Cette exploration en Dordogne montre que les enjeux de la mixité sociale dans les espaces ruraux s'avèrent quelque peu différents des enjeux en ville où elle est plus fréquemment invoquée et analysée. Même si son utilité collective anime dans les deux cas l'idéal espéré d'une société composée d'éléments disparates qui s'enrichiraient mutuellement, les principaux écueils à surmonter pour l'atteindre en milieu urbain sont la ségrégation et l'exclusion des plus démunis. Ces écueils sont plus estompés au sein des communes rurales. La pauvreté y est moins visible et peut-être moins fréquente, toujours est-il qu'elle n'a été évoquée par aucun de nos enquêtés même si le niveau de vie des périgordins s'avère plus modeste en moyenne que celui des habitants des autres espaces ruraux en France. La désaffiliation, qui en est la forme extrême, y semble absente, sûrement repoussée par l'interconnaissance qui régit encore le mode des relations interpersonnelles de proximité, même si elle est aujourd'hui amoindrie comme le prouve la présence d'anonymes parmi les voisins. Mais ces anonymes ne ressemblent en rien à des désaffiliés, ils en auraient même le profil inverse tant leurs ressources relationnelles leur permettent de choisir cette invisibilité au sein de la localité. Ils ne la subissent pas contrairement aux victimes d'une multitude d'exclusions (économique, professionnelle, affective) qui se cumulent. Quant à la ségrégation socio-spatiale, nos enquêtes n'en portent pas non plus d'indices. Sur ce thème cependant, même si aujourd'hui la gentrification ou l'entre-soi ne semble pas à l'½uvre, les tensions autour du foncier, les normes d'aménagement et la qualité des équipements exigées par les labels d'hébergement touristique qui correspondent aux attentes de confort d'une clientèle aisée laissent craindre l'existence d'une sélection par le pouvoir d'achat des ménages résidents ou estivants. Sans être observable aujourd'hui à travers les recensements démographiques, la ségrégation est peut-être à l'½uvre au sein de la population résidente. Hormis cette réserve, les enjeux actuels de mixité sociale dans le rural périgordin se distancient de ces deux problématiques urbaines et interrogent plus centralement les rapports pluriels à la ruralité où la médiation par les objets et l'espace joue un rôle primordial. La ruralité aujourd'hui définie par la qualité de ses aménités plus que par un mode de vie et des organisations sociales spécifiques donne lieu à une diversité de pratiques (résidentielle, loisirs, tourisme, villégiature) qui gagnent en légitimité et dispute celle accordée prioritairement à la production agricole depuis la IIIème République. En conséquence, la diversité sociale des personnes concernées doit subir une extension par rapport à celle généralement retenue pour caractériser la mixité en espace urbain afin qu'elle rende compte de cette pluralité d'usages au-delà de la résidence, et qu'en outre elle tienne compte de la présence d'une catégorie professionnelle : celle des agriculteurs. Car la mixité sociale en espace rural tient à la diversité des pratiques de la ruralité mais aussi à la multifonctionnalité des territoires ruraux et conjugue co-habitation entre résidents et co-exitence d'usages.