Productivité du travail et efficience productive des exploitations bovines françaises : l'agrandissement, un frein ou un accélérateur à la création de richesse ?
Résumé
Contexte : Les exploitants agricoles producteurs de lait et de viande bovine ont continuellement adaptés leurs structures et leurs pratiques. Malgré l’agrandissement de la taille de leurs exploitations et les soutiens publics, le revenu de ces exploitants demeure toujours parmi les plus faibles du secteur agricole français, et à un faible niveau.
Objectif : L’objectif de cette étude est d’analyser l’évolution sur le long terme (trois décennies) de la productivité physique du travail des éleveurs de bovins et de l’efficience productive des systèmes de production. Nous nous interrogeons sur les liens pouvant exister entre l’agrandissement des fermes et l’éventuelle meilleure utilisation des consommations intermédiaires et du capital pour la création de valeur ajoutée.
Données et méthode : Notre analyse sur longue période (1988-2021 en échantillon glissant) porte sur les exploitations laitières spécialisées du Rica Otex 4500 (BL) et les exploitations bovins viande de l’Otex 4600 (BV). Les indices de prix (IPPAP et IPAMPA) sont utilisés pour séparer l'évolution observée des valeurs économiques de chaque poste de produits et de charges entre chaque année en variation de volume et variation de prix. Nous pouvons ainsi calculer l'évolution de la productivité physique du travail et de l'efficience productive définie comme le rapport entre les volumes des biens produits et les volumes des consommations intermédiaires et de capital utilisés. Nous analysons également les évolutions de valeur ajoutée nette, ainsi que la rentabilité du capital des exploitations.
Résultats : La surface agricole utilisée des exploitations BV a continuellement augmenté (+100% sur la période) alors que la main-d’œuvre totale a baissé de 6%. L’efficience productive des exploitations BV perd 13 points (indice 100 en 1988) entre 1988 et 2021. Les volumes de consommations intermédiaires et d'équipements utilisés par les éleveurs de BV ont augmenté plus rapidement que les volumes de produits agricoles produits, la valeur ajoutée nette (la richesse produite annuellement par ces exploitations) est négative depuis 2003 (-10 à -180 € constants/ha). Du fait de l’agrandissement des exploitations, l’actif hors foncier par exploitant BV a augmenté de 29% (303 k€/UTAns en 2021), la rentabilité de ce capital (rapport EBE/actif hors foncier) a baissé de 13%. La surface agricole moyenne des exploitations BL a augmenté de +150% avec une main-d’œuvre totale qui n’augmente que de 24%. La productivité physique du travail croit annuellement de près de 2,5%. Contrairement aux exploitations BV l’efficience productive des systèmes de production stagne, mais la richesse crée par ha par ces exploitations s’érode et perd 55% tout en restant positive. Le capital détenu par exploitant a fortement augmenté, +53% (175 k€/UTAns en 2021) et sa rentabilité perd 14% sur la période.
Conclusion, implications : L’agrandissement continue des exploitations bovines françaises et la constante augmentation de la productivité physique du travail s’est réalisée au cours des trois dernières décennies par une substitution travail-consommations intermédiaires et équipements. Malgré 30 ans de progrès technique, génétique, de connaissances et formation, les volumes d’intrants utilisés ont augmentés aussi vite que les volumes produits (BL), voire plus rapidement (BV), d’où une stagnation et au pire une chute de l’efficience productive des systèmes de production. Les exploitations BV ne créent plus de richesse ; les éleveurs de BV simplifient leurs pratiques (achat d’aliments), les investissements réalisés ne se traduisent pas en gain de productivité animal, il n’y a pas d’économie d’échelle pour ces exploitations BV. L’augmentation de la taille des exploitations BL a permis (ou obligé ?) les éleveurs à investir dans de nouvelles pratiques et technologies qui se sont traduites en partie par un gain de productivité animale (économies de taille) qui a permis de maintenir l’efficience productive du système, mais le coût des achats et des investissements entraine une chute de la valeur ajoutée nette produite. Ces exploitations ont fortement capitalisé sur la période étudiée, alors que leur espérance de revenu à court terme n’a pas augmenté et que la création de richesse du secteur d’effondre, notamment en BV. Ceci n’est pas encourageant pour l’installation de nouveaux entrants dans l’activité et pour l’arrêt souhaité par la profession de la décapitalisation bovine observée depuis 2017. Ce constat devrait conduire à une réévaluation critique du modèle d’entreprise du secteur pour son avenir.
Origine | Fichiers produits par l'(les) auteur(s) |
---|