Analyse métabolomique de la symbiose entre le puceron Acyrthosiphon pisum et la bactérie Buchnera aphidicola
Abstract
En colonisant de nombreuses légumineuses d’intérêt agronomique (pois, fève, lentille, luzerne), le puceron du pois Acyrthosiphon pisum est un ravageur notable des cultures en régions tempérées. Les dégâts qu’il occasionne sont liés d’une part à la ponction de sève phloémienne qui affaiblit la plante, et d’autre part à sa capacité à transmettre de très nombreux virus végétaux phytopathogènes.
La sève phloémienne dont se nourrissent les pucerons est un milieu riche en sucres et en certains acides aminés transporteurs d’azote, et particulièrement carencé en vitamines et acides aminés essentiels (non synthétisables par les animaux). L’adaptation du puceron à cette source alimentaire déséquilibrée et variable repose sur l’établissement d’une symbiose obligatoire avec une bactérie intracellulaire : Buchnera aphidicola. En effet, les études physiologiques conduites dans les années antérieures ont démontré le rôle nutritionnel de B. aphidicola dans la fourniture au puceron des acides aminés essentiels déficients dans la sève phloémienne des plantes (Liadouze et al., 1995 ; 1996). Dans ce travail, nous étudions l’impact de la bactérie sur le métabolisme global du puceron.
Dans cette perspective, nous avons comparé le métabolome des pucerons symbiotiques témoins élevés 8 jours sur plants de fève (Vicia fabae), à celui des pucerons aposymbiotiques (dont la bactérie a été éliminée par un traitement antibiotique de 2 jours sur milieu artificiel puis élevés 6 jours sur plantes) ; des pucerons contrôles ont été élevés 2 jours sur milieu artificiel sans antibiotique puis 6 jours sur plantes.
Pour analyser le métabolome de la manière la plus exhaustive, chaque échantillon a été extrait successivement avec 4 solvants de polarité croissante (hexane, acétate d’éthyle, méthanol et eau) conduisant à une extraction totale de 37 % à 51% de la masse de matière sèche de puceron. Sur des combinaisons de ces extraits, deux approches distinctes ont été conduites : (i) une approche ciblée de type profilage métabolique de plusieurs classes de métabolites : (acides aminés par HPLC/fluorimétrie, et sucres, acides organiques, acides gras par GC/MS) ; (ii) une approche non ciblée de type empreinte métabolique par UHPLC/DAD/QTOF. Ces deux types d’approche nous permettent ainsi d’appréhender aussi bien le métabolisme primaire que le métabolisme secondaire du puceron.
L’ensemble des données provenant des différentes techniques chromatographiques ont été normalisées puis compilées au sein d’une même matrice.
L’analyse en composantes principales de cette matrice (328 composés caractérisés) sépare les pucerons symbiotiques (témoins et contrôles) des pucerons aposymbiotiques (axe 1 / 28%), et montre aussi l’impact des 2 jours de culture sur milieu artificiel des pucerons symbiotiques (axe 3 / 14%). Cette analyse descriptive met ainsi en évidence des composés discriminants entre les trois conditions biologiques.
L’analyse statistique (ANOVA) montre que plus de 40% des métabolites détectés ou identifiés sont significativement discriminants entre les différentes conditions biologiques, dont 19% sont des métabolites primaires et 23% des secondaires.
Cette analyse métabolomique globale révèle l’impact important de la bactérie sur le métabolisme du puceron, tant sur les composés liés directement à la croissance et la reproduction (métabolisme primaire) que sur les composés du métabolisme secondaire. Cette influence se caractérise, selon les composés analysés, par une accumulation ou une déficience significative dans les pucerons aposymbiotiques par rapport aux symbiotiques.