Les dendro-microhabitats: facteurs clés de leur occurrence dans les peuplements forestiers, impact de la gestion et relations avec la biodiversité taxonomique
Résumé
La forêt couvre près de 30 % du territoire français. Pourvoyeuse de ressources pour l’Homme depuis des millénaires, sa gestion est organisée depuis le XVIIe pour fournir une large gamme de produits et de services correspondant aux demandes de la société. La gestion forestière repose sur des concepts techniques très orientés sur l’augmentation du volume de bois produit et le renouvellement des peuplements, et qui ont fait leurs preuves. Dans le contexte futur d’une perturbation du climat liée en grande partie au déstockage des énergies fossiles, le bois est considéré comme le matériau renouvelable par excellence. Il est amené à accroître encore sa place dans l’économie, mais dans un contexte socioculturel évolutif qui a intégré d’autres valeurs aux forêts, comme l’esthétique, un espace de loisirs et de détente, et un rôle essentiel dans la conservation de la biodiversité. Cette dernière est devenue un des axes fondamentaux de la gestion forestière dite « durable », définie lors du « Sommet de la Terre» de Rio de Janeiro (1992) et de la conférence ministérielle d’Helsinki (1993). Or, la tradition forestière freine parfois l’intégration de nouvelles orientations et l’émergence et la diffusion de concepts novateurs. Ce constat n’est pas surprenant si l’on considère la longueur des cycles de production pour la majorité des essences, et il faut reconnaître que, malgré les multiples atteintes qu’elles ont subies au cours de l’histoire, les forêts font partie des milieux terrestres qui comportent le plus de biodiversité. Pourtant, la résilience remarquable des écosystèmes forestiers ne doit pas nous dédouaner d’une réflexion sur la durabilité de nos systèmes de production. Pour que le forestier intègre plus aisément et efficacement la biodiversité dans ses actes de gestion, en compléments des aspects forestiers classiques (stationnels, sylvicoles), économiques et sociaux, il est nécessaire d’accroitre nos connaissances et de développer des outils performants et pratiques. En effet, s’il a bien en sa possession de multiples références vis‐à‐vis de la production de bois, le gestionnaire forestier en manque sur la composition biologique des types de forêts qu’il gère, le rôle que les espèces jouent et les dysfonctionnements liés à l’absence de certaines d’entre‐elles, présentes seulement dans les forêts non anthropisées. Comme il est impossible de réaliser des inventaires exhaustifs de la richesse en espèces d’un écosystème aussi diversifié qu’une forêt (plus de 10 000 espèces dans une grande forêt naturelle), une approche prometteuse est développée en analysant seulement certains taxons appelés bio‐indicateurs et considérés comme intégrateurs de la diversité de l’ensemble des espèces et des processus fonctionnels la soutenant. Mais pour un gestionnaire non naturaliste, une approche indirecte est souvent plus intuitive et pratique à utiliser dans le travail quotidien, notamment en utilisant pour le diagnostic des caractéristiques clés pour les espèces, comme la diversité des essences, la présence de bois mort ou de certaines singularités des arbres (cavités, fentes, etc.). Néanmoins, les recherches sur certaines de ces caractéristiques sont encore balbutiantes et les connaissances sur leurs liens fonctionnels avec les espèces sont encore fragmentaires. Ce travail de thèse résulte de l’opportunité d’un poste d’interface INRA/CNPF que j’ai eu la chance d’obtenir fin 2009 pour une durée de trois ans afin de concrétiser le développement d’un indicateur indirect de la diversité des espèces forestières au sein du laboratoire Dynafor de l’Inra Toulouse. Le contexte scientifique du laboratoire et l’appui sans réserve de la tribu des Dynaforiens m’a donné l’idée en 2011 de compléter ma formation d’Ingénieur Recherche et Développement par un travail plus académique, dans le but de valoriser une démarche exploratoire pluridisciplinaire et pluritaxonomique de la biodiversité des forêts amorcée dès 2003 sur un massif d’étude montagnard (Larrieu, 2007) puis, en 2008, sur un massif de plaine. Ce travail se réalisait sur la base d’un réseau de collaborations ponctuelles, tout en assurant mon rôle de conseiller forestier au sein du CRPF de Midi‐Pyrénées. Ces conditions ne permettaient pas une rigoureuse exploitation des nombreuses données de terrain recueillies. Les « choses sérieuses » d’un point de vue scientifique ont donc réellement commencé en 2010, mais en bénéficiant largement de données et de l’expérience de terrain acquises les sept années précédentes. J’ai également bénéficié de l’appui d’un grand nombre de scientifiques, non seulement au sein de l’INRA, mais aussi de l’IRSTEA, ainsi que de naturalistes. Tous ont répondu très volontiers à toutes mes sollicitations, que ce soit pour des appuis scientifiques ou pour partager leurs bases de données taxonomiques. Cette histoire explique pourquoi la recherche que nous avons menée sur les microhabitats est typiquement finalisée, dans un esprit de Recherche et Développement. Elle a ainsi pour objectif principal de fournir des éléments de réponse pratiques aux gestionnaires d’espaces forestiers, la plupart des questions posées émanant d’ailleurs de personnels de terrain. Les méthodes employées, comme par exemple la recherche quasisystématique de seuils numériques significatifs pour la biodiversité, ou bien les échelles de travail ‐ l’arbre, le peuplement ‐ sont aussi en partie sélectionnées pour tenter de fournir des résultats facilement utilisables en routine par les gestionnaires forestiers soucieux de pratiquer une gestion intégrant la biodiversité. Cependant, la réflexion préalable aux mesures s’est toujours efforcée de placer cette recherche dans des cadres écologiques théoriques afin de participer modestement à l’amélioration des connaissances sur le fonctionnement et les dynamiques des écosystèmes forestiers.