L'action publique environnementale est une affaire de maîtrise et de mise en cohérence de temporalités . Elle doit non seulement composer avec les spatialités et les temporalités des populations qu'elle cherche à gouverner (temps long de la planification et temps court de la gestion de crise), mais aussi avec celles des phénomènes écologiques appréhendés dont il s'agit de tenir compte le plus soigneusement possible. C'est le chantier dans lequel s'engage bon gré mal gré l'agence de l'eau Adour-Garonne (Sud-Ouest de la France) à partir du milieu des années 1990. Ayant pris acte de la crise environnementale (plus grande sévérité des étiages , multiplication des prélèvements et des pollutions), ainsi que des nouvelles attentes réglementaires et sociales en matière d'environnement, ce bailleur entreprend une nouvelle politique de gestion de la pénurie en eau. L'agence souhaite instaurer pour chaque bassin versant problématique une gestion intégrée de l'eau, par-delà les frontières administratives et sectorielles, pilotée par un indicateur : le Débit d'Objectif d'Étiage (DOE). Ce dernier est un seuil de débit minimum à respecter au-dessus duquel la vie aquatique ne serait pas menacée. Il correspond à un état de référence de l'environnement : le régime hydrologique de l'étiage de la rivière en l'absence d'actions humaines. Ne pouvant être observée, cette nature référente fait alors l'objet d'un travail de « reconstitution virtuelle » par des modélisations hydrologiques et hydro-écologiques des rivières. N'ayant aucune compétence en matière régalienne ou de gestion opérationnelle, l'agence entreprend ainsi d'aligner les divers modes d'action publique existants sur cet indicateur. Plus particulièrement, elle travaille à gouverner de la sorte leurs différentes temporalités (le long terme de la construction d'ouvrages de stockage d'eau, le moyen terme des autorisations pluriannuelles des prélèvements, et le court terme des lâchers de barrage et des restrictions temporaires de prélèvements) pour le respect de cet objectif environnemental. Nous montrerons alors à partir de deux études de cas de rivière comment, localement, les différentes parties-prenantes (agence, services de l'État, chambres d'agriculture, élus locaux, etc.) s'accomodent de ce dispositif, ou bien le critiquent et le refaçonnent en négociant le niveau de ces seuils de gestion. Nous décrirons comment ces acteurs se réaménagent leur propre périmètre et temporalité d'action (en matière d'autorité ou d'accès à l'eau) en rediscutant la façon dont on reconstitue par modélisation les rivières "naturelles" dans l'espace et le temps (effets des prélèvements sur l'écoulement des eaux, rejets des stations de traitement des eaux usées, etc.).