Les agriculteurs face aux risques induits par les pesticides : pratiques culturales, attachements familiaux et territoriaux chez les viticulteurs de l'Hérault
Résumé
This paper is the result of an original ethnographic survey carried out in 2016 and 2017 among wine growers in the Hérault (TRAJECTOIRES / ECOPHYTO 2016-2018 project). We rely on the empirical material collected (semi-directive interviews) to question the relationships between personal stories, risk perceptions and choice of cultivation practices in a context of controversy over the harmfulness of pesticides. We compare several profiles of winegrowers to understand the treatment choices made over several generations according to a variable socio-economic, legislative and environmental context. In particular, we focus on the motivations for change, when this occurs at the time of taking over a family farm or a facility. The idea, however, is not to stick to individual decisions, but rather to look at the weight of family and professional loyalties as well as at the channels that explain the lasting tensions between the agricultural worlds and our societies concerned with environmental issues (Roussary et al. 2013; Compagnone 2014). We thus show that, depending on the technical-commercial profile, a differentiated risk hierarchy is established in favour of predictive management of climate risk, rather than environmental and health risks. However, other cross-cutting variables also come into play. The forms of attachment to the territory (Mediterranean - dry but known for its sometimes extreme climatic episodes) and to the farm (Languedoc viticulture has a very particular history, marked by strong social struggles, cf. Martin 1998), "ecological" sensitivity, the weight of health-related concerns, are all dimensions that influence the consideration of environmental and health risks, according to the interplay of actors at several levels (Jensen, Mette 2008; Gilbert 2003). We conclude on the inclusion of technical dependencies on pesticides in a broader culture and social relations, which still forge the values of a professional group under pressure. We believe that taking them into account, alongside technical advice, could facilitate a more effective change in practices.
Ce papier est issue d'un travail d'enquête ethnographique original mené en 2016 et 2017 auprès des viticulteurs de l'Hérault (projet TRAJECTOIRES / ECOPHYTO 2016-2018). Notre nous appuyons sur le matériau empirique recueilli (entretiens semi-directifs) pour questionner les relations entre histoires personnelles, perceptions des risques et choix de pratiques culturales dans un contexte de controverse sur la nocivité des pesticides. Nous comparons plusieurs profils de viticulteurs pour comprendre les choix de traitement réalisés sur plusieurs générations en fonction d'un contexte socioéconomique, mais aussi législatif et environnement variable. Nous insistons notamment sur les motivations au changement, quand cela se produit au moment de la reprise d'une exploitation familiale ou d'une installation. L'idée n'est cependant pas d'en rester à des décisions individuelles, mais bien de s'intéresser au poids des loyautés familiales, professionnelles ainsi qu'aux filières qui expliquent les tensions durables entre les mondes agricoles et nos sociétés préoccupées par les questions environnementales (Roussary et al. 2013 ; Compagnone 2014). Nous montrons ainsi que, selon le profil technico-commercial, une hiérarchisation des risques différenciée s'opère au profit d'une gestion prédictive du risque climatique, plus que des risques environnementaux et sanitaires. Toutefois, d'autres variables transversales jouent aussi. Les formes d'attachement au territoire (méditerranéen - sec mais connu pour ses épisodes climatiques parfois extrêmes) et à l'exploitation (la viticulture languedocienne ayant une histoire très particulière, marquée par de fortes luttes sociales, cf. Martin 1998), la sensibilité "écologique", le poids des préoccupations liées à la santé, sont autant de dimensions qui influent sur la prise en compte des risques environnementaux et sanitaires, en fonction de jeux d'acteurs à plusieurs niveaux (Jensen, Mette 2008 ; Gilbert 2003). Nous concluons sur l'inscription des dépendances techniques aux pesticides dans une culture et des relations sociales plus larges, qui forgent encore les valeurs d'un groupe professionnel sous pression. Nous pensons que leur prise en compte, en parallèle du conseil technique, pourrait faciliter un changement plus efficace des pratiques.