Semences et propriété intellectuelle - INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Rapport Année : 2023

Semences et propriété intellectuelle

Résumé

Parviendrons-nous à adapter les systèmes agricoles et alimentaires au dérèglement climatique tout en préservant la biodiversité et les ressources naturelles ? Les expertises scientifiques conduisent à en douter sérieusement. Face à ces menaces et à ces enjeux, il est essentiel de mobiliser toutes les énergies, toutes les capacités de recherche et d’innovation, afin d’accroître la diversité des systèmes agricoles : diversité intra et interspécifique, diversité des systèmes de production, diversité des paysages agricoles, diversité des acteurs. Face à ces menaces et à ces enjeux, la diversité sous toutes ses formes constitue en effet la meilleure assurance, la clé de la robustesse et donc de la capacité d’adaptation. Alors que le paradigme dominant de la variété distincte, homogène et stable (DHS) a conduit à adapter le milieu de culture à la semence, il faudra dans de nombreux cas faire l’inverse : adapter les semences aux caractéristiques des agroécosystèmes. Une plus grande intégration de la création variétale et de l’agronomie système s’avère essentielle pour opérer un tel changement et réussir la transition agroécologique. Dans ce cadre, la protection intellectuelle dans le domaine de la sélection variétale doit soutenir une activité de création variétale accrue et diversifiée au service de tous les systèmes de culture et non la freiner. Avec les techniques d’ingénierie génétique, le brevet d’invention est entré dans le monde des semences. Cette transformation a été l’un des moteurs de la concentration des entreprises qui a atteint des niveaux inquiétants. En témoigne la situation aux Etats-Unis où l’USDA, ministère de l’agriculture, juge très préoccupante la concentration dans les segments de marchés marqués par une utilisation généralisée des OGM protégés par brevets (maïs, soja, coton). L’Europe a jusque-là été relativement protégée de ce mouvement du fait de l’embargo de facto sur l’utilisation des OGM en culture et du fait d’une législation qui interdit de breveter la variété végétale. Pour la très grande majorité des acteurs européens impliqués, le Certificat d’Obtention Végétale (COV) doit rester le pilier de la protection de la propriété intellectuelle des variétés végétales or ce COV se trouve fragilisé : - Le COV permet une innovation ouverte, c’est-à-dire qui résulte d’un échange intensif de connaissances et de ressources génétiques entre une diversité d’acteurs, et il a largement fait la preuve de son efficacité. Ce système est d’une étonnante modernité pour promouvoir l’innovation combinatoire qui est clé pour les domaines à fort contenu informationnel. Dans de tels domaines, c’est en effet la combinaison originale d’un ensemble d’éléments qui fait la valeur de la variété. Aussi, il est essentiel d’éviter que les brevets sur les traits limitent les possibilités de création de combinaisons originales. - Au cours du temps, le COV a évolué pour s’adapter à l’évolution technologique. En particulier, la convention UPOV de 1991 a introduit le concept d’essentielle dérivation. La protection accordée par un COV s’étend aux variétés essentiellement dérivées (VED), ce qui permet de prendre acte des possibilités de différenciation parasite plus rapides avec l’évolution des techniques. Pour autant, cette innovation conceptuelle n’a pas été véritablement travaillée, notamment pour opérationnaliser le concept de « caractère essentiel ». - Bien qu’en Europe les variétés en tant que telles ne soient pas brevetables, elles peuvent être dépendantes de brevets qui revendiquent des caractères génétiques ou traits. Cette interférence entre brevet et COV a fait l’objet d’une grande attention. En 2016, la France a introduit dans la loi l’interdiction de breveter des caractères dits natifs (i.e. qui peuvent être introduits par des techniques de croisement/sélection). Cette disposition renforce la règle d’exclusion à la brevetabilité. Cette exclusion a été reprise dans le règlement technique de l’Office Européen des Brevets (OEB). Néanmoins, cette disposition n’est pas systématiquement appliquée comme en témoignent de nombreux exemples. De plus, elle fait peser la charge de la preuve sur l’entreprise qui ne détient pas de brevet. De ce fait, des ressources génétiques pourtant présentes dans les pays et obtenues par croisement et sélection se trouvent confisquées par des brevets. Cette situation inquiète également les pays détenteurs de ressources génétiques et a relancé des débats à la Convention sur la Diversité Biologique sur l’ouverture des données de séquence et le partage des avantages liés à l’utilisation de ces connaissances. Dans ce contexte, de nombreux acteurs considèrent qu’il est très difficile de s’assurer de la liberté d’opérer (Freedom to operate) lorsque l’on crée une variété nouvelle car : (i) le cadre réglementaire est flou et sujet à des interprétations diverses ; (ii) les offices de brevets n’ont pas les compétences pour appliquer strictement les règles d’exclusion à la brevetabilité et (iii) l’accès à l’information sur le champ des brevets est complexe et coûteux. Les acteurs du secteur parlent de « buisson de brevets », voire de « champ de mines » pour décrire cette situation. Différentes initiatives privées ont été prises pour tenter de résoudre le problème de l’information et celui de l’accès : (i) la base de données PINTO d’Euroseeds où les entreprises propriétaires de brevets déclarent les caractères et les plantes qui en sont dépendantes ; (ii) les plateformes International Licensing Platform (ILP- pour les semences potagères) et Agricultural Crops Licensing Platform (ACLP- pour les semences de grande). La base de données PINTO vise à assurer la transparence de l’information sur la portée des brevets indispensable pour la FTO. Les plateformes facilitent l’accès : les participants s’engagent à concéder des licences non exclusives sur leurs brevets, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND). Néanmoins, ces dispositifs de droit privé n’offrent aucune garantie à moyen et long terme. De plus, il est très probable qu’avec l’évolution technologique, l’empilement de caractères devienne systématique. D’ores et déjà, de nombreuses variétés OGM sont modifiées pour deux caractères ou plus. L’empilement de caractères brevetés dans une même variété augmentera de façon insupportable l’incertitude et les coûts de transaction. En conséquence, le principe de libre-accès aux ressources génétiques est donc fortement menacé. Ces quarante dernières années ont vu une extension du domaine de la brevetabilité qui conduit à une restriction de l’espace des recherches pré-compétitives et publiques. L’observation vaut autant pour les connaissances scientifiques fondamentales que pour les organismes vivants. Même si la résistance s’est organisée en Europe et dans d’autres parties du monde, le brevet du vivant a considérablement progressé, imposant dans le monde vivant des conceptions empruntées au monde de la mécanique et de la chimie. Pour des raisons à la fois philosophiques, pragmatiques et politiques, le CES considère qu’il est essentiel de remettre en cause cette évolution et de restaurer un régime de propriété qui garantisse véritablement le libre-accès aux ressources génétiques comme source de variabilité pour la création de variétés nouvelles.
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semae-fr_20231215_comite-des-enjeux-societaux-semences-et-propriete-intellectuelle-avis-numero-2-decembre2023 vDOI.pdf (628.85 Ko) Télécharger le fichier
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Dates et versions

hal-04485444 , version 1 (05-03-2024)

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Citer

Pierre-Benoît Joly, Anne-Françoise Adam-Blondon, Denis Couvet, Michel Dron, Virginie Durin, et al.. Semences et propriété intellectuelle. Comité des Enjeux Sociétaux de SEMAE, Avis n°2. 2023. ⟨hal-04485444⟩
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