Dès 2003, la recherche française s’est mobilisée pour produire des connaissances à destination de la filière Vigne et vin, afin que celle-ci puisse relever le défi du changement climatique (Ollat et al., 2020). Dans le cadre du projet Laccave, un exercice prospectif original a été mis en œuvre avec plusieurs finalités. Il s’agissait d’abord de contribuer à outiller l’interdisciplinarité au sein du projet et de sensibiliser les scientifiques à ce que représente un processus adaptatif, en tenant compte de ses moteurs, de ses leviers et de ses freins, le tout pour construire une vision commune de l’adaptation pour la filière Vigne et vin française à l’horizon 2050. Il est apparu ensuite important d’utiliser ces résultats dans une démarche participative pour sensibiliser les acteurs professionnels aux enjeux du changement climatique. Enfin, cette démarche a permis d’accompagner la filière dans l’élaboration d’une stratégie d’adaptation à décliner en un plan d’action (Aigrain et al., 2022). L’ensemble de cette démarche est présenté dans ce chapitre. La démarche prospective utilisée ici est fondée sur la méthode Syspahmm 47 , qui consiste à élaborer des scénarios possibles pour le futur. Basée sur le principe que l’avenir n’est pas prédéterminé et qu’il peut être en partie construit en stimulant la volonté des acteurs et de leurs organisations, elle s’inscrit dans le courant des sciences de l’anticipation, créées en France par Gaston Berger ou aux États-Unis par Herman Kahn (Godin, 2005). Distincts de réelles « prévisions », car trop lointains ou trop complexes pour être probabilisables, ces scénarios « prospectifs » se doivent d’être à la fois cohérents, plausibles mais non convenus, et suffisamment distincts les uns des autres. Par leur pertinence, ils suscitent l’intérêt des acteurs qui peuvent exprimer leurs réactions lors de séances participatives de mise en débat (Ollat et al., 2021). Ils aident à se projeter sur le long terme et à anticiper. Les approches prospectivistes mises en œuvre pour envisager l’adaptation au changement climatique dans l’action publique ont fait récemment l’objet d’un rapport de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique à destination de la sphère politique (Onerc, 2022), avec notamment une contribution de Laccave pour la filière Vigne et vin. Dans le cas du projet Laccave, deux logiques d’adaptation au changement climatique (innover / se déplacer) ont été croisées pour proposer quatre stratégies possibles contrastées. Une démarche relativement originale de « rétroprospective anticipée » a consisté ensuite à vérifier qu’il existait au moins un chemin qui soutienne le développement à long terme de chacune de ces stratégies d’adaptation. Ces chemins ont été construits entre 2014 et 2016 par une cellule d’animation, en mobilisant les résultats des recherches conduites dans le projet et des hypothèses issues d’exercices précédents de prospective sur le secteur (Sebillote, 2003 ; Aigrain et al., 2016a). Les quatre chemins et les stratégies d’adaptation qu’ils soutiennent ont constitué des « scénarios » (FranceAgriMer, 2016), qui ont ensuite été présentés aux acteurs du secteur lors de sept forums régionaux (Ollat et al., 2021). Ces forums participatifs avaient un triple objectif : confronter les points de vue d’acteurs liés à la filière ; les faire s’exprimer sur le caractère souhaitable ou non de ces différents scénarios ; les amener à proposer des leviers d’action cohérents à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Ces éléments ont finalement constitué la charpente d’une stratégie nationale élaborée par les responsables professionnels de la filière et présentée au ministre de l’Agriculture en août 2021. Le présent chapitre décrit les différentes étapes de la démarche — sans détailler la méthodologie —, puis en discute les principaux impacts et apports, avant de conclure sur les perspectives ouvertes.