(Bio)porodi rekk ? Structuration des savoirs paysans de protection des cultures et dépendance aux pesticides en maraîchage – Cas d’une commune maraîchère de la zone des Niayes (Sénégal)
Abstract
In Senegal, the use of pesticides in vegetable production is a widespread and persistent practice. This situation is apparent from the synthetic formula 'porodi rekk' ('just pesticides' in Wolof), by which vegetable producers usually summarise their approach to pest management. The aim of this paper is to explore the knowledge of vegetable producers regarding crop protection, and to analyse the contribution of such knowledge to the reproduction of chemical pest control in the Senegalese vegetable sector. To this end, this paper analyses how this knowledge is structured by the material and social network with which it is associated, and how this knowledge in turn structures the practices of vegetable producers. The chosen method consisted in a case study centred on a (anonymised) commune in the Niayes area – the main vegetable production basin in Senegal. Forty-eight (48) semi-structured interviews were conducted with vegetable producers and pesticide dealers, before being analysed by inductive coding. The results show that the knowledge of vegetable producers is structured doubly i) by informal exchanges of advice between actors and ii) by an empirical-sensory understanding of pesticides and their effectiveness. This mode of structuration ensures the continued and incremental production of crop protection knowledge that includes i) a peasant classification of pesticides, ii) a dominant representation of the causes of phytosanitary problems, iii) an evolving knowledge of the most effective chemical treatments – but also iv) a large ignorance of the risks caused by chemical control on health and the environment. Finally, the current innovation process in vegetable crop protection – and the material and social network that underpins it – ensures the continuous improvement and reproduction of chemical control. Paradoxically, the promotion of biopesticides by certain development organisations and projects is aggravating the invisibilisation of the rare peasant' alternative knowledge. Beyond the role of knowledge, the literature suggests that the persistence of chemical control in the Senegalese vegetable sector is more broadly the result of a threefold political-institutional, technical-economic, and socio-cognitive lock-in.
Au Sénégal, le recours aux pesticides en maraîchage est une pratique généralisée et persistante. Cette situation est illustrée par la formule synthétique « porodi rekk » (« juste les pesticides » en wolof), par laquelle les maraîchers résument usuellement leur approche de la gestion des nuisibles. L’objectif de cet article est d’explorer les savoirs paysans de protection des cultures maraîchères, puis d’analyser la contribution de ces savoirs à la reproduction de la lutte chimique à l’échelle du secteur maraîcher sénégalais. Pour ce faire, le présent article analyse comment ces savoirs sont structurés par le réseau matériel et social qui leur est associé, et comment ces savoirs structurent à leur tour les pratiques des maraîchers. La méthode retenue a consisté en une étude de cas centrée sur une commune (anonymisée) de la zone des Niayes – principal bassin de production de légumes au Sénégal. Quarante-huit (48) entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de maraîchers et de revendeurs de pesticides, principalement, avant d’être analysés par codage inductif. Il ressort que les savoirs des maraîchers sont doublement structurés i) par leur mise en partage dans des réseaux informels de conseil et ii) une appréhension empirico-sensorielle des pesticides et de leur efficacité. Ce mode de structuration assure la production continue et incrémentale de savoirs de protection des cultures qui comportent i) une classification paysanne des pesticides, ii) une représentation dominante des causes des problèmes phytosanitaires, iii) une connaissance évolutive des traitements chimiques les plus efficaces – mais également iv) une large ignorance des risques occasionnés par la lutte chimique sur la santé et l’environnement. Finalement, le processus d’innovation en vigueur en matière de protection des cultures maraîchères – et le réseau matériel et social qui le sous-tend – assurent l’amélioration continue et la reproduction de la lutte chimique. Paradoxalement, la promotion des biopesticides ou traitements « bio », assurée par certains organismes et projets de développements, aggrave l’invisibilisation des rares savoirs paysans alternatifs. Au-delà du rôle des savoirs, la littérature suggère que la persistance de la lutte chimique au niveau du secteur maraîcher sénégalais découle plus généralement d’un triple verrouillage politico-institutionnel, technico-économique et socio-cognitif.