Performances productives de l’AB : aspects quantitatifs
Résumé
Deux questions sont à l’origine de ce rapport : Pourquoi les productions et les filières françaises en Agriculture Biologique (AB) ne parviennent-elles pas à satisfaire la demande ? Comment l’AB française peut-elle devenir plus productive et plus compétitive ? Pour répondre à ces deux questions, le travail a été organisé en trois axes : le premier est centré sur l’analyse des différentes performances de l’AB à partir d’une revue de la littérature ; le second correspond à des études statistiques visant plus spécifiquement à analyser les performances productives et économiques des exploitations agricoles françaises en AB ; et le troisième est une enquête spécifique sur la compétitivité des filières françaises en AB aux stades de la production, de la collecte et de la transformation, de la distribution et de la consommation. L’analyse montre que l’AB souffre d’un handicap de productivité physique (moindres performances agronomiques et zootechniques) ; que les qualités nutritionnelles, sanitaires et organoleptiques des produits issus de l’AB ne sont pas sensiblement différentes de celles des produits issus de l’Agriculture Conventionnelle (AC) de sorte qu’il est peu probable que les consommateurs de ces produits en tirent un bénéfice significatif en matière de santé, toutes choses égales par ailleurs et en particulier pour des compositions des paniers alimentaires et des modes de vie inchangés ; et qu’il n’est pas possible de conclure à une supériorité ou au contraire une infériorité systématique de l’AB relativement à l’AC en termes de performances économiques des exploitations en AB versus en AC. Les performances environnementales au sens large (consommation de ressources naturelles et protection des biens et services environnementaux) sont plus élevées en AB quand elles sont mesurées par hectare ; l’écart se réduit et parfois s’inverse quand ces performances environnementales sont mesurées par unité de produit du fait des résultats agronomiques et zootechniques moindres en AB qu’en AC. Les performances sociales de l’AB sont globalement positives (contribution positive à l’emploi agricole, plaisir du métier d’agriculteur « retrouvé », contribution positive au développement des territoires ruraux, développement de relations de proximité avec les consommateurs, etc.), mais ces bénéfices sont pour partie au moins contrebalancés par des inconvénients (charge de travail supérieure en AB, inégalité sociale d’accès aux produits issus de l’AB du fait de leurs prix plus élevés que ceux de l’AC, etc.) ; ils ne sont en outre pas l’apanage de la seule AB. De cette analyse ressortent plusieurs implications. Il importe en premier lieu de remédier aux trop nombreuses lacunes des informations aujourd’hui disponibles en développant un système d’information exhaustif et fiable sur les performances productives, économiques, environnementales et sociales de l’AB, en incluant les stades en amont et en aval de l’exploitation agricole (cette recommandation s’applique aussi à l’AC). Il convient en deuxième lieu de ne pas se focaliser à l’excès sur la seule comparaison des performances de l’AB et de l’AC en travaillant également les conditions structurelles qui seraient favorables au développement de l’AB (accès au foncier et de façon plus générale au capital, relâchement des contraintes liées aux conditions de travail plus difficiles en AB, etc.), ceci dans l’objectif de permettre aux agriculteurs une conversion facilitée à l’AB et un maintien pérenne dans ce régime, dans l’objectif aussi d’améliorer les conditions d’exercice et de vie de certains agriculteurs en AB qui ont choisi ce mode de production dans des territoires peu propices à l’AC et ont ainsi permis de maintenir une vie agricole et sociale dans les territoires correspondants. L’amélioration des performances agronomiques et zootechniques de l’AB doit être l’axe prioritaire de recherche, recherche-développement et développement. Il convient de compléter cet axe prioritaire par des travaux sur l’amont des exploitations (matériels et bâtiments) et leur aval (optimisation des processus de transformation de matières premières disponibles dans de plus faibles quantités et de qualités plus hétérogènes, stratégies des différents acteurs de la transformation et de la distribution des produits issus de l’AB, compréhension des comportements de consommation de produits issus de l’AB et analyse de leurs déterminants). Par ailleurs, de nombreux travaux plus génériques peuvent et doivent être conjointement mobilisés pour favoriser le développement de l’AB. Symétriquement, des travaux de recherche spécifiquement consacrés à l’AB peuvent être riches d’enseignements pour d’autres systèmes agricoles et agro-alimentaires. Un des freins principaux au développement de la production agricole biologique française a trait à la formation, initiale et continue, et au conseil en AB. Plus que de multiplier les offres en ces deux domaines, il s’agit prioritairement de les recenser, de les compléter (identification des dimensions insuffisamment couvertes en ne limitant pas aux seuls aspects relatifs à la production), de les structurer et de les certifier. Dans cette perspective, une priorité est d’assurer une capacité de formation et de conseil centrée sur les approches systémiques du fonctionnement des exploitations agricoles en AB appréciées à l’aune des performances productives, économiques, environnementales et sociales, tout en prenant en compte les dimensions spatiales (dépendance des processus et des performances aux conditions locales géographiques, climatiques, économiques, etc.) et temporelles (variabilité dans le temps des performances, degré de résilience, analyses pluriannuelles). En France comme dans de nombreux autres pays, l’AB fait l’objet d’un soutien public croissant qui se matérialise aujourd’hui via le programme Ambition Bio 2017 dévoilé en mai dernier. Ce programme se décline en six axes qui visent, à juste titre et de façon cohérente, la production (axe 1), les filières (axe 2), la consommation et les marchés (axe 3), la recherche et la recherche-développement (axe 4), la formation (axe 5) et enfin la réglementation (axe 6). Sur plusieurs points, le programme reste à ce jour trop général : c’est notamment vrai pour les aspects relatifs (i) au foncier en AB, (ii) à la contractualisation des relations marchandes au sein des filières en AB, et (iii) aux mesures d’encouragement de la consommation, notamment dans la restauration publique hors domicile. Pour ce qui est du point (i), il nous apparaît que le maintien des terres agricoles en AB à l’occasion d’une cession d’activité agricole est souhaitable, au double titre de la construction progressive de la fertilité des sols en AB et des soutiens publics qui ont pu être octroyés au nom d’une exploitation desdites terres en AB. On pourrait également, pour les mêmes raisons, exiger des producteurs qui, après quelques années en AB, y renoncent et optent pour une décertification et/ou une déconversion, de respecter certaines pratiques, plus précisément des exigences minimales sur les plans environnemental et territorial. Pour ce qui est du point (ii), la contractualisation est une réponse à la constitution de filières structurées et pérennes à condition que les contrats soient pluriannuels, portent sur les quantités, les qualités et les prix, et ne se limitent pas aux seuls maillons de la production et de la collecte/transformation en engageant la distribution et notamment la grande distribution ; l’intervention des pouvoirs publics est sans doute requise de façon à garantir l’équité de traitement de chaque maillon dans un contexte où la grande distribution est nettement plus concentrée que les autres stades des filières, de façon aussi à jouer le rôle d’assureur en dernier ressort en cas de déficit d’approvisionnement par les fournisseurs sous contrat de sorte à ne pas pénaliser ces derniers au titre d’une rupture de contrat. Une autre voie d’équilibre des rapports de force entre les différents acteurs de filières est de favoriser le regroupement des producteurs agricoles en AB et l’agrandissement et le regroupement des petites et moyennes entreprises de collecte et de transformation spécialisées en AB. Pour ce qui est du point (iii), plus que des campagnes de communication au sens strict dont on peut légitimement douter de l’efficacité, cibler l’information du jeune public, de leurs parents et de leurs enseignants apparaît comme une voie plus prometteuse de développement de la consommation des produits issus de l’AB dont l’efficacité sera d’autant plus grande que les cantines offrent simultanément la possibilité de consommer régulièrement des produits issus de l’AB. Le regroupement de l’offre doit aider à faire face aux ruptures possibles d’approvisionnement, et une partie des ressources budgétaires actuellement ciblées sur le stade de la production pourrait être réorientée pour compenser le surcoût d’approvisionnement en produits issus de l’AB sous réserve que ceux-ci soient d’origine locale / française. Enfin, il convient de se poser la question de la modestie des ressources budgétaires qui seront in fine consacrées à l’aval des exploitations agricoles en AB alors que celles-ci devraient bénéficier d’un quasi-doublement des aides directes qui leur sont spécifiquement allouées relativement à la période actuelle. Sans remettre en cause la légitimité de ces aides, n’est-il pas temps de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, i.e., d’assise des aides directes aux exploitations agricoles en AB sur la base des effets environnementaux obtenus et des emplois générés ?