La carpiculture a été la voie privilégiée de l'introduction involontaire de la bouvière Rhodeus amarus (Bloch, 1782) et du pseudorasbora Pseudorasbora parva (Schlegel, 1842) en Europe Centrale et Occidentale. Ces dernières décennies, à l'échelle métropolitaine, la distribution spatiale et les effectifs de ces deux espèces sont en augmentation (Poulet, Beaulaton & Dembski, 2011). Les fluctuations historiques de la bouvière seraient liées à celles des conditions climatiques, à l'origine de sa régression voire quasi-disparition au cours des périodes froides, puis de sa réapparition lorsque les conditions thermiques redevenaient plus favorables (Van Damme et al. 2007). La réussite du pseudorasbora, une autre espèce thermophile d'introduction beaucoup plus récente, pourrait n'être que l'expression de la phase initiale de colonisation, tout en présentant un singulier parallélisme avec celle de la bouvière. L'aménagement des grands axes fluviaux pour la navigation et la production énergétique, les échanges commerciaux du monde aquacole, la pêche récréative et les traditionnels déversements de poissons, ont favorisé l'extension de leurs aires de répartition et l'accroissement de leurs populations. Par ailleurs, les évolutions climatiques actuelles semblent exacerber ces tendances. Dans le prolongement nord-sud du bassin versant de la Saône, le Bas-Rhône est un tronçon fluvial navigable à grand gabarit de 330 km, caractérisé par la succession de 12 ouvrages hydroélectriques de basse chute mis en service entre 1952 et 1980. Ils s'agencent en marches d'escaliers sur l'axe fluvial, avec alternance de retenues et de canaux usiniers jouxtant les anciens tracés du fleuve. Les canaux dérivent un débit semi-permanent et les sections fluviales court-circuitées sont alimentées par des débits réservés hors périodes de hautes eaux. Ces ouvrages contemporains ont été surimposés à des endiguements réalisés entre 1840 et 1930. L'aménagement énergétique de la vallée du Rhône a créé un fonctionnement hydraulique distinct au sein des entités caractéristiques des ouvrages, banalisé les habitats rivulaires, et contribué au réchauffement des eaux par des rejets thermiques ; un contexte physique largement favorable à ces deux espèces. Sur la base de longues chroniques obtenues sur le Bas-Rhône médian dans le cadre du suivi réglementaire de deux centres nucléaires de production électrique, nous proposons une analyse de l'évolution temporelle des abondances de la bouvière et du pseudorasbora, échantillonnés sur des sites représentatifs du fleuve régulé. Ces deux petits cyprinidés présentent des patrons temporels étonnamment similaires. L'augmentation conjointe du recrutement et de la variabilité de leurs effectifs apparaissent synchrones avec les évolutions hydrologiques et climatiques actuelles. Au regard des exigences biologiques et écologiques connues de ces deux espèces, et en utilisant des informations abiotiques disponibles sur l'axe fluvial rhodanien, nous proposons d'explorer plusieurs hypothèses susceptibles d'expliquer nos observations. Doit-on considérer que la réponse de ces espèces résulte de traits biologiques et écologiques similaires (Konečná et al. 2009, Laverty et al. 2017, Rabitsch et al. 2013) ? Quelle est la part respective des grands facteurs abiotiques (température, hydrologie) dans le succès de ces deux cyprinidés ? Peut-on considérer ces espèces comme indicatrices du changement global ?