Le paysage culturel rattrapé par sa dynamique : l'exemple des Grands Causses
Résumé
L'analyse des paysages se structure autour de deux tendances : une lecture écologique et une lecture culturelle. Ces deux manières d'appréhender les paysages sont confrontées à la difficile question de la dynamique des paysages. Partant de l'idée que la césure entre une lecture fondée sur les représentations et une analyse du paysage comme système naturel est un obstacle à la compréhension des processus naturels et sociaux en jeu dans les changements de paysages, ce chapitre propose une réflexion sur le décalage entre les représentations et la matérialité spatiale dans un contexte de forte mobilité du paysage. Ce texte montre dans un premier temps comment le paysage des Causses, de paysage jugé indigne d'intérêt au début du XXe siècle est devenu un élément du patrimoine. Nous analysons la manière dont des ouvrages destinés au grand public définissent les caractéristiques des paysages et des sociétés des Causses en opérant une « esthétisation » des milieux ouverts et de la manière d'être caussenard. Dans un deuxième temps nous montrons que ce paysage, figé dans une imagerie patrimoniale, est en réalité très dynamique. Après avoir mis en évidence, grâce à des cartes diachroniques, la transformation des paysages, nous présentons les mécanismes écologiques et principalement les interactions positives entre espèces ligneuses qui garantissent aux principales plantes colonisatrices (pin sylvestre, chêne pubescent) un succès qui aboutira à la transformation des milieux ouverts en forêts. Enfin, nous expliquons pourquoi les modes d'utilisation des sols par l'agriculture actuelle ne sollicitent que très peu les milieux ouverts. De ce fait, nous montrons que le paysage caussenard de référence dans le cadre de la patrimonialisation actuelle n'est pas le paysage stable et en équilibre avec l'activité pastorale que décrit la vulgate. C'est en réalité un état de transition entre le paysage très ouvert et très cultivé de l'agriculture d'Ancien Régime et le paysage à dominante forestière de l'époque de l'agriculture mondialisée.