Suivi hydrobiologique du Rhône. CNPE de Cruas-Meysse. Résultats de l'année 2021
Abstract
Depuis août 1982, la surveillance hydroécologique du fleuve Rhône au droit du Centre Nucléaire de Production Electrique EDF de Cruas-Meysse a permis d’évaluer l’évolution intra et inter-annuelle de la qualité du milieu fluvial. Ce rapport présente les résultats obtenus au cours de l’année 2021 et les replace en regard des chroniques biologiques existantes sur ce secteur fluvial.
Du fait de la modification des arrêtés depuis les études initiales et de la réglementation quant aux méthodes et normes pour l’évaluation de la qualité biologique du milieu fluvial, le suivi hydrobiologique actuel intègre quatre compartiments biologiques : le phytoplancton et le phytobenthos, les macrophytes aquatiques, les macroinvertébrés et les poissons.
Contexte hydroclimatique
En France métropolitaine, avec une température moyenne annuelle de l’air de 12,9°C, et de +0,4°C supérieure à la moyenne de référence 1981-2010, l’année 2021 est globalement plus proche de la normale. Mais elle a été extrêmement contrastée, alternant des périodes douces et froides en toute saison. Les mois de février, juin et septembre, ont été classés parmi les dix plus chauds depuis 1900. La douceur du mois de décembre 2021, du même ordre que décembre 2020, conforte la tendance vers des hivers de plus en plus doux.
Ces écarts climatiques ont entraîné des alternances de basses et hautes eaux, décalées au regard d’un régime hydrologique normal. Parmi les épisodes remarquables, il faut citer de faibles débits au cours des mois de mars et d’avril, suivis de hautes eaux estivales et de crues (Q > 4000 m3/s) en mai et juillet avant la progressive instauration d’un étiage automnal prolongé.
En 2021, les températures fluviales en amont du CNPE ont ainsi oscillé entre un minima et un maxima proches des quantiles 5% (5,8°C) et 95% (23,2°C) de ces deux dernières décennies (2000-2021), sans températures extrêmes, que ce soit en période froide ou chaude. La fraîcheur des eaux en mai, juillet et août, en constitue l’élément principal.
Evaluation physico-chimique des eaux
Les analyses physico-chimiques sont assurées par le laboratoire d’analyse des eaux de la Société du Canal de Provence.
En 2021, les analyses physicochimiques des eaux du Rhône aux deux stations ont été effectuées à six reprises, 3 février, 7 avril, 3 juin, 3 août, 6 octobre et 2 décembre. Les analyses ont porté sur l’ensemble des paramètres suivants : température de l'eau, oxygène dissous, pH, conductivité, Carbone Organique Dissous, demande chimique en oxygène (DCO), mesure d’oxydabilité au permanganate, DBO5, turbidité, matières en suspension, silicates, azote Kjeldhal, ammonium, nitrites, nitrates, phosphore total, orthophosphates. Deux fois dans l’année, des analyses complémentaires ajoutent les paramètres suivants : Calcium, Magnésium, Potassium, Sulfates, Chlorures, Sodium, Hydrogénocarbonates, Titre Alcalimétrique Complet et Dureté totale ; analyses réalisées les 7 avril et 3 août.
L’ensemble des résultats d’analyses physico-chimiques 2021 confirme les caractéristiques minérales de l’eau du Rhône et les fluctuations saisonnières signalées dans le rapport de la synthèse décennale éditée en 2018.
Aucun des paramètres chimiques mesurés en 2021 ne met en évidence de différence entre l’amont et l’aval de la retenue de Montélimar. Ces paramètres ne permettent pas d’établir une influence potentielle des activités du CNPE de Cruas-Meysse sur le Rhône.
Evaluation de la qualité biologique
Les pigments chlorophylliens
Sur le Rhône et ce tronçon fluvial, les teneurs en Chlorophylle a sont habituellement faibles, inférieures à 2,5 µg/L. Il s’avère qu’en 2021, pendant des périodes de faibles débits (en avril et septembre), les concentrations en Chlorophylle a ont dépassé cette valeur : 4,1 µg/L en aval le 7 avril et 7 µg/L le 1er septembre à l’amont. Les valeurs atteintes ne sont cependant pas significatives de signes d’eutrophisation. Malgré de notables différences hydrauliques entre l’amont et l’aval, les teneurs observées à une date donnée restent similaires entre les stations.
Le phytoplancton
Les algues en dérive, ou phytoplancton, ont été étudiées lors de deux campagnes d'échantillonnage réalisées le 21 juin et le 6 septembre 2021, aux stations Amont et Aval, en rive droite, identiques à celles des prélèvements de macroinvertébrés.
Les valeurs des densités phytoplanctoniques varient entre les deux dates de prélèvement pour les deux stations amont-aval du CNPE de Cruas-Meysse. Les densités phytoplanctoniques les plus basses (2 360 cell/L) ont été enregistrées le 22 juin 2021 à l’aval ; les plus fortes l’ont été à l’amont (6 000 cell/L) le 6 septembre 2021. Les densités cellulaires augmentent pour les deux stations au mois de septembre mais correspondent à des valeurs phytoplanctoniques relativement faibles.
Le groupe phytoplanctonique le plus abondant est celui des Diatomées dans les deux stations en juin et sur la station amont en septembre 2021. Pour la station aval en septembre 2021, le groupe le mieux représenté est celui des cyanobactéries (2 480 cell/L) au détriment des diatomées (2 240 cell/L). Le dénombrement cellulaire des cyanobactéries met en évidence des valeurs relativement faibles, nettement inférieures au seuil critique fixé à 20 000 cell/mL et par conséquent ne laisse présager un quelconque épisode d’efflorescences. Aucun développement phytoplanctonique excessif n’a été constaté sur la retenue de Montélimar.
Le suivi réalisé en période estivale a montré une augmentation du nombre de cellules au sein des communautés phytoplanctoniques au mois de septembre 2021, liée à la saisonnalité. Il ne permet pas de déceler une influence des activités du CNPE sur le compartiment phytoplanctonique.
Le phytobenthos
L’échantillonnage du phytobenthos a été réalisé les 21 juin et 6 septembre 2021 par des prélèvements sur les substrats durs localisés en rive droite, au droit des espars amont et aval utilisés pour la pose des substrats artificiels.
En regroupant les deux stations, la richesse spécifique totale s’élève à 66 espèces inventoriées réparties en 56 diatomées, 6 chlorophycées, 2 cyanobactéries, 1 chysophyte et 1 euglènophyte.
Les densités cellulaires phytobenthiques sont légèrement plus élevées sur la station amont et atteignent la valeur maximale de 2 194 cell/cm2 en septembre 2021 (contre 3 804 cell/cm2 en juin 2020).
Les indices IBD et IPS ont été évalués avec le Logiciel Omnidia. Les notes obtenues pour l’IBD oscillent entre 12,5/20 (station aval en septembre 2021) et 13,6/20 (station amont en septembre 2021). Les notes de l’IPS sont entre 11,9/20 à l’aval et 12,7/20 à l’amont en septembre. Les valeurs de l’IBD indiquent une classe de qualité biologique bonne en station amont au mois de septembre et passable aux stations amont (juin 2021) et aval (juin et septembre 2021) avec une eutrophisation modérée pour l’ensemble des quatre relevés.
L'étude réalisée n'a pas permis d'identifier une influence des activités du CNPE sur les communautés phytobenthiques.
Les macrophytes aquatiques
L’étude des macrophytes a été réalisée par Monsieur Eric Boucard et son équipe de l’Agence Mosaïque-environnement.
Les suivis floristiques de la végétation aquatique (IBMR) conduits lors de cette campagne 2021 ont permis de mettre en évidence des niveaux de trophie différents entre les deux stations du Rhône : 8,25 en amont et 6,71 en aval du CNPE. Les années précédentes, les niveaux trophiques étaient très élevés pour les deux stations sauf en 2016. La situation observée est donc très proche de celle de 2016.
Les pourcentages de végétalisation des berges amont ont bien diminué par rapport aux années précédentes tandis que ceux proches du chenal restent stables au cours des années. A contrario le pourcentage de végétalisation en aval a fortement augmenté depuis 2020 par rapport aux années précédentes.
L'étude ne met pas en exergue une influence des activités du CNPE sur les communautés macrophytiques.
La faune benthique
Le peuplement en 2021 est constitué de treize groupes avec majoritairement des Crustacés exotiques : les Crustacés Dikerogammarus villosus, Jaera istri, Limnomysis benedeni et Corophium sp. d’origine ponto-caspienne ; cette année 2021 est marquée par le premier recensement du Polychètes exogène d’origine ponto-caspienne Manayunkia caspica. Les Oligochètes, les Crustacés, les Diptères et les Gastéropodes représentent plus de 98% du peuplement en termes d'abondance. D’autres exogènes composent le peuplement 2021 : le Polychète Hypania invalida d’origine ponto-caspienne, ou encore les Mollusques du genre Corbicula (Asie) ou Potamopyrgus (Nouvelle Zélande).
Chez les Mollusques, l’espèce autochtone Theodoxus fluviatilis (famille Neritidae) est encore une fois abondante cette année. Les insectes sont échantillonnés mais peu représentés, exceptés les Diptères notamment Orthocladiinae. Quelques individus des ordres des Ephéméroptères, Trichoptères, Coléoptères, Odonates ainsi que trois Plécoptères du genre Leuctra ont tout de même été récoltés en 2021.
Les indices de diversité et de similitude (Shannon, Simpson) confirment la grande fragilité de l’hydrosystème face aux différentes pressions anthropiques et hydroclimatiques. Ils traduisent également l’absence d’habitats biogènes dans ce tronçon chenalisé, un peuplement dominé par quelques espèces à reproduction rapide et à cycle de vie court (Crustacés Hemimysis, Jaera, Corophium et Polychètes Hypania).
Les indices de types IQBP (Indice de Qualité Biologique Potentielle) maximisés indiquent des notes mauvaises à bonnes, révélant une qualité du système biologique dégradée sur l’ensemble du site, et confirment une altération globale particulièrement marquée depuis le début des années 2000. Bien que la station Amont ait obtenu une note IQBP de 11/20 au printemps, cette exception relève d’un unique Plécoptère du genre Leuctra.
L’analyse multivariée interannuelle du peuplement au cours de la période récente 2004-2021 a identifié trois périodes successives (2007-2008, 2011-2012, 2015-2021) traduites par des structures faunistiques différentes au sein du peuplement. La rupture entre 2011 et 2012 est consécutive à la baisse progressive voire quasi-disparition de plusieurs taxons au cours de la première période, et une banalisation accrue du peuplement au cours des sept dernières années par la dominance des espèces les plus ubiquistes , capables de s’adapter aux conditions des tronçons aménagés.
L’année 2021 s’inscrit dans la continuité des changements observés après 2012.
La qualité biologique légèrement supérieure à l'amont est vraisemblablement due à la plus grande diversité des habitats dans cette section lotique de la retenue proche du Vieux Rhône, comparativement à l'aval de la retenue, beaucoup plus lentique et homogène.
Dans ce contexte, les différences observées entre l’amont et l’aval ne permettent pas d'identifier d’influence du CNPE sur les communautés d’invertébrés aquatiques.
La faune piscicole
En se référant à l’ensemble des campagnes de pêches réalisées depuis 1983 sur les stations Amont et Aval, et en considérant le référentiel taxonomique actuel, le peuplement piscicole de la retenue de Montélimar est caractérisé par la présence de 38 espèces réparties au sein de 19 familles. Neuf espèces de l’ancienne famille des cyprinidés, appartenant aux familles des Cyprinidae (barbeau fluviatile), Gobionidae (goujon et goujon asiatique) et Leuciscidae (ablette, gardon, chevaine, brème bordelière, hotu et spirlin) comptent parmi les plus abondantes (>1,5%) et représentent un peu plus de 92% des effectifs.
Comparativement aux valeurs moyennes de la chronique, les données des quatre campagnes de pêche de l’année 2021 sont plutôt contrastées ; à la fois en termes de richesse (25 espèces en 2021 vs 38 espèces inventoriées sur le secteur entre 1983 et 2021) et de répartition des abondances relatives des espèces.
Parmi les changements structurels, il faut citer (1) la forte baisse de la représentativité du gardon (3,3% en 2021 vs 19,8% sur la chronique) malgré la présence de jeunes individus qui témoigne de sa reproduction ces dernières années ; (2) la dominance toujours marquée de l’ablette (45,9% vs 36%) ; (3)l’augmentation de l’abondance relative du spirlin (10,8% vs 2,5%) ; et (4) la poursuite d’une colonisation « efficace » par le goujon asiatique (12,4% vs 2,1%).
Enfin, les pêches par EPA, réalisées le 23 novembre , ont permis d’échantillonner 14 espèces (637 individus) à l’amont et 14 espèces (158 individus) à l’aval. Le calcul de l’IPR a attribué une qualité « bonne » à l’amont et à l’aval pour la campagne 2021.
L’Indice Poisson Rivière ne permet pas d’identifier une influence des activités du CNPE sur les communautés piscicoles de la retenue de Montélimar.
Conclusion
Les différences amont/aval, identifiées à partir des compartiments biologiques, sont globalement attribuées à une disparité en termes de diversité d’habitats, elle-même conditionnée par le contexte hydraulique de chaque station, et les évolutions climatiques actuelles. Les effets prédominants de l’aménagement hydraulique et des activités anthropiques existantes en amont ne nous permettent pas d’isoler les effets spécifiques et potentiels qui pourraient être attribués au fonctionnement du CNPE.
Mots-clés : Bas-Rhône médian, hydrobiologie, chroniques environnementales, centres nucléaires de production électrique, Cruas-Meysse, phytobenthos, macrophytes, macroinvertébrés, poissons.
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