Les peupliers sont une essence hautement productive et largement répandue en France. Le programme d’amélioration pour le court et long terme doit tenir compte des caractéristiques biologiques et génétiques des espèces et des besoins économiques. Ce programme est basé sur trois espèces. Deux sont nord-américaines, un peuplier noir, Populus deltoïdes et un peuplier baumier, P. trichocarpa, la troisième est le peuplier noir européen, P. nigra. La présente étude se propose d’apporter des informations génétiques sur P. nigra en vue de les inclure dans le choix de la stratégie d’amélioration. A l’estimation de paramètres génétiques dans des dispositifs de comparaison de clones ou de descendances maternelles issues de pollinisation libre, nous avons préféré celle obtenue grâce à un croisement factoriel complet (tabl. 2) avec des parents choisis dans différents sites français (tabl. 1) et rassemblés à la fin des années 1940 dans le Populetum de Vineuil, Loir-et-Cher, France. Les croisements, réalisés de 1973 à 1976, ont donné naissance à un dispositif de pépinière (Orléans, France) installé en 1977 et observé en 1977 et 1978. Ce dispositif avait la particularité de rassembler en un même lieu des copies des parents et les descendants, à un âge physiologique proche. Ce dispositif comprenait 10 répétitions complètes, incluant, pour chacune, 1 copie des 10 parents et 3 semis des 21 descendances obtenues. Les observations ont porté sur des caractères phénologiques, la croissance en hauteur et en diamètre, la résistance à la rouille foliaire à Melampsora larici-populina et l’angle des branches. L’analyse statistique porte sur les parents (clones) et les descendances. Elle permet d’apprécier la variabilité des caractères, leurs héritabilités et les corrélations génétiques.L’une des questions posées à cette étude était de connaître sa représentativité. En effet, sachant que les parents avaient été sélectionnés pour leur vigueur et sans doute pour la rectitude de leur fût, il était important d’apprécier leur variabilité résiduelle avant d’étudier celle de leurs descendants et de déterminer la validité des estimateurs. Chez les parents (tabl. 3) ce sont principalement les caractères phénologiques (débourrement, arrêt de croissance et chute des feuilles), de même que l’angle des branches et la sensibilité à la rouille en 1978, qui présentent la plus forte variabilité et corrélativement la plus forte héritabilité au sens large (tabl. 4). Les caractères de croissance, par contre, ne présentent qu’une faible variabilité. Ceci peut être du aux effets de la sélection. La variabilité entre descendances (tabl. 3) est d’ordre additif pour le débourrement, l’arrêt de croissance et la chute des feuilles en 1978, elle est soumise à la dominance pour l’arrêt de croissance et la chute des feuilles en 1977. Un autre biais dans l’échantillonnage des parents apparaît avec l’angle des branches des descendants. L’angle moyen des pères est beaucoup plus variable (de 30 à 55°) que celui des mères (de 37° à 44° ). Il en résulte que les descendances paternelles sont beaucoup plus variables que les descendances maternelles. Les héritabilités au sens strict ont été estimées dans les descendances et grâce aux covariances parents/descendants (tabl. 4). On retrouve des valeurs élevées pour les caractères phénologiques et pour l’angle des branches. Les corrélations génétiques entre caractères, bien que souvent élevées, sont rarement significatives (tabl. 5). Néanmoins, une corrélation favorable apparaît, dans les descendances, entre une vigueur élevée et une chute tardive des feuilles. Par ailleurs, une liaison parent/enfant positive est à signaler entre hauteur à 2 ans et angle élevé des branches. La discussion porte d’abord sur la valeur des paramètres estimés dans notre étude par rapport aux données de la littérature. Le fort déterminisme génétique des caractères phénologiques y est conforme. Il permet d’allonger la saison de végétation par voie génétique et, en conséquence, d’augmenter la vigueur. En effet, P. nigra ne court pas de risque de sensibilité aux gelées d’automne et de printemps. La faible variabilité clonale pour les caractères de vigueur n’est pas conforme aux autres informations de la littérature. Il faut l’attribuer peut-être à la sélection préalable qui a tronqué cette variabilité. L’angle des branches, très héritable au sens large, l’est aussi au sens strict ; l’amélioration pour ce caractère sera donc possible à la fois par sélection clonale et par sélection parentale. La tolérance à la rouille foliaire à Melampsora larici-populina est un caractère variable mais peu héritable. Seule la sélection clonale aura donc un effet. Les corrélations génétiques additives entre caractères, lorsqu’elles sont significatives ne présentent pas d’effet antagonistes. Pour sélectionner sur la vigueur, on choisira des descendances à chute des feuilles tardives. Cette sélection, si elle est faite chez les parents, entraînera un gain sur l’angle des branches des descendants.La deuxième partie de la discussion porte sur le choix d’une stratégie d’amélioration. Il est suggéré de commencer simultanément et rapidement deux voies d’améliorations. La première est pour le court terme. Elle consiste en la simple sélection phénotypique d’individus présentant le maximum de caractéristiques favorables, et leur utilisation dans des croisements interspécifiques. La seconde est pour le long terme (20 à 30 ans). Elle consiste en une ou plusieurs générations d’hybridation intraspécifique avec des clones d’origine géographique éloignée, précédant l’hybridation interspécifique. Elle devrait avoir pour effet d’augmenter l’hétérozygotie intraspécifique et, de ce fait, la plasticité de l’espèce. Elle doit aussi inclure la sélection par lignées destinée à purger les populations d’amélioration de gènes indésirables. Chaque lignée pourrait avoir une caractéristique propre, comme un débourrement précoce ou un arrêt de croissance tardif ou encore, un angle des branches élevé. Cette phase intraspécifique, précédant l’hybridation interspécifique, quelle que soit le schéma retenu, suppose une démarche analogue et parallèle pour les autres espèces incluses dans le programme d’amélioration des peupliers. Cette démarche est déjà bien avancée. Pour Populus trichocarpa et P. deltoïdes, les ressources génétiques sont maintenant rassemblées. Des estimations de paramètres génétiques pour P. deltoïdes seront prochainement publiées.