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Article Dans Une Revue Subaqua Année : 2017

MAGNIFIQUES ET INCROYABLES BÉLUGAS

Résumé

En plus de sa couleur immaculée, sa beauté, sa dextérité, ses vocalises lui ayant valu le nom de canari des mers, la baleine blanche ou béluga (Delphinapterus leucas) est capable de répondre très rapidement aux changements de son environnement. Une étude récente le montre. Le béluga est une espèce de cétacé appartenant à la famille des Monodontidae vivant exclusivement dans les eaux arctiques et subarctiques, entre 50 et 80° Nord. Ce magnifi que animal a encore été très peu étudié dans son milieu naturel d'où l'intérêt de vous présenter des résultats fascinants parmi les plus ré-cents à son propos. Face au changement climatique, la question est po-sée de savoir comment les espèces réagissent ou ré-agiront. La question est d'autant plus critique que la Recherche raisonne aussi à l'échelle de populations d'individus, or on sait aujourd'hui que la variabilité est souvent de mise au sein d'une même espèce, au regard de la population qu'elle constitue, du lieu géographique où elle vit, des contraintes environne-mentales auxquelles elle est confrontée, etc. Un très bel exemple de tout cela a été publié à la fi n de l'année 2016 dans l'excellent journal Global Change Biology à propos de la migration annuelle de certains bélugas dans les eaux glacées de l'Alaska. Donna D. W. Hauser et ses collègues ont pu montrer que certaines populations de ces mammifères ma-rins semblent affectées par les changements liés à la fonte de la glace de mer et ont mis en place une ré-ponse comportementale qui lui est directement asso-ciée. Mais l'étude révèle aussi que d'autres groupes d'animaux n'ont rien changé à leurs habitudes. L'étude menée par l'université de Washington nous révèle que la glace de mer Arctique prenant au-jourd'hui plus de temps pour geler et se former pendant l'automne, et ce, bien sûr en raison du chan-gement climatique et du réchauffement planétaire, une population de bélugas (ces animaux étant très sociaux et vivant toujours en groupe) a répondu à ce changement en retardant également sa migration vers le sud d'environ un mois. Je dis « une » population car il a aussi été constaté que d'autres groupes n'agissent pas de la sorte et ont conservé le timing habituel de leur migration. Le message ici est en fait très clair : certains animaux sont capables de répondre très rapidement au changement de leur environnement. Toutefois la réponse n'est pas uniforme et il semble exclu de penser que tous les animaux répondent ou répondront de la même fa-çon. Ce résultat est tout à la fois très intéressant et très important car il suggère fortement que si l'on essaie de comprendre comment ces espèces vont répondre au changement climatique, il faudra garder à l'esprit l'existence d'une certaine variabilité au sein des populations et au cours du temps. Et, bien sûr, cela complique un peu les prédictions car prendre en compte cette variabilité, ce caractère individuel, peut être un casse-tête pour les modélisateurs. Ceci dit, on voit là encore que chaque individu est unique (comme je l'ai d'ailleurs écrit dans un précédent Su-baqua à propos du grand requin blanc et de ses stra-tégies de chasse et d'occupation du territoire). Dans le détail, à partir d'animaux balisés dans les années 1990 puis 2000 et suivis par satellite, mais aussi grâce à des analyses acoustiques effectuées par microphones immergés pendant plusieurs an-nées, l'étude nous indique que deux populations de bélugas génétiquement différentes passent l'hiver dans la mer de Béring puis nagent vers le nord au début de l'été quand la glace de mer commence à fondre et se mélanger à l'océan, ouvrant alors des passages dans les mers de Beaufort et Chukchi. Là, les animaux se répartissent dans ces deux aires et se nourrissent durant tout l'été avant de repartir vers le sud à l'automne. Des observations passées ont sug-géré que les cétacés apprennent de leur mère quand migrer et quelle route suivre. C'est la population de bélugas de Chukchi qui répond en retardant sa migration et qui laisse à croire que les animaux profi tent plus longtemps de la possibilité de se nourrir jusqu'en automne. Est-ce vraiment le cas ? La question reste un peu en suspens car si l'on comprend bien que ce retard de migration offre la possibilité de se nourrir plus et plus longtemps, d'un autre côté les animaux prennent aussi le risque de rester bloqués si la glace prend soudainement et les MAGNIFIQUES ET INCROYABLES BÉLUGAS © DR © DR APPEL À CONTRIBUTION Vous venez de publier un article scientifi que et vous voulez nous le faire connaître. Contactez notre collaborateur : stephan.jacquet@inra.fr emprisonne dans cette zone. À l'inverse, on l'aura compris, la population de Beau-fort semble indifférente au timing de fonte de la glace, ce qui a considérablement surpris les chercheurs qui ne s'attendaient pas à une telle dichotomie au sein de l'espèce, étant donné que les deux populations d'animaux fréquentent les mêmes zones de nourrissage et semblent avoir la même histoire de vie. C'est pourtant bien le cas, faisant expliquer aux auteurs de l'étude que la population de baleines de Beaufort a sûrement une tradition alimentaire différente requérant le fait qu'elles bougent plus tôt à l'automne, quel que soit l'état de la glace. Ce qui est assez incroyable et d'ores et déjà perceptible, c'est que pour des ani-maux qui vivent en moyenne 60 ans, ce comportement semble s'être mis en place en moins de 10 ans, la migration héritée de multiples générations précédentes étant donc facilement modifi able. « This all suggests that beluga whales can respond to their changing Arctic conditions , although all populations will not necessarily respond the same. » Ce constat appelle donc plusieurs autres questions, ce qui est un adage bien connu en Re-cherche. Comme les bélugas sont des animaux encore relativement peu connus car vivant là où l'Homme est peu présent, dans des conditions de froid extrême, il reste critique d'affi ner cette analyse notamment en étant capable de suivre la migration et la trajectoire suivies par des animaux (en l'occurrence ici de spécimens issus des deux populations) pour tenter de comprendre si et comment ces comportements sont bénéfi ciaires aux animaux ou au détriment de leur santé. Parmi les questions sous-jacentes posées par cette étude, on reconnaît souvent au béluga d'être doté d'un des sonars les plus sophistiqués de tous les cétacés, peut-être parce qu'il lui est indispensable pour s'orienter et se repérer dans les canaux de glace immergés, qui forment un véritable labyrinthe. Est-ce là une piste à explorer ? Ce qui est clair, c'est que les bélugas montrent une incroyable capacité à s'adapter aux changements rapides de leur environnement. Parions qu'ils le font dans leur intérêt et que la Science le montrera rapidement. Cela permettra peut-être aussi de favoriser la mise en place de mesures pour préserver l'espèce si nécessaire. ■ L'article qui a inspiré cet article :
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hal-02916411 , version 1 (17-08-2020)

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Citer

Stéphan Jacquet. MAGNIFIQUES ET INCROYABLES BÉLUGAS. Subaqua, 2017. ⟨hal-02916411⟩
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