Chasse-gestion, chasse écologique, chasse durable... Enjeux autour de l'écologisation d'une pratique en crise
Résumé
Bien que souvent associé à une image de « tradition » amplifiée par la politisation d'une frange radicale des chasseurs avec le mouvement « Chasse Pêche Nature Traditions » (CPNT) , le monde cynégétique a connu de nombreux bouleversements depuis les années 1970. En particulier, la montée de « l'écologisation » serait une des caractéristiques de la chasse française dans les années 1980 et 1990, qu'elle ait été analysée comme pure stratégie rhétorique (Dalla Bernardina, 1989), ou de façon moins univoque (Bozon et Chamboredon, 1980). Plus récemment encore, au niveau national et européen, les réflexions visant à concilier chasse et développement durable se sont multipliées et sont selon nous à resituer dans le temps plus long de l'écologisation de cette pratique, dont elles constituent un prolongement. En effet, la « chasse-gestion » hier proposée comme alternative à la « chasse-cueillette », puis la promotion plus récente de la « chasse écologique » et enfin les réflexions actuelles sur la « chasse durable » peuvent sans doute être lues comme autant de « stratégies défensives » de la part des responsables cynégétiques, mais ce mouvement interpelle : pourquoi rencontre-t-il de moins en moins d'oppositions dans les rangs des chasseurs, alors que ces changements sémantiques successifs concourent à une plus exigence quant à l'écologisation des pratiques cynégétiques ? Les chasseurs « ordinaires » auraient pu y voir une menace ou une forme de reniement, mais au lieu de cela, la tendance à l'écologisation semble triompher (provisoirement ?) de la stratégie traditionaliste, incarnée notamment par le parti CPNT. Nous verrons que les raisons de ce succès sont à rechercher dans la « crise » actuelle des formes de chasse les plus communes, bien souvent vécues comme « désenchantées » par ceux qui la pratiquent (Pérès, 1998). En effet, à partir du moment où la seule perpétuation de la « tradition » peine à justifier leur pratique, y compris en milieu rural, ces chasseurs se trouvent bien souvent « désarmés ». Dans ce contexte, l'écologisation des discours, si ce n'est des pratiques, est pour eux une ressource, peut-être la seule, leur permettant parfois d'apparaître comme les dépositaires d'un rapport privilégié à la nature (Ginelli et Le Floch, 2006).