Chez certaines espèces de pucerons comme Rhopalosiphum padi, les lignées à parthénogenèse cyclique (sexuées) coexistent avec des lignées à parthénogenèse obligatoire (asexuées). La coexistence de lignées sexuées et asexuées permet de comparer les conséquences génétiques de la perte de la sexualité, un point central dans le débat sur l'évolution et le maintien de la reproduction sexuée chez les eucaryotes. Par exemple, la diversité clonale des populations asexuées influence fortement l'issue de la compétition avec les lignées sexuées et détermine l'avantage éventuel de la reproduction sexuée. Bien que les pucerons présentent de fréquentes transitions de la parthénogenèse cyclique - qui est leur mode de reproduction ancestral - vers la parthénogenèse obligatoire, on ignore tout des mécanismes qui conduisent à la perte de la sexualité. Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse comparative de la structure génétique des populations sexuées et asexuées du puceron R. padi à l'aide de marqueurs microsatellites et allozymiques. Les allozymes se sont révélées fortement soumis à la sélection, remettant sérieusement en question les résultats des études antérieures sur la génétique des populations de pucerons. Une forte différenciation entre les lignées sexuées et asexuées a été trouvée avec les deux types de marqueurs. Dans les populations sexuées, les marqueurs microsatellites ont révélé une forte diversité génétique et un déficit en hétérozygotes résultant peut-être d'une sous structuration génétique. Bien que les populations asexuées possèdent un sous-échantillon de la diversité allélique des populations sexuées, elles présentent une importante diversité clonale et un fort excès en hétérozygotes à la plupart des locus microsatellites. Deux hypothèses peuvent expliquer ce résultat: i) une origine par hybridation entre deux talons sexués, ii) une origine ancienne de l'asexualité - la divergence entre deux allèles d'une lignée asexuée augmentant avec son âge. Pour discriminer entre ces deux hypothèses, nous avons réalisé un test moléculaire sur la divergence des marqueurs nucléaires et mitochondriaux dans les lignées sexuées et asexuées de R. padi. Notre étude des relations phylogénétiques entre lignées sexuées et asexuées révèle l'existence de trois mécanismes à l'origine des multiples pertes de la reproduction sexuée chez cette espèce: i) la mutation spontanée à un des gènes régulant la production des morphes sexués, ii) le flux de gènes entre lignées asexuées ou intermédiaires et les lignées sexuées, enfin iii) l'hybridation entre R. padi et une espèce jumelle. En effet, nous avons pu démontrer en combinant marqueurs nucléaires et mitochondriaux que la majeure partie des lignées asexuées de R. padi étaient des hybrides. Il s'agit de la première démonstration de l'existence de lignées asexuées hybrides chez les pucerons. Nous avons également montré que les trois principaux types de lignées asexuées de R. padi ne sont pas très âgées. Ce résultat est une nouvelle preuve qu'en réalité, les lignées asexuées présumées anciennes sont le plus souvent des lignées d'origine récente. En revanche, il est probable que les mécanismes de diversification des lignées asexuées (origines hybrides récurrentes, échanges génétiques mêmes rares avec les lignées sexuées) assure la persistance à long terme de l'asexualité en tant que phénomène (les lignées asexuées étant régulièrement renouvelées).