Le nombre de signalements de grands dépérissements forestiers dans le monde a été multiplié par trois depuis une quinzaine d’années. Depuis une décennie, les forêts d’Europe de l’ouest connaissent des dépérissements plus fréquents, sur de plus grandes surfaces et avec un taux de mortalité plus fort, en raison de déficits hydriques répétés. D’une sévérité marquante par rapport au régime régional de perturbations naturelles, ces crises sanitaires contemporaines affectent la dynamique de la mosaïque forestière et peuvent modifier le régime régional de perturbations naturelles jusqu’à mettre en péril la résilience forestière. A travers l’analyse de la littérature internationale (et notamment de plusieurs méta-analyses récentes) et des résultats de plusieurs cas d’étude (chênaies de la région Centre val-de-Loire, sapinières pyrénéennes, pessières bavaroises) explorés par des projets INRAE en cours, nous observons comment les processus de dépérissement complexes et évolutifs affectent la structure des peuplements dans plusieurs contextes forestiers. Les dépérissements se traduisent par une transformation profonde de différents compartiments de l’écosystème forestier. La surface terrière des arbres morts augmente avec l’intensité du dépérissement, tout comme le volume et la diversité du bois mort, et la densité de certains dendromicrohabitats à ontogenèse rapide (branches morts du houppier, coulées de sève, champignons saprolignicoles…). Le profil de bois mort est significativement modifié, au profit des gros bois morts, et l’hétérogénéité du stock de dendromicrohabitats accrue. La défoliation partielle de la canopée a des effets sur la quantité et la qualité de feuillage, mais aussi sur les conditions abiotiques, avec des changements de moyenne et d’amplitude des valeurs. Les dépérissements ont ainsi des conséquences sur les habitats, par la quantité et la qualité des ressources trophiques et des conditions de vie pour la biodiversité forestière. Un panorama des cas d’étude nationaux et internationaux nous montre des réponses contrastées des guildes biotiques. Pour les guildes favorisées par les pulses de ressources associés aux épisodes de dépérissements, les crises sont favorables à la résurgence d’espèces rares dont le renforcement des effectifs accroît la détectabilité. En sus de leurs multiples effets locaux, les dépérissements à large échelle affectent la composition des paysages forestiers et induisent des effets régionaux sur la biodiversité locale. Les peuplements dépérissants font souvent l’objet de travaux de récoltes « sanitaires » ou d’exploitation des « produits accidentels » (« salvage logging »), dont l’impact écologique est significatif sur les conditions d’habitat, avec des effets délétères sur de nombreux groupes typiquement forestiers, et des effets positifs sur les espèces de milieu ouvert, induisant ainsi un changement des communautés dont la composition s’éloigne des assemblages forestiers. Pour ne pas sacrifier les bénéfices des perturbations sur la biodiversité, et dans le respect des équilibres économiques et phytosanitaires, une sylviculture de rétention peut être réfléchie pour profiter de la crise, en visant des récoltes sanitaires sélectives. Des simulations fondées sur des données empiriques montrent un effet de seuil autour de 75% de surface dépérissante non exploitée, une valeur variable selon les groupes, pour le maintien d’au moins 90% de la diversité spécifique des espèces forestières.