Quelles sont les perceptions qu'ont les petits paysans d'une localité de l'Amazonie Orientale brésilienne de l'évolution des propriétés du milieu qu'ils utilisent pour l'activité agricole ? Comment conçoivent-ils leurs interventions techniques pour guider ou s'adapter à ces évolutions ? En quoi ces perceptions, locales, contingentes, peuvent-elles interroger ou être interrogées par les travaux des agronomes sur la fertilité ? Les populations rurales d'Amazonie, notamment le paysannat, sont l'objet d'innombrables travaux portant sur leurs relations à un territoire : une agriculture paysanne stable est-elle possible en Amazonie ? Toutefois peu de travaux se sont penchés sur les différences de conceptions de ces relations au territoire entre ce que font et pensent les agriculteurs au cours de travaux quotidiens de gestion, et ce que pensent et suggèrent les agronomes. Nous nous proposons dans cet article de représenter de façon compréhensive les modes de gestion agricole de l'espace d'un lot de colonisation par les paysans d'une collectivité de l'Amazonie Orientale brésilienne. Nous utilisons les terminologies et les raisonnements avancés par les paysans pour représenter les successions de cultures sur un même terrain et l'agencement de celles-ci au niveau du lot. Il n'a pas été possible de poser la question de la fertilité des sols aux agriculteurs en dehors de situations concrètes. C'est pourquoi nous avons accompagné l'agriculteur directement sur les différents terrains de l'exploitation et lui avons posé sur place des questions sur les possibilités d'utilisations de ce terrain et son histoire culturale. Cette entrevue réalisée au cours d'un parcours à pied du lot a permis d'ouvrir un espace de discussion plus large sur le thème de la fertilité, et a laissé à l'agriculteur le temps à la formation d'un discours. L'espace du lot n'est pas prédécoupé antérieurement à une décision d'action. Les cinq grandes catégories d'espace sont en fait des types de couvertures végétales qui reflètent plus des unités de gestion du travail que de l'espace. Ces types peuvent être subdivisés selon leurs états actuels et leurs âges. Sur cet espace, la logique d'installation spatiale des nouveaux essarts est une logique de création de frontières : territoires contigus, éviter les risques d'incendies non contrôlés, avoir des frontières simples à expliquer aux ouvriers, accessibilité, etc. La gestion en période d'installation consiste actuellement à construire une fertilité du lot correspondant à une mise en place de pâturages destinés à faire de l'élevage bovin extensif. Dans cette trajectoire vers une installation de l'élevage bovin extensif, les agriculteurs ne précisent pas le type final d'exploitation qui peut être une combinaison très variable entre prairie, cultures annuelles, pérennes et forêt avec des effets très différents sur la durabilité des exploitations. Par contre on observe, à la marge, des expériences qui sont susceptibles de représenter une trajectoire différente de construction de la fertilité, c'est le cas d'une culture pérenne introduite dans notre localité d'étude. Entre-temps, ce qui compte semble une gestion de la fertilité permettant de maximiser la productivité du travail. Cette gestion consiste exclusivement en un contrôle de la présence des adventices. Donc, la seule variabilité qui existe actuellement est la gestion de la durée de vie des parcelles agricoles avant leur passage en prairies, plus que le niveau final de fertilité du lot en fin de première phase. Ce sont donc les seules pratiques qui ont des chances d'être mises en discussion avec des techniciens et qui sont susceptibles de changements, dans le cadre d'un projet qui s'intéresse à la durabilité sur place. Cette analyse nous permet ainsi de nous interroger, en conclusion, sur les possibilités de concevoir des ponts entre les conceptions des paysans amazoniens et celles des agronomes, afin de pouvoir trouver des points d'ancrage d'un dialogue technique sur la gestion de l'espace entre ces deux types de personnages.