Une plante méditerranéenne, témoin des changements environnementaux passés au Sahara
Résumé
Vaste étendue de sable inhospitalière, dépourvue de vie, voilà comment le désert du Sahara est le plus souvent perçu. Pourtant, au sud de l’Algérie et au Tchad existent des massifs, tels que le Hoggar, la Tassili n’Ajjer, l’Immidir ou le Tibesti, qui ont très vite retenu l’attention des botanistes lors des premières explorations sahariennes, il y a plus d’un siècle. Au-dessus de 1500 mètres d’altitude coexistent des plantes d’origines biogéographiques diverses, avec en particulier des espèces d’affinité méditerranéenne tels que laurier-rose, olivier, myrte, cyprès, globulaire, lavandes, ce qui a de quoi étonner à plus de mille kilomètres des rivages de la Méditerranée ! Comprendre l’histoire évolutive de ces plantes persistant dans ces montagnes refuges, revient également à analyser l’origine et la mise en place de la flore au sein du carrefour biogéographique qu’est la région méditerranéenne. Cette situation unique d’espèces d’origine méditerranéenne piégées dans les montagnes du Sahara central peut fournir également des enseignements précieux dans la compréhension des capacités de persistance ou d’adaptation des végétaux face aux changements globaux, notamment climatiques, annoncés. Les relations biogéographiques supposées entre le Sahara et la Méditerranée ont pu être décryptées, grâce à une vaste étude réalisée sur le genre Myrtus, seul genre parmi 5600 espèces de Myrtaceae à avoir colonisé ces régions. Les approches de phylogéographie et de génétique des populations développées dans cette étude ont été intégratives, en combinant données génétiques (séquences ADN chloroplastique et nucléaire, scans génomiques AFLP et microsatellites) et données fossiles. Le genre Myrtus constitue ainsi une archive évolutive précieuse pour mieux comprendre le rôle du Sahara, tour à tour barrière à la migration durant les phases arides, mais aussi territoire d’échanges et de contacts des flores lors des épisodes pluviaux du Pléistocène, à l’époque du fameux Sahara vert. Coupler génétique et paléobotanique permet donc de révéler de manière inédite les événements de migration du Myrte survenus depuis la Méditerranée vers le Sahara il y a 1,4-1,1 Ma. L’étude suggère l’existence de corridors biologiques qui ont facilité ces multiples dispersions vers le Sud, et analyse les conséquences évolutives de la fragmentation et de l’isolement des populations de Myrte, refugiées dans les massifs du Sahara central lors de l’aridification du Grand désert qui a débuté il y a environ 5000 ans.