Gendarme de Saint-Tropez ou de Trifouillis-les-Oies ? Ce que les différenciations socio-territoriales font au champ professionnel des gendarmes, et vice-versa
Résumé
La question des limites de la ville est un enjeu central dans le champ policier français, car sur elles repose la définition des territoires de compétence des deux forces de police nationale : à la Police nationale revient le contrôle policier des espaces urbains (plus précisément, les villes de 20 mille habitants ou tout espace avec une « criminalité urbaine »), et à la Gendarmerie nationale, le reste du territoire (lui étant donc réservés les espaces ruraux et périurbains). « Urbain » et « rural » sont donc ici des catégories de la pratique, institutionnelles, et plus précisément gouvernementales, voire régaliennes : derrière ce partage il y a l'idée que chacun de ces deux types de territoire doit être contrôlé, surveillé, de manière spécifique. En ville, une force civile avec une division du travail spécialisé et des rapports impersonnels avec les gouverné.es ; à la campagne, une force militaire polyvalente et caractérisée par l'immersion des agents dans l'interconnaissance locale (Mouhanna, 2011).
Il s'agit d'une définition des limites de compétence des institutions policière qui date du milieu du XXe siècle (Berlère & Lévy, 2013) et qui, depuis, s'est vu questionné non seulement par l'extension de l'urbanisation, laquelle a confronté la gendarmerie à la « question périurbaine » (Dieu, 1997 ; Mucchielli, 2003), mais aussi en raison des contraintes économiques en termes d' « efficience » des services publiques (Bézès, 2009) qui, en gendarmerie, ont remis en cause la distribution et la densité du réseau des brigades par rapport notamment aux territoires les moins denses.
A partir d'une enquête réalisée auprès des sous-officièr.es des brigades territoriales de gendarmerie départementale (en charge des fonctions de police judiciaire et administrative dans les territoires sous juridiction de la GN), je propose d'analyser les catégorisations, stratégies et expériences des sous-officièr.es vis-à-vis de leurs territoires d'affectation, au regard de leurs trajectoires sociales (spatialement situées) et leurs positions dans leur champ professionnel - l'usage de l'écriture inclusive renvoyant dans ce texte à la prise en compte du genre dans l'analyse de ces trajectoires et expériences (Elguezabal, 2022). Comment les gendarmes des brigades vivent-iels la limite du territoire de compétence vis-à-vis de la PN, soit l'impossibilité de principe d'une affectation dans une brigade qui serait « urbaine » ? Est-ce que leurs différents territoires d'affectation possible se valent ou y a-t-il des hiérarchies ? Comment les gendarmes classent-iels ces territoires, selon quels critères et quels enjeux ? Le point de départ de la communication sera celui du rapport des sous-officier.es aux territoires « urbains » dont iels sont en principe à l'écart, pour passer ensuite aux catégorisations territoriales observées dans les discours des gendarmes (et informant leurs pratiques) pendant mon enquête, et enfin l'analyse approfondie des expériences dans quelques territoires concrets.