Depuis une dizaine d’années, un champ de questionnements scientifiques sur les intoxications professionnelles émerge à l’intersection entre toxicologie et ergonomie. Ce champ de savoir a pris pour nom l’ergotoxicologie, et pour principal objet d’étude les contaminations des agriculteurs exposés aux substances phytosanitaires. De façon étonnante, ces savoirs sont relativement peu pris en compte dans les politiques de prévention des maladies professionnelles en milieu agricole.Cette situation renvoie aux interrogations contemporaines sur la construction sociale de l’ignorance, et plus particulièrement à celles qui portent sur les savoirs disponibles, pertinents, mais pourtant ignorés par l’action publique. Pour comprendre pourquoi les savoirs des ergotoxicologues sont si peu présents dans les politiques des protection des travailleurs agricoles exposés aux pesticides, cet article se propose de relater l’histoire d’un des premiers programmes de recherche en ergotoxicologie. Ce programme a pris corps au début des années 2000, dans le contexte d’une recrudescence d’intoxications en milieu viticole en lien avec un pesticide particulièrement nocif, l’arsenite de soude. S’il n’a été désigné qu’a posteriori comme un programme d’ergotoxicologie, il combinait précisément une approche quantifiée de la contamination avec un regard ergonomique porté sur les modes de contamination. En retraçant l’histoire de ce programme de recherche et du traitement de ses résultats par les institutions de prévention, nous montrerons comment celles-ci sont parvenues à ignorer une forme de savoir difficilement compatible avec les principes fondateurs de la gestion des risques professionnels en milieu agricole.