Les espèces adventices, indispensables à la production agricole dans les systèmes à bas intrants
Résumé
Le défi principal de l’agriculture aujourd’hui est la conception de systèmes de culture (SdC) permettant de limiter le recours aux intrants chimiques, tout en régulant les bio-agresseurs des cultures et en maintenant le potentiel de production et le revenu des exploitants agricoles. La flore adventice est un exemple emblématique de ce défi et un obstacle majeur aux objectifs du plan Ecophyto ; les herbicides représentent une part importante des produits phytosanitaires utilisés. L’agroécologie repose sur le postulat que la biodiversité, de par ses fonctions et les services écosystémiques (ex. biocontrôle, pollinisation) qu’elle sous-tend, pourrait compenser l’usage d’intrants chimiques (fertilisants, pesticides). Or, à ce jour, peu d’études ont validé ce postulat. Les services rendus par la biodiversité pour la production agricole reste à quantifier. C’est précisément l’objectif du projet ANR Agrobiose (2014-2018). Dans ce projet, qui s’inscrit dans la problématique du plan ECOPHYTO, nous testons l’hypothèse que la diminution d’usage d’herbicides permettra une augmentation de la diversité adventice, mais également de pollinisateurs et d’agents de contrôle biologique. Cette augmentation de biodiversité permettra en retour un maintien voire une augmentation de la production agricole avec les services de régulation (biocontrôle, pollinisation) qu’elle fournit. Les espèces adventices sont à la base de réseaux trophiques dans les milieux agricoles. Elles jouent un rôle crucial de support de la biodiversité dans les agroécosystèmes. Les graines des espèces adventices sont des ressources pour les insectes carabidés (Marshall et al. 2003) mais également pour des espèces d’oiseaux migratrices comme l’alouette des champs (Eraud et al. 2015). Les espèces adventices fournissent également du pollen et du nectar pour les insectes pollinisateurs sauvages, y compris les abeilles domestiques (Rollin et al. 2013, Requier et al. 2015). Or la diversité adventice a diminué de manière drastique depuis les années 1950’s (Sutcliffe & Kay 2000, Hyvönen et al. 2007). Cette perte de biodiversité est notamment remarquable chez les espèces adventices rares (Richner et al. 2015), c’est-à-dire les espèces déjà peu fréquentes et abondantes dans les parcelles. Cette perte de diversité adventice a pour origine l’utilisation massive d’herbicides dans l’objectif de maximiser les rendements des cultures annuelles. Les espèces adventices des grandes cultures conduiraient en effet à des pertes de rendement allant jusqu’à 23% dans le monde (mais actuellement de 8% ; Oerke 2006) du fait de la compétition pour les ressources (eau, azote, lumière) avec les plantes de culture. Même si cet impact est largement admis, de nombreuses études remettent en question l’amplitude de cet impact, 37 Actes des rencontres sur la gestion durable des adventices en grandes cultures 15 décembre 2015 notamment dans le blé, culture dominante dans les rotations (Steckel et al. 1990, Salonen 1992, Hamill and Zhang 1995, Zhang et al. 2000). Dans cette présentation, nous exposerons les premiers résultats issus du projet ANR Agrobiose en trois temps. Dans un premier temps, nous présenterons les résultats d’une expérimentation menée en 2013 et 2014 avec et chez des agriculteurs de la Zone Atelier de « Plaine & Val de Sèvre » (http://www.za.plainevalsevre.cnrs.fr/) dont l’objectif était de quantifier la compétition entre culture et plantes adventices dans une large gamme de systèmes de cultures. Dans cette expérimentation, nous avons manipulé l’apport de fertilisation azotée et les traitements herbicides afin de quantifier l’effet de ces deux pratiques sur la diversité adventice, et l’effet de diversité sur la production agricole de céréales d’hiver. Les résultats mettent en évidence (i) une absence de relation entre usage d’herbicides (IFT, Indice de Fréquence de Traitement) et la production agricole et, (ii) une production de biomasse adventice équivalente entre les parcelles à faible et à fort IFT. Dans un deuxième temps, nous présenterons des résultats sur l’effet de la pollinisation entomophile sur la production agricole de cultures oléagineuses (colza et tournesol). Environ 35% des principales cultures dans le monde dépendent des services de pollinisation (Klein et al. 2007). Depuis 2013, nous avons entrepris de quantifier l’effet de la pollinisation entomophile sur la production de colza et de tournesol en situations réelles. L’analyse des résultats des années 2013 et 2014, montre qu’en absence totale de pollinisateurs, la production agricole chute de 50 à 75% (T. Perrot, Thèse). Enfin, dans un troisième temps, nous présenterons un cadre conceptuel, synthétisant ces éléments et des résultats obtenus par ailleurs (Bretagnolle & Gaba 2015), qui met en évidence le rôle clé des espèces adventices dans la fourniture à la fois (1) de services d’approvisionnement en assurant la production de cultures oléagineuses et de miel, (2) de services de régulation en assurant la survie des abeilles mellifères en l'absence de cultures de graines oléagineuse et (3) de services culturels en améliorant la survie d’espèces végétales, d’insectes pollinisateurs patrimoniaux, et la valeur socio-culturelle des paysages. L’ensemble de ces éléments questionne l’usage systématique des traitements herbicides et démontre que la présence des espèces adventices dans les agroécosystèmes est en réalité indispensable pour assurer la production agricole à l’échelle du système de production.
Origine | Fichiers produits par l'(les) auteur(s) |
---|
Loading...