La biomasse forestière constitue aujourd’hui la principale source d’énergie renouvelable en France (environ 50 % de la production) avec deux principales finalités : la production de chaleur d’une part et la fourniture d’électricité d’autre part. Paradoxalement, le développement du bois énergie ne suscite pas de grands débats publics et semble se dérouler dans un relatif anonymat médiatique. De fait, ces technologies sont souvent jugées moins conflictuelles, voir davantage maitrisées que d’autres, tel l’éolien par exemple. Par ailleurs, leur déploiement offrirait également de nombreuses opportunités tant en termes de développement local (emploi, lutte contre la précarité énergétique...), qu’il s’agisse d’une stratégie d’autonomie ou de mise en commun, que d’entretiens de l’espace, en particulier dans les territoires ruraux. Pour autant, ce consensus apparent ne saurait faire oublier que le bois est une ressource un peu particulière. Elle est lentement renouvelable, pas toujours accessible et quand elle l’est, souvent valorisée pas des filières. Ces dernières peuvent donc jouer un rôle décisif dans la façon de restreindre les voies de valorisation de la ressource bois-énergie et de la constituer ou non comme un potentiel partagé. De plus, si les politiques liées aux bois-énergies sont ambitieuses, elles restent encore émergentes et tâtonnantes. Parmi les différents types d’incitations multi-scalaires qui coexistent depuis les années 1990, le développement au milieu des années 2000, d’appels d’offres nationaux soutenant fortement la demande par l’installation d’équipements imposants, industriels ou urbains, tout en peinant encore à agir sur l’organisation de la ressource cristallise certaines angoisses. Accusées par les forestiers et les acteurs locaux d’être mal calibrées, ces incitations économiques seraient de nature à déstabiliser des territoires et de venir concurrencer d’autres usages à plus forte valeur ajoutée, tel le bois d'½uvre, la fabrication de papier ou de panneaux. En s’appuyant sur des travaux menés dans le cadre de l’ANR COLLENER qui vise à appréhender les enjeux de la transition énergétiques par l’analyse des collectifs sociotechniques qui portent ces innovations, l’objectif de cette communication est d’analyser les modalités de déploiements spatio-temporelles de différents projets bois-énergie en Aquitaine. Il s’agira par là de discuter également la pertinence des notions de proximités et de ressources territoriales, entendue ici comme étant le résultat d’une mobilisation et d’une coordination des acteurs autour d’un objet ou des qualités d’un milieu, pour analyser ces configurations d’innovation. Le cas aquitain est particulièrement intéressant car cette région, tout en présentant une diversité de « gisements » forestiers, est également marquée par l’emprise d’une filière bois-papier et le développement d’aires métropolitaines (Bordeaux et Bayonne). Le propos s’appuie sur un travail empirique décliné en deux volets. Le premier relève de la construction d’une base de données quantitatives visant à recenser les projets existants à l’échelle régionale afin d’étudier leurs répartitions spatiales et leurs dynamiques temporelles. Le second tient, après sélection d’études cas, à la conduite d’entretiens auprès de diverses parties prenantes (énergéticiens, forestiers, collectivités…) et à l’analyse de textes cadrant les modalités (économiques/réglementaires) de la production d’énergie à partir de la biomasse forestière. La première partie présentera les grandes dynamiques de déploiement du bois énergie en Aquitaine depuis la fin des années 1980, des expériences pionnières à l’émergence d’importants projets industriels. La diversité des modèles existants nous conduira ensuite à relever, après d’autres, l’importance de la dimension « territoriale » pour appréhender les configurations d’innovations liées au bois énergie dans un contexte de coexistence et de cheminement parallèle de multiples référentiels institutionnels. Mais, on terminera en montrant également comment ces modèles territoriaux peuvent être actuellement questionnés par l’essor des logiques de captation de la ressource d’une part, et la réorientation des soutiens institutionnels vers le monde urbain, au nom notamment de l’efficacité énergétique et économique, d’autre part.