Les lignées d'animaux sélectionnés sur un comportement constituent un modèle original pour caractériser les propriétés d'un comportement et élucider ses mécanismes (neurobiologiques, génétiques). Dans ces modèles, les individus de la lignée témoin, non sélectionnée, ne sont pas intermédiaires entre les lignées divergentes mais, assez systématiquement, expriment le comportement étudié à un niveau comparable à l'une des deux lignées divergentes. Deux explications peuvent expliquer ce phénomène : 1/ le test de sélection ne permet d'obtenir des lignées divergentes qui diffèrent de la population témoin uniquement sur le caractère de sélection, ou 2/ les deux lignées divergentes sont bien différentes de la population témoin pour un ensemble de comportements, mais d'autres tests que celui utilisé pour la sélection sont nécessaires pour le révéler. Nous avons voulu savoir ce qu'il en était dans le cadre d'une sélection sur un comportement de peur entreprise chez la caille japonaise (Coturnix japonica). Les lignées utilisées ont été sélectionnées sur leur comportement de peur suite à une contention, appelée immobilité tonique (IT). Les 3 lignées sont : la lignée témoin non sélectionnée (CTI) et les lignées sélectionnées présentant des durées d'immobilité tonique longue (LTI) et courte (STI). La durée d'immobilité de la lignée CTI est beaucoup plus proche de la lignée STI que de la lignée LTI. Les lignées sélectionnées divergent en termes de réactivité émotionnelle car elles diffèrent lors de nombreux tests de peur. Pour essayer d'interpréter l'asymétrie sur le test de sélection, nous avons testé les témoins et les avons comparés aux deux lignées divergentes dans plusieurs tests caractérisant d'autres dimensions de la réactivité émotionnelle. Pour cela, 61 à 64 cailleteaux par lignée ont été observés dans trois situations de peur : les tests de sélection (IT), d'open-field et de néophobie alimentaire. La durée d'IT est significativement différente entre les lignées (P < 0,0001) et l'écart entre la lignée CTI et les STI est plus faible que l'écart CTI-LTI, ce qui est habituel dans ces lignées. Dans le test d'open-field, les cailleteaux CTI se comportent de manière semblable aux cailleteaux LTI avec une distance parcourue et un temps passé en zone périphérique faibles et non significativement différents, ce qui correspond à une réaction de peur importante et semblable. Ces deux lignées présentent des valeurs très inférieures à celles des STI (P < 0,0001) moins apeurées dans cette situation. Lors du test de néophobie alimentaire, la latence des animaux CTI à picorer le nouvel aliment est proche de celle des LTI (P = 0,12) et différente de celles des STI (P = 0,05), alors que leur latence à monter dans le récipient contenant l'aliment est proche de celles des STI (P = 0,15) et différente de celle des LTI (P < 0,05). Le faible écart de durée d'immobilité tonique entre les CTI et STI n'est donc pas lié à une faible divergence entre ces deux lignées. Nos résultats suggèrent davantage que des populations sélectionnées s'éloignent plus ou moins de la population témoin selon les caractéristiques des comportements de peur mesurées. Ces résultats corroborent également l'idée d'une multidimensionnalité du comportement de peur sélectionné chez ces oiseaux.