Si la vigne n’occupe que 3% de la surface agricole utile française, elle consomme près de 20% des volumes de pesticides consommés. Et comme la voie principale de transfert des pesticides dans l’environnement est aérienne, se pose aussi la question du risque pour la santé humaine, celle des agriculteurs comme du voisinage. Face à ces risques environnementaux et sanitaires, un meilleur ajustement des conduites de culture avec des itinéraires à bas intrants se heurte à la prise de risque productif et économique que cela induit pour le viticulteur s’il ne traite pas assez. En effet, les pesticides constituent aujourd’hui la recette idéale pour sécuriser le rendement. Ne pas traiter, c’est prendre le risque de voir sa récolte ravagée ou son vin non commercialisable en cas d’attaque même partielle de maladie qui altérerait la qualité des raisins. Une solution nouvelle émerge aujourd’hui sous la forme de variétés résistantes aux maladies de la vigne, obtenues par croisement de cépages traditionnels avec des espèces de vignes sauvages résistantes aux maladies. L’utilisation de ces nouvelles variétés permet alors de réduire de près de 90% les doses de fongicides appliquées, diminuant à la fois le risque productif, sanitaire et environnemental. Mais tous ces avantages sont contrebalancés par l’incertitude qui pèse sur la qualité des vins produits avec des cépages inconnus, car nouveaux. La vinification des cépages traditionnels renvoie à une construction collective et individuelle de longue date qui a vu se capitaliser les bonnes pratiques. Dans le cas d’un vin nouveau, tout et à construire, avec le risque de produire un vin peu qualitatif au départ. En outre, il ne faut pas seulement que le vin soit bon, il doit aussi satisfaire à l’exigence d’une typicité spécifique revendiquée par chaque appellation comme un référent qualitatif et d’origine. Alors que les pratiques de culture, de vendange et de vinification peuvent varier sur un même territoire, les cépages emblématiques de l’appellation constituent un patrimoine commun sur laquelle elle fonde son identité. De fait, la Bourgogne s’identifie au Pinot et au Chardonnay, le Beaujolais au Gamay, la Loire au Sauvignon et au Cabernet Franc, les Côtes-du-rhône à la Syrah et au Grenache, la Gironde au Cabernet Sauvignon et Merlot,… Autant de terroir, autant de cépages identitaires. Changer de cépages induit donc autant un risque commercial que celui d’une perte d’identité. Le texte proposé vise à explorer le rapport à ces différents risques chez des viticulteurs adoptant les nouveaux cépages résistants et la manière dont ils pondèrent ces risques en fonction des contextes sociogéographiques des territoires dans lesquels ils exercent. Au travers d’une enquête auprès d’une vingtaine de pionniers des cépages résistants en France et à l’Etranger (avec donc des contraintes de lieux et d’origine différenciées), nous avons cherché à leur rapport à ces différents risques et la manière dont ils les pondéraient pour décider d’implanter ces nouveaux cépages. L’analyse de la perception et de l’acceptabilité du risque met en perspective les relations entre les connaissances, les représentations du risque et les conduites selon des modes de jugements différents, en référence avec des registres relationnels et institutionnels distincts.