Cet article sur le goût propose d'éviter un point de vue aujourd'hui hégémonique au sein des sciences sociales et qui conçoit le goût comme distinction ou différenciation sociale. Il vise à montrer au final que les limites d'une lecture détachée et ascétique du goût où les objets perdent leur spécificité et deviennent simplement des excuses pour la reproduction de formes standardisées de distinction sociale. A cette fin, il s'appuie sur le cas du vin, se centrant sur la manière dont l'amateur développe ses relations avec cette boisson culturellement très riche. Si quelques amateurs utilisent la dégustation à l'aveugle pour s'assurer que leur goût est la seule expression du vin hors de toute influence sociologique, la plupart d'entre eux n'essayent pas de débrouiller leur expérience du vin de son contexte social, ni de contrôler leur propre expérience pour en donner une appréciation détachée de l'objet. Au contraire, le contexte procure un grand nombre de ressources pour produire un arrangement spécifique à chaque occasion de boire. D'autres amateurs engagent leur subjectivité dans l'expérience du vin, en thématisant réflexivement leur propre amateurisme. Finalement, l'amour du vin apparaît comme une activité réflexive et équipée qui admet de nombreux formats sélectivement appuyés sur l'objet, le buveur, et le collectif. En essayant d'échapper à l'indifférence critique aussi bien qu'à la différence objective, cet article montre que les sociologues ont beaucoup à apprendre sur le goût à partir de l'activité des amateurs.