Understorey dialogues in Environmental Geography: an examination of the evolution of critical stances in French scientific debates over forestry issues
Itinéraires critiques en géographie de l'environnement : dialogues en sous-bois
Résumé
L'objectif de cette communication est de questionner la place des approches critiques au sein de la géographie de l'environnement, en s'intéressant à un objet révélateur des ambiguïtés et des promesses de ce courant « non encore complètement identifié » (Chartier et Rodary, 2007) : la forêt. Bien qu'ils soient chargés d'une image de stabilité et de conservatisme, les espaces forestiers possèdent en effet une longue histoire de conflits et de controverses riche d'enseignements pour appréhender, au croisement de multiples influences, l'intrication des questions environnementales et sociales (Thompson, 2014). Ce prisme permet notamment de mettre à l'épreuve et de discuter deux hypothèses fortes des réflexions récentes dans le champ de la géographie de l'environnement française. La première est que cette discipline, « science impliquée », s'est historiquement saisie de l'environnement dans une perspective prudente et « apolitique » (Chartier et Rodary, 2015 ; Kull et Batterbury, 2017). Cet héritage institutionnel tout autant qu'épistémologique serait notamment responsable des rendez-vous manqués avec l'écologie politique et, peut-être plus encore, avec la political ecology qui émerge au tournant des années 1970-1980 en faisant progressivement des espaces forestiers un champ d'observation privilégié des articulations entre écologie et économie politique des ressources naturelles (Peluso, 1992). Si nous partageons en grande partie cette analyse, certains biogéographes et tropicalistes n'ont-ils pas également portés un regard critique sur les doctrines dominantes, de la responsabilité des populations locales dans la déforestation (Lenoble, 1923 ; Gautier et Hautdidier, 2015) à l'aménagement forestier et à l'intensification des modes d'exploitation sylvicoles (Arnould et al., 2002 ; Bertrand, 1980 ; Houzard, 1984) ? De plus, cette historiographie des rapports ambivalents entre géographie et environnement ne dit pas grand-chose du faible écho qu'ont reçu, y compris au sein de la géographie sociale, les travaux de sociologie s'intéressant au début des années 1980 aux disqualifications d'espaces et aux restrictions d'usages portées par « le pessimisme écologique des forestiers » (Larrère, 1981 ; Kalaora et Savoye, 1986). La deuxième hypothèse discutée tient aux perspectives tracées. Si l'on suit Chartier et Rodary (2015) dans l'idée que l'environnement est moins un objet qu'une problématique impliquant d'arbitrer entre différentes lignes de forces sociales, quelles sont les conditions pour que la géographie de l'environnement puisse assumer pleinement une perspective critique ? Reconnaitre l'imbrication étroite des questions environnementales et sociales ne revient en effet pas à supposer une uniforme et implacable convergence des luttes. Il importe que -réfutant l'automaticité de cet enchainement logique tout en prenant aux sérieux les processus écologiques- de nouveaux travaux puissent explorer ces interactions sans verser dans l'apologie de la « modernisation écologique » ou l'écolo-scepticisme. Nous proposons de contribuer à ce débat en confrontant donc le regard de travaux issus de divers champs tels que la political ecology, la biogéographie ou la sociologie de l'environnement sur des espaces forestiers. À l'heure des transitions écologiques et énergétiques, ces derniers restent plus que jamais révélateurs des interactions entre intérêts économiques, changements écologiques et luttes politiques.