Tensions of agricultural co-op democratic governance. A case study in south of France
Les tensions de la gouvernance démocratique au sein des coopératives agricoles : une étude de cas dans le Sud de la France
Résumé
Introduction :
Les coopératives constituent un mode d’organisation original, plongeant leurs racines dans la Révolution Industrielle et leurs valeurs dans l’expérience fondatrice de la « Société Coopérative des Equitables Pionniers de Rochdale », où l’Homme et la démocratie sont prépondérants (Fairbairn, 1994). Ces principes ont contribué à structurer le développement du mouvement coopératif agricole, s’appuyant sur des écoles de pensées différenciées, pouvant osciller entre poursuite de l’idéal démocratique et recherche d’un poids économique significatif dans l’économie capitaliste, comme aux Etats Unis (Cook, 2014). En France, les coopératives agricoles ont connu de grandes mutations depuis plus de 30 ans, avec notamment des mouvements de regroupements/restructurations très importants. On est ainsi passé de coopératives « unicellulaires » et très territorialisées à des coopératives plus étendues et plus grandes, souvent issues de fusion, pouvant former, dans certains cas, des groupes coopératifs très vastes, aux multiples filiales, interrogeant de manière grandissante le lien coopératives-adhérents (Filippi, 2013 ; Saïsset, 2016). Les multiples crises économiques, sanitaires et financières, les évolutions sociétales et environnementales, ont impacté l’évolution de ces organisations en termes de gouvernance et de management. Bien au-delà des principes juridiques encadrant le statut des coopératives agricoles et qui requièrent aujourd’hui davantage de transparence vis-à-vis des associés-coopérateurs, les aspirations démocratiques des adhérents ont pu connaître des changements profonds. Ces aspirations, orientées vers un système plus horizontal, peuvent remettre en cause le fonctionnement « classique » des entreprises coopératives, qui repose essentiellement sur le modèle de la démocratie représentative. Dans cette communication, nous souhaitons ainsi aborder la question des nouveaux enjeux et ressorts de la gouvernance démocratique dans les sociétés coopératives agricoles, ainsi que celle des tensions qui peuvent la caractériser. Nous nous penchons pour cela sur le cas de trois PME coopératives du Sud de la France, dans le secteur agricole, et sur leurs pratiques de gouvernance entre 2001 et 2014.
Cadre théorique :
Alors que le secteur de l’économie sociale et solidaire repose sur des fondements démocratiques forts (Lacroix et Slitine, 2016), Gomez (2001) montre que, même dans les entreprises capitalistiques, la démocratie gagne du terrain (contrôle des dirigeants, choix entre plusieurs politiques), par le biais de nouvelles formes de gouvernance où sont très présents les « actionnaires activistes ». Il existe donc une évolution de l’ensemble de la société vers des entreprises plus démocratiques et Grandori (2017) n’hésite pas à proposer une re-conceptualisation de la firme en tant qu’institution démocratique, reposant sur des arguments d’efficacité et d’innovation. 2 Nous appuyant sur les travaux de Cornforth (2004), mettant en avant la dimension multi- paradigmatique de la gouvernance des associations, mutuelles et coopératives, nous nous penchons sur plusieurs courants théoriques pour aborder la question de la démocratie coopérative. La théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976) traite notamment de la supervision principal-agent, mais est souvent réductrice dans son approche purement disciplinaire. La théorie des parties prenantes (Freeman et Reed, 1983) met l’accent sur la prise de décision et la création de valeur multi- partenariale, mais essentiellement dans une optique de confiance, ce qui peut parfois sembler peu applicable. Quant à la théorie démocratique, revivifiée et développée par Pozzobon et al. (2012), elle permet de comparer coûts d’agence et « coûts démocratiques », au gré notamment des oscillations entre démocratie délégative, représentative et participative (Andréani, 1994). Dans le prolongement de ces travaux, Kaswan (2014) met en exergue le développement de la démocratie au sein des coopératives, la manière dont elle se joue en interne aussi bien qu’en externe et jusqu’à quel point son exacerbation peut entraîner de véritables tensions démocratiques, pouvant s’apaiser par un fonctionnement en réseau plus accentué. Cette nécessité d’une gouvernance démocratique et équilibrée est également prise en compte dans certains groupes coopératifs importants qui cherchent à maintenir l’implication des adhérents au sein de leur outil collectif (Valiorgue et Hollandts, 2019). D’ailleurs, on voit bien que des tensions, voire des dérives, peuvent apparaître entre la nécessité d’être performant au niveau de la coopérative en tant qu’entreprise et la volonté de maintenir l’égalité entre adhérents et un niveau satisfaisant de transparence (Gwiriri et Benett, 2020).
Méthodologie :
Nous nous inscrivons dans une démarche en lien direct avec les acteurs de terrain (recherche- action), du fait de nos fonctions passées au sein de la Fédération Régionale des Coopératives Agricoles, puis de Coop de France Languedoc-Roussillon, et de notre statut de chercheur depuis 2010 (Jouison-Laffitte, 2009). Notre volet empirique s’appuie sur une analyse qualitative comparée de trois études de cas de coopératives agricoles du Languedoc-Roussillon, terre de prédilection de la coopération où existe un tissu économique très vivace de petites et moyennes coopératives agricoles 1 . Ces coopératives, au sociétariat souvent très proche et peu dispersé, ont connu chacune des fusions et restructurations. Elles sont étudiées selon une approche longitudinale et dynamique, en nous appuyant sur la méthodologie de l’étude de cas (Yin, 2013) qui repose sur la conduite d’entretiens semi-directifs, l’analyse documents internes et même observation participante (réunions professionnelles). Notre démarche méthodologique est donc ainsi exploratoire et très ouverte.
Résultats :
Nos travaux mettent en évidence les tensions entre gouvernance démocratique formelle et informelle, démocratie verticale et horizontale, démocratie délégative et participative, interactions multi-acteurs ou bien orientées adhérents. Ils soulignent, d’un côté, le rôle de l’intelligence collective au service d’un projet coopératif davantage débattu et partagé, mais pointent également, d’un autre côté, le « risque démocratique » d’une gouvernance coopérative subie et passive. L’équilibre instable de la gouvernance démocratique apparaît assez clairement, oscillant entre une gouvernance démocratique « de façade », se traduisant par un accroissement des coûts 1 Environ 260 coopératives, soit 10% du nombre total, pour 2 à 2,5 milliards € de chiffre d’affaires HT, soit 3% de l’ensemble (Sources : Coop de France LR et Coop de France). 3 démocratiques, néfaste pour l’avenir de la coopérative, et une gouvernance démocratique plus vertueuse et participative, permettant la réduction des coûts démocratiques, favorable à la pérennité de l’entreprise. Au terme de notre étude, il semble donc que la gouvernance coopérative doive évoluer vers plus de démocratie participative, voire délégative dans certaines situations, afin d’aboutir à une réduction des coûts démocratiques et un meilleur sentiment d’appartenance des adhérents. Ces travaux, dont la nature qualitative permet de saisir la complexité des situations de gouvernance, mais dont la portée confirmatoire est forcément limitée, ouvrent des perspectives prometteuses de recherche quantitative en matière de démocratie coopérative et d’analyse des risques.