L'image courante, triomphale, de la modernité est un leurre derrière lequel se cachent ses véritables chemins, toujours embrouillés et incertains. De cette thèse, l'histoire de la transformation des campagnes françaises de 1930 à 1960 fournit une excellente illustration. Loin, en effet, d'avoir servi de cadre à une évolution naturelle, inexorable vers la modernité, ces décennies ont vu se développer un mouvement, complexe et multiforme, de modernisation. Celui-ci a associé trois principaux courants : le planisme agricole, le corporatisme agrarien et, enfin, la Jeunesse agricole catholique (JAC) et le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Se côtoyant, s'opposant ou se conjuguant tout à tour, ces trois grands acteurs collectifs ont littéralement co-produit le paysan productiviste et permis la promulgation des célèbres lois Pisani de 1960 et 1962. Dans l'analyse de cette transformation, une place particulière est accordée à la JAC. C'est en effet elle qui, par sa conception religieuse du progrès et sa pédagogie émancipatrice, a le plus contribué au succès du productivisme en agriculture.