Boire du vin au restaurant, le choisir ou le faire choisir en fonction du plat sélectionné, étudier la carte des boissons tout comme le menu, ou encore commenter les domaines et les millésimes, sont des actes totalement intégrés par les amateurs de gastronomie du XXIe siècle. Et même si les associations mets vins tendent à s’internationaliser, déguster un produit local avec un vin du cru reste un moment important pour nombre de personnes souhaitant visiter une région. Cette démarche, si commune aujourd’hui, résulte pourtant d’un processus historique finalement assez récent et dont l’évidence contemporaine n’a rien de manifeste historiquement. En France au début du XXe siècle seulement, et de façon relativement nouvelle, se développent d’inédites associations culinaires et vitivinicoles marquées par des images régionales qui en feraient l’unité. Rapidement, en particulier via la restauration, ces modes de consommation vont se fixer dans les canons de la gastronomie française et mondiale. Ces deux mouvements touchant les vins et la gastronomie, pour nombre d’aspects, ne découlent pas nécessairement des mêmes logiques historiques et culturelles et, de fait, dans certaines régions comme en Champagne, par exemple, la gastronomie régional et les vins « du cru » mettront un temps certains à se rejoindre sur les cartes de restaurants. En Bourgogne, au contraire, la fusion va se réaliser durablement autour d’une idée régionaliste de la promotion du territoire qui prédomine de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Nous assistons en effet, spécifiquement dans l’ancien duché, à l’éclosion pionnière d’un lien fort entre les vins et la gastronomie locale, dès les années 1920. Cette territorialisation de la production s’inscrit alors dans le croisement constant de divers processus parallèles, qu’ils soient règlementaires (la mise en place des Appellations d’Origine), culturels (la genèse du folklore vineux et gastronomique), économiques, voire politique. Nombre d’acteurs issus de différents horizons participent de cette « nouvelle interpénétration gastro-vinicole de terroirs ». En ce sens, la collaboration étroite entre les producteurs de crus d’appellation de Côte-d’Or et les mondes gastronomiques émergents va pouvoir s’inscrire plus largement dans des réseaux impliquant journalistes, sommeliers, associations touristiques, universitaires, mondes culturels et politiques. Ces interrelations, à l’échelle régionale, nationale et internationale, souligneront l’importance et l’efficacité des liens entre le vignoble et la ville et, en particulier, entre les campagnes de Côte-d’Or et la capitale Dijonnaise, centre névralgique du processus de territorialisation « gastro-vinicole » en cours en ce début de XXe siècle. Afin de mieux cerner l’originalité et la place de la Bourgogne et de Dijon dans ce phénomène, nous reviendrons en premier lieu sur le processus d’émergence d’une gastronomie régionale reconnue. Nous évoquerons ensuite, le processus parallèle de genèse des vins d’appellations d’origine pour lequel la Côte-d’Or s’érigera en modèle. Il s’agira enfin, de montrer comment, de manière originale et en particulier dans la restauration, le vin va devenir un élément essentiel de cette gastronomie de terroirs.