Biomarqueurs salivaires du stade du cycle de reproduction chez la jument
Abstract
La prise en compte du bien-être animal est une demande de la société civile, qui est particulièrement sensible à la douleur infligée à l’animal d’élevage. La maîtrise de la reproduction dans la filière équine implique des actes potentiellement douloureux, notamment au moment des prises de sang. En effet, les prélèvements de sang réalisés pour des dosages hormonaux afin d’évaluer le stade du cycle de reproduction ou pour diagnostiquer un problème de reproduction peuvent être stressantes et provoquer une douleur plus ou moins importante en fonction de l’animal et du manipulateur, ce qui peut compromettre la relation humain-équidé et conduire à une réaction de retrait potentiellement dangereuse. Par ailleurs, sous la pression de la société civile, la réglementation pourrait évoluer vers une interdiction des actes potentiellement douloureux en élevage.
L’objectif de notre laboratoire est de développer des méthodes alternatives pour limiter les actes invasifs dans le cadre de la reproduction des mammifères d’élevage, et notamment de trouver une alternative aux prises de sang. Les prélèvements de salive sont des actes non douloureux et non invasifs, qui peuvent être effectués facilement sur le terrain sans contrainte de l’animal. Ils sont utilisés fréquemment chez l’humain, notamment chez les enfants, et sont en cours de développement chez les mammifères domestiques.
L’objectif de ce travail était d’analyser l’ensemble des métabolites (le métabolome) dans la salive de juments à différents stades du cycle de reproduction, afin d’identifier des biomarqueurs salivaires du stade du cycle des juments.
Pour cela, nous avons collecté de la salive à l’aide d’une Salivette® sur 6 juments à 7 stades physiologiques successifs : en anoestrus, en phase préovulatoire 3 jours, 2 jours et 1 jour avant l’ovulation, le jour de l’ovulation, en phase lutéale 6 jours après l’ovulation, en gestation 18 jours après ovulation et insémination artificielle. Des prélèvements sanguins ont été réalisés en même temps que les prélèvements de salive pour comparer les concentrations dans la salive et dans le plasma. Les concentrations salivaires et plasmatiques des métabolites ont été analysées par spectrométrie de résonance magnétique nucléaire du proton, technique de référence en termes de spécificité, reproductibilité et précision. Les résultats ont été analysés par une ANOVA en mesures répétées par la méthode de Geisser et Greenhouse et des tests de comparaisons multiples de Tukey.
Nous avons identifié 86 régions spectrales qui correspondent à 59 métabolites dans la salive équine, et 113 régions spectrales qui correspondent à 51 métabolites dans le plasma équin. Parmi les métabolites, 31 ont été identifiés dans la salive et le plasma. Le métabolome salivaire et plasmatique contient des sucres, des acides aminés, des acides organiques, des composés organiques et des nucléosides.
Dans la salive équine, 15 métabolites ou groupes de métabolites ont des concentrations significativement différentes entre les stades physiologiques. Les concentrations salivaires de 11 métabolites ou groupes de métabolites sont significativement différentes entre le stade d’anœstrus et les autres stades (bétaine, myo-inositol, sarcosine, alanine, isocaproate, 3-hydroxyisobutyrate, lactate + fructose, 4-aminobutyrate + 2-oxoglutarate, malate + aspartate, glutamine + 2-oxoglutamate + carnitine, alanine + glucose + glycérol + maltose). Les concentrations salivaires de 4 métabolites ou groupes de métabolites diffèrent significativement au cours des 4 jours précédant l’ovulation (créatine, 2-phenylpropionate + phenyllactate, 4-aminobutyrate + 2-oxoglutarate, malate + aspartate). La concentration salivaire du formate est significativement différente entre la phase préovulatoire et la gestation. La concentration salivaire du 3-hydroxyisobutyrate est significativement différente entre le jour de l’ovulation et la phase lutéale.
Dans le plasma équin, 30 métabolites ou groupes de métabolites ont des concentrations significativement différentes entre les stades physiologiques. Les concentrations plasmatiques de 18 métabolites ou groupes de métabolites sont significativement différentes entre le stade d’anœstrus et les autres stades (alanine, carnitine, créatinine, glutamine, hippurate, leucine, mannose, sérine, théophylline, thréonine, tryptophane, tyrosine, valine, 3-hydroxyisobutyrate, tryptophane + créatinine, phenylalanine, asparagine, glutamate + glutamine + o-acetylcarnitine + méthionine). Les concentrations plasmatiques de 5 métabolites ou groupes de métabolites diffèrent significativement au cours des 4 jours précédant l’ovulation (diméthyl sulfone, sérine, valine, sérine + phenylalanine + asparagine, phenylalanine). La concentration plasmatique du 3-hydroxyisovalerate est significativement différente entre le jour précédant l’ovulation et la phase lutéale.
En conclusion, les concentrations dans la salive de plusieurs métabolites sont significativement différentes en fonction du stade du cycle de reproduction. Ces métabolites pourraient donc être des biomarqueurs salivaires permettant de différencier les juments cycliques, des juments gestantes et des juments en anœstrus. Une étude complémentaire sur un plus grand nombre de juments est en cours pour confirmer ces résultats. De plus, plusieurs kits commerciaux de dosages EIA sont actuellement testés pour doser ces métabolites afin de développer un test salivaire applicable sur le terrain.