69
dr retenue0,920,860,890,800,950,79
PDIA (g/kg MS)30345253201104
PDIE (g/kg MS)10297112120261156
PDIN (g/kg MS)81150188240377247
Lys Di (% PDIE)6,77,77,44,96,96,8
Met Di (% PDIE)1,91,71,50,81,52,0

DT6, dégradabilité théorique de l’azote ; dMO, digestibilité de la matière organique ; MS, matière sèche ; PDIA, protéines digestibles dans l’intestin d’origine alimentaire ; UFL, unité fourragère lait ; UFV, unité fourragère viande.

Encadré 4.1. Estimation de la valeur énergétique et de la valeur azotée des aliments pour les ruminants.

La valeur énergétique des aliments pour ruminants est exprimée en énergie nette (kcal/kg MS). Cependant, pour faciliter l’utilisation pratique elle est exprimée en unité fourragère (UF), qui représente la quantité moyenne d’énergie nette de un kg d’orge. Compte tenu des différences d’efficacité d’utilisation de l’énergie métabolisable pour la lactation et pour l’engraissement il y a deux valeurs : l’UF lait (UFL) et l’UF viande (UFV). Une UFL est la quantité d’énergie nette (1 700 kcal) fournie par un kg d’orge de référence distribué au-dessus de l’entretien. Une UFV est la quantité d’énergie nette (1 820 kcal) fournie par un kg d’orge pour l’entretien et l’engraissement. Les valeurs varient de 1,1 UFL (1,11 UFV) pour le maïs grain à 0,45 UFL (0,34 UFV) pour les pailles de bonne qualité. Le principal facteur de variation de la teneur en énergie nette des aliments est la digestibilité de l’énergie brute qu’ils contiennent et qui est très étroitement liée à la digestibilité de la matière organique (dMO).

La valeur azotée des aliments pour ruminants s’exprime à travers le système PDI (protéines digestibles dans l’intestin grêle) en termes de quantités d’acides aminés réellement absorbés dans l’intestin, qu’ils soient fournis par les protéines alimentaires non dégradées dans le rumen (PDIA, protéines digestibles dans l’intestin d’origine alimentaire), par les protéines microbiennes (PDIM, protéines digestibles dans l’intestin d’origine microbienne) dont la production peut être limitée par l’azote disponible (PDIMN) ou par l’énergie (PDIME). Chaque aliment est caractérisé par deux valeurs : la valeur PDIN (PDIA + PDIMN) qui représente sa valeur s’il est inclus dans une ration déficitaire en azote dégradable, et sa valeur PDIE (PDIA + PDIME) s’il est inclus dans une ration où l’énergie est le facteur limitant de la synthèse microbienne. La valeur PDI d’un aliment dépend avant tout de la dégradabilité des protéines, de la digestibilité réelle (dr) dans l’intestin grêle des protéines alimentaires non dégradées, de la quantité de MO fermentée dans le rumen (MOF) qui fournit l’énergie nécessaire aux synthèses microbiennes et de la teneur en MAT de l’aliment. La dégradabilité est mesurée par la méthode des sachets de nylon incubés dans le rumen, et le calcul de la dégradabilité théorique (DT6) s’effectue à partir de la cinétique et de la durée de séjour de l’aliment dans le rumen (le taux de sortie des particules est supposé égal à 6 % par heure). La MOF dépend directement de la digestiblité de la matière organique. La valeur PDIN est directement liée à la teneur en matières azotées dégradables dans le rumen et même plus simplement à la teneur en MAT ; la valeur PDIE est directement liée à la digestibilité.

PDIA = 1,11 × MAT × (1 – DT6) × dr

PDIE = PDIA + PDIME avec PDIME = 0,093 × MOF

PDIN = PDIA + PDIMN avec PDIMN = 0,64 × MAT × (DT6 – 0,1).

MAT, teneur en matières azotées totales de l’aliment ; DT, dégradabilité théorique en sachets nylon mesurée dans le rumen (avec un taux de passage des particules de 6 % par heure) ; Dr, digestibilité réelle des acides aminés alimentaires dans l’intestin grêle ; DT6, dégradabilité théorique ; MOF, teneur en matière organique fermentescible de l’aliment.

Il demeure une incertitude sur la valeur PDI des graines protéagineuses car la mesure de la dégradabilité théorique par la méthode des sachets est sensible à la finesse de broyage de l’échantillon. Un broyage fin s’accompagne de pertes de particules à travers les pores des sachets, et les graines protéagineuses seraient plus sensibles à ce phénomène que les céréales car la taille de leurs particules est plus faible pour une même grille de broyage (Michalet-Doreau et al., 1991). Ainsi, la dégradabilité théorique des graines de lupin diminue fortement avec la taille de l’ouverture des grilles : 95 vs 62 % pour des grilles de 0,8 vs 5 mm respectivement (Kibelolaud et al., 1991). En utilisant des graines broyées sur une grille de 3 mm, les mesures réalisées par l’Unip et l’ITCF (Carrouée et al., 2003) conduiraient à des valeurs PDIE du pois (130 g/kg MS) et du lupin (162 g/kg MS) plus élevées que celles calculées avec la grille de 0,8 mm retenue pour toutes les matières premières. La mesure réalisée in vivo des quantités de protéines transitant à l’entrée de l’intestin grêle chez des animaux en mesure de bilans digestifs est considérée comme une valeur de référence. Par cette méthode, la valeur du lupin apparaît légèrement plus faible que celle des tables (94 vs 106 g/kg MS), celle de la féverole est peu différente (113 vs 112 g/kg MS) et celle du pois est légèrement supérieure (109 vs 97 g/kg MS) (Aufrère et al., 2001 ; Poncet et Rémond, 2002 ; Giger et al., 2012). Des essais de production laitière (Cabon et al., 1997, 2002) réalisés sur des vaches laitières ont montré que les vaches exprimaient des valeurs PDIE du pois (130 g/kg MS), du lupin (157 g/kg MS) et de la féverole (131 g/kg MS) plus élevées que celles qui figurent dans les tables de valeur des aliments, ce qui peut laisser supposer une sous-estimation dans les tables de la valeur PDI des graines de légumineuses. Les écarts observés ne sont toutefois pas de nature à modifier sensiblement les plans de rationnement des animaux.

Il faut enfin noter que la teneur en lysine digestible des légumineuses à graines est plus élevée que celle des tourteaux (tableau 4.4), ce qui est intéressant pour l’équilibre des rations des ruminants, mais ces graines sont un peu moins riches en méthionine digestible.

De l’intérêt d’utiliser des traitements technologiques

Des traitements technologiques permettent de limiter la dégradabilité des protéines des graines de légumineuses dans le rumen et de déplacer ainsi la digestion des protéines vers l’intestin. Les tables Inra-AFZ fournissent un ordre de grandeur sur l’effet des traitements thermiques sur la valeur des graines. Cependant, compte tenu de la variabilité des procédés, il est important de vérifier la valeur des aliments avant utilisation. Il convient aussi de rester prudent quant à l’intérêt de l’application de tels traitements technologiques, dont le coût doit être comparé au gain de prix d’intérêt obtenu en formulation d’aliments pour ruminants en fonction des conjonctures de prix.

L’augmentation de la taille moyenne des particules de la graine limite la dégradation dans le rumen des protéines, cet effet étant marqué pour toutes les graines de légumineuses. Ainsi pour des graines de soja torréfiées, l’accroissement de la taille moyenne des particules de 1 à 5 mm a permis de réduire fortement la dégradabilité ruminale des protéines (52 vs 71 %), mais il semble y avoir une taille optimale, la production laitière des animaux passant par un maximum pour des particules de 3 mm (Tice et al., 1993). On peut recommander d’utiliser les graines de légumineuses sous forme simplement aplatie ou grossièrement broyée.

Les traitements thermiques induisent des modifications biochimiques des substrats et leurs effets s’accroissent avec la température, la durée d’application, la présence d’eau (traitements hydrothermiques, autoclavage par exemple) et les traitements mécaniques qui peuvent être associés[45] (tableau 4.5). Lorsque les conditions de traitement sont optimales, la réduction de la dégradation ruminale des protéines s’accompagne en général d’une augmentation de la digestibilité réelle des protéines dans l’intestin, ce qui contribue aussi à accroître les teneurs en PDIA des graines traitées. La dégradabilité ruminale des protéines diminue avec l’intensité du chauffage, mais les conditions optimales relevées dans la littérature et synthétisées par Poncet et al. (2003) sont très variables entre graines mais aussi pour une même graine en fonction des conditions de traitement. Retenons que la réduction de la dégradabilité peut conduire à une très forte augmentation de la quantité d’azote non dégradée dans le rumen (celle-ci peut plus que doubler), qui s’accompagne également d’un accroissement de la digestibilité réelle dans l’intestin de cette fraction (de 80-85 à plus de 90 %). Les traitements hydrothermiques restent peu pratiqués sur le plan industriel. L’autoclavage du pois, de la féverole et du lupin réduit la dégradabilité de 76-80 % à 43-48 %, ce qui permet de doubler la fraction non dégradée (de 20-24 % à 52-57 %) sans affecter, voire en améliorant légèrement, la digestibilité réelle dans l’intestin.

L’extrusion (ou cuisson extrusion), qui consiste à forcer un produit à s’écouler à travers un orifice de petite dimension (où il est alors également soumis à de fortes pressions), a des effets similaires mais qui apparaissent plus aléatoires car le procédé est techniquement complexe. La dégradabilité des protéines de lupin est fortement réduite par l’extrusion avec des températures de plus de 150 °C — de plus de 90 % à moins de 70 %, selon Cros et al. (1991) et Aufrère et al. (2001) —, ce qui conduit à un doublement de la valeur PDIE. Des températures inférieures semblent inefficaces dans le cas des graines de soja ou de colza, alors que pour la féverole une extrusion à 120 °C permet déjà de réduire sensiblement la dégradabilité des protéines (Poncet et al., 2003).

Tableau 4.5. Effet des traitements technologiques sur la valeur alimentaire des graines pour les ruminants. D’après les tables Inra-AFZ, 2004.

Pois extrudéPois toastéFéverole colorée extrudéeFéverole colorée toastéeLupin blanc extrudéTourteau soja tannéTourteau colza tanné
Protéines (%MS)23,923,929,429,438,551,638,0
dMO0,920,920,910,910,900,920,77
UFL/kg MS1,201,211,201,211,321,210,96
UFV/kg MS1,221,221,201,211,321,200,90
DT60,750,580,650,520,670,280,30
dr1,001,000,980,981,000,930,81
PDIA (g/kg MS)67112111153141383239
PDIE (g/kg MS)126170168207201425277
PDIN (g/kg MS)166185215232280443287

DT6, dégradabilité théorique de l’azote ; dMO, digestibilité de la matière organique ; MS, matière sèche ; PDIA, protéines digestibles dans l’intestin d’origine alimentaire ; UFL, unité fourragère lait ; UFV, unité fourragère viande.

Rappelons toutefois que les conditions de mise en œuvre des procédés thermophysiques (toastage, extrusion) peuvent être très variables et qu’en conséquence il peut y avoir autant de variations de la valeur azotée des graines traitées en intra-traitement (par exemple entre usines) qu’en moyenne en inter-traitement. Les valeurs azotées des graines traitées fournies dans les tables ne sont que des valeurs indicatrices moyennes et il est important de pouvoir analyser précisément le produit utilisé pour calculer la ration des ruminants.

Utilisation des légumineuses à graines dans les rations de ruminants

L’utilisation des pois, féverole et lupin a fait l’objet de nombreux essais réalisés par l’Inra mais aussi l’Institut de l’élevage, ou encore Arvalis-Institut du végétal. Dès 1982, Hoden montrait que ces graines étaient bien acceptées par les ruminants, qu’elles ne modifiaient pas le niveau d’ingestion, permettaient des performances équivalentes à celles obtenues avec le tourteau de soja à partir d’une synthèse de 11 essais et des régimes incorporant de 17 à 55 % de légumineuses à graines.

L’utilisation des protéagineux en substitution d’une partie des tourteaux a été réévaluée dans les années 2000 dans le cas de vaches à haut niveau de production par une série d’essais conduits par l’Institut de l’élevage (Brunschwig et Lamy, 2002, 2003 ; Brunschwig et al., 2003, 2004). Dans une ration à base de maïs ensilage corrigée exclusivement par du tourteau de colza, la substitution d’une partie du tourteau par du pois, du lupin ou de la féverole introduit à raison de 15 à 20 % de la MS de la ration (environ 4 kg de graines dans la ration) ne modifie pas sensiblement l’ingestion, la production de lait et les taux protéiques ou butyreux. Des baisses du taux protéique (TP) (de l’ordre de 1 g/kg) peuvent être observées avec la féverole du fait d’une moindre teneur des rations en méthionine digestible comparativement au colza. Le lupin a tendance à légèrement accroître (de l’ordre de 0,5 g/kg) le taux butyreux (TB) et diminuer la teneur en protéines du lait, comme l’avaient déjà observé Emile et al. (1991). Toutefois, du fait de leur teneur en PDIE modeste, le pois, la féverole ou le lupin ne peuvent pas être utilisés comme correcteurs exclusifs de la ration, sauf à admettre une réduction de la production de lait dans le cas de vaches à haut niveau de production (25-30 kg/j ou plus), comme cela a été montré pour le pois (Hoden et al., 1992) ou le lupin (Emile et al., 1991 ; Brunschwig et al., 2003). Il faut aussi noter que l’utilisation de lupin extrudé (6,1 kg/j) entraîne une réduction du taux butyreux du fait de la libération de sa matière grasse dans le rumen. Cette libération peut perturber la digestion, entraîner une réduction de l’ingestion et de la production laitière. Finalement, les animaux ne valorisent pas le lupin extrudé au niveau de sa valeur PDIE (Brunschwig et al., 2003).

L’ensemble de ces travaux a été synthétisé dans une plaquette de vulgarisation (Unip-Arvalis, l’Institut de l’élevage, 2005) sur l’utilisation des pois, féveroles et lupins par les ruminants, en proposant la règle de substitution suivante pour les vaches en lactation :

  • 1 kg de tourteau de soja = 2,3 kg de pois + 0,1 kg de tourteau soja tanné

  • 1 kg de tourteau de soja = 2 kg de féverole + 0,1 kg de tourteau soja tanné

  • 1 kg de tourteau de soja = 1,5 kg de lupin + 0,1 kg de tourteau soja tanné.

Des recommandations de distribution en élevage, en fonction du type de ration de base, sont également proposées et montrent la faisabilité de distributions allant jusqu’à 6 kg par vache laitière et par jour, et de préférence sous forme broyée grossièrement. Le pois et la féverole viennent en complément d’un correcteur azoté, sauf dans le cas de régimes à base d’herbe naturellement plus riche en azote. Le pois et la féverole sont donc essentiellement utilisés comme des concentrés de production avec un apport complémentaire de tourteaux éventuellement tannés.

Pour la valorisation des protéagineux en élevages de bovins viande, les équivalences pour les jeunes bovins et les génisses sont estimées comme suit :

  • 1 kg de féverole = 0,35 kg de tourteau de soja + 0,65 kg de céréales

  • 1 kg de lupin = 0,55 kg de tourteau de soja + 0,45 kg de céréales.

Il est également possible d’utiliser les graines entières de protéagineux pour les veaux d’élevage de la naissance à 6 mois, ainsi que pour les chèvres, en particulier les graines entières de lupin, plus riches en matières azotées et plus adaptées aux chèvres en lactation. Les ovins (agneaux et brebis) peuvent également valoriser les protéagineux avec des quantités quotidiennes pouvant aller jusqu’à 500 g pour le pois et la féverole, et 600 à 700 g pour le lupin.

Valeur nutritionnelle et potentialités d’utilisation chez les poissons

La majorité des poissons d’élevage produits en Europe (saumon, truite, bar, daurade, turbot) ont des besoins élevés en protéines (38 à 55 % de la ration) et utilisent mal les glucides. Leur alimentation a été traditionnellement basée sur des ressources marines, la farine de poisson ayant une concentration en protéines et une composition en acides aminés essentiels optimales pour répondre aux besoins azotés de ces espèces et les huiles de poisson apportant des acides gras oméga-3 qui leur sont indispensables. Un des enjeux majeurs de la nutrition des poissons et crevettes d’élevage est aujourd’hui de diminuer la dépendance aux produits d’origine halieutique face à leur disponibilité plus limitée, à leur coût élevé, et aussi pour préserver les ressources naturelles marines face à la demande croissante en ingrédients alimentaires en lien avec l’essor de l’aquaculture mondiale (encadré 1.10). Dans ce cadre, l’intérêt des produits végétaux pour l’alimentation des espèces aquacoles a été mis en évidence.

Les poissons nécessitent, pour couvrir leurs besoins nutritionnels, de matières premières riches en protéines et pauvres en fibres (tableau 4.6). Tout ou partie (selon les espèces) de ces protéines peut être apporté par des farines et des concentrés issus de légumineuses à graines (tableau 4.7). Plusieurs produits végétaux issus d’oléagineux (soja, colza, tournesol), de céréales (maïs, blé) et de protéagineux (lupins, pois) ont été testés individuellement à différentes doses en remplacement de la farine de poisson dans les aliments pour les poissons en phase de grossissement afin d’identifier l’intérêt et les limites de chacun. La substitution de la farine de poisson nécessite en fait d’utiliser différents produits végétaux en mélange afin de limiter les effets indésirables de chacun et d’optimiser l’apport en acides aminés essentiels.

Pour les espèces d’eau froide et tempérée, élevées en Europe, la teneur en amidon de l’aliment complet ne doit pas dépasser 20 % de la matière sèche et la teneur en fibres totales doit être maintenue en dessous de 10 %.

Tableau 4.6. Principales caractéristiques nutritionnelles de quelques formules poissons. Source : National Research Council, 2011.

SaumonTruiteDauradeBarTurbot
Énergie digestible (MJ/kg)212117,118,915
Matière azotée totale (%) 4040454555
Protéine digestible (%)3638404050
Cellulose (%) en valeurs maximales2,53,52,52,5

Tableau 4.7. Valeur alimentaire des graines de légumineuses et oléoprotéagineux pour les poissons par comparaison au blé et aux tourteaux oléagineux. Adapté des tables Inra-AFZ, 2004.

BléPoisFéverole à fleurs blanchesTourteau de soja 48Tourteau de colza
Digestibilité de l’énergie0,800,590,600,750,62
Énergie digestible (kcal/kg MS)3 0182 5812 6943 5302 841
Digestibilité de N0,900,800,800,860,82
Protéines digestibles (g/kg MS)97191249444312

Une étude économique en cours de l’Unip-Céréopa[46] confirme une étude préliminaire antérieure (menée dans le contexte des années 2005-2008, caractérisé par des prix relativement faibles des matières premières agricoles), le pois et la féverole devaient être dépelliculés et/ou extrudés pour que leurs prix d’intérêt soient bien placés par rapport à leurs prix de marché. Les espèces telles que le lupin, plus riches en protéines, sont aussi bien positionnées.

Le tourteau de soja est une source protéique intéressante pour l’alimentation des poissons d’élevage car sa composition en acides aminés essentiels se rapproche de celle de la farine de poisson, à l’exception de la méthionine. Il est de ce fait devenu une ressource largement utilisée dans les aliments aquacoles, mais d’autres espèces végétales comme le pois protéagineux, la féverole ou le lupin ont montré leur intérêt et sont maintenant régulièrement incorporées dans les rations, en particulier chez les salmonidés (truites et saumons). Au cours des deux dernières décennies, les résultats des recherches ont été rapidement appliqués par l’industrie de l’alimentation aquacole. Ainsi, la part des produits végétaux dans les régimes des principales productions de poissons d’élevage a fortement évolué pour devenir maintenant majoritaire. Actuellement, les farines et huiles de poisson ne représentent plus qu’un quart du régime des salmonidés et des poissons marins. Entre 1995 et 2011, la part des produits végétaux dans les régimes est passée de 15 à 58 % pour les saumons, de 35 à 65 % pour les truites et de 25 à 65 % pour les poissons marins (Médale et al., 2013). Dans les régimes des espèces de poissons avec des besoins trophiques plus faibles, telles que les carpes et les tilapias, la part des végétaux est proche de 100 %. In fine, malgré leur utilisation délicate, les protéagineux sont devenus une source incontournable de protéines dans les aliments aquacoles.

Selon les espèces, 80 à 95 % de la farine de poisson peut être substituée, dans les aliments pour salmonidés et poissons marins, par un mélange de sources protéiques végétales apportant les acides aminés indispensables en quantité suffisante pour couvrir les besoins des poissons. Au-delà de ce taux de remplacement, on observe chez ces espèces de haut niveau trophique une baisse de la consommation d’aliments, de l’efficience alimentaire et de la croissance, bien que les aliments contiennent les nutriments nécessaires aux poissons. Les travaux de recherche actuels s’attachent à en identifier l’origine pour lever les verrous à la substitution plus poussée. Par ailleurs, d’autres études ont pour objectif de sélectionner des populations de poissons plus efficaces pour l’utilisation d’aliments à base de végétaux.

Les limites de l’utilisation des légumineuses à graines pour les aliments piscicoles concernent principalement leur concentration en protéines modérée face aux besoins des poissons et leur faible teneur en certains acides aminés essentiels (lysine, méthionine en particulier). Elles concernent aussi des facteurs antinutritionnels dans certaines graines ou dans le soja, notamment pour les espèces qui y sont très sensibles comme le saumon. Mais il faut rappeler que les facteurs antinutritionnels sont surtout présents dans les tourteaux, et de façon beaucoup moins prononcée dans les extraits protéiques.

Des traitements technologiques permettant d’améliorer la valeur nutritionnelle des graines pour les poissons peuvent s’avérer nécessaires. C’est en particulier le cas du dépelliculage, qui permet de concentrer la protéine et d’éliminer des composants indésirables comme les facteurs antinutritionnels ou les fibres. L’extrusion permet d’améliorer la digestibilité de l’amidon. Les traitements par des enzymes permettent de pré-digérer les glucides membranaires.

À retenir. Les légumineuses à graines pour les monogastriques.

Le soja est la légumineuse la plus utilisée, sous forme de tourteau de soja. Sa forte teneur en protéines et le bon équilibre en acides aminés de ses protéines lui confèrent une grande polyvalence et le rendent quasi indispensable dans les formules très concentrées telles que celles des animaux jeunes à forts besoins de croissance et les volailles.

Les protéagineux (pois et féverole) sont relativement bien adaptés en apportant simultanément de l’énergie et des protéines digestibles et ils peuvent être utilisés crus, contrairement aux graines de soja. Des incorporations significatives de graines de protéagineux sont possibles dans les aliments.

Chez le porc, le pois peut se substituer au tourteau de soja sans limite d’incorporation (il peut être incorporé à raison de 30 % du régime), sous réserve de régimes équilibrés en acides aminés digestibles (et notamment en tryptophane). Pour les volailles, les pois et féveroles peuvent être incorporés jusqu’à 15-20 % dans les régimes, mais ne sont généralement intégrés que dans des formules à concentration azotée moindre telles que celles des volailles à croissance lente et des pondeuses. Pour les poissons, les graines de légumineuses représentent des sources de protéines intéressantes pouvant se substituer partiellement aux farines de poissons.

Les légumineuses à graines telles que le pois, la féverole et le lupin peuvent être introduites dans les rations des ruminants à raison de 15 à 20 % de la MS sans pénaliser les performances. Des introductions plus importantes conduiraient à accroître les rejets d’azote du fait de la forte dégradabilité des protéines dans le rumen.

Composition et valeur alimentaire des légumineuses fourragères

Composition des légumineuses fourragères en vert

La composition chimique et la valeur nutritive des fourrages ont été résumées par l’Inra (Inra, 2007), quelques valeurs sont rapportées dans le tableau 4.8. Comparées aux graminées et au ray-grass anglais (Lolium perenne L.) en particulier, les légumineuses sont caractérisées par des teneurs en matières azotées totales et en minéraux, notamment en calcium, plus élevées à tous les stades végétatifs mais contiennent relativement moins de sucres. Ainsi, les teneurs en sucres solubles de la luzerne et du trèfle violet varient entre 3 et 6 % de la MS et atteignent au maximum 6 à 10 % au début du bourgeonnement, alors que les teneurs en sucres du ray-grass varient entre 5 et 15 % et peuvent atteindre 20 % au début de l’épiaison (Inra, 2007), voire plus sur certaines variétés sélectionnées pour des teneurs en sucres solubles plus fortes. On notera l’exception notable que constitue le sainfoin, qui est une légumineuse fourragère riche en sucres solubles (Theodoridou, 2010). La teneur en calcium de la luzerne varie entre 15 et 20 g/MS, celle du trèfle violet entre 12 et 15 g/kg MS, et celle du trèfle blanc de 12 à 14 g/kg MS selon l’âge des repousses et les numéros de cycles, alors que celle des graminées varie entre 4 et 7 g/kg MS. Dans la mesure où les cultures fourragères sont des couverts en croissance, il y a un effet très important du stade de récolte (stade physiologique, quantité de biomasse disponible) sur la composition biochimique et sur la valeur alimentaire.

Tableau 4.8. Composition chimique (g/kg MS) et valeur alimentaire de quatre légumineuses fourragères en comparaison avec du ray-grass anglais. D’après Inra, 2007.

CompositionValeur alimentaire
MATNDFADFCaPUELdMOUFLPDIEPDIN
Ray-grass anglais
1er cycle végétatif18,250,023,95,74,10,980,830,9995117
1er cycle début épiaison10,557,531,95,23,01,160,730,858167
1er cycle pleine épiaison8,759,532,75,22,71,200,700,817656
2e cycle feuillu18,051,925,76,23,70,990,780,96100117
Luzerne
1er cycle végétatif24,642,325,016,13,70,940,770,96100159
1er cycle début floraison17,851,334,316,12,71,000,630,7383114
1er cycle pleine floraison16,852,534,416,12,31,010,600,6980107
2e cycle feuillu21,548,431,214,12,30,920,680,8289136
Trèfle violet
1er cycle végétatif21,940,123,413,73,40,950,811,00100141
1er cycle début floraison16,647,631,212,72,31,010,690,8168106
1er cycle pleine floraison15,850,833,911,72,31,020,650,7583101
2e cycle feuillu20,545,227,913,72,70,920,730,8891129
Trèfle blanc
1er cycle végétatif24,942,225,113,22,70,920,831,09106161
1er cycle début floraison22,944,727,812,72,30,920,801,03102147
1er cycle pleine floraison20,047,130,212,72,00,930,770,9897128
2e cycle feuillu22,043,025,913,73,00,930,790,9695139
Sainfoin
1er cycle végétatif18,440,923,09,33,00,870,791,0095117
1er cycle début floraison14,349,732,39,32,71,010,710,838491
1er cycle pleine floraison13,357,239,48,82,71,110,620,707684

MAT, matière azotée totale ; NDF, Neutral Detergent Fiber ; ADF, Acid Detergent Fiber ; Ca, calcium ; P, phosphore ; UEL, unité d’encombrement ; dMO, digestibilité de la matière organique ; UFL, unité fourragère lait ; PDIE = PDIA + PDIME ; PDIN = PDIA+PDIMN ; PDIA, protéines digestibles dans l’intestin d’origine alimentaire ; PDIME, protéines digestibles dans l’intestin issues de l’utilisation de l’énergie synthétisée par les bactéries ; PDIMN, protéines digestibles dans l’intestin issues de la digestion des bactéries par le ruminant.

Valeur alimentaire des légumineuses en vert

La valeur nutritionnelle des fourrages est déterminée par sa digestibilité et sa valeur azotée, comme dans le cas des animaux monogastriques, mais aussi par les quantités de matière sèche qu’un ruminant est capable d’ingérer car le fourrage, contrairement aux concentrés, est un aliment qui encombre le rumen.

Fourrages à bonne digestibilité, notamment le trèfle blanc

La digestibilité d’un fourrage et donc sa valeur énergétique dépendent essentiellement de sa teneur en parois végétales et de la digestibilité de ses parois (Demarquilly et Andrieu, 1988). Les constituants cellulaires sont totalement (glucides solubles, fructosanes) ou très (protéines, lipides) digestibles, alors que les constituants pariétaux (cellulose et hémicellulose) ont une digestibilité qui varie de 90 % à 40 % selon qu’ils sont plus ou moins incrustés de lignine, l’incrustation augmentant avec l’âge des repousses. À même teneur en constituants pariétaux (lignocellulose dans la figure 4.1), la digestibilité des légumineuses est en moyenne assez proche de celles des graminées mais il demeure des effets spécifiques. C’est surtout le trèfle blanc qui se distingue par une digestibilité beaucoup plus élevée que toutes les autres espèces du fait de sa teneur en parois particulièrement faible à tous les stades. En effet, le fourrage récolté dans le cas du trèfle blanc est exclusivement constitué de limbes et de pétioles, et ne comporte pas de tiges, comme dans le cas de la luzerne, du trèfle violet ou du sainfoin. La digestibilité du trèfle violet est légèrement plus élevée que celle du ray-grass à même teneur en lignocellulose (figure 4.1). La luzerne est caractérisée par des teneurs en lignocellulose plus élevées à même stade de développement que le ray-grass anglais, même si les stades de développement sont difficilement comparables, et donc sa digestibilité est plus faible que celle des autres légumineuses et du ray-grass anglais à même stade. Il y a donc tout intérêt à exploiter la luzerne à un stade précoce pour maintenir la valeur énergétique du fourrage.

Un autre avantage des légumineuses, et du trèfle blanc tout particulièrement, est que la chute de digestibilité avec l’âge est plus lente que pour les graminées. Au premier cycle, la chute de digestibilité avec l’âge est de 0,035 à 0,040 point/jour pour les légumineuses et de 0,040 à 0,050 point par jour (soit environ 0,001 UFL/j) pour les graminées, et elle est moitié plus faible pour le trèfle blanc du fait de l’absence de tiges chez cette espèce (figure 4.1). Pour les cycles suivants, la digestibilité du trèfle ne décroît pas entre 28 et 42 jours de repousse, contrairement à celle des graminées. Peyraud (1993) et Delaby et Peccatte (2003) ont rapporté des digestibilités supérieures à 0,75 après 7 semaines de repousse ou en pleine floraison au cours du premier cycle.

Figure 4.1. Évolution de la digestibilité de la matière organique (MO) de quelques espèces fourragères selon leur teneur en lignocellulose durant le premier cycle de végétation. D’après les tables de valeur des fourrages Inra, 2007.

ADF, Acid Detergent Fiber.

Des fourrages plus ingestibles que les graminées

L’aptitude d’un fourrage à être ingéré est caractérisée par son « ingestibilité ». L’ingestibillité d’un fourrage correspond aux quantités volontairement ingérées par des moutons alimentés à l’auge à volonté, c’est-à-dire s’il y a au moins 10 % de refus laissé dans l’auge. Les données sont ensuite rapportées à un fourrage de référence qui serait ingéré à raison de 140 g MS/kg poids métabolique chez la vache laitière. La valeur d’encombrement est l’inverse de l’ingestibilité. L’ingestibilité varie dans le même sens et avec les mêmes facteurs que la digestibilité. Il demeure des effets spécifiques. En particulier, l’ingestibilité des légumineuses est 10 à 15 % plus élevée que celles des graminées pour des digestibilités similaires (Inra, 2007). Par ailleurs, si l’ingestibilité diminue au cours du premier cycle de végétation en même temps que la digestibilité pour tous les fourrages, cette diminution est un peu plus lente pour les légumineuses que pour les graminées, et tout particulièrement pour le trèfle blanc.

Ces différences s’expliquent par une plus faible résistance des parois des légumineuses à la mastication, un rythme de réduction de taille des particules de fourrage et de transit hors du rumen vers l’intestin plus élevé que celui des graminées, ce qui réduit l’encombrement du rumen (Waghorn et al., 1989 ; Jamot et Grenet, 1991 ; Steg et al., 1994). Au pâturage, il est possible qu’en plus de l’effet du trèfle sur l’ingestibilité, les feuilles de trèfle soient plus favorables à la préhension par l’animal, car Ribeiro Filho et al. (2003 et 2005) ont aussi rapporté une vitesse d’ingestion plus élevée sur les prairies d’associations.

Des fourrages de bonne valeur azotée mais entraînant une utilisation peu efficace de l’azote

Les légumineuses sont des fourrages riches en protéines mais celles-ci sont très dégradables dans le rumen, comme pour tous les fourrages verts. La DT6 (encadré 4.1) des légumineuses est même plus élevée que celle des graminées puisque celle-ci s’accroît légèrement avec la teneur en MAT des fourrages et que les légumineuses sont plus riches en MAT. Les fourrages de légumineuses se caractérisent donc par des teneurs en PDIN très supérieures à leur teneur en PDIE (figure 4.2). Malgré tout, du fait de leur bonne digestibilité, les légumineuses conservent des teneurs en PDIE élevées (tableau 4.8), proches et même plus élevées que celles des graminées, que ce soit en vert ou pour les fourrages conservés sous forme d’ensilage ou de foin.

Le corollaire de ces particularités des légumineuses est que les pertes d’azote dans le rumen sont toujours élevées avec les légumineuses du fait du déséquilibre des fourrages entre leur teneur en azote dégradable et en énergie, ce qui conduit à une utilisation peu efficace de l’azote et à des rejets azotés urinaires plus élevés que pour les graminées. Cela a bien été montré dans une série de comparaisons entre ray-grass anglais et trèfle blanc (Peyraud, 1993). Dans ces études, l’excrétion d’azote urinaire était beaucoup plus élevée avec le trèfle (29 vs 21 g N/kg MS ingérée), alors que la quantité de protéines entrant dans l’intestin était toujours beaucoup plus faible que la quantité de MAT ingérée avec le fourrage dans le cas du trèfle blanc (75 % en moyenne) et qu’elle était en moyenne de 93 % pour le ray-grass anglais.

Valeur nutritionnelle des légumineuses conservées

Différences sur les fourrages conservés reflétant celles observées sur les fourrages en vert

Les différences entre graminées et légumineuses observées sur les fourrages verts se retrouvent globalement dans le cas des fourrages conservés. La conservation par ensilage diminue peu ou pas la digestibilité et la valeur énergétique du fourrage comparativement au fourrage vert. Cependant, cela peut arriver en cas de mauvaise conservation, notamment avec les ensilages de légumineuses qui sont souvent plus difficiles à réaliser que ceux de graminées.

La valeur azotée des fourrages diminue avec le fanage mais encore plus avec l’ensilage, non seulement parce que la dégradabilité de l’azote augmente de 3 à 10 points mais aussi du fait d’une diminution de la protéosynthèse microbienne, car les produits de fermentation des ensilages n’apportent pas d’énergie pour les synthèses microbiennes dans le rumen. Quelle que soit la forme de conservation, les légumineuses sont caractérisées par des teneurs en PDIN très élevées et, comparativement au fourrage vert, la différence entre PDIN et PDIE s’accroît pour les ensilages mais se réduit pour les foins (figure 4.2) puisque la dégradabilité de l’azote s’accroît avec l’ensilage et diminue avec le fanage. En conséquence, et comme cela a été expliqué dans le cas des fourrages verts, l’excrétion urinaire d’azote augmente fortement avec les ensilages de légumineuses comparativement aux ensilages de graminées (Dewhurst et al., 2003, 2009).

Figure 4.2. Évolution de la teneur en PDIE et en PDIN des légumineuses fourragères en comparaison du ray-grass anglais selon le mode d’utilisation et la teneur en énergie nette. D’après les tables de valeur des fourrages Inra, 2007.

EM, ensilage de maïs ; LUZ, luzerne ; TV, trèfle violet ; TB, trèfle blanc ; RGA, ray-grass anglais. Les ellipses représentent l’ensemble des valeurs pour les fourrages des tables Inra et les points les données moyennes des tables pour les espèces considérées.

Les différences d’ingestibilité entre légumineuses et graminées s’observent également sur les fourrages conservés. L’ingestibilité des légumineuses reste 10 à 15 % plus élevée que celle des graminées, que le fourrage soit distribué en ensilage ou en foin (Inra, 2007). Ainsi, Dewhurst et al. (2003) ont rapporté une ingestion d’ensilage par les vaches laitières plus élevée de 2 à 3 kg avec du trèfle violet que du ray-grass anglais.

La déshydratation est un procédé de conservation très utilisée pour la luzerne. Elle ne modifie pas la valeur énergétique du fourrage de départ lorsqu’elle est bien maîtrisée, et la valeur azotée est augmentée car la cuisson des protéines diminue leur dégradabilité dans le rumen. Ainsi, les teneurs en PDIE des luzernes déshydratées sont plus élevées que celles des luzernes vertes (105 vs 92 g/kg MS pour des luzernes à 18-20 % MAT en moyenne).

Améliorer la qualité des légumineuses fourragères conservées

La récolte et la conservation des légumineuses fourragères restent délicates, en tout cas plus difficiles que celles des graminées, et ces opérations nécessitent de prendre des précautions particulières. La récolte de luzerne déshydratée fait exception et conduit à un aliment de qualité constante.

Au cours du fanage, le fourrage subit des pertes qui résultent de la respiration des cellules végétales mais aussi des pertes mécaniques de feuilles qui affectent principalement les légumineuses — jusqu’à 30 % de pertes de feuilles pour un foin de luzerne (Pecatte et Dozias, 1998). Ces différentes pertes entraînent une diminution des constituants intracellulaires, principalement les sucres et les matières azotées, et il en résulte une diminution de la digestibilité et par conséquent de la valeur alimentaire qui est plus importante chez les légumineuses à cause de la fragilité des feuilles. Lors de la récolte, il s’agit donc en priorité de minimiser les chutes de valeur nutritionnelle par pertes de feuilles (Arnaud et al., 1993 ; Huyghe et Delaby, 2013). Il est préférable de travailler le fourrage le matin lorsqu’il est encore un peu humide plutôt que l’après-midi car les feuilles sèches sont plus cassantes. Il faut aussi veiller au bon réglage des machines.

Dans le cas de l’ensilage, les légumineuses sont pénalisées par le manque de sucres du fait des faibles teneurs en glucides solubles des plantes, ce qui ne permet pas un abaissement rapide du pH, garant d’une bonne conservation. Pour pallier cette situation, il est nécessaire d’accroître la teneur en matière sèche par préfanage pour atteindre un taux de MS de 30 à 35 % à la mise en silo et/ou d’utiliser un conservateur à base de sels d’acides. L’utilisation de conservateurs à base d’enzymes transformant la cellulose en sucres est une voie intéressante mais qui nécessite encore des recherches.

En dehors des pratiques de récolte et de conservation, les marges de manœuvre envisageables semblent restreintes pour modifier les caractéristiques des légumineuses fourragères afin de faciliter leur conservation et éventuellement d’améliorer l’utilisation de leur azote. Elles nécessiteraient en outre des efforts de recherche importants alors qu’en l’état ces fourrages sont bien valorisés par les ruminants. La dégradabilité des protéines dans le rumen, mesurée par la méthode des sachets, ne varie pas entre les variétés pour la luzerne et le trèfle blanc, montrant ainsi qu’il y a peu d’espoir de pouvoir agir sur celle-ci, au moins par les méthodes classiques de la sélection végétale (Julier et al., 2003a). Par ailleurs, la sélection de légumineuses avec des contenus plus élevés de polyphénol oxydase (PPO) serait une autre voie. La PPO favorise les liaisons covalentes entre les polyphénols et les protéines, le complexe formé protégeant les protéines durant le processus d’ensilage et lors des dégradations ruminales. Cependant, la PPO n’est présente que dans quelques génotypes chez le trèfle violet, et cette piste de progrès est encore loin d’être mise en œuvre même chez cette espèce (Jones et al., 1995). L’analyse de la dégradabilité des protéines sur un petit nombre de variétés de trèfle violet a montré que les différences du degré de protéolyse dans l’ensilage étaient essentiellement affectées par le stade de développement des plantes à la récolte et le degré de fanage au moment de l’ensilage, sans qu’un lien avec l’activité enzymatique de la PPO ne soit mis en évidence (Krawutschke et al., 2013). Le clonage des gènes impliqués chez le trèfle violet et leur expression dans des luzernes transgéniques ont montré la capacité de cette enzyme à réduire la solubilité des protéines (Sullivan et Hatfield, 2006). Il apparaît aussi peu probable qu’on puisse accroître par la voie génétique leur teneur en sucres qui favorise la conservation en ensilage (Berthiaume et Tremblay, 2010), bien que cela ait été possible sur le ray-grass anglais (Miller et al., 2001 ; Lee et al., 2002). La sélection de luzernes avec des teneurs en lignine plus faibles pourrait être une opportunité pour réduire la chute de leur valeur nutritionnelle avec l’âge des repousses et améliorer la qualité des fourrages conservés, mais il s’agit d’une perspective à long terme.

Valeur alimentaire des légumineuses contenant des tanins

Certaines légumineuses sont caractérisées par la présence de tanins. Les tanins condensés sont des oligomères et des polymères de flavonoïdes présents dans les vacuoles de cellules des feuilles, des tiges, des fleurs et des enveloppes de graines (aussi des racines) de plusieurs légumineuses. On les rencontre dans les lotiers pédonculé ou corniculé (Lotus corniculatus), le sainfoin (Onobrychis viciifolia L), le sulla (Hedysarum coronarium L), les fleurs de trèfle blanc et de trèfle violet. La concentration en tanins et leur composition varient selon les espèces, les variétés, la saison (Theodoridou, 2010), les organes des plantes (Häring et al., 2007) et les méthodes de conservation (Hoste et al., 2006).

L’activité biologique des tanins représente leur capacité à se lier avec des protéines mais ce sont les tanins extractibles (tanins condensés, TC) qui vont réagir avec les protéines. Ils peuvent se lier à la RuBisCO, principale protéine des fourrages verts, mais aussi avec les protéines microbiennes et celles de la salive. Les effets des tanins dépendent de leur teneur mais aussi de leur structure qui varie entre espèces. Il n’est généralement pas possible de comparer directement un même fourrage avec et sans tanins. Aussi, l’essentiel des informations sur le rôle des tanins a été obtenu avec des méthodes qui inhibent les TC (notamment l’utilisation de polyéthylène glycol, PEG).

Les TC ont des effets variables sur la digestibilité et l’ingestibilité du fourrage (Aufrère et al., 2012), certaines études concluant à un effet dépressif et d’autres à l’absence d’effet. Les effets des tanins peuvent être reliés à une modification des fermentations ruminales et à une réduction de la vitesse de digestion. Notons que la présence de TC peut aussi avoir un effet dépressif direct sur l’ingestion via une réduction de l’appétibilité du fourrage du fait des phénomènes d’astringence (Frutos et al., 2004).

Le rôle des tanins dans la réduction de la dégradabilité des protéines ruminales est en revanche bien documenté et la diminution de la dégradation de l’azote dans le rumen des fourrages contenant des tanins est décrite de longues date (Jones et Mangan, 1977). La méta-analyse conduite par Min et al. (2003) montre que l’augmentation de la teneur en TC accroît progressivement le flux de protéines des fourrages non dégradés dans le rumen et entre dans l’intestin sans affecter le flux de protéines microbiennes. La structure des tanins condensés va influencer leur capacité à se lier aux protéines dans le rumen (Lorenz et al., 2014). En revanche, la digestibilité dans l’intestin des protéines des fourrages contenant des TC est faible comparée à celle des fourrages ne contenant pas de TC (Aufrère et al., 2008). Au final, les travaux réalisés à l’Inra sur la valeur alimentaire du sainfoin depuis la dernière version des tables Inra en 2007 (Aufrère et al., 2008 ; Theodoridou et al., 2011) montrent que la valeur PDIE du sainfoin n’est pas sensiblement modifiée par rapport aux valeurs PDIE figurant dans les tables Inra 2007 (73 vs 75 g/kg MS en moyenne), qui n’avaient pas intégré les effets des TC, car la surestimation de la digestibilité intestinale (75,8 vs 42,7) compense celle de la dégradabilité ruminale (76,4 vs 59,5). En revanche, les valeurs PDIN des tables (tableau 4.8) sont surestimées de 10 à 20 g/kg MS (95 vs 79 g/kg MS en moyenne), les valeurs PDIN et PDIE du sainfoin étant nettement plus équilibrées que celles des autres légumineuses. De fait, les TC modifient les voies d’excrétion de l’azote et, à même teneur en azote du fourrage, l’excrétion fécale s’accroît alors que l’excrétion urinaire diminue (Aufrère et al., 2012).

Les tanins, en se liant aux protéines, vont également jouer un rôle dans la maîtrise des risques de météorisation (lien aux protéines du fourrage) et des risques parasitaires (lien aux protéines pariétales des parasites).

À retenir. La valeur alimentaire des légumineuses fourragères.

Les légumineuses fourragères ont des teneurs en protéines et en calcium plus élevées que les graminées fourragères mais des teneurs en sucres plus faibles. La digestibilité des légumineuses est en moyenne assez proche (légèrement supérieure) de celle des graminées, mais il demeure des effets spécifiques. Elle diminue également moins vite avec l’âge que celle des graminées. Le trèfle blanc se distingue par une digestibilité beaucoup plus élevée que toutes les autres espèces du fait de sa teneur en parois particulièrement faible à tous les stades, alors que la digestibilité de la luzerne est plus faible. La présence de tanins dans certaines espèces de légumineuses ne modifie pas ou diminue légèrement la digestibilité des fourrages. En revanche, elle réduit toujours fortement la dégradabilité des protéines dans le rumen et accroît donc la valeur azotée du fourrage pour l’animal. Les légumineuses sont plus ingestibles (10 à 15 %) que les graminées à même digestibilité, grâce à une digestion plus rapide de leurs parois cellulaires.

La conservation des légumineuses fourragères, sous forme d’ensilage et surtout de foin, est délicate en raison du risque de pertes de folioles à la fenaison et de leur faible teneur en glucides solubles, ce qui rend difficile leur conservation sous forme d’ensilage (sauf pour le sainfoin qui contient 20 % de glucides solubles). La déshydratation, très utilisée pour la luzerne, ne modifie pas la valeur énergétique du fourrage de départ lorsqu’elle est bien maîtrisée et la valeur azotée est augmentée car la cuisson des protéines diminue leur dégradabilité dans le rumen.

Utilisation des légumineuses fourragères dans les rations des ruminants

Ingestion au pâturage : plus élevée que pour les graminées en cultures pures

Au pâturage, l’ingestion d’herbe est contrainte par les quantités offertes et la structure de la prairie. Les données disponibles sur les prairies en cultures pures confirment que l’ingestion est plus élevée avec les légumineuses que les graminées. À même quantité offerte, Alder et Minson (1963) ont ainsi montré que l’ingestion était 15 % à 20 % plus élevée avec de la luzerne que du dactyle. Mais au pâturage, les légumineuses sont le plus souvent utilisées en mélange avec les graminées et la légumineuse la plus utilisée est le trèfle blanc, historiquement au sein d’associations binaires avec le ray-grass anglais, et de façon croissante dans des associations plus complexes, avec un plus grand nombre de graminées, voire d’autres dicotylédones, comme la chicorée (Cichorium intybus). Il est aujourd’hui bien établi que l’ingestion d’herbe et les performances des animaux sont plus élevées sur les prairies d’associations que sur du ray-grass pur (Wilkins et al., 1994 ; Ribeiro-Filho et al., 2003, 2005) et les différences augmentent avec la proportion de trèfle dans l’association et avec l’âge des repousses. Elles atteignent en moyenne 1,5 kg MS/jour pour les vaches laitières dans ces études et la production laitière s’accroît aussi de 1 à 3 kg/j (Philips et James, 1998 ; Ribeiro-Filho et al., 2003) en présence de trèfle blanc. L’écart est maximal pour des associations contenant 50 % de trèfle (Harris et al., 1998). D’autres travaux rapportent aussi des performances des animaux améliorées dans le cas de brebis laitières ou d’agneaux en finition qui tendent à être plus élevées sur prairies d’association que sur prairies de ray-grass fertilisé (Orr et al., 1990 ; Speijers et al., 2004). Ribeiro-Filho et al. (2003) ont montré que l’ingestion par les vaches diminuait de 2,0 kg/j sur une prairie de graminées et de seulement 0,8 kg/j sur une prairie d’association en passant de 20 à 40 jours de repousse. Les prairies d’association procurent donc plus de flexibilité pour la conduite des troupeaux en permettant des intervalles entre passages sur les parcelles de plus de 4 semaines sans que la qualité du fourrage soit affectée.

Le potentiel productif de ces associations graminées-trèfle blanc dépend de la proportion de trèfle. Elle s’accroît avec la proportion de trèfle (+ 500 kg MS/ 10 % de trèfle, Le Gall, 2004) et le défi est de maintenir un taux de trèfle de 30 à 40 % pour maintenir une production d’herbe suffisante (Peyraud et al., 2009), ce qui n’est pas toujours réalisable. En conséquence, ces prairies supportent en général des chargements plus faibles (Le Gall, 2004 ; Humphreys et al., 2009) que les prairies de graminées fertilisées. Au-delà des mélanges binaires, il apparaît un effet positif de la diversité spécifique des prairies sur la productivité. Quelques espèces bien adaptées suffisent sans qu’il soit nécessaire de rechercher des mélanges très complexes, plus difficiles à gérer. Un vaste essai (28 sites et 17 pays en Europe) a comparé sur chaque site les deux graminées et les deux légumineuses les plus courantes (Kirwan et al., 2007) cultivées seules ou en mélange. Dans tous les sites, les associations de quatre espèces ont produit plus de biomasse que la meilleure des monocultures (+1 t MS/ha en moyenne) et l’effet a persisté au cours des 3 ans de l’essai. Ce résultat ouvre de nouvelles opportunités pour concilier productivité et préservation de l’environnement.

Les données de performances animales sur prairies multi-espèces sont encore rares mais confirment l’intérêt des légumineuses au sein de ces prairies. Le projet européen Multisward (2010-2014) vient étayer les performances animales que les prairies multi-spécifiques, riches en légumineuses, permettent d’atteindre. Dans ce projet, une étude qui comparait sur 13 cycles de végétation répartis sur 3 années consécutives des prairies de ray-grass pur, ou de mélange ray-grass, trèfle blanc et trèfle violet ou de mélange ray-grass, trèfle blanc, trèfle violet et chicorée a montré que l’ingestion et la production laitière par vache étaient systématiquement plus élevées sur les prairies multispécifiques (respectivement 14,3, 15,1 et 16,3 kg MS/jour et 17,1, 18,1 et 18,4 kg lait/jour ; Roca-Fernandez et al., 2014). Ces résultats sont cohérents avec un autre travail (Delaby et al., 2007) qui avait montré qu’au sein d’associations de 6 espèces comportant 1 à 3 légumineuses, la production laitière par animal était plus élevée en moyenne sur l’année et se maintenait tout au long de la saison, en particulier à l’automne, même si la composition botanique des prairies avait évolué au cours de la saison.

Utilisation des légumineuses sous forme de fourrages conservés

Ce sont surtout les grandes légumineuses (luzerne, trèfle violet) qui sont utilisées sous forme de fourrages conservés. Plusieurs travaux ont montré que des ensilages de légumineuses ou d’associations entre légumineuses et graminées pouvaient accroître la production de lait par rapport à des ensilages de graminées pures (Castle et al., 1983 ; Dewhurst et al., 2003). Mais dans le cas des rations françaises, les légumineuses ensilées ou fanées peuvent être de bons compagnons de l’ensilage de maïs car elles permettent de rééquilibrer la ration en azote dégradable tout en fournissant des protéines digestibles dans l’intestin. Chenais (1993) a synthétisé les résultats de 10 essais étudiant les effets de rations mixtes associant l’ensilage de maïs (Zea mays L.) avec des ensilages de trèfle violet ou de luzerne. Les rations mixtes ont conduit à des niveaux de performances identiques au témoin tout en permettant d’économiser du tourteau de soja, du moins lorsque les ensilages de légumineuses étaient de bonne qualité et en particulier lorsque leur teneur en MS était supérieure à 30 %. Des résultats identiques ont été obtenus pour la production de taurillons avec l’utilisation d’ensilage de trèfle violet (Weiss et Raymond, 1993). Plus récemment, d’autres travaux ont conforté ces premiers résultats dans le cas d’utilisation de foin, de balles rondes ou d’ensilage de luzerne utilisés à hauteur de 50 % des fourrages en remplacement de l’ensilage de maïs (Rouillé et al., 2010), avec toutefois des niveaux de production laitière plus difficiles à maintenir dans le cas des foins. L’économie de tourteau (de colza dans cette série d’essais) a été de 1 à 2 kg par vache et par jour selon la qualité du fourrage ; ces fourrages permettent à la fois de sécuriser la production fourragère en la diversifiant sur l’exploitation et d’accroître l’autonomie protéique de l’alimentation.

La luzerne déshydratée distribuée à raison de 3 à 5 kg par vache et par jour permet d’accroître légèrement les performances des animaux (Peyraud et Delaby, 1994), mais son intérêt pourrait être limité par le coût énergétique de la déshydratation, même si ce procédé est l’objet d’amélioration constante pour la filière industrielle, notamment grâce au préfanage à plat.

Intérêt nutritionnel de l’introduction de légumineuses fourragères riches en tanins dans les rations

L’utilisation de ces fourrages demeure très limitée en France où ils ont fait l’objet de peu d’améliorations génétiques, contrairement aux États-Unis, au Canada ou à la Nouvelle-Zélande, les principales légumineuses fourragères riches en tanins et utilisables en France étant le lotier, la coronille et le sainfoin. Leur culture reste difficile avec de faibles rendements dans le cas du lotier et la pérennité est limitée pour le sainfoin. Ces fourrages sont traditionnellement utilisés en foin et peuvent être pâturés sans risque de météorisation. Une voie prometteuse pour leur utilisation serait l’ensilage mi-fané car la présence de tanins condensés (TC) réduit l’hydrolyse des protéines dans le silo (Theodoridou et al., 2012). De plus, dans le cas du sainfoin, comme mentionné précédemment, la teneur élevée en sucres favorise l’acidification rapide ce qui évite les besoins de conservateurs. Lors du fanage en revanche, la perte des feuilles et l’exposition au soleil contribuent à diminuer les teneurs en TC du sainfoin (Aufrère et al., 2012).

La question de l’intérêt de l’utilisation de légumineuses contenant des tanins en mélange avec d’autres fourrages pour améliorer l’apport azoté des rations peut se poser. La dégradabilité ruminale des protéines du mélange est plus faible que la moyenne de celle des fourrages initiaux, au moins in vitro (Niderkorn et al., 2011). D’autres travaux rapportent un effet positif sur la qualité de l’ensilage et la digestibilité des associations (Wang et al., 2007), mais ces effets positifs ne sont observés qu’à la condition que la quantité de TC soit suffisante (Aufrère et al., 2012). Très peu de travaux se sont intéressés aux effets de légumineuses contenant des TC sur la production laitière, notamment en Europe. Seule une étude conduite en Nouvelle-Zélande a mis en évidence un accroissement de la production laitière avec l’introduction de lotier en proportion croissante en complément de ray-grass anglais (Woodward et al., 2009).

Effets non nutritionnels de l’introduction de légumineuses fourragères

Réduction de la production de méthane dans le rumen

La production de méthane entérique, exprimée en proportion de la MS ingérée, est plus faible chez les animaux alimentés avec des légumineuses comparativement aux graminées, mais cet effet ne paraît pas systématique dans tous les essais (Dewhurst et al., 2009). Les émissions plus faibles avec les légumineuses pourraient être reliées à la combinaison de plusieurs facteurs qui reflètent en fait des différences de morphologie et de structures cellulaires entre les espèces végétales, différences qui sont elles-mêmes affectées par les stades de récolte, ce qui peut expliquer la variabilité des résultats. La réduction des émissions résulte certainement de la combinaison de plusieurs facteurs incluant une teneur plus faible en parois végétales, un transit accéléré dans le rumen qui limite la colonisation des particules par les bactéries méthanogènes, une digestibilité plus élevée qui oriente les fermentations ruminales vers la production de propionate qui est un accepteur d’hydrogène ou encore, pour quelques espèces, la présence de tanins condensés (Beauchemin et al., 2008). Ces derniers inhiberaient les bactéries méthanogènes directement ou indirectement par l’inhibition des protozoaires, mais tous les tanins condensés n’auraient pas la même efficacité (Aufrère et al., 2012). Si beaucoup de travaux rapportent des effets des tanins in vitro, il y a peu de démonstration in vivo. Cependant, Woodward et al. (2004) ont mis en évidence une diminution de la production de méthane chez des vaches laitières recevant des rations contenant de lotier corniculé.

Augmentation de la teneur en acides gras polysinsaturés des produits de ruminants

Par rapport aux fourrages à base de graminées, les légumineuses ont un effet sur le profil en acides gras des produits animaux. Il est aujourd’hui bien établi que les rations à base de fourrages verts, comparées aux régimes à base d’ensilage de maïs et/ou avec beaucoup de concentrés, accroissent les teneurs en acides gras polyinsaturés, et particulièrement en oméga-3 et en acide rumique du lait (Couvreur et al., 2006) et de la viande (Priolo et al., 2001), tout en diminuant la proportion d’acides gras saturés. Au-delà de cet effet, le pâturage de prairies d’associations graminées et trèfle blanc ou trèfle violet accroît le dépôt d’oméga-3 dans le gras des bovins et des agneaux (Scollan et al., 2006 ; Lourenço et al., 2007) comparativement à un pâturage de graminées. Des évolutions similaires ont aussi été rapportées dans le cas d’utilisation d’ensilages d’associations en production laitière (Dewhurst et al., 2006). Ces effets des légumineuses peuvent s’expliquer par leur transit plus rapide qui limite les phénomènes de saturation des acides gras dans le rumen. Parmi les légumineuses, le trèfle violet semble être l’espèce la plus efficace pour accroître les teneurs en oméga-3 des produits animaux, peut-être en relation avec la présence de polyphénol oxydase qui peut réduire la lipolyse ruminale. Distribuer de la luzerne déshydratée dans des rations à base d’ensilage de maïs augmente également la teneur en oméga-3 du lait (Peyraud et Delaby, 2002).

Risque de survenue de météorisation

La météorisation est un risque souvent évoqué qui peut freiner l’utilisation des légumineuses fourragères. La météorisation résulte d’une accumulation de bulles de gaz dans le rumen qui sont piégées à travers les petites particules du contenu. La mousse qui en résulte occasionne une forte pression dans le rumen. La probabilité d’occurrence de la météorisation s’accroît avec la concentration en protéines rapidement dégradables qui se lient entre elles pour constituer un réseau susceptible de piéger les gaz émis lors de la fermentation ruminale (selon le même principe que la formation de blancs en neige !) (Majak et al., 1995). Des teneurs faibles en constituants pariétaux dans les fourrages et la présence de petites particules, comme les chloroplastes, contribuent directement à piéger les gaz et à la formation des mousses. En théorie, les légumineuses le plus souvent impliquées seraient donc le trèfle blanc et la luzerne, car ces cultures sont pâturées à des stades de développement précoces avec beaucoup de protéines solubles (Thompson et al., 2000). De fait, aucun cas de météorisation n’est rapporté dans le cas de rations mixtes associant des légumineuses conservées avec d’autres fourrages, et les cas de météorisation en pâturage avec des associations graminées et trèfle semblent assez rares si le trèfle n’est pas ultra-dominant. Le pâturage de luzerne pure est en revanche une pratique à risque mais il n’est quasiment pas utilisé en France (à la différence de l’Argentine). À l’inverse, les légumineuses contenant des TC ne sont pas à l’origine de météorisation et peuvent aider à la prévenir, puisque les TC, en se liant aux protéines, empêchent la formation de réseaux protéiques. Ainsi, McMahon et al. (2000) ont montré que l’utilisation de sainfoin en complément d’une luzerne pâturée permettait de prévenir le risque de météorisation. Cet effet s’explique par la formation de complexes entre les protéines et les tanins qui réduisent la dégradabilité ruminale des protéines, ainsi que par la présence de tanins dans le rumen qui peuvent réduire l’activité bactérienne en bloquant l’activité des enzymes. De la même façon, le risque de météorisation sur des prairies avec beaucoup de trèfle blanc disparaît dès que celui-ci commence à fleurir. En effet, les TC présents dans les fleurs vont alors prévenir les risques de météorisation.

Effets sur les performances de reproduction

Certaines légumineuses, notamment le trèfle violet, peuvent contenir des composés secondaires agissant comme des phytohormones (phyto-œstrogènes), suggérant des effets sur la reproduction des animaux. Le rôle des acides gras polyinsaturés sur les fonctions ovariennes est aussi parfois évoqué. En fait, il s’agit d’un sujet complexe et peu de faits sont réellement avérés. Un effet négatif de ces substances sur la fertilité des brebis a été établi (Thomson, 1975) mais il n’en est pas de même chez les bovins. Un taux de réussite plus élevé à la première insémination a été rapporté pour des vaches alimentées avec de l’ensilage de trèfle violet comparativement à de l’ensilage de graminées (Austin et al., 1982 ; Thomas et al., 1985). Cet effet peut s’expliquer par un meilleur état nutritionnel des animaux du fait de l’accroissement des quantités ingérées, mais un lien avec un apport supplémentaire d’acides gras insaturés ne peut pas être exclu.

Propriétés antiparasitaires vis-à-vis des strongles gastro-intestinaux

Les strongles gastro-intestinaux (petits vers parasitaires) sont une des principales contraintes pathologiques pour l’élevage des ruminants au pâturage. Ils induisent des pertes économiques importantes liées à la chute de production et à la diminution de la qualité des produits (déclassement de carcasses) (Hawkins, 1993). Les mesures de contrôle reposent le plus souvent sur l’administration répétée de molécules anthelminthiques afin d’éliminer les vers. Ce recours quasi exclusif aux médicaments présente plusieurs limites et notamment un risque non négligeable d’apparition et de diffusion de résistances aux antiparasitaires, un risque environnemental avec des impacts sur la microfaune prairiale (McKellar, 1997) et un impact sur l’image des produits. Au vu de ces risques, la réduction des intrants antiparasitaires constitue un objectif important. Plusieurs approches complémentaires peuvent être développées (Hoste et Chartier, 1997). Parmi celles-ci, il semble notamment possible de perturber la biologie des strongles, et en conséquence la dynamique des infestations, avec la consommation de légumineuses fourragères riches en tanins (Hoste et al., 2006). Les TC ont des activités antiparasitaires qui ont été bien mises en évidence chez les caprins et les ovins. Ils agiraient directement sur les parasites en formant des complexes avec les protéines riches en proline qui sont présentes à la surface des nématodes (Mueller-Harvey, 2006). Les tanins pourraient aussi directement stimuler des réponses immunitaires des animaux. Pour autant, des travaux restent à conduire car les mécanismes d’action ne sont pas complètement élucidés et il semble que les effets soient transitoires. Il est intéressant de noter que l’activité anthelminthique des TC du sainfoin reste présente après ensilage ou fenaison dans de bonnes conditions (Hoste et al., 2006 ; Häring et al., 2008), ce qui peut simplifier la distribution.

À retenir. Les légumineuses fourragères pour les ruminants.

Il est aujourd’hui bien établi que l’ingestion d’herbe et les performances des vaches laitières sont plus élevées sur les prairies d’associations de trèfle blanc et de ray-grass que sur du ray-grass pur. De plus, il est clair que les prairies d’associations procurent plus de flexibilité pour conduire les troupeaux car les performances des animaux diminuent moins rapidement avec l’âge des repousses. Le principal enjeu reste l’accroissement de la productivité des prairies d’associations. Les données de performances animales sur prairies multi-espèces (au moins 2 graminées et 2 légumineuses) sont encore rares mais confirment l’intérêt des légumineuses pour l’accroissement de la production des animaux. Ces prairies semblent aussi plus productives.

En raison de leur composition, les légumineuses fourragères ensilées ou fanées sont de bons compagnons de l’ensilage de maïs et permettent d’équilibrer les rations tout en améliorant l’autonomie protéique des exploitations.

Les légumineuses à tanins sont très peu utilisées en alimentation des troupeaux à ce jour mais la question de l’intérêt de leur utilisation en mélange avec d’autres fourrages est posée.

Les teneurs élevées en protéines solubles et calcium des légumineuses fourragères peuvent entraîner, lors de consommations pures au pâturage ou en vert, des risques de météorisation spumeuse. Les tanins condensés de certaines légumineuses (lotier, sainfoin) leur confèrent des propriétés anthelminthiques. Dans le cas des ruminants, plusieurs observations tendent à montrer que les légumineuses peuvent contribuer à réduire la production de méthane et augmenter la teneur en acides gras polyinsaturés dans les produits animaux.

Le concentré protéique de luzerne : un ingrédient aux multiples propriétés et utilisations

L’extraction industrielle de protéines et de pigments chez la luzerne permet d’obtenir à partir des feuilles de cette légumineuse un concentré protéique riche en pigments et en acides gras oméga-3. Ce procédé technologique est moins énergivore que la déshydratation classique (Andurand et al., 2010). Le concentré protéique obtenu (CPL) contient plus de 50 % de protéines dans la matière sèche et moins de 5 % de fibres et il concentre aussi les lipides (9 % de la MS). Les protéines extraites sont principalement des enzymes, localisées en majeure partie dans les chloroplastes, dont la Ribulose 1-5 diphosphate carboxylase oxygénase (RuBisCO) qui représente un quart de ces protéines. Le CPL est très riche en pigments xanthophylles (1 200 à 1 300 ppm en moyenne), lutéine et zéaxanthine (750 à 850 ppm) et carotène (460 ppm). Il est aussi riche en acide linolénique (oméga-3 : 4 %MS) et en vitamine E (460 ppm) et K (90 ppm) (Andurand et al., 2010).

Aujourd’hui, les débouchés principaux du CPL sont le marché des pigments en aviculture, qui représente la majeure partie des débouchés, celui des matières protéiques chez les herbivores, ainsi que le marché des produits riches en acides gras oméga-3 pour les ruminants.

Chez les ruminants, le concentré protéique de luzerne est caractérisé par une dégradabilité de l’azote très faible (0,25) et une valeur PDIE très élevée (422 g/kg MS, Inra-AFZ, 2004). Notons que cette valeur est peut-être légèrement surestimée (sans doute du fait d’une surestimation de la dr) car le CPL est valorisé à raison de 350 g/kg MS dans les rations des vaches laitières. Il n’en demeure pas moins la source de protéines la plus riche en PDIE après le tourteau de soja tanné. Même s’il n’est à ce jour pas compétitif vis-à-vis du soja tanné, il pourrait trouver une place dans les rations en cas de crise sur le prix du soja ou d’interdiction des traitements au formol, mais aussi dans le cadre de filières qui se différencient en garantissant une alimentation animale sans OGM. En outre, l’apport de CPL dans la ration des vaches laitières permet d’enrichir le lait en oméga-3 au même titre que la graine de lin extrudée (Peyraud et al., 2008). Avec une teneur 4 à 5 fois plus faible en acide linolénique que la graine de lin, ce résultat s’explique par un meilleur taux de transfert depuis l’aliment vers le lait car les acides gras du CPL sont mieux protégés de la dégradation ruminale que ceux de la graine de lin (Bejarano et al., 2009). L’utilisation de CPL, par son apport de carotène, peut aussi être une source d’enrichissement en vitamine A du lait (Peyraud et al., 2008).

Conclusion

Les connaissances disponibles aujourd’hui montrent que les légumineuses peuvent être bien valorisées par les animaux. Dans tous les cas, ces légumineuses fourragères ou à graines concourent à une plus grande autonomie protéique mais aussi azotée (via la fixation symbiotique) d’exploitations conduisant des productions de ruminants laitiers ou à viande. Leur utilisation s’accompagne aussi d’une meilleure traçabilité des produits animaux.

Les légumineuses à graines sont très bien adaptées aux besoins alimentaires des porcs. Elles peuvent aussi être utilisées chez les volailles, en moindre quantité dans le cas des segments des volailles à croissance rapide. Chez les monogastriques, l’utilisation des protéagineux nécessite souvent le recours à des complémentations avec des acides aminés de synthèse car leurs protéines sont moins bien équilibrées que les protéines du tourteau de soja. Les tanins limitant la digestibilité et/ou les facteurs antinutritionnels sont aujourd’hui bien maîtrisés, soit par élimination (ou réduction sous une teneur faible sans impact) par sélection génétique, soit par traitements technologiques. L’utilisation des légumineuses à graines est encore limitée en alimentation des poissons du fait de leur teneur en protéines insuffisante en regard des besoins très élevés de ces espèces et de leur faible teneur en certains acides aminés essentiels. Si la quantité de légumineuses à graines a fortement diminué dans l’alimentation des monogastriques, ce n’est donc pas pour des raisons zootechniques mais avant tout du fait du manque de disponibilité de ces matières premières pour la formulation des aliments. La recherche d’une plus grande autonomie protéique de l’élevage français peut constituer un cadre favorable à un regain d’intérêt de ces graines en élevage.

Les légumineuses fourragères sont d’excellents fourrages qui peuvent être valorisés au pâturage ou sous forme conservée, ils sont alors de bons compagnons de l’ensilage de maïs. À l’avenir, les légumineuses fourragères pourront aussi contribuer à sécuriser les calendriers fourragers dans un contexte de réchauffement climatique avec les légumineuses à enracinement profond plus résistantes aux épisodes de sécheresse et les petites légumineuses qui, à la différence de la plupart des graminées prairiales, maintiennent leur croissance lors de fortes températures.

Les analyses socio-économiques des différents systèmes de production incluant ou non des légumineuses seront complétées dans le chapitre 7, en combinaison avec leur évaluation environnementale traitée en chapitre 6.

43GreenPig est un projet anglais coordonné par le Scottish Agricultural College (Defra-LINK, 2008-2012), à partenariat mixte recherche/industrie, qui visait à évaluer la possibilité de remplacer une quantité significative du soja importé avec des protéagineux produits localement dans les rations des porcs charcutiers (croissance et finition) afin d’améliorer la durabilité globale de la production porcine au Royaume-Uni.
44Peyronnet, communication personnelle.
45Les réactions de Maillard entre les groupements libres des protéines (notamment la lysine) et les sucres réducteurs conduisent à des liaisons plus résistantes à l’hydrolyse que les liaisons peptidiques, ce qui diminue la dégradabilité des protéines dans le rumen et augmente la quantité d’azote d’origine alimentaire à l’entrée de l’intestin grêle. Dans une première étape, ces réactions sont réversibles sous l’action du pH faible de la caillette et les protéines non dégradées peuvent être digérées dans l’intestin. Un chauffage trop important conduit à des réactions irréversibles qui rendent les acides aminés partiellement indisponibles pour l’absorption intestinale. La présence d’eau facilite les réactions et contribue à créer de nouvelles liaisons peptidiques qui modifient la structure tridimensionnelle des protéines, réduisant ainsi leur accessibilité aux enzymes bactériennes.
46Peyronnet, communication personnelle.