L'approche écosystémique à l'épreuve des faits, comme outil de gestion des pêcheries côtières, dans le contexte du changement global
Résumé
Face aux changements globaux, la protection simultanée des pêcheries côtières, des communautés littorales et de la ressource halieutique est soumise à une très forte pression. De nouveaux problèmes écologiques, économiques et sociaux se posent et quelques enjeux classiques reprennent de l'importance (Gormley et al, 2015). Dans ce contexte mouvant, la mise en place d'outils de gestion adaptés aux nouveaux enjeux devient de plus en plus urgente. Cette exigence est d'autant plus pressante quand on constate que la vulnérabilité des écosystèmes marins et des pêcheries côtières est liée non seulement à leur matérialité, mais aussi au jeu institutionnel des acteurs et à l'identité de certains territoires qui ont pu se construire en partie sur des pratiques de pêcheries côtières spécifiques. Confrontés à ces enjeux, des scientifiques et acteurs publics influents souhaitent privilégier « l'approche écosystémique » (AE) comme une forme de gouvernance adaptée aux problèmes émergents (Curtin et Prellezo, 2010 ; Garcia et Prouzet 2009 ; FAO, 2003). Selon leurs discours, l'AE permet de corriger des défaillances de la gouvernance précédente qui était basée sur une approche « command and control ». Non seulement elle peut composer avec des tensions entre la « conservation » et « l'exploitation », mais aussi avec des ensembles spatio-temporels Homme-nature (Gianelli et al, 2015). En effet, un large consensus a été construit à l'échelle globale et européenne autour de l'efficience de l'AE dans la mesure où, depuis 2013, l'AE est devenu l'approche centrale de la nouvelle politique commune de la pêche (Rätz et al, 2010). Cette politique européenne a donc un double objectif, à court et à long terme et a priori antinomiques: celui d'exploiter mais aussi celui de conserver simultanément, afin de prévenir une exploitation qui supplanterait la conservation et/ou inversement tout en prenant en compte plusieurs dimensions. Mais l'AE ne se limite pas à saisir une éthique d'équilibre entre écologie, économie et social dans la fluidité des socio-écosystèmes complexes. Le concept est aussi à rapprocher de celui de la bonne gouvernance, renvoyant aux interactions entre l'État, le corps politique et la société, mais aussi les lobbys et les coalitions en visant à rendre l'action publique plus légitime, plus efficace et proche du bien public et de l'intérêt général des territoires littoraux. A partir de deux exemples régionaux de la Nouvelle Aquitaine - les pêcheurs de merlu du gouf de Capbreton et les pêcheurs à pied de palourdes du Bassin d'Arcachon - cet article évalue la mise en oeuvre de l'approche écosystémique comme outil de gestion des pêcheries côtières. Même si ces deux pêcheries côtières ont peu de poids sur l'économie française, ils ont une importance d'un point de vue social et territorial à l'échelle locale. En s'appuyant sur la perception de l'AE et des changements globaux (dont climatiques) par les pêcheurs, sur la base d'enquêtes réalisées auprès d'un certain nombre d'entre-eux et d'entretien auprès d'acteurs professionnels (OP, comité locaux, DDTM) et scientifiques , nous analysons le « travail politique » (Jullien et Smith, 2014) des acteurs autour de leurs propres problèmes et la place de l'AE comme outil de gestion pour les gouverner. Par ex. pour la pêche du merlu, les principaux enjeux concernent moins l'état du stock que les règles de cohabitation entre les différents métiers (Sanchez et al, 2013); les quotas des autres espèces pêchées dans une pêcherie mixte; et les nouveaux entrants. A travers ces enjeux nous observons un clivage important entre les 'petits' et les 'gros' armateurs dans l'ordre institutionnel local (Cadiou et Itçaina, 2011: 211). Les enjeux principaux de la pêche de palourde concernent la diminution de la population de palourdes et la maladie du muscle marron engendrant une surmortalité, ainsi que des questions relatives à la taille de capture de la palourde. Dans ce second cas d'étude, il s'agit donc davantage de défis relatifs à la vente et la gestion du stock alors que nous observons un travail politique de certains acteurs pour modifier les règles européennes afin de réduire la taille minimale de capture des palourdes. Nos résultats démontrent une connaissance et une appropriation de l'AE inégales en fonction des acteurs rencontrés ; aucun pêcheur ne connait ce terme, en tout cas sous ce vocable. En revanche, dans leurs discours, on retrouve les thèmes que recouvre cette approche avec un accent sur le volet «social». Tandis que beaucoup d'études s'inscrivent dans une réflexion propre aux conditions de mise en oeuvre de l'AE dans une visée normative (Curtin et Prellezo, 2010), notre approche met en évidence les conséquences de sa mise en oeuvre vis-à-vis des inégalités et des tensions qu'elle génère. En outre, les interdépendances entre les instruments de gestion « pèsent » (François, 2011) de façon importante sur la fluidité associée à l'AE, qui n'est pas toujours évidente. Finalement, notre article constitue une analyse objective des interrelations entre scientifiques, pêcheurs, et acteurs publics et qui pourra permettre dans un deuxième temps de faciliter les dialogues à venir.