Introduction et but de l'étude Dans le contexte d'une précarité alimentaire croissante (Bléhaut & Gressier, 2023) et d'une réflexion sur les limites de l'aide alimentaire (Caillavet et al., 2021), différentes initiatives sont imaginées ou expérimentées en France pour réduire les inégalités socioéconomiques en matière d'alimentation et de santé. Afin de permettre aux populations en situation de précarité d'avoir accès à une alimentation saine et durable, des chèques ciblés sur les fruits, les légumes et les légumineuses ont été distribués lors d'une expérience d'une durée de 14 semaines, conduite par un laboratoire d'économie en partenariat avec la métropole. Les montants ont été définis afin de satisfaire les recommandations du Programme National Nutrition-Santé de ces aliments pour tous les membres du foyer. L'objectif de cette étude est d'interroger qualitativement le ressenti des participants pour comprendre l'effet de ces chèques sur les pratiques d'achat et de consommation, et identifier les mécanismes individuels d'appropriation susceptibles de conduire à un changement de comportement alimentaire. Matériel et Méthodes Vingt-sept entretiens semi-directifs ont été conduits avec des participants de l'expérience de chèques alimentaires, présélectionnés sur des données sociodémographiques par souci de représentativité de différents profils (genre, âge, type de foyer, origine géographique). Ces participants avaient précédemment été recrutés grâce à des structures d'accompagnement social (épicerie sociale, centre communal d'action sociale). Les entretiens se sont déroulés environ trois mois après le dernier envoi postal de chèques. Les participants ont été invités à exprimer leur ressenti sur les chèques et à expliquer leurs stratégies d'utilisation et leurs motivations. Leur perception de leur propre alimentation (niveau d'insécurité alimentaire, critères de choix, habitudes) a également été interrogée. Les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits en vue d'une analyse thématique. Résultats et Analyses statistiques De manière quantitative, le chèque a permis d'augmenter la consommation de fruits et légumes en sanctuarisant un budget pour ces aliments. De manière qualitative, la moitié des participants a pu envisager une alimentation plus variée, plus élaborée et source de plaisir. En effet, l'expérimentation leur a permis de se libérer de l'incertitude ou de la monotonie de l'épicerie sociale et des promotions pour ouvrir leur répertoire alimentaire. D'autres motivations de choix que le prix, la praticité et les habitudes ont pu être considérées au moment des achats, telles que le goût et la curiosité. Pour l'autre moitié des participants, les habitudes alimentaires ont volontairement été maintenues et les chèques ont été perçus comme peu significatifs. Des analyses sont en cours pour mieux comprendre les déterminants sociodémographiques et psychosociaux de ces différences de perception. Nous observons également une forte hétérogénéité de pratiques d'utilisation, notamment due au manque d'informations disponibles dans l'expérience. En particulier, la moitié des participants a utilisé des chèques pour acheter d'autres produits que les aliments ciblés. De plus, 45% des participants ne sont pas en insécurité alimentaire modérée ou sévère et un tiers ne dit pas ressentir de fortes difficultés financières pour accéder à une alimentation saine. En termes d'appréciation, le chèque a été considéré comme digne et satisfaisant bien qu'un chèque élargi à d'autres aliments (viande, poisson, produits laitiers) ou non restreint aurait été préféré par une majorité. Toutefois, les usagers réguliers des épiceries sociales y ont vu une alternative intéressante à l'aide alimentaire par l'autonomie qu'il offre et la qualité des aliments accessibles dans les grandes surfaces. Conclusion Des chèques alimentaires ciblés visant à encourager une alimentation plus durable sont appréciés par des personnes en situation de précarité car ils permettent de sécuriser les achats de fruits et légumes sans bouleverser les routines de consommation. Bien que cette expérience de trois mois n'ait pas modifié les habitudes alimentaires, une augmentation temporaire de pouvoir d'achat a permis de libérer les usagers des épiceries sociales de l'incertitude de l'approvisionnement pour favoriser le plaisir et la diversité alimentaire. Des mesures d'accompagnement adaptées, qui étaient insuffisantes dans cette expérience, pourraient permettre de contribuer à prolonger l'effet du chèque en stimulant des motivations de choix alimentaires sains et durables.