Les vins de qualité ou l'inlassable arbitrage des compétences à juger.
Résumé
Cette histoire récente des signes de qualité vinicole fait apparaître deux conceptions du fonctionnement des marchés. Pour les tenants des marques, le buveur, en tant que consommateur final, est le seul à être habilité à décider de ce qui est bon. Cette notion serait même selon Lisbeth Cohen au centre de la conception américaine démocratique des marchés (Cohen, 2003). Dans la mesure où ils n’adhèrent pas au goût des consommateurs, aucun signe de qualité, aucun expert ne saurait s’y substituer pour guider son choix ; ils sont donc alors toujours interprétés comme des entraves au « libre fonctionnement des marchés ». Cette conception s’inverse chez les Européens pour qui les consommateurs ne sont pas les seuls à pouvoir prétendre juger ce qu’est la qualité. Incompétents, mal informés, ils peuvent aisément se tromper et laminer les efforts des producteurs pour élaborer de bons vins. Ce fut donc pour se prémunir des effets néfastes de l’incapacité des acheteurs à appuyer leurs choix sur la qualité des vins que les signes de qualité furent inventés. Initialement prise en charge et discutée par une poignée d’administrateurs, puis de professionnels, cette question de la qualité n’a cessé au fil des réinterprétations d’élargir le nombre des personnes concernées par la discussion de la qualité. Mais il reste que la mise en marché des vins de qualité continue de penser la production de l’accord entre les buveurs et les vins comme une éducation ou une formation des buveurs à une qualité organisée comme une compétition entre les producteurs.
Le conflit qui oppose les vins européens aux vins du nouveau monde n’est donc pas tant un affrontement économique concurrentiel qu’une différence d’arbitrage au sujet de la reconnaissance de compétence à juger la qualité des produits.
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